A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 37 : Les démons de l'esprit

5203 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/01/2024 18:08

Chap 37 : Les démons de l'esprit


“-... Ko…. Reiko…”


Les paupières de la concernée se soulevèrent laborieusement.


- Hum… Encore cinq minutes, grogna-t-elle en rabattant le drap sur son crâne.

“- Ici Lawrence pour Reiko Speed. Je répète : départ immédiat !”


Une main hésitante émergea de la couette et chercha à tâtons le communicateur posé sur la table de chevet.


- Speed. Bien reçu.


Elle se redressa dans le lit, les traits tirés et les cheveux ébouriffés.


- Je dois y aller mon amour.


Malgré l’interdiction de Yûki, elle se glissait toutes les nuits dans l’infirmerie pour somnoler aux côtés de son époux.

Elle avait si peur de ne plus entendre sa respiration ou pire, de ne plus sentir les battements de son cœur, qu’il lui était compliqué de s’éloigner plus de quelques heures.

En cela, chaque mission avec la section Cepheus était une véritable torture.

Une nouvelle semaine s’était écoulée depuis l’annonce “coup de tonnerre” et, Mamoru mis à part, personne n’était au courant de cette arrivée surprise. 

“Manabu… Louise… Je n’ai même pas eu le courage de leur en parler. Car en parler c’est admettre que tout ça est bien réel.”

Pour éviter qu’elle ne replonge dans ses sombres travers de laisser-aller, le Commandant du Yamato s’était allié au médecin de Big1 et tous deux gardaient perpétuellement un œil sur elle.


- À ce soir. Je t’aime, dit-elle, lasse, en l’embrassant sur le front. 


Elle s’habilla promptement, revêtant son uniforme de la veille.


- Ça ira pour aujourd’hui.


Avant d’enfiler son pull, elle palpa son ventre. Puis, comme si elle s’était brûlée, elle écarta brusquement ses doigts et masqua le tout sous une bonne couche de tissus.


- Moi qui n’ai presque aucun souvenir de ma mère… Comment pourrais-je en devenir une ?, grommela-t-elle.


Elle avisa Bruce qui semblait dormir paisiblement.


- Et toi, hein ? T’es sûrement pas beaucoup plus doué que moi pour ça, pas vrai ?


Reiko peigna sa chevelure brune sans daigner utiliser de brosse, se passa de l’eau glaciale sur le visage pour se réveiller et quitta rapidement la chambre après un ultime regard en arrière. 


- Je peux le faire car j’ai choisi cette voie, s’encouragea-t-elle à voix basse.


***


Bruce marchait dans la lande désertique depuis de longues heures.

Ou depuis plusieurs jours ?

Il n’en avait pas la moindre idée. 


- Je suis condamné à rester ici… Pour l’éternité ?, articula-t-il péniblement.


Cette errance avait eu le mérite de lui octroyer tout le temps nécessaire pour réfléchir à sa situation.

Et il parvenait encore et toujours à la même conclusion.

“Cet endroit n’est pas réel.”

De ce postulat découlaient trois hypothèses.

La première était la suivante : il était bel et bien dans une illusion créée par les humanoïdes dont il ignorait comment se libérer.

La seconde était plus terre à terre : il était profondément endormi, voire dans le coma, d’où le fait que cette agonie soit infinie.

La troisième était la pire d’entre-toutes : il était mort et ce lieu était une sorte de purgatoire dans lequel il devait expier ses péchés.

Cependant, un élément le taraudait, lui faisant réfuter toutes ces théories.

“Le nabot connaît Reiko et Tadashi. Et moi aussi… J’ai l’impression de l’avoir déjà rencontré mais impossible de me rappeler où et comment.”


- Et… Si tout ça c’est dans ma tête… Pourquoi la douleur est-elle… Si palpable ?


Certes, la résistance à la souffrance du sniper était considérable, mais cette blessure à la hanche le faisait puiser dans ses réserves d’énergie déjà lourdement entamées.

Il était exténué. 

Et il avait foutrement mal.


