A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 36 : Séparation

5749 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 02/01/2024 21:33

Chap 36 : Séparation


Une profonde inspiration…

… Et Bruce ouvrit les yeux.

Une violente odeur de soufre envahit ses narines et le fit tousser à en perdre haleine.

Il se redressa, cherchant désespérément à reprendre son souffle, tandis que ses ongles labouraient une terre aride et poussiéreuse.

Sa vision, d’abord floue, gagna progressivement en netteté. 


- Putain, où… Où est-ce que je suis ?


Un paysage rocailleux et rougeoyant s’étendait à perte de vue. Des arbres desséchés, voire torturés, parsemaient une plaine désertique et sablonneuse. 

Un vent glacial battait cette campagne d’allure martienne, pliant en deux la végétation éparse.


- C’est quoi… Cet endroit ? Où sont-ils tous passés ?


Il se leva avec peine, en ayant la sensation que son corps était irrésistiblement attiré vers le sol.

“Je suis aussi lourd qu’une enclume.”


- Reiko ? Manabu ? Co… Commandant ?


Seul l’écho de sa propre voix lui répondit.


- Je ne me souviens plus… La station… Et puis… Big1… Big1 s’est fait attaquer… Il y a eu ce rayon laser…


Le sniper fit un pas en avant, nauséeux.


- Je dois retrouver… Mon unité. Je dois retrouver…


Il serra les dents.


- Ma femme.


***


- Le peloton Cepheus ? 


Reiko acquiesça.


- Pour moi, oui. Louise a été mutée chez Spica et Manabu… Vega. David est toujours en convalescence et Yûki travaille dans l’aile médicale du Quartier Général.

- Aujourd’hui, donc ?

- Exactement, dit-elle en sifflant le thé de Tabito au fond de sa canette.

- Et… Vous tenez le coup ?


La pilote détacha son regard du visage endormi et paisible de son époux.


- Je… Je l’ignore. J’espère que je n’aurai pas de crise d’angoisse une fois à bord de l’Hiryu.

- Guy Lawrence… Ce type n’a pas l’air commode.

- Il ne l’est pas, croyez-moi.


Mamoru Kodaï s’étira en baillant.


- Les préparatifs sur le Yamato sont-ils en bonne voie ?

- Oui, ça suit son cours.

- Et vous, le Commandant, n’avez rien de mieux à faire que de bavarder avec une fille qui n’a absolument aucune prise sur tout ce merdier ambiant ?

- Je vous apprécie. Et, maintenant qu’Harlock est parti, vous avez bien besoin d’un ami.


Elle se mordilla les lèvres.


- Il reviendra… Pour l’assaut final.

- Hum. Quand tout sera prêt, que ce soit du côté de la SDF ou du nôtre.

- En effet. 

- Et donc, en attendant, vous reprenez du service.

- Je veux que Bruce soit fier de moi.


Elle marqua un silence.


- Et qu’il ne pense pas que je suis une pleureuse ou une lâche.

- Je suis certain que ça ne lui a jamais effleuré l’esprit.

- Je… Suis un agent de la Space Defence Force avant toute chose. 


Reiko remua son nez, gênée.


- Ou plutôt un cadet.


Le Commandant du Yamato eut un petit rire.


- Il faut bien commencer quelque part. 


Le communicateur d’urgence grésilla alors dans la poche de la militaire. 

“Ici Lawrence. Départ immédiat ordonné.”

Reiko prit une grande bouffée d’air aseptisé et se mit debout.


- J’y vais avant que ma détermination ne flanche. Mamoru… Est-ce que…

- Je resterai avec lui pendant mon temps libre si ça peut vous tranquilliser.

- Merci, dit-elle en s’inclinant, soulagée.

- Bon courage et soyez prudente.

- Promis.


*** 


Reiko rejoignit les quais en quatrième vitesse.

“J’ai laissé Bruce seul… Je l’ai abandonné.”

Sa respiration se fit haletante.

“Et-si je retournais à l’infirmerie ? Ma place… Ma place est auprès de lui.”

Elle secoua la tête à s’en donner la migraine.

“Je… Je n’ai pas le droit. Ce serait me trahir, le trahir et trahir mes convictions.”

Elle s’efforça de se remémorer les raisons pour lesquelles elle s’était engagée.

“Un, protéger les passagers et le Galaxy Railways. Deux, marcher sur les pas de Wataru Yuuki. Trois, me prouver que je suis capable de tracer mon propre chemin.”


