A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 32 : [Interlude] Dis-moi : oui !

5792 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 13/12/2023 18:33

[Interlude] Chap 32 : Dis-moi : oui !


Face à Reiko, Harlock s’efforçait de faire bonne figure.

Même s’il bouillait intérieurement, il afficha un sourire de façade qui sembla rassurer sa fille adoptive.

“C’est qu’il a osé ce satané tireur de pacotille. Il a vraiment osé.”

Pirate et soldat se fixaient en chien de faïence à travers la pièce pendant que Manabu, aidé du Commandant Bulge et de David, redressait le sapin accidenté et nettoyait les dégâts. Cette tension électrique nimbant l’atmosphère n’avait pas échappé à Kanna qui, prétextant des courses urgentes, s’était empressée de mettre Reiko à l’abri des déflagrations qui, elle en était certaine, n’allaient pas tarder à secouer Tabito. Louise, Yûki et Kei, qui avaient également senti le vent tourner, s’étaient jointes à l’équipe chargée des commissions des festivités de Noël.


- Je vais prendre l’air, marmonna Bruce, qui commençait à trouver l’ambiance étouffante.


Il ouvrit le vantail du shôji et se faufila à l’extérieur, soulagé de se soustraire au regard réprobateur d’Harlock.

La température avait chuté et il s’emmitoufla dans son manteau du mieux possible.

Malgré l’accueil glacial qu’avait réservé la famille de Reiko à l’annonce de leurs fiançailles, il était aussi léger que les nuages qui ondulaient, bercés par la brise hivernale.

“Je l’ai fait. Je l’ai fait et elle a dit oui. J’ai du mal à réaliser que tout ça est réel. Et j’ai hâte de voir la tête de cet imbécile de Schneider quand il apprendra la nouvelle. S’il pensait qu'il lui restait une fenêtre de tir, il ne va pas être déçu du voyage !”

Satisfait, il traça du bout des pieds des arabesques dans la poudreuse.

“Elle avait l’air surprise mais heureuse et ça me suffit.”


- Hé toi !


Bruce soupira en faisant volte face.


- Qu’est-ce que tu veux, “Aniki” ?

- Ne m’appelle pas comme ça ! Toi, t’en as pas le droit. Tu ne fais pas partie de ma famille. Ni aujourd’hui, ni demain, ni jamais !


Une lueur mauvaise s’alluma dans les prunelles de l’artilleur.


- T’en as pas assez de me détester ? T’as personne d’autre sur qui déverser ta haine ?

- Non, t’es le seul, gronda-t-il, les poings fermés.

- T’as l’impression qu’elle est malheureuse avec moi ? Tu crois quoi ? Que je la maltraite ? Enlève tes oeillères, gamin ! T’es juste jaloux que ta sœur soit en couple avec quelqu’un. Tu préférerais qu’elle continue de se planquer dans ton ombre et dans celle d’Harlock ? Grandis un peu et laisse la vivre sa vie !

- Ce que je crois, c’est que tu vas la faire souffrir comme la dernière fois. Ce que je crois, c’est qu’à la première difficulté tu fuiras comme tu sais si bien le faire.

- T’as pas fini de radoter ? J’ai fait la paix avec mes vieux démons. Y’a plus de risque que je la plante encore.

- J’en suis pas si sûr.

- Et qu’est-ce que tu veux que ça me foute ? Je l’épouserai que ça te plaise ou non, morveux. C’est aussi valable pour Harlock, soit dit en passant.

- Moi vivant, ça n’arrivera pas.

- Parce que c’est une demi-portion dans ton genre qui va m’en empêcher ?, ricana Bruce.

- Tu as la mémoire courte car, sans la demi-portion, t’aurais cané sur la base humanoïde.

- Ben voyons et ça fait de toi un héros ?

- Un héros, je ne sais pas, mais un pirate qui va te botter le cul, ça y’a pas de doute !

- Essaie un peu pour voir, grogna le sniper. Sur l’Arcadia, vous avez de la gueule et rien d’autre.

- Ah ouais ? Approche si tu l’oses, le composteur de billets de trains !

- Si tu me cherches, tu vas me trouver, marin d’eau douce.


Tadashi déclencha les hostilités et un direct du droit fusa vers le nez de son adversaire, qui pivota sur ses hanches pour l’esquiver.