- À ce rythme, je ne vais pas tarder… À m’écrouler… Pour ne plus jamais me relever.


Malgré cela, tant que ses jambes étaient en mesure de le porter il continuerait car…


-.... Le peloton Sirius… N’est pas du genre… À lâcher l’affaire, hein ?


Il eut une mimique moqueuse.


- Voilà que je cause… Comme Reiko et… Cet idiot de Manabu.


***


L’Hiryu filait dans l’espace, empruntant portails et lignes réservés à la SDF pour gagner du temps.

Guy Lawrence se posta alors au milieu de la “control room”, préoccupé.


- Pierre, à combien sommes-nous de Cassiopée ?

- Soixante minutes, Commandant.

- Je résume. Le QG a réceptionné un appel de détresse émis par l’express Falcon à destination de la voie lactée. Le Flame Swallow a été dépêché sur place mais a été pris sous le feu de vaisseaux non identifiés. Nous avons pour mission de les secourir tous les deux. Des questions ?

- Louise-chan… 


Une sueur froide traversa le dos de Reiko.


- Se pourrait-il… ?, commença Kori.

- Il n’est pas exclu que notre ennemi commun soit l’auteur de cette attaque.


Les poings de la pilote se serrèrent tandis que le brasier d’une colère sourde s’enflammait dans ses entrailles. 

Tout son être criait un seul et unique mot : 

Vengeance.

Si, un jour, elle avait cru pouvoir surmonter son aversion à l’encontre des robots, elle s’était terriblement fourvoyée. 

Ces choses mécanisées ignobles ne méritaient aucune compassion.

Jeff de Tabito, comme tous les autres.

Leur nature même, dépourvue d’âme, était une insulte à la Création.

L’idéal d’égalité de Warrius Zero ne serait jamais le sien.

Car sa haine était trop intense, trop viscéralement ancrée en elle. Son nom était celui de Nadeshiko Sakuramachi mais aussi de Sayuri Katô, Shiro Yamazaki, Nami Yamamoto, Kiyoka Kitano, Schwanhelt Bulge…

Et de Bruce James Speed.

“Je vais les anéantir. Tous autant qu’ils sont.”

La voix de feu le Commandant de l’unité Sirius s’insinua alors dans son esprit.

“- La Compagnie est une entité neutre qui ne prend pas part aux conflits animant l’univers. Chaque passager a la même importance et ce quelle que soit la race à laquelle il appartient.”


- Tout ça, c’est des conneries, marmonna-t-elle en grinçant des dents. 


“Ils veulent annihiler l’Humanité. Est-ce qu’on va les observer sans rien faire ?”


- Pas tant que je serai en vie, souffla-t-elle.


***


Bruce plissa les yeux.


- Est-ce que je déraille ou bien…?


Il aperçut une ou plusieurs silhouettes qui se mouvaient devant lui. Aussi vite que possible, il accéléra le pas pour se porter à leur hauteur.

Puis, hébété, il s’immobilisa.


- C’est…Pas… C’est pas… J’ai la berlue…


Il se stoppa, bras ballants.


- Vous n’êtes pas… Vraiment là… Ce pays…Vous ne pouvez pas être ici…

- Bruce.


La voix féminine avait claqué, sèche.


- Il est encore en vie.

- Difficile de se débarrasser des cafards, commenta l’homme qui la tenait par la taille.

- Schnei… Schneid…

- Tu vois, finalement, elle est à moi. Elle l’a toujours été.

- Non, gronda-t-il, furieux.


“C’est un cauchemar. Je vais me réveiller.”


- Big1 s’est crashé ici et toi tu nous as abandonnés. Heureusement que Moritz, lui, est resté à mes côtés.

- Je t’avais prévenu que c’était une erreur monumentale d’épouser ce type.

- Oui. Dieu merci, je l’ai réalisé grâce à cet accident.

- Reiko !


Il attrapa le poignet de sa femme, constatant qu’elle était on ne peut plus tangible.

“Je nage en plein délire.”

