A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 46 : Bienvenue au monde !

5634 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 24/03/2024 11:46

Chap 46 : Bienvenue au monde !


- Hé, ça va ?

- Ouais.

- T’as l’air pâle, j’appelle quelqu’un ?

- Pas la peine.


Reiko écarta sa chaise d’un bureau recouvert d’une pile de rapports, tout en essuyant la sueur qui perlait de ses tempes. Puis, précautionneusement, elle se leva en se massant le bas du dos.


- T’es sûre ?

- Hum.


Kate, une jeune femme faisant partie de l’administration, ne parut pas convaincue. Elle passa une main dans sa chevelure grise cendrée et replaça une unique mèche rose derrière son oreille droite.


- Tu vas où ?

- Dehors.

- Tes bouffées de chaleur ?

- C’est ça. 

- Je t’accompagne ?

- Kate ! T’as du travail. Je reviens vite.

- Compris. Bipe moi si t’as un souci.

- D’accord.


La pilote du peloton Sirius, reconvertit en tant que secrétaire du chef Tôdo, se dirigea vers les ascenseurs d’une démarche lourde et hésitante.

Son huitième mois touchait à sa fin et elle était pressée que la grossesse arrive à son terme. D’une part car elle se sentait énorme et exténuée, d’autre part car elle n’avait jamais été clouée au sol si longtemps depuis son adoption par Harlock.

L’espace lui manquait et elle éprouvait une certaine angoisse à être constamment à terre.


- C’est pire qu’une prison humanoïde, grommela-t-elle en appuyant sur le bouton de l’élévateur.


La comparaison était loin d’être exacte mais, étant donné que son humeur pouvait perpétuellement être qualifiée de “massacrante”, elle lui semblait tout à fait justifiée.


- Il fait quoi ce truc ? Oh et puis zut !


Elle ouvrit la porte menant aux escaliers et s’engagea sur la première marche en ronchonnant.

Cependant, après avoir descendu deux étages, une barre de douleur lui traversa les intestins et, gémissante, elle s’assit sur l’un des paliers.


- Inspire. Expire. C’est bon, ça va aller mieux. Comme d’habitude.


Néanmoins, contrairement aux jours précédents, la souffrance ne s’estompa pas instantanément.

Reiko eut même l’impression qu’elle empirait.

“Je devrais avertir Kate. C’est pas normal.”

Frénétiquement, elle fouilla dans ses poches à la recherche de son téléphone.


- Non… Non… Je l’ai oublié là bas… Idiote ! Idiote !


Elle enfouit son visage au creux de ses genoux.


- Je me relève et je vais… Je vais sortir ici. Je vais bien tomber sur quel…


Un battant claqua derrière elle et la militaire sursauta avant de tourner la tête.


- Speed ? Qu’est-ce que tu fabriques ici ?

- Commandant Lawrence !


Soulagée, elle essaya de se mettre debout mais renonça quand une onde électrique fusa dans son bas ventre.


- Je voulais rejoindre les jardins et l’ascenseur ne venait pas… J’ai donc pris les escaliers de service mais je me sens patraque.

- Tu peux marcher ?, demanda-t-il en se portant à sa hauteur.

- Je crois pas. Pouvez-vous prévenir… Aaarg, croassa-t-elle en se pliant en deux, l’infir… L’infirmerie ?

- Je t’emmène.


Lawrence s’agenouilla devant Reiko et glissa un bras sous ses jambes et un second autour de sa taille.


- Non, vous n’avez pas besoin de…

- Bon dieu, tu n’es pas légère, ahana-t-il en la soulevant. On est au quatrième et l’aile médicale est au rez-de-chaussée.

- Vous êtes sûr que ça ira ?

- Oui.


Ils entamèrent une descente à la fois laborieuse et périlleuse.

Les doigts crispés sur son fardeau, le Commandant du peloton Cepheus progressait aussi rapidement que possible.


- Tu as déjà eu mal comme ça auparavant ?

- Oui, ça fait trois jours, mais Yûki et Bruce ne sont pas encore rentrés… Mon unité est bloquée quelque part dans la Voie Lactée à cause d’un nuage d'astéroïdes qui menace Jupiter... Du coup, je n'ai pas eu l’occasion de leur en parler.

- On y est presque, lui assura Lawrence alors qu’ils franchissaient le deuxième palier.


Au moment où il achevait de prononcer ces mots, il se pétrifia.


- Qu’est-ce que… ?