- D’accord. Et je le ferai même sous les ordres de Lawrence.


Guy Lawrence…

Elle ne l’avait pas physiquement revu depuis l’incendie qui avait ravagé l’express Arias et le 365, au cours duquel elle avait failli brûler vive.

“Même s’il m’a sauvée la vie… Ce gars est un prétentieux… Il a osé critiquer le père de Manabu alors qu’il n’a pas une once de sa bravoure.”

Elle enjamba le marchepied de l’Hiryu et arracha la porte de la “control room”.


- Reiko Speed, excusez-moi du retard !

- Que ça ne se reproduise plus.

- Oui… Commandant.


Elle s’assit sur l’unique siège de libre.


- Les systèmes de contrôle sont similaires à ceux de BIg1. Tu devrais t’en sortir. Enfin… Si le peloton Sirius est en mesure d’accomplir une tâche aussi simple.


La pilote grinça des dents.


- Bien reçu… Commandant. System check des Space Eagles. Stand-by.

- Pression de la chaudière interne, okay !

- Radars calibrés !

- Armement opérationnel !

- Réserve d’énergie au maximum.

- Valves en position !

- Circuit principal connecté !


Lawrence croisa les bras.


- Hiryu, décollage.


*** 


- Une mission de remise en état du Galaxy Railways ?, demanda un grand brun à lunettes carrées.

- C’est cela, Kim.

- Nous allons rapporter certains débris utiles pour la Compagnie et détruire les autres, expliqua une jeune femme à la peau mate et aux cheveux blancs, répondant au nom de “Kori”.

- Les métaux rares ?, la questionna Reiko.

- Ils en font partie, spécifia un homme blond aux traits anguleux.

- Pierre, calcule l’itinéraire le plus rapide.

- Compris.


S’impliquer dans une section qui n’était pas la sienne requérait un mental que Reiko était loin de posséder à l’heure actuelle.

Si elle connaissait Lawrence et Kori, qui avait soigné ses brûlures, elle n’avait jamais parlé ni à Pierre ni à Kim.

De plus, l’atmosphère dans ce train lui paraissait froide et sans âme.

“Contrairement à Big1…Qui est presque un organisme vivant… Un membre d’équipage à part entière.”

En cela, il lui évoquait l’Arcadia et son ordinateur central, habité par la conscience de son créateur.

L’inventeur de génie et meilleur ami d’Harlock, Tôchiro Ôyama.

“Et dire qu’Harlock a confié son cosmo-dragoon à Bruce. Comme s’il croyait que je n’allais pas le remarquer… Enfin bon… Ce n’est pas le moment… De replonger dans mes souvenirs. Je dois rester concentrée et parfaitement éveillée.”


- Arrivée sur site prévue dans trente minutes, les avertit Kim.

- Très bien. Soyez vigilants. Nous avons 45% de chance qu’on nous tende une embuscade.

- Oui, Commandant !


*** 


- Les dégâts…, souffla Kori.

-... Sont considérables, termina Reiko.


Telle une flèche destructrice, la base humanoïde avait infligé des dommages irréversibles aux infrastructures du Chemin de Fer Intergalactique.


- Tout comme les rails, la station de triage Y-00089 a été complètement éradiquée, les renseigna Kim.

- Démarrez l’analyse des alentours, intima Lawrence.

- Aucun ennemi détecté !, confirma Pierre.

- Très bien, le nettoyage peut donc débuter.


Il observa les agents de son peloton, jaugeant chacun d’entre eux avec une expression indéchiffrable.


- Kori, Kim et… Reiko. Revêtez les combinaisons cosmos et récupérez les matériaux que Pierre vous indiquera. Ensuite, nous annihilerons les rebus pour que le département d'ingénierie procède à la phase de reconstruction.

- Ne vous faites pas piéger entre les décombres, les prévint l’Officier radar.


Reiko et Kori se faufilèrent dans le vestiaire féminin.


- Et toi, ne fais pas capoter l’opération, lança l’artilleuse de Cepheus. 

- Pardon ?

- Nous connaissons les méthodes de travail de Sirius. Foncer dans le tas et réfléchir après. Ici, nous fonctionnons différemment : remplir sa mission et rentrer à la maison. Voilà la devise de notre unité.

- Rentrer à la maison…


Le regard de Kori s’adoucit.


- Oui. Toi aussi c’est ce que tu veux, non ?