Cette dernière s’écarta abruptement, une grimace de dégoût sur le visage.


- Ne me touche pas.

- Comment… Comment peux-tu croire que je t’aurais volontairement laissée… Je ne ferais jamais une chose pareille. Jamais… Jamais…, bégaya-t-il, en état de choc.

- Tu n’es pas celui dont j’ai besoin. Finissons-en une bonne fois pour toute. D’accord ?

- Je refuse d’accepter…

- Je ne te demande pas ton avis. Nous deux, c’est terminé. C’est pas agréable de se faire jeter, hein ?

- Un juste retour du karma, ricana Schneider.

- Tu dois m’écouter. Je… Je t’aime…


Un rire cristallin répondit à sa déclaration.


- Offre donc ces sentiments à quelqu’un que ça intéresse.

- Viens, chaton.

- Ne… Ne l’appelle pas comme ça !, rugit Bruce, menaçant.

- Et c’est toi qui va m’en empêcher, peut-être ?

- Je suis… Je suis son…


L'Officier radar s’approcha, un sourire mauvais sur les lèvres.


- Tu n’es rien. Ni son mari ni le père de son enfant.

- Qu’est-ce que…

- Ne t’en fais pas, je prendrai bien soin d’eux.


Il poursuivit, en murmurant ces dernières paroles à l’oreille de l’artilleur.


- J’espère que tu auras mal quand tu songeras à quel point elle apprécie d’ouvrir ses cuisses pour moi, hein ?

- Je vais te tuer, mugit-il à l’instant où son poing fusait en avant.


Schneider fit un pas sur le côté, nonchalant, alors que Bruce s’étalait au sol de tout son long.


- Essaie donc, imbécile.


Il prit ensuite Reiko par la main et l’entraîna dans la lande.


- Viens, chérie. On ne va pas s’encombrer de ce gars là.

- Hum.


Le sniper leva la tête, étourdi. Presque entièrement recouverte de poussière, sa chevelure blonde avait viré au rouge cendré.

Sa vision floue et dédoublée lui permit toutefois de suivre du regard les ombres qui s’éloignaient.

Affligé, il voulut émettre un son mais en fut incapable.

“Je n’ai plus… Plus aucune raison de continuer.”


*** 


- Incroyable…, lâcha Kim.

- Commandant, ce sont bien…

- Oui, Reiko. Je sais.


L’écran central s’était déplié et affichait en temps réel les images de la bataille. Le Flame Swallow faisait bouclier pour assurer les arrières de l’express Falcon et ses dégâts étaient conséquents. Son armement semblait en grande partie hors service et certains de ses wagons étaient la proie de foyers incendiaires.

La pilote se raidit, ne souhaitant pas manquer cette opportunité de descendre des bâtiments râ-metaliens. 


- Kori. 

- Les pulsars sont opérationnels. Nos tourelles sont rivées sur l’aéronef le plus proche.

- Feu avec tous nos canons. Kim, maintiens-nous à distance. Quant à toi…


Le Commandant fixa sa nouvelle recrue, dubitatif.


- Confiez-moi la couverture aérienne, le pressa celle-ci.

- Pour avoir un autre malaise sur les bras ?

- Je ne vous décevrai pas cette fois-ci.


Tandis que l’artillerie de l’Hiryu arrosait sans pitié leurs adversaires, Lawrence réfléchissait, détaillant la militaire avec une oeillade réprobatrice.

“Toujours aussi énigmatique. On dirait Otto-san, la sympathie en moins.”


- Dernière chance.

- Ils ne passeront pas, promit-elle. 

- Personne n’est suffisamment doué, argua Pierre, pragmatique.


Piquée au vif, elle sentit son orgueil se gonfler à bloc.


- Moi, je le suis, se rengorgea-t-elle avec assurance.

- Protège l’express, lui ordonna le Commandant. Protège les voyageurs. Ils sont notre priorité.

- Et le Flame Swallow, ajouta-t-elle, déterminée.

- Au boulot les gars. On remplit la mission.