- C’était quoi ça ?, le provoqua Bruce. C’est tout ce que t’as dans le ventre ?

- Je vais te faire bouffer la neige.

- Tu manques pas d’ambition, sale gosse.


***


- Vous ne les arrêtez pas, Harlock ?

- Pourquoi faire ? Tant qu’ils ne se seront pas battus une bonne fois pour toute, ça n’en finira jamais, n’est-ce pas ? C’est comme ça que les vrais hommes s’expliquent. Avec leurs poings.


Le Commandant croisa les bras, dubitatif de la véracité de cette philosophie, observant l’altercation depuis la fenêtre de la salle à manger.


- Pas sûr que ce soit du goût de Reiko.

- C’est pour ça que Kanna l’a éloignée. Elle a senti que la situation allait dégénérer d’une minute à l’autre.

- Dire que je les ai sommés de se comporter honorablement.

- Je ne vois aucun déshonneur ici, rétorqua le Capitaine. Bruce se bat pour ma fille et c’est bien le minimum qu’il puisse faire pour gagner mon respect.

- C’est un bon gars vous savez. Loyal, travailleur et intègre. Le meilleur soldat que j’ai eu sous mes ordres. Il est volontaire et courageux. Il tiendra ses engagements et prendra soin d’elle autant que faire se peut.


Les épaules d’Harlock s’affaissèrent.


- J’en ai conscience. Reiko ne l’aurait pas choisi si ça n’avait pas été le cas. J’ai confiance en son jugement.

- Mais alors, pourquoi… ?

- J’ai du mal à la laisser voler de ses propres ailes. C’est un comble pour un rebelle qui navigue sous la bannière de la liberté, vous ne croyez pas ? Mais qu’est-ce que vous voulez… Je l’ai ramassée dans un caniveau plus morte que vive. Quand elle a ouvert les yeux à l’infirmerie, je n’y ai lu que de la douleur et du désespoir. Ce jour-là, je n’ai pas pu me résoudre à la confier à un orphelinat. Et maintenant encore…

- Ce n’est plus cette enfant.

- Je sais mais, pour moi comme pour Tadashi, c’est un pas bien compliqué à franchir.

- J’imagine que c’est la croix de tous les parents. Vous misez sur lequel ?


Harlock réfléchit un instant, amusé.


- Votre recrue. Dashi-kun n’a aucune chance.

- Le pari est annulé dans ce cas !

- Un verre de jus de tomates, ça vous tente ? Je ne vous propose pas de Brandy.

- Volontiers, accepta le Commandant en quittant son poste de surveillance.

- On aurait peut-être dû demander à Yûki de rester.

- Elle s’occupera d’eux à son retour. J’ai vu des biscuits à la cannelle dans la cuisine qui ont été épargnés par la chute de Daiba. Enfin, si David et Manabu ne les ont pas déjà dévorés. Où est-ce qu’ils sont ces deux-là, d’ailleurs ?

- Rendez-vous dans le salon dans cinq minutes. Je me charge des boissons et vous du ravitaillement.

- Compris.


*** 


Un pied s’enfonça dans l’estomac de Tadashi, le catapultant contre la barrière du jardin. Ce dernier s’écrasa sur le grillage et s’affala au sol, le souffle coupé.

Bruce reposa sa jambe, toujours en garde.


- T’en as pas eu assez ? Reiko m’en voudrait si j’abîmais son Aniki adoré. 

- Affronte-moi sérieusement !

- Tu me fatigues, Daiba.

- Je vais te défoncer !

- Oui oui…


Le jeune homme se releva et se rua en avant, furibond. Le sniper, qui avait été éprouvé par des années de combats en tant que mercenaire, évitait facilement les attaques.


- Je ne… Te céderai… Pas Nee-san !

- Encore une fois, je me fiche de ton avis.

- Elle est beaucoup… Trop bien pour toi !


Les poings de Bruce s’abaissèrent.


- Sur ce point… On est d’accord. Mais… Je… Je ferai de mon mieux…


Il baissa la tête tandis que ses mâchoires se contractaient.


- Je ferai de mon mieux pour être à la hauteur.


La poitrine de Tadashi se soulevait rapidement alors que des tremblements agitaient ses membres.


- T’as du boulot.