- Qu’y a-t-il ?


Il avala sa salive et toussota dans sa manche pour reprendre contenance.


- Je vais alerter le Haut Commandement pour qu’ils dépêchent une autre section sur Jupiter.

- Pourquoi ?, le questionna Reiko, qui ne voyait pas où il voulait en venir.

- Parce que tu as perdu les eaux, Speed. Sur mon uniforme flambant neuf, soit dit en passant. Mais bon, tu m’as habitué à pire, n’est-ce pas ?, dit-il en faisant allusion à la mission durant laquelle elle l’avait éclaboussé de vomi.

- Je… J’ai quoi ? 

- Le travail a débuté, reformula-t-il.

- Hein ? Non ! Je refuse ! C’est pas encore… Pas encore l’heure !, se récria-t-elle, paniquée.

- Certaines décisions ne sont pas de notre ressort. Allez, on y va.


Faisant fi des protestations et des plaintes de son chargement, il asséna un puissant coup d’épaule dans la porte menant à l’aile médicale.


- Je n’accoucherai pas avant un mois ! Pas sans Bruce et Yûki ! Pas sans Otto-san !

- Parce que tu penses que tu pourras retenir le bébé si longtemps ?

- Oui ! Arrêtez tout ! Suspendez les contractions !, s’égosilla-t-elle.

- Calme-toi, lui intima son supérieur en haussant le ton. Tu n’aides personne là.


Attirés par les cris, un médecin et une infirmière androïde déboulèrent dans le hall d’accueil.


- Quel est le problème ?, s’enquirent-ils.

- Elle accouche.

- Non ! C’est faux ! Stoppez ça !

- Mon pantalon trempé de liquide amniotique n’est pas de cet avis.

- Un fauteuil, ordonna le praticien. Et bipez l'obstétrique !

- Cesse donc de débattre !, gronda le Commandant du peloton Cepheus, exaspéré.

- On l’amène en salle. Immédiatement, décida le docteur, un homme d’un âge avancé aux cheveux blancs plaqués en arrière.

- Ils vont s’occuper de toi.

- Non… Je ne peux pas… Je ne peux pas faire ça toute seule, bégaya-t-elle alors que l’équipe hospitalière la poussait hors du hall.

- Mais si, ça va aller, tenta de la rassurer l’androïde d’une voix douce.


Fiévreuse, le souffle court et l’abdomen parcouru d’élancements abominables, elle se dévissa la nuque pour planter ses yeux dans ceux de Guy Lawrence, qui avait déjà attrapé son émetteur pour appeler Tôdo sur sa ligne directe.


- Ne partez pas. Je vous en prie, ne partez pas.


***


- Louise, combien de temps avant la prochaine salve ?

- Sept minutes, Bruce.

- L’artillerie ?

- Opérationnelle, répondit Manabu.

- Certes, nous avons intercepté les deux premières vagues… Mais de justesse. Restez vigilants. 

- Bien reçu !


Maussade, le sniper faisait les quatre cents pas dans la “control room”.

Il n’avait pas fermé l'œil depuis près de soixante-douze heures et sa patience était mise à rude épreuve. Ce service qui s’étirait en longueur le mettait au supplice. 

À mesure que les semaines défilaient, il lui était de plus en plus difficile de s’éloigner de son épouse.

“Putain, ça n’en finit pas.”


- Les météorites vont pénétrer dans notre zone de tirs dans trente secondes.

- Yuuki aux pulsars. Je me charge des tourelles. David…

- Te fais pas de mouron, je gère. Je ne laisserai pas un seul de ces cailloux nous effleurer.


Bruce s’installa devant l’une des consoles du wagon de commandement et enclencha une multitude de systèmes.


- À mon signal… Feu !


Des faisceaux lumineux fusèrent du train et percutèrent les corps célestes, les anéantissant les uns derrière les autres. 

Big1 voltigeait en mode “hors rail” et l’ingénieur redoublait de dextérité pour éviter les fragments rocheux qui s’accumulaient dans le vide intersidéral.


- Encore !, les exhorta Bruce.


Lorsqu’un astéroïde heurta sa carlingue, la locomotive fit une brusque embardée qui secoua violemment la section Sirius.


- Bordel de merde, David !

- Désolé les gars, lâcha-t-il entre ses dents, tandis que des gouttes de transpiration s’écoulaient de ses tempes.

- Du nerf, accrochez-vous !, les admonesta le Commandant.