- J’ai quelqu’un… Qui m’attend.

- Je sais.


Reiko remonta la fermeture éclair de son habit.


- Allons-y. 


***


Courbé en deux par la férocité des bourrasques, Bruce se frayait péniblement un chemin au travers de la lande infernale. Pour tenter d’échapper aux rafales, il décida de s’enfiler dans un étroit défilé rocheux.


- Est-ce que Big1 a été dévié ? Dans l’accident j’aurais atterri sur cette planète bizarre ? Ou alors…


Il se stoppa soudainement, en proie à un doute affreux.


- Oh non… Et si j’étais de nouveau prisonnier d’une illusion des… Humanoïdes ? Cela signifierait que nous avons perdu la bataille et que nous avons été capturés…

- Ni l’un ni l’autre, Speed !


Assis en tailleur sur un promontoire, un être étrange le fixait. Enroulé dans un manteau marron troué sans manche, la tête dissimulée sous un large chapeau tout aussi abîmé, il ne semblait pas dérangé par le vent violent.


- Vous êtes qui ?

- Pas envie de le dire.

- Quel est le nom de cet endroit ?

- Pas envie de le dire non plus.


Une grimace déforma les traits du sniper.

“Il se fiche de moi ce nain arrogant.”


- Descends donc de ton perchoir, persifla Bruce. On verra si tu fais autant le malin.

- Pas envie. 


Une ride de contrariété barra le front de l’artilleur.


- Tu es envoyé par les robots pour me tuer, c’est ça ? Ils n’avaient rien de mieux sous la main ?

- Ces tas de boulons ? Et puis quoi encore !


Le petit homme releva la tête, dévoilant une paire de lunettes rondes qui lui mangeaient le visage.


- Il paraît que tu serais prêt à défier le roi des enfers pour la retrouver, hein ?


Bruce ouvrit la bouche, interloqué.


- Mais qu’est-ce que tu…

- Sacré Tadashi. Vérifions tout de suite cette théorie, tu veux ?


Le canon d’une arme brilla sous les haillons et Bruce n’eut pas le temps de se jeter sur le côté pour éviter le trait laser qui perfora sa hanche et le propulsa contre la falaise.

Une vague de douleur irradia son côté droit. Des étoiles dansèrent devant ses prunelles et sa vision se troubla. Il parvint in-extremis à ne pas s’effondrer, se rattrapant à une aiguille rocheuse effilée.


- Espèce d’enfoiré, grogna-t-il. 


Il chercha son cosmo-gun à tâtons mais le holster était vide.

“Bordel, je suis à sa merci. Il est positionné en hauteur, je n’ai aucune chance d’esquiver ses tirs.”


- Je me demande comment tu vas te débrouiller, maintenant.


Le sniper leva les yeux et constata que le promontoire était désert.

“Il n’est plus là. Pourquoi… Ne m’a-t-il pas achevé ?”

Faisant fi de la souffrance qui se diffusait dans chacune des cellules de son corps, il obligea ses jambes à se mettre en mouvement.

“Il joue à un jeu… Un jeu malsain… Dans lequel je ne suis qu’un pion.”


- Est-ce que j’ai rêvé ou… Il a mentionné le frère de Reiko ?


Bruce força sur sa respiration pour juguler la douleur. Il déchira sa veste et comprima la plaie pour que l’hémorragie ne le tue trop rapidement.


- Pas le choix de continuer… À avancer… Je n’ai pas l’intention… De crever ici.


***


- Parés pour la sortie, claironna Kori.

“- Autorisation accordée.”

- Bien reçu.


Un tant soit peu ballonnée, une main pressée contre son estomac, Reiko patientait, fébrile.

“Pas de crise de panique, pas de crise de panique. Focus sur la mission, focus sur la mission.”

Elle se répéta ces paroles, comme un leitmotiv lui permettant de s’ancrer dans la réalité.

Une fois la porte du wagon ouverte, elle sauta dans le vide interstellaire à la suite de ses compagnons.


“- Je vous transfère les indications pour la collecte des matériaux”, précisa la voix de Pierre.


Les cinquante minutes qui suivirent furent laborieuses pour la section Cepheus et en particulier pour Kim, Reiko et Kori qui ne ménagèrent pas leurs efforts.

“Je suis épuisée. Pourquoi est-ce que je suis… Si fatiguée ? Je manque probablement d’exercices…”


“- Speed, à seize heures, morceau de cosmo titanium.”