- Ouais, mais je n’abandonnerai pas. Donc on peut se mettre sur la gueule aussi longtemps que tu le voudras, ça ne changera rien. Je l’aime plus que ma propre vie.


Le pirate s’avança, haletant.


- T’es prêt à aller jusqu’où pour elle ?

- Jusqu’au bout, gamin. Et sans aucune hésitation.


La tension qui irradiait du corps de Tadashi redescendit d’un cran.


- Es-tu capable de le jurer ?

- Si ça te fait plaisir…. Je le promets. Satisfait ? Tu vas me lâcher maintenant ?

- Ici les promesses…

- Ne sont pas faites à la légère, je sais. Harlock m’a déjà sermonné.


Les doigts du frère de Reiko se délièrent.


- Si un jour ton amour pour elle se tarit, ramène la nous. Ne lui fais pas de mal… S’il-te-plaît. Ou t’auras affaire à moi.


Ces mots lui avaient coûté et, contre toute attente, il tendit son bras à un Bruce étonné de ce soudain revirement d’humeur.


- Ça n'arrivera pas mais je te donne ma parole, dit-il en lui serrant la main.

- Bien.


Il se détourna en se massant le ventre.


- Speed, bienvenue dans la famille, grommela-t-il. Mais ne t’avise pas de faire le mariole, je t’ai à l'œil.

- Merci ?


Tadashi tira le vantail du shôji et s’enfila dans le restaurant, laissant Bruce seul dans le jardin.

Celui-ci leva les yeux en l’air et contempla le ciel qui s’était couvert.


- Des flocons ? J’espère que Reiko a pris mon écharpe.


*** 


- Faisons-le demain !


Dans le salon, Harlock sursauta, manquant de peu de renverser son verre.


- Quoi ?


Enjouée, les mains sur les hanches, Reiko piétinait sur le palier.


- Bruce ! BRUUUUCE !, l’appela-t-elle, impatiente. 


Le militaire débarqua dans l’entrée en courant, persuadé qu’un malheur s’était produit durant leur virée en ville.


- Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que… ?

- Marions-nous demain !, s’écria-t-elle en s'agrippant à sa veste. 

- Que… Hein ?

- Toutes les personnes que j’aime sont réunies ici ! Et avec papa, dieu sait que ça ne risque pas de survenir de sitôt.


Le Capitaine, dont les nerfs en pelote s’étaient un tant soit peu calmés avec l’alcool, sentit la pression remonter en flèche.


- Usagi, rien ne presse… Vous pouvez attendre quelques mois.

- Ou quelques années, lança Tadashi depuis la pièce voisine.

- D’accord.


Bruce l’attira contre lui, résolu.


- On le fait demain.


Les épaules d’Harlock se voûtèrent, ce qui tira un petit rire au Commandant Bulge.


- Kanna m’a garanti que le maire célébrerait notre union sans problème et il se trouve que je le connais bien puisqu’il s’agit…

- De monsieur Roya, continua la mère de Manabu. Le contremaître de la mine.

- Il nous faut simplement deux témoins et rien de plus.

- Et une jolie robe pour toi, chaton.

- J’en ai pas besoin.


Il lui caressa tendrement la joue.


- Disons que c’est plus pour moi que pour toi, alors. 

- Nous sommes la veille de Noël… Tous les magasins sont fermés…


Harlock, que le Brandy avait aidé à se faire une raison, se mit debout en essuyant sa bouche d’un revers de manche.


- Moi, j’ai ce qu’il te faut.

- Otto-san ?

- Je peux au moins faire ça puisque vous semblez déterminés à sauter le pas. 

- Vous cachez un jupon sous votre cape ?, railla Bruce.


Louise s’approcha en enveloppant ses doigts autour de ceux de son amie.


- Je m’occupe de vos alliances. Je retourne au marché. J’ai repéré exactement ce qu’il vous faut !

- Écoute, je n’ai pas les moyens de…

- C’est mon cadeau pour vous, ne t’en fais pas.

- Louise-chan…

- Je suis ton témoin, hein ?

- Tu sais bien que oui.


Un torrent de larmes plus tard, l’Officière radar embarqua Manabu avec elle à la recherche des anneaux du mariage.


- Je n’ai pas mon uniforme, pesta Bruce. J’aurais dû l’emmener avec moi.


Kanna fit un pas en avant, les yeux brillants d’émotion.