- Je détecte un rayon d’énergie !

- Quoi ? Où ?

- À quatre cent cinquante milles !

- Sa cible !

- Je… Je crois que…

- Louise !, la pressa Bruce.

- Trop tard !, s’alarma Manabu.


Les traits laser d’origine inconnue fauchèrent les rochers qui avaient été épargnés par les canons du train de combat.


- Une signature de la SDF. Il s’agirait de l’unité… De l’unité Mizar ?

- Mizar ?, répéta David. Connais pas.

- Une communication…, commença l’Officière radar.

- Accepte !


Le visage basané d’un homme à la crinière blonde, nouée en queue de cheval, apparut sur l’écran principal.



“- Je suis Noboru Wakita, je dirige la section Mizar.”

“- C’est ce qu’il croit !”, l’interrompit une voix féminine.

- Noboru…?

“- Nous venons vous relever de vos fonctions sur ordres express du QG.”, compléta-t-il sans se formaliser de l’interruption.

- Et pourquoi donc ?


Un petit sourire se dessina sur les lèvres de son interlocuteur et le sniper remarqua avec étonnement le violet criard de son uniforme.

“Un nouveau peloton ? Ce nom ne m’évoque rien. Ils auraient déjà… Remplacé Vega ? C’est pas croyable.”


“- Oh, je pensais que Todo vous avait prévenus.”

- Qu’est-ce que vous voulez dire ?

“- J’imagine que le message ne vous est pas parvenu à cause des interférences magnétiques provoquées par la ceinture de météorites.”


Bruce ouvrit la bouche pour répliquer mais Noboru Wakita le prit de vitesse.


“- À l’heure où je vous parle votre femme s’apprête à donner naissance à votre enfant. Félicitations !”

- Hein ?, bafouilla-t-il, sous le choc.

“- On prend le relais ici, vous pouvez y aller “

“- Utilisez les portails Béta 125-02 et Orion 44-58, vous devriez atteindre Destiny dans quarante-cinq minutes”, lança une voix fluette derrière Wakita.

- Com… Compris, merci.

“- Bon retour, Sirius !”


Un silence ébahi succéda à la fin de l’émission.

Hébété, le Commandant s’affala dans son siège.


- L’accouchement n’est pas prévu dans un mois ?, l’interrogea Louise.

- Si. C’est trop tôt, grogna Bruce. J’espère qu’il ne s’est rien passé de grave.

- Ne songe pas au pire, vieux, intervint l’ingénieur.


“Le bébé est déjà là ? Je ne suis pas… Je ne suis pas prêt… Je ne sais pas comment m’y prendre avec les gamins… Oh putain de merde.”


- David.

- On est partis ! Plein gaz sur Destiny !


Les mâchoires verrouillées, le futur père de famille était à deux doigts de s’évanouir.

Mort d’inquiétude pour Reiko, il regrettait d’avoir consenti à mener une opération à la durée aussi incertaine. 

“Elle est probablement terrifiée. Je ne voulais pas qu’elle soit livrée à elle-même pour affronter ça. Je lui avais promis d’être là.”


- Pousse le moteur au maximum de ses capacités.

- Si je dépasse les 150%, il risque de lâcher.

- Je m’en fous, j’exige qu’on soit sur Destiny dans trente minutes. Fais ce qu’il faut pour refroidir les circuits.

- Okay, ça va déménager !, claironna David en actionnant la manette devant ses jambes.


***


- Speed, tiens bon. C’est pas si différent d’un combat spatial. Concentre-toi, mobilise ta respiration et active tes propulseurs à pleine puissance.

- Mes… Propulseurs ?, haleta-t-elle.


L’infirmière loucha, surprise par la métaphore.


- Ses propulseurs ?

- Euh… Ou sa chaudière interne ?


La jeune femme ne put contenir un glapissement aigu. 

En dépit des conseils maladroits du Commandant de l’unité Cepheus, focaliser son attention sur les demandes des uns et des autres était un véritable défi. 

“J’ai tellement mal que j’ai l’impression que je vais mourir. J’ai presque aussi mal que lorsque les tendons de ma main se sont déchirés.”


- Bruce… ?, gémit-elle.

- Il est en chemin, attesta Lawrence en empoignant ses phalanges avec force. Il fera tout ce qui est en son pouvoir pour te rejoindre, quitte à griller le circuit central de Big1. Et je suis persuadé qu’Akatsuki lui fera la danse de ses beaux jours.