- Et on rentre à la maison, termina Kori.


La porte s’étant déjà refermée derrière elle, Reiko n’entendit pas l’artilleuse. Elle rejoignit les hangars de lancement au pas de course et enfila une combinaison en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Elle vissa un casque sur son crâne et bondit dans le cockpit.


- System check. Stand-by.


Elle enclencha divers boutons et manettes. 


- Requiers autorisation de décoller.

“- Accordée.”

- Bien reçu.


Elle tira sur le manche du Space Eagle et s’élança dans l’espace.


- Aujourd’hui, je serai meilleure que toi, aniki.


***

 

Désespérer.

Tomber.

Se relever.

Marcher.

Encore.

Et encore.


Le moral en berne, les yeux vides, Bruce James Speed traînait son corps meurtri dans cette plaine infernale qui, il en était certain à présent, allait devenir son tombeau.

Le moteur qui le poussait s’était enrayé et il avançait pesamment. Lentement. Péniblement.

Et, pour la première fois de sa vie…

Sans but. 

Pourtant, malgré la souffrance, aussi bien physique que psychique, l’étincelle qui l’animait se refusait à s’éteindre. Soumise aux intempéries qui agitaient son esprit, elle luttait, unique lueur dans les ténèbres qui avaient envahi son âme.


- Pourquoi… Pourquoi ?


Ces mots tournaient en boucle dans son cerveau.

Et, vainement, il essayait de donner un sens à cette folie qui n’en avait aucun.

Sa Reiko le détestait.

Sa Reiko en avait choisi un autre.

Sa Reiko…

Une plainte gutturale, inhumaine, s’échappa de sa gorge.


- Qu’est-ce que tu attends ? Prends-moi ! Depuis toutes ces années… Je suis là ! Devant toi ! Où es-tu ? Montre toi !


Personne ne répondit à cet appel torturé.

Personne ne vint.

Et il demeura seul avec tourments.


*** 


La pilote survola la zone, aussi concentrée qu’elle pouvait l’être.

“Prouve leur que tu n’es pas qu’une vantarde et que tu es capable du meilleur et pas seulement du pire.”


- Aniki, Otto-san, Bruce et…. Commandant Bulge… Je ne vous ferai pas honte, je le jure.


Les trois vaisseaux n’étaient pas aussi imposants que la station et la jeune femme était persuadée que, cette fois-ci, la Space Defence Force allait démontrer qu’elle n’était pas uniquement spectatrice de son destin.


- Je sais ce que je fais. Je maîtrise… Je maîtrise parfaitement la situation.


Elle se positionna entre l’express Falcon et l’appareil le plus proche pendant que l’Hiryu focalisait l’attention des deux autres à bonne distance des trains du Galaxy Railways.


- C’était combien de points déjà pour un engin de cette taille ? Huit ou neuf ? Raah si Tadashi n’est pas là pour les énoncer, y’a pas moyen de me souvenir de ces fichues règles. Peu importe, je vais… Tous… LES DÉFONCER !, vociféra-t-elle à pleins poumons.


Elle entérina ces dires avec une salve de traits laser qui firent sauter la tourelle principale de sa cible. Puis, après avoir effectué un retournement acrobatique, elle fila en chandelle et piqua vers ce qu’elle supposait être la passerelle de Commandement.


- Je vais couper la tête du serpent.


Elle virevolta aisément entre les rayons ennemis, s’octroyant même le luxe de figures de voltiges superflues entre chaque destruction de batterie de pulsars.


- C’est tout… C’est tout ce que vous avez dans le ventre ? Vous êtes pas foutus de m’effleurer ?


Elle rasa la proue et attaqua le pont de face.

Si proche de celui-ci qu’elle discerna les robots de l’autre côté des vitres blindées.

Un bref sourire se dessina sur ses lèvres.

“Maintenant.”


- Checkmate saloperies.


Un seul tir. 

Bien placé.

Elle prit de la hauteur au moment où l’aéronef explosait dans un feu d’artifice très convaincant.