- Permettez-moi de vous aider.

- Vous… ?, dit-il, surpris.

- Vous oubliez que mon mari était le Commandant de votre unité. La SDF n’a jamais récupéré ses vêtements de service. Il ne vous en voudra pas si vous les lui empruntez. Et moi non plus. Je pourrai même les reprendre s’ils sont trop larges.

- Merci, madame Yuuki.

- Kanna, soupira-t-elle.


Harlock accrocha sa cape autour de son cou, un brin étourdi par ses abus de boisson.


- Koko, tu pilotes. On va sur l’Arcadia.

- Maintenant ?

- Si tu l’épouses aux aurores, on n’a pas de temps à perdre, hein ?


Bruce s’immisça entre eux, méfiant.


- Vous comptez la kidnapper et la séquestrer dans sa cabine ?

- Pas une mauvaise idée, ça, bougonna le hors-la-loi. Je vais y songer.

- Otto-san…

- J’aurai essayé.


*** 


Allongée sur le lit d’Harlock, Reiko scrutait le plafond.

Elle avait l’impression de vivre en dehors de la réalité.

A l’heure actuelle, elle était à des années lumière de la SDF, de Big1 et du conflit les opposant aux humanoïdes.

“C’est donc ça “être sur un nuage”. C’est pas… Désagréable. Mais est-ce que je ne m’emballe pas un peu trop ?”

Elle secoua la tête pour chasser ces pensées négatives.

“S’il n’était pas sérieux, il ne m’aurait pas posé cette question. Je doute d’énormément de choses me concernant, mais sûrement pas de la force de mes sentiments.”


- Lapin, viens par là.


La pilote se redressa, curieuse. Le pirate avait presque entièrement vidé son armoire pour en extraire une épaisse malle en cuir usée.


- Qu’est-ce que c’est ?

- C’est… Un… Souvenir.

- Otto-san, tu pleures ?, s’alama-t-elle.

- Non c’est la poussière, je devrais faire le ménage plus souvent ici.

- Papa…, dit-elle en le serrant dans ses bras. Rien ne t’oblige…

- C’est bon, ça va. Malgré toutes ces années… Je…


Il délaça les lanières en cuir, incapable de terminer sa phrase.

Reiko écarquilla les yeux en avisant le contenu du bagage.


- Mais… Mais c’est…

- C’était la sienne. Je suis certain qu’elle serait ravie que tu la portes.

- Je ne peux pas… Accepter.


Précautionneusement, le Capitaine déplia la majestueuse robe blanche.


- Elle n’a pas jauni avec les années. Kanna pourra l’ajuster à ta taille si c’est nécessaire.

- C’est… beaucoup trop.

- Maya était… Tout pour moi. Sa mort m’a anéanti. Et puis tu es entrée dans ma vie et j’ai pu remonter la pente.

- C’est toi qui m’a sauvée.

- On s’est sauvés mutuellement.

- Tu crois réellement que ça ne la dérangerait pas ?

- J’en suis sûr. Elle est un peu simple, tu aurais peut-être préféré quelque chose de plus sophistiqué…


Reiko pressa le tissu contre sa poitrine.


- Je n’aurais pas pu rêver mieux. Elle est magnifique. J’espère en être digne.


Harlock étreignit sa fille, bouleversé.


- J’en suis très heureux, poussin.


*** 


Immobile devant la coiffeuse, Reiko fixait l’image que lui renvoyait le miroir.

“C’est… Bizarre.”

Kanna s’était chargée de son chignon, Louise du maquillage, tandis que Kei et Yûki avaient rectifié la longueur de l’habit de Maya, qui fut bien plus grande et longiligne qu’elle ne l’avait jamais été. Les manches évasées recouvraient une bonne partie de son auto-mail, ce qui lui convint tout à fait.


- C’est aujourd’hui. Vraiment, aujourd’hui. Je suis aussi excitée que morte de trouille.


Les filles avaient vidé les lieux, lui intimant de ne pas bouger jusqu’à la cérémonie, qu’elles préparaient activement dans le jardin.

La jeune femme s’était donc exécutée de mauvaise grâce, commençant à s’ennuyer ferme.

Des coups retentirent alors dans le couloir et Reiko se leva précipitamment.


- C’est moi.