- Il le… Pourrait… Vraiment ! Oui… Il est… déterminé.

- C’est le moins qu’on puisse dire. C’est une tête de mule. Comme toi.

- J’ai… Peur. J’y arriverai pas !


Un hurlement ponctua sa phrase et elle enfonça ses ongles dans la chair de son supérieur. 

“Que ça s’arrête… Que ça s’arrête…”


- Si ! C’est une certitude ! Une personne capable de s’infiltrer à deux reprises dans une base humanoïde devrait se faire davantage confiance.

- J’ai… Pas… Pu m’en sortir seule. À chaque fois, il y avait… Il y avait quelqu’un pour m’aider. Bruce… Aniki… Et même… Leo… Aaarg…

- On travaille en équipe à la SDF. Il est… Il est normal d’avoir besoin de ses partenaires.

- En équipe…

- Oui, faisons ça en équipe.


Le Commandant adressa un regard au médecin qui acquiesça, soucieux, tandis que les courbes du moniteurs s’affolaient.


- À trois, tu pousses. 

- Non… Pas avant que Bruce…

- On ne peut pas l’attendre plus longtemps.

- Otto-san…

- Todo s’en est occupé.


Un sanglot remonta dans la gorge de Reiko.


- Je compte jusqu’à trois. Un… Deux… Maintenant !


Elle s’exécuta, les entrailles ravagées par les contractions.


- C’est bien ! Encore !


Un cri effroyable s’échappa de la bouche de la pilote, glaçant le sang du Commandant, qui épongea la sueur de son cou avec sa manche.

“On ne m’a pas préparé pour une bataille de cette envergure. Je préférerais mille fois retourner au front. N’importe quel ennemi plutôt que d’être enfermé entre ces quatre murs.”

Cette opération était la plus complexe qu’il avait eue à superviser depuis son entrée à la Space Defence Force.

Il n’avait pas été formé pour accomplir pareille mission et, bien que sa fiche de poste ne mentionne pas de telles qualifications, il lui avait été impossible de reculer ou d’abandonner celle qui fut autrefois sa recrue temporaire.

Puis, accompagné par un soupir de délivrance et, aussi vite que cela avait commencé, l’enfantement se termina.

Aussi simplement que ça.

C’est alors qu’il les entendit.

Sonores, intenses et perçants.

Les pleurs du nourrisson.


- Bonté divine, ânonna-t-il. Par tous les dieux… Est-ce que… Est-ce que…

- J’ai… J’ai réussi ? Mon bébé… Donnez-moi… Mon bébé !, croassa-t-elle.

- Félicitations ! ,s’émerveilla l’infirmière en prenant l’enfant dans ses bras. Vous coupez le cordon ?, proposa-t-elle en tendant une pince à Lawrence, qui dû lutter pour ne pas tourner de l'œil.


***


- Nous entrons en gare !, les informa Manabu. 

- Dépêche.

- Je fais de mon mieux, râla David.

- Des nouvelles du QG ?

- Aucune, répondit l’Officière radar, mais tout va sûrement très…


Les freins crissèrent et Big1 s’immobilisa avec un violent à-coup.


- Commandant…!, l’interpella Louise au moment où le panneau de la “control room” claquait sauvagement.

- Laisse tomber, il faut être fou pour se mettre entre ce gars là et sa Reiko.

- Ouais, approuva Manabu. Je ne l’ai jamais vu dans cet état. 

- En même temps, c’est pas tous les jours qu’un tel événement se produit, non ?, rétorqua l’ingénieur.


Le sniper fila comme le vent à travers les couloirs du Quartier Général. Sa tension crevait le plafond et son cœur battait la chamade aussi fort que les tambours de guerre ancestraux.

Moins de cinq minutes plus tard, il défonçait les portes battantes de l’aile médicale .

Un médecin tenta de l’intercepter mais Bruce le repoussa, l’envoyant valser contre un chariot chargé de pansements et de flasques.


- Reiko Speed ! Où est mon épouse ? Où !?


Il hoqueta de surprise lorsqu’une silhouette massive bondit devant lui.


- Ici !

- Law… Lawrence ? Mais qu’est-ce que vous fichez là ?

- Longue histoire. Venez. Elle est dans cette pièce.

- Vous étiez avec elle ? Pourquoi diable… ?

- Je vous expliquerai.


Bruce se précipita vers l’entrée de la chambre et dû s'accrocher à l’encadrement de la porte pour ne pas défaillir.