- Compris. Je m’en occupe.


La jeune femme se dirigea en soupirant dans la direction désignée par Pierre. Alors qu’elle s’approchait du métal bleuté, une remontée acide lui brûla l'œsophage. Prise de vertiges, elle s’appuya sur un conglomérat de parpaings bardés de tiges en acier.

“Je vais être malade…”, pensa-t-elle avec effarement.

Elle essayait vainement d’étouffer son anxiété quand son émetteur bourdonna.


“- Lawrence pour Speed, évacue le secteur !”

- Je… Je ne suis pas… En état… J’ai besoin… D’un moment…

“- Tu es dans une zone d’attraction dangereuse, sors de là !”


Quelques secondes plus tard, Reiko écarquilla les yeux et avisa les alentours, oubliant presque qu’elle était à deux doigts de vomir dans son casque.


- Oh… Non !


L’apesanteur avait permis à un amas de rebus métalliques de flotter jusqu’à elle.

“On dirait qu’ils s’attirent… Comme des aimants.”


- Je ne peux plus…


Environnée par les débris, elle ne discernait aucune échappatoire.

“Je n’ai pas été assez vigilante.”


- Je suis… Piégée, Commandant…


“Par tous les dieux… Je vais me faire broyer par ces trucs.”

Plaquée sur les blocs de béton, elle ferma les paupières. Très fort.

“Otto-san… Bruce…”


“- Ne bouge pas ! Surtout, reste où tu es ! Pierre !”


Un rayon laser roussit la combinaison de Reiko tandis que le fragment qui menaçait de l’aplatir vola en éclats.

L’Hiryu avait fait feu, pulvérisant tout sur son passage.

Brutalement catapultée dans l’espace, elle lutta un bref instant contre l’évanouissement avant que celui-ci n’ait raison de sa volonté.

La dernière image qu’elle emporta fut la lumière d’une étoile toute proche réverbérée par le cosmo titanium. 


***


Lorsqu’elle reprit conscience, Kim déverrouillait son casque.


- T’es revenue parmi nous ? Allez, assieds-toi la bleue.


Reiko s’exécuta, désorientée.


- Je suis… Vivante ?

- Jusqu’à preuve du contraire, oui. Tu peux te mettre debout ?

- Ouais…


Chancelante, elle prit appui sur Kim et Kori.


- Je… Je suis désolée… J’ai eu le tournis… Et…

- Le tournis ?


Guy Lawrence déboucha alors dans le sas du train, hors-de-lui.


- Je ne peux pas croire que même l’unité Sirius ait un comportement aussi inconsidéré !

- Je… Pardon… Je n’étais pas…

- Speed, sous mes ordres, il n’y a pas de place pour le hasard ou les initiatives personnelles. On suit le plan. Scrupuleusement.

- Qu’est-ce que… ?, s’offusqua-t-elle.

- Comment pourrais-je annoncer à ton mari que tu t’es tuée sous mon commandement ? La mort de Bulge ne te suffit pas ?, lui aboya-t-il à la figure, furieux.


Empoignée par le col et soulevée en l’air, Reiko sentit son estomac se retourner dans son ventre.


- Je dois aller… Aux toilettes, marmonna-t-elle en se débattant mollement.

- Que dis-tu ?

- Lâchez-moi !, croassa-t-elle, alarmée.


Lawrence remarqua le teint verdâtre de sa nouvelle recrue et, commençant à comprendre l’urgence de la situation, la reposa doucement au sol.

Mais trop tard. 

Une bile jaune éclaboussa son uniforme immaculé de haut-gradé.

Prise de nausées, elle s’agenouilla, haletante.


- Malade ? Pourquoi tu ne m’as pas informé plus tôt ? 

- C’est arrivé… D’un seul… D’un seul… Coup. Et après… Je ne pouvais déjà plus…, bégaya-t-elle en déversant le contenu de ses intestins dans une bassine amenée par Pierre. 

- Reiko…, s’inquiéta Kori en lui tapotant le dos. Allons te débarbouiller dans un wagon.

- Toutes mes excuses pour vos habits…

- Ce n’est qu’une veste, grommela Lawrence en la retirant. Charge-toi d’elle, Kori.

- Je vous assure… Je ne suis pas si nulle… Je ne suis pas si nulle que ça…


Le Commandant se détourna avec un sourire mi-figue mi-raisin.


- Dans ce cas, prouve-le moi.