- Bruce ? Mais tu…

- N’as pas le droit de voir la mariée, je sais. J’ai dû batailler pour franchir les lignes ennemies.

- Tu fais allusion à Louise ?, pouffa-t-elle.

- Ouais, mais aussi à Kanna, à la blonde de l’Arcadia, sans parler de Tadashi. Incroyable, il est toujours en travers de mon chemin, celui-là.

- Comment tu as réussi cet exploit ?, demanda-t-elle en se rapprochant du battant.

- J’ai attendu qu’ils soient accaparés par les fleurs et d’autres machins dans ce genre.

- Sois sympa, ils se donnent du mal pour nous.

- Ouais, m’enfin… Bref, je suis là parce que j’ai… Un truc pour toi. Un cadeau de Noël. Avec toute cette agitation, je n’ai pas pu te l’offrir. Est-ce que je peux…?

- Hum, d’accord mais ne regarde pas. 

- Promis.


Reiko entrouvrit la porte et, aussitôt, une main s’insinua dans l’interstice, dévoilant un petit sac en kraft.


- Qu’est-ce que c’est ?

- Tu verras.


La pilote repoussa le panneau pour éviter toute tentation à l’un comme à l’autre.


- Oh. Je… Oh.

- Tu l’avais remarquée au marché…

- Oui… C’est parce que… C’est parce que…


“Sa couleur est la même que celle de tes yeux. Et c’est le bleu que je préfère le plus au monde. Il est encore plus apaisant que celui de la mer d’étoiles qu’Harlock affectionne tant.”, songea-t-elle en faisant pivoter entre ses doigts la broche argentée, sertie de l’aigue-marine.


- Elle est splendide Merci, ça me… Touche énormément que tu fasses autant attention à moi.

- Evidemment que je fais attention à toi, je serai ton époux dans une heure, benête.

- Je…


La future mariée arracha la porte, faisant trébucher son interlocuteur. Celui-ci se rattrapa in-extremis à l’encadrement pour ne pas s’étaler à plat ventre dans la chambre.


- Hé qu’est-ce que tu fiches ? Je croyais que…


Reiko entoura la taille de son compagnon.


- On s’en fout de toutes ces conneries, non ? Les malédictions, on a eu notre dose. Elles ne peuvent plus nous atteindre.

- Chaton… Laisse-moi… Laisse-moi t’admirer…, souffla-t-il, en état de choc.


Il l’écarta doucement, tremblant sous le coup de l’émotion.

Son cœur rata un premier battement.

“Mon dieu, prends ça dans les dents Schneider.”

Son cœur rata un second battement.

“Elle est beaucoup…”


- … Trop bien pour moi. Ton Aniki chéri a raison.

- Hein ?

- T’es la plus belle femme que j’ai eu l’occasion de contempler. C’est tout, y’a rien d’autre à ajouter. Si, une chose en fait : j’ai de la chance.

- T’es pas trop mal non plus, le complimenta-t-elle pour masquer sa gêne. Le manteau long, ça te rend très élégant. Tu n’as pas mis la casquette ?

- Je ne suis pas Commandant.

- Dommage, t’aurais été encore…

- Et donc c’est Harlock qui as sorti cette robe de son chapeau magique ?, la questionna-t-il pour changer de sujet.

- Elle appartenait à sa petite-amie. Maya.

- Appartenait ?

- Morte dans ses bras depuis longtemps. 

- Ce que je ne permettrai pas, dit-il en saisissant délicatement la main de Reiko pour la faire tourner sur elle-même.


Un sourire en coin étira les lèvres du militaire.


- On sèche la cérémonie et on passe directement à la nuit de noce ?

- Bruce !, s’exclama-t-elle sur un ton faussement énervé.

- Je plaisante. À moitié.

- Je sais. Accroche la broche à mon bustier plutôt que de raconter n’importe quoi.

- Où ça ?

- Ici, dit-elle en désignant sa poitrine.

- C’est au-dessus de mes forces, ça.

- T’abuserais pas un…

- Viens là, je vais l’épingler.

- Hum.


Il apposa le bijou sur le tissu en essayant de le centrer du mieux possible.


- Voilà, c’est bien comme ça.

- Bruce.

- Hum ?

- Tu… Tu souhaites vraiment…

- Oui, répondit-il avec conviction. Pas toi ?