- Jolie réaction en chaîne, siffla-t-elle en admirant le spectacle.


Du coin de l'œil, elle remarqua que les canons de Kori faisaient également des merveilles puisque l’un des navires partait à la dérive, une fumée inquiétante se dégageant de ce que Reiko présumait être le moteur.


- Aniki, je ne l’ai pas eu en un coup mais ça vaut bien dix points, non ?, s’exclama-t-elle en virant vers le Flame Swallow.


*** 

 

Un soleil rougeoyant s’était levé, brûlant la peau de Bruce.

“Pour un monde imaginaire, tout me paraît étrangement vrai. Est-ce que… Finalement… Toutes mes théories seraient fausses ? Et Reiko… Cette réalité…”

Il était aussi vide qu’une coquille d'œuf. 

“Quelle importance de toute façon ?”

Sa progression était chaotique et il avait renoncé à juguler le sang chaud qui coulait sur sa jambe.

“Si je ne trouve pas rapidement des secours, mon vœu sera sans doute exaucé. ”

Son instinct de survie se battait contre son envie d’abandonner et, pour l’instant, il ne pouvait dire lequel des deux allait remporter ce duel.

Alors qu’il poursuivait son cheminement purgatorial dans ce pays maudit, un cri de terreur le fit sursauter. 

“Cette… Cette voix…”

Il l’aurait reconnue entre mille.

Une énergie qu’il ignorait posséder embrasa sa chair et il se rua en avant, faisant fi de la douleur qui irradiait de ses membres blessés.


- Reiko !


La scène qu’il découvrit lui hérissa les cheveux.

Une sorte de tigre du désert aux dents affûtées avait acculé son épouse près d’une falaise.

Seule, désarmée et apeurée, elle était recroquevillée contre la roche.  

“Où est passé cette baltringue de Schneider ? Est-ce qu’il… Est-ce qu’il se serait enfui ?”

Un nouveau hurlement retentit, de souffrance cette fois-ci, quand l’animal sauvage lacéra profondément la cuisse de la jeune femme.

Durant une brève seconde, il songea à la laisser là, livrée à son sort, puisqu’elle l’avait si sèchement éconduit.

Il fronça les sourcils.

Non, ça c’était tout bonnement impensable.

Malgré les mots qu’elle avait eus à son encontre, malgré l’horreur de la voir aux côtés de Schneider, c’était un fait…

Il l’aimait.

À en mourir.

Dédaignant le danger, il se précipita vers elle, la dissimulant à la vue de la bête.


- Va-t-en, lui intima-t-il froidement, sans la regarder.


Voyant qu’elle ne bougeait pas, il s’égosilla davantage.


- T’es sourde ou quoi ? Fous le camp !


Il raffermit ses appuis lorsque le tigre bondit tous crocs dehors. Puis, sans un bruit, il bascula en arrière, tandis que l’astre solaire était masqué par l’énorme gueule du prédateur.

“Ce combat est perdu d’avance pour moi.”

Il heurta durement le sol, tendant ses bras pour tenter de se protéger des morsures, probablement fatales, qui allaient s’ensuivre.

“Mais si tu vis, c’est comme si j’avais gagné.”

Emportant avec lui l’image de la Reiko dont il était éperdument amoureux, il ferma les yeux.

Très fort.


***


- L’express Falcon…


Le dernier bâtiment encore en lice semblait résolu à contourner l’Hiryu pour achever les deux trains de la Compagnie des Chemins de Fer Intergalactiques.


“- Speed !”


Reiko activa son microphone avec enthousiasme.


- J’ai dit que rien ne passerait, Commandant. Ils ne passeront donc pas.

“- Tiens ta promesse.”

- Oui !


Elle eut un petit rire.


- Tenir ses promesses, c’est une affaire de famille.


Le Space Eagle se propulsa en direction du vaisseau, qui avait pris ses distances avec l’Hiryu dont une partie de l’armement n’était plus fonctionnelle.


- Ils ne sont pas en mesure de l’arrêter avec efficacité…


Elle eut un sourire en coin. 