- Ou… Oui ! Je le fer…, s’exclama-t-elle avant de remplir le saut d’un liquide peu ragoûtant.

- C’est le contrecoup de ces derniers jours, se désola l’artilleuse.

- Pro… Probablement.


*** 


Bruce progressait vaille que vaille et seul son mental permettait à sa condition physique de ne pas fléchir. 


- Reiko… Rei… Ko…


S'accrochant farouchement à l’image de sa femme, il avançait, un pas après l’autre.

Son pansement de fortune était inutile et, lentement mais sûrement, il se vidait de son sang.

“Si un ennemi me traque, il n’aura pas beaucoup d’efforts à fournir. Suffit de me suivre à la trace et de me tomber dessus. Je suis aussi vulnérable qu’un nourrisson.”


- Pourtant… Je ne peux pas me payer le luxe… De mourir… Plus… Maintenant. 


“Ce maudit désert… N’a-t-il donc pas de fin ?”

Le soufre brûlait son nez, ses cuisses étaient lourdes et la douleur dans son abdomen, intolérable.


- Ce sale nain… S’il croit que je vais juste m’asseoir et… Attendre la mort… Il se fourre le doigt dans le cul…


Il tenta de lever son pied gauche mais celui-ci resta résolument vissé au sol.


- Putain, que… ?


Il força sans que cela n’ait l’effet escompté et son talon s’enfonça dans la terre devenue meuble.


- Bordel… De bordel de merde !


“Des sables mouvants ? Ici…?!”

Il se démena comme un beau diable mais ses chevilles, puis ses tibias, s’enlisèrent dans la boue.


- Je dois sortir… De ce trou !

- Oui, t’es un peu dans le caca, hein ? C’est le cas de le dire !, se moqua une voix aigüe à proximité 

- Toi !

- Moi ?, le questionna le petit homme en pointant son torse. Ben quoi, moi ?

- Qui es-tu ?! Pourquoi… Tu m’as tiré dessus ?


L’inconnu s’allongea dans la poussière, hors d’atteinte de Bruce qui bataillait contre les lises.


- Je te l’ai déjà expliqué ! T’as rien écouté. Je te mets à l’épreuve.

- À l’épreuve ?


Les bras en croix et ses jambes arquées écartées, l’interlocuteur du sniper prenait un bain de soleil.


- Abandonne. T’as pas la trempe qu’il faut pour être avec une fille comme elle.

- Tu connais… Reiko ? Et… Tadashi ?, l’interrogea-t-il en se tortillant dans tous les sens.

- À ce rythme là, tu vas disparaître plus vite que prévu dans cette mare nauséabonde.


Bruce s’immobilisa, pantelant.


- Reiko et Tadashi…

- Ces deux-là… Des gamins qui avaient tout perdu… Ils étaient faits pour se rencontrer, pas vrai ? Qui aurait cru… Qu’Harlock aimerait tant être père de famille ? Moi aussi, j’aurais voulu les voir… Grandir et s’épanouir dans la voie…. Qu’ils se sont choisis.

- Hein ? Mais qui t’es à la fin ?

- C’est pas important qui je suis. Bon, t’es décidé ?

- À quoi ?

- Abandonner.


Les narines de l’artilleur se retroussèrent.


- Dans tes rêves. 

- Hum. Hé bien… Bon courage alors, dit-il en bondissant sur ses pieds.

- Hé ! Tu vas où ? Reviens !

- Pas envie !, répondit-il en s’éloignant.


La vase atteignait cette fois-ci son nombril et la panique prenait peu à peu le pas sur sa raison.


- Réfléchis… Réfléchis, bon sang !


Bruce tendit son bras au maximum et, après plusieurs tentatives infructueuses, parvint à attraper une liane qui serpentait entre les ronces. 

Avec l’énergie du désespoir, il tira sur celle-ci et, centimètre par centimètre, extirpa son corps du marécage.

La souffrance était si insupportable qu’il avait l’impression d’être réduit à une boule de nerf lancinante.

Proche de l’inconscience, il roula sur la terre ferme en retenant un gémissement.


- Alors… ? Qu’est-ce que… Tu dis de ça, hein ?


Il se releva et reprit son chemin en clopinant, ignorant où aller et quoi faire.


- Chaton…


***


Traînée de force dans l’infirmerie par Kori, Reiko patientait, assise sur un lit, les pieds suspendus dans le vide.