- Si.

- Parfait, conclut-il en l’embrassant et en l’enlaçant étroitement.


Un cri aigü leur hérissa alors les poils.


- Qu’est-ce que vous faites ?


Horrifiée, Louise tira son équipier en arrière tout en fermant la porte au nez de son amie.


- Qu’est-ce que t’as pas compris dans “interdiction de voir ou de parler à ta fiancée et ce, sous aucun prétexte”, imbécile !? Idiot !

- Mais… Mais, c’est elle qui m’a autorisé à… !

- Je ne veux rien savoir ! C’est forcément toi le coupable !

- Hein ?! Mais, pourquoi ?!


Reiko rit sous cape tandis que l’artilleur était traîné dans les escaliers par l’Officière radar et, au vu des cris de douleur qui lui parvenaient aux oreilles, elle n’y allait pas avec le dos de la cuillère.


- À tout à l’heure, murmura-t-elle. Attends-moi encore un peu.


*** 


- J’entre, poussin.


Harlock marqua un temps d’arrêt lorsque le battant s’immobilisa.

Reiko patientait, tout sourire, au milieu de la pièce, drapée dans la robe immaculée de Maya.

Il eut l’impression qu’un uppercut s’enfonçait dans ses intestins.

Sa respiration fut brièvement coupée et il s’efforça d’inspirer et d’expirer profondément.

“C’est comme… Comme si elle était revenue et que je voyais son fantôme.”


- On annule.

- Hein ?

- On annule carrément. 

- Mais… Quoi ?


Le pirate se passa une main sur le visage et s’appuya au mur, les jambes en coton.


- Désolé, j’ai paniqué. J’ai… Paniqué.

- Otto-san ?

- Accorde-moi… Une minute.

- Tu… N’aimes pas ? Je… Je peux… Tout… Enlever.

- Non, usagi, tu es radieuse. Elle te va bien. J’ai juste du mal à te laisser t'envoler loin de moi.

- Je ne pars pas… Vraiment.

- Je sais… Je sais…

- Otto-san, tu as eu de ses nouvelles ?, l’interrogea-t-elle, anxieuse.

- Non, je suis désolé.

- Je comprends. C’est un haut-gradé avec tout un tas de responsabilités.

- Oui, ne le prends pas personnellement.

- Non, bien sûr que non… J’aurais simplement voulu qu’il… Et j’oublie que c’est Noël, il a sûrement mieux à faire.


Harlock, qui avait retrouvé sa mobilité, serra Reiko contre lui.


- Ma grande fille. Je suis fier de toi.

- Papa…

- On devrait y aller ou le tireur d’élite va nous faire une syncope.

- T’exagères…

- Son angoisse crève tellement le plafond que tous ici le fuient comme la peste. Enfin, plus que d'ordinaire.

- Otto-san… Tu le détestes à ce point ?


Le hors-la-loi rassembla ses idées, ne désirant pas mentir à Reiko.


- Je le déteste car il a l’audace de t’épouser et je l’apprécie pour la même raison.

- C’est euh… Paradoxal ?

- Vous serez très heureux, j’en suis persuadé. Et, crois-moi, je m’assurerai qu’il tienne ses promesses.

- T’en auras pas besoin. C’est un homme de parole. Comme toi.

- On verra ça. Allons-y, c’est le moment, dit-il en lui tendant son bras.

- T’es sûr que ça va ? On dirait que tu vas t’évanouir.

- Très drôle.


Père et fille s’engagèrent dans les escaliers, se soutenant l’un l’autre. Alors qu’ils étaient à mi-chemin, la porte d’entrée du restaurant claqua et une voix familière tonna dans l’entrée.


- Pardon ! Je suis en retard  ! Vous n’avez pas débuté sans moi, j’espère !? Harlock ! Princesse !

- On est là !, l’interpella le Capitaine.


Reiko dévala les marches en courant et se jeta sur la silhouette qui venait de surgir face à elle. 


- WAWA ! WAWAA !, hurla-t-elle.


Le Commandant de la Flotte Indépendante Terrienne la happa au vol et la fit virevolter en l’air.


- J’ai cru que tu ne viendrais pas…, balbutia-t-elle.

- Tu me connais mal. J’aurais raté ça pour rien au monde. Mais je voulais que tu aies la surprise !