Ce qu’il vit à cet instant précis était la plus belle chose qui lui fut donnée de contempler.

Si bouleversante, si poignante et si incroyable qu’il eut l’impression que tout son être était en train de fondre.

Ses jambes se mirent à trembler et, sans le soutien de Guy Lawrence, il se serait probablement étalé par terre.


- Chaton… Chaton…

- Bruce !, l’appela-t-elle avec un large sourire.

- Il est… Il est ?

- Juste ici, mon amour. Approche.


Confortablement assise parmi une montagne d’oreillers, la pilote tenait serré contre sa poitrine un cocon de lainages et de tissus.

Échevelée, épuisée, les joues rougies et les traits tirés, mais parfaitement sereine.

Il ne l’avait jamais trouvée aussi adorable et désirable.

“Comment se fait-il qu’une femme pareille ait bien voulu d’un type comme moi ?”


- Est-ce qu’il ? Est-ce que vous… ?

- On va bien. Grâce au Commandant.

- Vraiment ?

- Je n’ai rien fait. Je vous laisse en famille.


Le sniper hocha lentement la tête.


- Merci.

- Pas de quoi.


Il s’installa ensuite sur un tabouret et Reiko lui tendit le bébé emmailloté dans ses langes.


- Regarde… Elle est magnifique.

- Elle ?, répéta-t-il en ravalant ses sanglots.

- Oui, elle. Dis bonjour à ton papa !

- Papa… ?, bredouilla-t-il en saisissant le nourrisson avec toute la délicatesse dont il était capable.


Ses paupières se soulevèrent et l’enfant fixa son père avec ses grands yeux bleus délavés.

Le cerveau du Commandant de l’unité Sirius se mit alors en pause.

Aujourd’hui, sa vie prenait une toute nouvelle dimension. 

Aujourd’hui, les ombres qui persistaient à obscurcir son horizon se dissipèrent, chassées par un ouragan de plénitude.

Et de bonheur.

Car, aujourd’hui enfin, il avait son propre foyer.

Un foyer qu’il n’aurait jamais cru mériter.


- Je vous aime tellement toutes les deux, murmura-t-il. Merci… Merci pour ce merveilleux cadeau.


Reiko posa sa main sur celle de son mari.


- Ça va aller, Bruce. On est ensemble, pas vrai ?

- Oui, évidemment… Je… Je suis désolé de ne pas être arrivé à temps.

- Tout va bien. Une bonne étoile veille sur moi et, cette fois encore…


Blottis l’un contre l’autre, ils admirèrent la fillette comme s’il s’agissait du trésor le plus précieux que cet univers ait porté jusqu’alors.


- Sayuri Julia Lawrence Speed.

- Hein ?

- Ce sont ses noms, poursuivit-elle, amusée par son air hagard. Le premier est, comme tu t’en doutes, un hommage... Le second résulte d’une ancienne promesse et sans le troisième mon accouchement aurait pu se révéler catastrophique. Lawrence est un prénom mixte et le Commandant a même accepté d’être son parrain ! Et pour ce qui est de Julia… J’avais pas le choix après l’affaire du train fantôme. 

- Sayuri…

- C’est joli, non ?

- Très… Très joli, bégaya-t-il.

- Notre fille, annonça fièrement Reiko.

- Oui… Notre fille.


***


- Tu paries sur lequel ? Celui de la Fédération Terrienne ou le hors-la-loi ?

- Je sais pas, Franz, t’as pas autre chose à faire ?

- Allez, t’es pas drôle, Kate.


La jeune femme s’extraya de son rapport, agacée.


- Elle en connaît du beau monde, continua-t-il.

- Et alors ? T’es jaloux ?

- Un peu, j’avoue. Tu crois qu’elle a été pistonnée ? 

- Non. Je suis presque sûre qu’on est en sous-effectif car les RH recrutent sans entretien. Et puisqu’elle n’est ni cadre ni Commandant ou même titulaire, elle n’a sûrement pas bénéficié de traitement de faveur ou d’avancement ; c’est une cadette non diplômée.

- C’est quoi sa spécialité ?

- Pilote.

- Ah ouais ?

- Et plutôt douée d’après les bruits de couloir.


Franz se percha à la balustrade surplombant le hall central de la gare, dans lequel des voyageurs se hâtaient.


- Moi je mise sur celui du Yamato.

- Mamoru Kodaï ? Il n’est pas déjà venu la voir ?, l’interrogea Kate.