“Mais moi, si.”

Certes, elle n’était pas l’artilleuse, la mécanicienne ou l’agente de terrain la plus talentueuse ou qualifiée de la Space Defence Force .

Certes son pilotage n’était pas conventionnel. 

Mais elle avait été à bonne école. 

Excellente même.

Se plaçant dans la ligne de mire de son adversaire, elle multiplia les acrobaties pour éviter les rayons laser.

Tonneaux, retournements et vrilles se succédèrent à une vitesse étourdissante, drainant l’adrénaline de Reiko et décuplant son audace.

Tel un moustique, elle harcelait l’appareil humanoïde, anéantissant tantôt une batterie de pulsars, tantôt un tourelle latérale.


- Des torpilles spatiales ? Oh, vous voulez jouer à ça ? Torpilles… On devrait ajouter ça à notre concours. Note pour moi-même : en parler à Dashi-kun.


Sans tergiverser, elle chassa sur tribord.

Contrairement aux apparences, elle s’amusait beaucoup, oubliant presque les millions de problèmes qui constituaient sa vie à l’heure actuelle.

En bref, elle était dans son élément.


- Retour à l’envoyeur !, claironna-t-elle.


Après avoir volé en rase-motte tout le long du fuselage, elle patienta jusqu’à l’ultime instant pour monter en chandelle.

Les torpilles à têtes chercheuses n’eurent pas le temps de modifier leur cap et elles s’écrasèrent contre la carlingue, la brisant en un millier de fragments tranchants.

Elle appuya sur son communicateur, satisfaite de sa performance.


- Objectif atteint.

“- Ne relâche pas ta vigilance.”

- Compris.


Elle effectua une manœuvre en immelmann pour que le vaisseau râ-metalien se retrouve dans sa visée.


- Je vais te pulvériser et sans une seule égratignure.


Euphorique, elle enfonça la commande de ses canons.

Une nuée irisée l’aveugla alors temporairement et elle poussa une clameur de déception quand l’aéronef s’échappa par Saut Warp.


- Je croyais que l’abandon était puni par une exécution en règle, grommela-t-elle. M’étonnerait que la reine se soit adoucie avec les années.

“- Nous débutons l’opération de sauvetage des passagers. Maintiens la couverture aérienne.”

- À vos ordres. 


Elle caressa son ventre, rassérénée.


- Souviens-toi que ta maman est la plus géniale des pilotes de la SDF. 


Reiko referma la bouche, déconcertée.


- Faut croire que j’ai déjà décidé… Mamoru… Yûki… Et… Bruce.


***


Lorsque le sniper s’éveilla, il fut étonné d’être encore vivant.

Et pas déchiqueté en mille morceaux de viande pour tigre du désert affamé.

Il s’assit dans l’herbe, confus.

Quelque chose… Quelque chose était différent.

Il se sentait bien. En forme.

Il palpa son abdomen, surpris.


- L’entaille… Elle a cicatrisé ? Mais… Comment ?

- C’est cet endroit. Il est particulier. Le carrefour de tous les possibles. De tous les futurs.


Bruce se mit debout, désorienté.


- Encore toi…


Le petit homme était adossé à un cerisier en fleur, gravant un rondin de bois.


- Je pensais pas que tu y arriverais, lança-t-il en applaudissant à tout rompre.

- Quoi ?

- C’était une épreuve sacrément corsée, mais bon… J’imagine que si Reiko t’a choisi c’est que t’es un dur à cuir, hein ?

- Je… Je ne comprends pas.

- C’est pas grave, c’est pas important.


L’artilleur se passa une main dans les cheveux.


- Dis-moi au moins qui tu es et où je suis.

- Je suis Tôchiro Ôyama.

- L’a… L’ami du Capitaine… ?

- Tout juste.

- Mais tu es… Tu es…

- Mort ? Oui et non, mais ça c’est une autre histoire.

- Est-ce que je suis… Moi aussi… ?, balbutia-t-il.