- Toi alors… dit-elle en nichant son visage dans son cou. Marina… ?

- Toutes mes excuses princesse, il était impossible que le Commandant et le Second quittent le navire.

- D’accord… Oui, évidemment…

- Le blondinet, hein ?

- Qui d’autre ?, bégaya-t-elle en pleurant cette fois-ci à chaudes larmes.

- Tant que tu y trouves ton compte, ça me convient. T’es merveilleuse et très jolie, ce qui ne gâche rien. Il est chanceux ce bellâtre arrogant.

- Tu m’ôtes les mots de la bouche, grogna Harlock.


Reiko se détacha partiellement de Warrius Zero pour attraper le poignet du Capitaine de l’Arcadia.


- Vous m’escortez ?

- Si le vieux loup de mer n’y voit pas d’inconvénient…


Le vieux loup de mer en question hocha la tête, ému.


- Allons-y. Tous les trois.

- Ensemble, décida Reiko.

- Ensemble, répétèrent les deux hommes.


*** 


- Vieux, détends-toi.

- Je suis détendu. Parfaitement détendu. J’ai pas l’air détendu ?

- C’est pas du tout la définition du mot “détendu”.

- Boucle la.

- Qu’est-ce que je disais…

- Ils en mettent du temps. Elle aurait pu… Changer d’avis ? Tout à l’heure elle semblait stressée.

- Alors là… Y’a pas moyen.


David se gratta le cuir chevelu.


- En tant que témoin, je peux toujours…


L’ingénieur se tut à l’instant où Reiko apparut dans l’ouverture du shôji, solidement encadrée par Warrius et Harlock.

Il réprima un ricanement en entendant le léger soupir de son ami qui, obnubilé par sa future femme, ne remarqua même pas qu’elle était accompagnée du Commandant de la Flotte Terrienne.

Quant à la pilote, elle aperçut à peine l’arche de houx et de bruyères, parsemée de fleurs blanches, tant son attention était focalisée sur celui qu’elle aimait.

Sa robe traçait un long sillage dans la neige fraîche et quelques flocons se déposèrent délicatement dans son chignon.


- Je te la confie, Speed, dit Harlock, proche de la suffocation.

- Ouais, je dirais même “on”, alors fais bien gaffe à toi.

- Wawa…

- Mieux vaut prévenir que guérir.

- On a compris l’idée, marmonna Bruce. Allez donc vous asseoir, ça nous fera de l’air.

- Bruce !

- Bah quoi ? Ils ont commencé.

- Des gamins, soupira Louise.


Un toussotement invita la foule au silence. 


- Si vous êtes toutes et tous prêts, intervint monsieur Roya, nous allons procéder à l’échange des consentements.


Reiko glissa ses mains dans celles du sniper.

Il entremêla ses doigts aux siens avec la même assurance que sur la planète de glace. 

À l’époque, il ignorait encore l’importance que ce geste revêtirait un jour à ses yeux. 

Rien d’autre n’existait pour elle que le bleu de ses prunelles.

Rien d’autre n’existait pour lui que les fossettes de ses joues.

S’il est prétentieux d’affirmer que l’univers a retenu son souffle, votre auteure peut certifier que ce fut le cas de cette assemblée réunie sur Tabito.

Deux cœurs qui battent à l’unisson.

Deux âmes qui se trouvent.

Et qui se lient.


- Vous pouvez embrasser la mariée !


***


Reiko ne reprit ses esprits qu’en fin de soirée, alors qu’elle valsait dans les bras de son époux.

La journée avait été irréelle, filant aussi vite qu’une comète dans l’espace interstellaire ou que l’Arcadia lors d’un saut Warp.

Cependant, et malgré l’anneau passé à son annulaire, la jeune femme n’eut pas la permission de dormir avec son mari.

Mari qu’elle eut toutes les difficultés du monde à tranquilliser et à convaincre de lâcher l’affaire. 

Harlock, en particulier, s’assura qu’elle regagnât la chambre de Manabu, partagée avec Louise et Yûki.


- C’est le pire d’entre tous, maugréa-t-elle en s'allongeant sur le matelas.


Elle farfouilla sous le lit et en extraya un paquet.


- Qu’est-ce que c’est ?, demanda Louise, curieuse, tandis qu’elle pénétrait à son tour dans la pièce. 