Intraitable, faisant fi de ses protestations, Yûki avait tenu à lui faire un check up complet. De mauvaise grâce, la jeune femme avait donc cédé à ses injonctions et s’était pliée aux examens médicaux requis.

Près d’une demi-heure s’était écoulée depuis que ceux-ci s’étaient achevés et elle rongeait son frein, songeant très sérieusement à fuir en catimini. 

Enfin, le médecin pénétra dans la pièce, la mine soucieuse.


- Je sais que je suis anémiée, embraya Reiko sans lui laisser le temps de s’exprimer. Mon alimentation n’est pas très équilibrée. Je vais y remédier, promis.


Elle glissa en bas du matelas, prête à quitter les lieux.


- S’il n’y a rien de spécial, je vais retourner…

- Reiko, ce n’est pas tout, l'interpella Yûki en raffermissant sa prise sur un dossier qu’elle tenait serré contre sa poitrine.


La militaire haussa un sourcil étonné.


- Hum ?

- Ce que je vais t’annoncer n’est pas facile à entendre.

- J’ai une grippe ? Une bronchite ? Tu sais, je ne suis pas malade au point de prendre un congé maladie.

- Tu n’es pas malade… Pas exactement…

- Hein ?


Reiko se gratta le poignet, dubitative.


- Je saisis d’autant moins…

- Au vu de la situation actuelle, ce sera délicat à gérer mais sache que je suis là pour t’apporter tout le soutien nécessaire, d’accord ?

- Qu’est-ce que tu veux dire ?, lança-t-elle d’une voix blanche.


Le médecin posa une main qui se voulait rassurante sur l’épaule de sa patiente.


- À quand remontent tes dernières menstruations ?

- Mes… Règles ? Qu’est-ce que ça vient faire…, dit-elle en se pétrifiant, la bouche grande ouverte.


Après un instant de flottement, elle reprit.


- Deux… Ou trois semaines avant Noël…, souffla-t-elle, tremblante.

- J’ai eu les résultats de ta prise de sang… Ton taux de beta HCG… Il est significatif…

- Je… Tu insinues que…


Complètement affolée, Reiko agrippa les avant-bras de Yûki.


- Je porte… Je suis…

- Tu es enceinte, oui.

- Impossible… Impossible… On a fait attention…

- Au vu de la quantité d’hormones présentes dans tes échantillons sanguins, ça se serait produit…

- Sur Tabito, c’est ça ?, murmura-t-elle, à bout de force.

- Oui.


Elle masqua son visage entre ses doigts, réprimant un hurlement de détresse.


- Bruce… Il est… Dans le coma… Je ne peux pas…

- Je t’aiderai à faire face aux conséquences qu'implique cette grossesse et à la tournure que tu souhaiteras lui donner.

- Comme a… Avorter ?

- Parmi d’autres choix, en effet. Nous en discuterons plus tard… Quand tu auras digéré cette… Information. Pour le moment, prends ces médicaments anti-émétiques.

- J’ai le droit de continuer à… Travailler ?

- Oui, avec ça tu devrais être tranquille. Ne t’en fais pas, je suis tenue par le secret médical. Je n’en parlerai à personne.

- Mer…Ci.


Reiko gagna la porte d’une démarche robotique avec la sensation que le ciel venait de s’effondrer sur sa tête.

Encore.

“Et si Yûki se trompait ?”

Elle se mordit les lèvres.

“Allons, être dans le déni ne me rendra pas service.”

La pilote chassa les larmes qui poignaient au coin de ses yeux.

“Tout ça, c’est beaucoup trop… Bruce… Le Commandant… Les humanoïdes… Et maintenant…”

Elle s’adossa à une paroi, verrouillant ses mâchoires pour éviter de vomir.

“Je suis terrifiée.”

Machinalement, elle se dirigea vers la chambre de son époux mais, une fois devant la porte, elle fut incapable de la franchir. 

“Est-ce que… Tu serais en colère… ?”

Confuse, elle choisit de faire demi-tour. 

“Je suis tellement décevante… Et ce, en tout point de vue.”


***


De fil en aiguille, les pas de Reiko l’emmenèrent jusqu’à la salle de pause du peloton Sirius.

“Personne… Louise et Manabu… Ils sont sûrement encore en mission.”

Elle prit donc la direction du hall du Quartier Général où le tableau électronique lui confirma que les unités Vega et Spica étaient dépêchées sur une opération conjointe dans la galaxie de Cassiopée.