- Non. L’heure n’est pas encore venue pour toi. Et, concernant ta seconde question, tu as déjà la réponse, non ?


Il fit quelques pas vers Bruce, qui était complètement perdu.


- Ce que j’ai vécu ces derniers jours…

- C’était des chimères, tes suppositions sont correctes.

- Reiko…, murmura-t-il soulagé.

- Ouais, salue-la pour moi, vu ? Et dis-lui que je veille sur sa famille.

- Hein ?


Un large sourire se forma sur le visage du nain.


- Dis également à Harlock qu’il se surmène trop. C’est pas bon pour ses nerfs.


Il posa un doigt sur le torse de son interlocuteur.


- Je suis content de t’avoir rencontré. T’es un type bien. Soyez heureux, d’accord ?

- Je…


Sans crier garde Tôchiro le poussa en arrière et il vacilla, battant inutilement des bras pour empêcher sa chute.


- Au revoir, Speed !


***


Les paupières de Bruce papillonnèrent.

Un ultime effort. 

Et ses yeux s’ouvrirent.

L’éclat blafard du néon l’aveugla et des tâches de lumière roses, jaunes et oranges dansèrent devant ses iris.

Il se racla la gorge.


- Ko… Reiko…


Une silhouette floue se pencha au-dessus de lui.


- Hé, vous êtes réveillé ? Vous êtes vraiment… Réveillé ?

- T’es qui… Toi ?, demanda-t-il avec rogue.


L’ombre s’éloigna précipitamment. 


- Docteur ! Docteur ! Bruce Speed… !


Le sniper s’assit avec difficulté, avisant les murs blancs de l’aile médicale du Quartier Général.


- Je suis… Revenu ? Pour… De bon ?


L’inconnu, un grand brun avec un uniforme étrange, le fixait avec effarement.


- Il faut la prévenir !, se récria-t-il tandis que Yûki déployait son matériel d’urgentiste. Je vais voir Tôdo.

- Comment va… Reiko ? Et les autres… Yûki…. Qui c’est ce gars ?


L’androïde souleva la blouse de son patient, étudia son cœur avec attention, puis analysa méticuleusement les courbes du moniteur.


- Le Commandant du cuirassé Yamato, Mamoru Kodaï. Quelle est la dernière chose dont tu te rappelles ?

- Kodaï ? Le Yamato ? C’est quoi ça, le Yamato ? Pourquoi était-il… Ici ? 

- C’est une longue histoire.


Il secoua la tête pour mettre de l’ordre dans ses pensées.


- Je… Il y a eu une explosion… La bataille contre la station…, marmonna-t-il. Nous avons… Gagné ?

- Oui, affirma Yûki.

- Mon peloton…


Le médecin se mordit les lèvres.


- Des blessures plus ou moins sévères qui ont toutes été soignées. Reiko n’a rien, rassure-toi. Elle est partie en mission avec l’unité Cepheus.

- Cepheus ? Mais pourquoi… ?

- Le Commandant… Il n’a pas survécu à l’attaque.

- Qu’est-ce que tu racontes ?, l’interrogea-t-il d’une voix blanche.

- Il est mort. Je suis désolée.


Bruce eut l’impression d’être percuté par un tsunami destructeur.

Schwanhelt Bulge… Ce titan ?

“Impossible…”

Était-il encore plongé dans le coma ? Était-ce un autre supplice que lui infligeaient les démons de son esprit ?


- Je ne peux pas… Je ne peux pas le croire…


***


Le toit du hangar des Space Eagles se rétracta et Reiko se posa délicatement.

Le sauvetage des voyageurs avait été un succès et aucune victime n’était à déplorer parmi eux. L’Hiryu avait remorqué l’express Falcon pendant que le Flame Swallow réussissait à redémarrer ses moteurs.

Le cockpit se déverrouilla et elle retira son casque en soufflant, laissant peu à peu la pression redescendre.


- J’ai géré, hein Bruce. Pour une fois…


Elle leva le poing, exaltée.


- Je suis pas si nulle… Pas si nulle que ça.