- Le cadeau de Bruce. Je n’ai pas eu le temps de le lui donner.


Après un instant de réflexion, elle bondit sur ses pieds, déterminée.


- Tu fais quoi ? En fait non, pas la peine de répondre, j’ai compris.

- Je vais devoir, moi aussi, traverser les lignes ennemies.

- T’as conscience de ne pas être des plus discrètes, habillée de la sorte ?

- Ils ne me verront pas. Harlock est captivé par Kanna et Tadashi a déjà roulé sous une table avec David.

- Hé bien, bon courage madame Speed !


Reiko se figea devant le battant.


- C’est… C’est vrai… J’ai dû mal à réaliser.

- Oui, ça ira mieux demain. File ! Et pas de folie.

- Hum !


La pilote se coula à l’extérieur du dortoir, progressant prudemment sur le parquet grinçant de l’étage.

Elle paniqua brièvement lorsque des bruits de pas retentirent dans l’escalier et s’apaisa immédiatement en reconnaissant la silhouette élancée de Yûki, qui lui adressa un clin d'œil entendu. Lorsqu’elle parvint au bout du couloir, elle se faufila dans la chambre de feu Mamoru Yuuki, temporairement occupée par Bruce, Manabu et David, et actuellement plongée dans l’obscurité.


- Est-ce que tu es…


Un plaquage contre le mur l’empêcha d’achever sa phrase. Des mains fébriles remontèrent le tissu de son jupon et s’insinuèrent au creux de ses reins. Des lèvres avides recouvrèrent les siennes, bloquant sa respiration. Lorsqu’enfin elles daignèrent la relâcher, elle put entrapercevoir le visage de Bruce.


- J’ai cru que tu n’arriverais jamais. Je t’attends depuis une éternité. 

- N’exagérons rien, on s’est quittés il y a quinze minutes tout au plus.

- C’est exactement ce que je dis.

- Fais atten… Aaaah !


Soulevée de terre et projetée sur le lit, elle en laissa tomber son précieux présent.


- Écarte les jambes, lui ordonna-t-il. Prépare-toi à crier, parce que je ne vais pas t’accorder le moindre répit. 

- Je voulais… T’offrir… 

- Plus tard. Ce que je veux maintenant, c’est toi. 


La robe de Maya salua le sol, très vite suivie de l’uniforme de Wataru Yuuki.


- Madame Speed, cette nuit va être mémorable, lui promit l’artilleur en embrassant sa clavicule.


*** 


Les premiers rayons du soleil effleurèrent les jeunes mariés. Reiko ouvrit péniblement les paupières, épuisée par sa courte et intense soirée.


- T’es réveillée ?, grommela une voix rauque à côté d’elle.

- Oui, mais dors encore un peu.


Le sniper s’ébroua et émergea de la couette, les traits tirés et les cheveux en bataille.


- Non, c’est bon.


Il s’assit en attirant sa femme sur ses genoux.


- Comment ça va ce matin ? Je n’ai pas été trop…

- Non, ne t’inquiète pas. 

- Tant mieux, répondit-il en lui caressant l’épaule. 


Elle se pelotonna contre lui avant de se rappeler du paquet qui avait été abandonné dans un coin de la chambre. Elle se pencha, le récupéra et le tendit à son conjoint.


- Joyeux Noël avec un jour de retard.

- T’aurais pas dû… J’ai tout ce qu’il me faut. Oh.


Il déplia une longue écharpe bleue et grise.


- J’aimerais garder la tienne si tu n’y vois pas d’inconvénients… Donc, je t’ai acheté celle-ci.

- C’était un cadeau intéressé en fait ?

- Tout à fait, dit-elle en riant. 

- Merci, chaton. Elle est très belle. Tu me la mets ?

- Si tu veux, mais ici t’en auras pas trop l’utilité.


Elle s’exécuta et, alors qu’elle enveloppait la laine autour de sa nuque, il en profita pour la couvrir de baisers du menton à la naissance de sa poitrine.


- Hé… 

- Tu penses bien que j’avais une idée derrière la tête, chuchota-t-il en la retournant sur son oreiller.

- Tu m’épuises déjà. 

- Trop tard pour ça, dit-t-il en agitant son alliance sous le nez de Reiko.

- Il semblerait, conclut-elle en l’embrassant.

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