- J’aurais vraiment eu besoin…, marmonna-t-elle en froissant sa veste.


Ses mains étaient moites et des frissons désagréables parcouraient son dos. Écoutant son instinct, elle quitta le bâtiment au profit de l’extérieur, accueillant la brise hivernale avec soulagement.

“Respirer, c’est la clef.”

La terrasse surplombait la gigantesque gare vitrée ainsi que les aires d’atterrissage des vaisseaux spatiaux sur lesquelles trônait le Yamato. 

Colosse d’acier aux couleurs rouges et argentées rutilantes, il dominait aisément tous les trains de la Space Defence Force.


- Je me demande…


Reiko fit volte face et dévala l’escalier central, bousculant quelques employés de la Direction sur son passage.

Elle effectua un dérapage en règle dans les graviers et poursuivit sa route jusqu’aux aires de stationnement.

Une rampe était déployée entre le cuirassé et l’asphalte. Elle s’y engagea sous les regards médusés des membres d’équipage qui naviguaient entre le Quartier Général et le Yamato.


- Hé, vous ! Vous avez une autorisation ?


Ignorant l’avertissement, elle s’enfila à l’intérieur du vaisseau, résolue.

“Il faut que je rejoigne la passerelle avant qu’on ne me coince…”

Elle se faufila alors dans une coursive pour échapper aux marins qui s’étaient lancés à ses trousses. Lorsqu’elle fut certaine que la voie était dégagée, elle sauta sur un escalator qui menait dans les étages supérieurs.


- Hé vous !

- Merde…


Elle se mit à courir, comprenant que, malgré son uniforme, elle avait sûrement l’air d’une terroriste.

“D’ailleurs, je fais absolument n’importe quoi… Je devrais laisser tomber…”


- Vous n’avez pas le droit de circuler ici !

- Je… 


Reiko pila net devant un groupe d’individus habillés en gris et noir. 

“La sécurité.”


- Qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ?

- Je fais partie de la SDF… Reiko Speed, section Sirius.

- Et donc ? Vous êtes envoyée par votre QG ?

- N-non, mais il est urgent que je voie Mamoru… Mamoru… Kodaï.

- Le Commandant ?, ricana l’un des soldats. Rien que ça…

- Oui… C’est important…

- Allez, on va vous escorter dehors. Ne faites pas d’histoire.

- Non ! Je dois…


Elle se débattit, paniquant quand des doigts se refermèrent autour de ses poignets et de sa taille.


- Ne me… Ne me touchez pas !

- Speed… ?


Une jeune femme s’approcha, écartant les gardes du Yamato.


- Lâchez-là, ordonna-t-elle d’une voix sèche.

- Mais…

- Vous refusez d’exécuter un ordre ?, gronda-t-elle en rejetant sa chevelure bleue en arrière.

- Non. Bien sûr que non…


Reiko s’éloigna abruptement, le menton agité de soubresauts.


- Suivez-moi, dit-elle tout simplement.

- Je vous… Remercie.


Le trajet jusqu’au pont de commandement se déroula en silence. Taciturne, l’Officière ne décrocha pas un mot, se contentant de saluer d’un signe de tête les militaires qu’elle croisait.


- Nous y sommes.


La porte coulissa, dévoilant une immense passerelle vitrée dans laquelle s’affairaient une douzaine de personnes.

Penché au-dessus d’un globe holographique, le Commandant Kodaï était plongé dans une conversation houleuse avec un homme âgé. Lorsque ce dernier avisa les nouvelles venues, il se tut, ce qui eut pour effet de faire lever le nez du haut-gradé.


- Hirumi et… Reiko ?!


Après un instant de stupéfaction, il se précipita en avant, craignant que le pire ne soit arrivé à l’époux de son amie.


- Bruce… ?


Elle secoua la tête, luttant contre les larmes.


- Allons… Discuter dans ma cabine, d’accord ?, proposa-t-il en notant la pâleur de son teint.

- Si je vous… Dérange… Je peux… Je peux…

- Non, c’est bon. Hirumi, tu prends le relais.

- Compris.


Il la guida à travers un dédale de corridors jusqu’à ce qu’ils parviennent dans les hauteurs du vaisseau. Ils grimpèrent alors une échelle étroite qui les mena au sommet de celui-ci. Le Commandant déverrouilla un large vantail en titane et invita Reiko à s’installer sur un tabouret situé à côté d’une table basse.