Elle inspira et expira durant plusieurs minutes pour se calmer et, lorsqu’elle eut retrouvé un semblant de professionnalisme, elle quitta les lieux et rejoignit le wagon de commandement.

La porte coulissa et elle entra brusquement.


- Reiko Speed, je reprends mon poste, dit-elle avec le salut militaire de rigueur.


Elle s’installa et actualisa les données de sa console. Puis, notant le silence qui avait suivi son arrivée, elle fit pivoter son siège et découvrit quatre paires d’yeux qui la détaillaient intensément.


- Euh… Je…


Kim lui asséna une claque dans le dos.


- Bien joué la bleue ! C’était pas mal !

- Pas mal ? C’était carrément impressionnant, oui, n’est-ce pas Commandant ?, s’emballa Kori.

- Hein…?

- Je dois avouer que c’était une sacré démonstration de pilotage, déclara Pierre.

- Beaucoup de manœuvres hasardeuses et imprudentes mais…


Guy Lawrence eut un léger sourire.


- C’était pas mal, oui.


Avant que Reiko n’ait l’occasion de savourer ce compliment pour le moins inhabituel, une alarme résonna dans la “control room”.


- Une communication en provenance du QG, signifia l’Officier radar.

- Accepte.


Le visage du Commandant Tôdo s’afficha.


“- Guy, je m’excuse de vous déranger durant votre service. Reiko Speed est-elle ici ?”

-... Speed ?, répéta Lawrence. Oui, en effet.


La pilote s’avança, soucieuse.


- Je… Je suis là.

“- J’ai… Quelque chose à vous annoncer.”

- Je… Je vous écoute, répondit-elle avec anxiété.


*** 


Reiko écarta les agents de la Space Defence Force qui s’étaient entassés dans le couloir de l’infirmerie. 


- Bordel de merde ! Dégagez le passage !


Elle se fraya laborieusement un chemin jusqu’à la chambre de son époux et, hors d’haleine, dégonda la porte la séparant de lui.

Assis sur sa couchette, amaigri, les traits tirés, Bruce la contempla avec stupéfaction.


- Salut chaton, articula-t-il difficilement.


Yûki ne fut pas assez diligente pour intercepter la militaire. Cette dernière enjamba la balustrade du lit, prit temporairement appui sur le matelas et tomba sur l’artilleur comme un lion sur une gazelle.

Il eut tout juste le temps d’ouvrir les bras pour accueillir sa femme qui s’y réfugia en pleurant toutes les larmes de son corps.


- Doucement Koko, il est en convalescence, l’avertit le médecin.

- Tu es.. Tu es…

- Oui. On se l’est promis, non ?, dit-il avec une voix éraillée.

- J’ai eu tellement peur… La peur de ma vie, bakana. Ne me refais plus jamais un coup pareil.

- Aucun risque. Une fois m’a amplement suffi.


Il lui caressait tendrement les cheveux pour la tranquilliser quand Louise et Manabu firent irruption dans la pièce.


- C’est un miracle, lâcha l’Officière radar en essuyant l’eau salée sur ses joues.

- Soulagé de te revoir, partenaire, se réjouit Manabu.


Reiko se pelotonna davantage contre son mari.


- Je t’aime.

- Moi aussi. Il était hors de question que tu restes loin de moi. Peu importe les foutues épreuves de ce nabot fou.

- Hein ?

- Rien. Ne t’inquiète pas, dit-il en nichant son nez dans le cou de sa compagne.


Mamoru Kodaï, qui s’était faufilé à travers la foule, s’adossa dans l’encadrement de la porte, satisfait.

“Je suis content pour vous, Reiko.”


- Et si on leur laissait un peu d’intimité ?, proposa-t-il aux membres de la section Sirius.


Le couple ne remarqua pas que la chambre s’était vidée, l’un et l’autre trop occupés à s’assurer que ce moment n’était pas le fruit de leur imagination respective.


- Okaeri, chéri.

- Je suis rentré… Enfin… Rentré à la maison.

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