Peu spacieuse, la cabine était néanmoins ergonomique et savamment aménagée.

Derrière les fenêtres, elle distinguait la ville et la gare de Destiny, jusqu’aux lointaines montagnes enneigées.


- Que se passe-t-il ?, la questionna-t-il de but en blanc. Je ne suis pas mécontent de votre visite mais j’imagine que…

- J’avais besoin… D’un ami. Manabu… Louise… Ils ne sont pas là… Et je ne sais pas… Je ne sais vraiment pas quoi faire…


Courbée sur son tabouret, les coudes appuyés sur ses cuisses, elle se prit le crâne entre les mains.


- Vous avez eu raison de venir, l’encouragea-t-il. Un verre de vin…?


Reiko se figea avant de se remettre à trembler.


- Je crois que… Je crois que je n’y ai pas droit.

- Pardon ?

- Mamoru… Je n’aurais pas dû vous interrompre… Je vais m’en aller. Je suis désolée.

- Attendez !


Il la rattrapa alors qu’elle atteignait la sortie.


- Reiko… Vous m’inquiétez. Je vous avais dit que je serais là pour vous et pour Bruce alors ne vous enfuyez pas et racontez-moi ce qui vous contrarie.


D’abord hésitante, les mots franchirent ses lèvres sans qu’elle ne puisse les retenir.


- Je suis partie en mission… Je me suis sentie mal… Yuki m’a examinée et elle a vu, elle a vu…

- Quoi ?, demanda-t-il, soudain anxieux.

- Que je porte un enfant, gémit-elle en sanglotant.


Le Commandant tressaillit, en état de choc.


- Un… Enfant ?, répéta-t-il, sidéré.


La surprise passée, il enroula ses bras autour de sa protégée, qui ne put s’empêcher de déverser un torrent de pleurs sur son épaule.

Lorsqu’elle se calma enfin, il la fit asseoir sur son lit.


- Reiko…

- Qu’est-ce que je dois faire, Mamoru ? Et si… Bruce ne se réveillait pas ? Je devrais l’éduquer par mes propres moyens ? Est-ce que j’ai les compétences pour le faire ? Chaque fois que je me suis occupée d’un enfant, ça s’est mal terminé…

- Ça va aller… Je suis persuadé que vous avez plus de force que vous ne le soupçonnez.

- Non… Non… Et… Est-ce qu’il veut seulement de ce bébé ? On n’en a jamais parlé… Et si je le gardais et qu’il m’en voulait ?

- Je ne connais pas votre mari mais au vu de ce que vous m’avez dit à son sujet, ça me paraît improbable qu’il vous déteste pour ça. C’est un homme de parole, non ? Il prendrait ses responsabilités.

- Oui, c’est certain, mais est-ce qu’il voudrait encore de moi ? Je n’en suis pas si sûre… Et c’est dans le cas où il émerge de ce coma…

- Reiko…

- J’ai peur… Et je suis si épuisée… 

- Et Harlock, ne peut-il pas… ?

- Ce n’est pas son fardeau. C’est le mien. Je dois l’assumer. Je n’ai pas le droit de le lui imposer. Ni à lui… Ni à personne d’autre, dit-elle en songeant à Kanna et à sa légendaire bienveillance.


Mamoru lui caressa les cheveux, le cœur serré.


- Hirumi aussi est enceinte.

- Hirumi ?

- Ma fiancée. Elle est Officière radar à bord.

- Oh… Je… Je ne savais pas…

- Quand cette guerre sera finie, je l’épouserai.


Le Commandant pressa les mains de Reiko dans les siennes.


- Tant que je vivrai, vous aurez un allié. Et je sais qu’Hirumi vous aidera elle-aussi. Si le malheur que nous redoutons venait à se produire, et que vous vous retrouviez livrée à vous-même, je prendrai soin de vous et du petit. Vous viendrez avec nous sur Mars et nous l’élèverons ensemble.

- Je….

- Je veillerai sur vous et votre nouveau-né. Vous ne serez pas seule à faire face. Notre communauté vous soutiendrait.

- Mamoru…

- Prenez le temps d’y réfléchir. Ce n’est que dans l’hypothèse où…


Reiko renifla avant de se moucher dans le carré de tissu que Kodaï lui tendait.


- Bruce… Je voudrais tellement… Tellement… Qu’il se réveille.

- C’est tout… Tout ce que je souhaite pour vous.

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