- On aurait remarqué son énorme vaisseau rouge et gris, non ?, railla son ami.

- Il doit encore être retenu sur Râ-Metal.

- J’ai entendu dire qu’un certain Leopard avait été nommé Gouverneur par intérim.

- Les robots ont été exilés de la planète ?

- Non, les soldats ont été désactivés… Quant aux civils… Il semblerait qu’une cohabitation pacifique soit envisagée. 

- Comme sur Terre ?

- Les brimades envers les humains en moins. 


La technicienne tressa machinalement sa chevelure, songeuse. 


- C’est de là qu’elle est originaire.

- Qui ça ?

- Reiko Speed. 

- Oh et donc ton pari…

- Le pirate, s'exaspéra-t-elle. Tu me lâches maintenant ?


Franz eut un ricanement satisfait.


- Bon t’as perdu alors.

- Pourquoi ?

- Parce que le gars du Karyû vient de passer avec une peluche qui fait deux fois ta taille il y a moins de cinq minutes.

- Tout ça pour ça !

- Ouais, tu te rappelles quand il avait retourné le bureau de Tôdo ?

- Difficile de l’oublier. C’est aussi un terrien, ils sont probablement de la même famille.

- Aucune idée. En tout cas, mieux vaut ne pas provoquer ce type. Il a déjà menacé de faire sauter le QG à plusieurs reprises.

- Ils doivent stresser à la Direction. 

- Tu m’étonnes !


*** 


- Princesse !

- Wawa !

- Putain, pas lui, grogna Bruce. C’est quoi ce truc là ? Un ours ? C’était obligé d’en acheter un si gros ? Vous croyez qu’on vit où ? Dans un manoir ?

- Elle est où ? Elle est où !?


Sans considération aucune, Warrius Zero écarta le sniper assis sur le lit. Celui-ci manqua de chuter tête la première et se rattrapa in-extremis à la table de chevet.


- Hé !


Le Commandant se figea lorsque Reiko lui présenta le bébé qui somnolait paisiblement.


- Elle vient juste de s’endormir ! Vous pouvez pas gueuler moins fort espèce de dingue ?

- Toujours aussi sympathique, Speed. Je pensais que la paternité t’aurait adouci.

- Mais mêlez-vous de vos…

- Tu veux la prendre ?, proposa Reiko.

- Avec plaisir ! Oh, elle me ressemble un peu, non ?, dit-il en la berçant dans ses bras avec une mimique extatique sur le visage.

- À vous ? C’est vrai que ce qui frappe chez vous ce sont vos grandes prunelles bleues, s’étouffa Bruce.

- Oui, à moi et à toi aussi, Koko.

- Tu trouves ?

- Bien sûr !


Bruce se leva et s’adossa contre la fenêtre en soupirant.


- Il n'est même pas de son sang, qu’est-ce qu’il bave ce blaireau ? Il est daltonien ?, grommela-t-il.

- Je suis peut-être daltonien, mais je ne suis pas sourd, rétorqua Warrius sans se formaliser du surnom peu élogieux.

- J’essayais pas particulièrement d’être discret.

- Mon amour, l’avertit Reiko en fronçant les sourcils.

- J’vais me promener, céda-t-il, ulcéré.

- Fais donc ça.

- Hum. Vous n'avez pas intérêt à la réveiller, Zero.

- Compris, pars tranquille et surtout prends ton temps.


Hargneux, Bruce quitta la pièce sans piper mot.


- Excuse-le, notre nuit a été courte.

- Ne t’en fais pas pour ça. Ta fille est si gracieuse que je suis à deux doigts de te la voler.

- Tu risques de t’attirer les foudres de mon mari.

- Pfff, même pas peur.


Warrius prit place sur le matelas, à côté de sa pupille.


- Dis-moi que je suis arrivé avant lui.


La jeune femme pouffa.


- C’est une compétition ?

- Et si c’en est une, j’ai gagné ?

- Oui, confessa-t-elle en roulant des yeux. Otto-san a des affaires urgentes à régler à l’autre bout de la galaxie.

- Je vois. Je vais lui envoyer une photo de nous trois pour le narguer.

- Hors de question.

- Roh.


Reiko glissa son index dans la petite main de Sayuri.


- Comment va Marina ?

- Elle est en forme ! Je suis désolé mais tu sais…

- Le Second ne peut pas quitter son poste si le Commandant est absent, n’est-ce pas ?

- Exact, si nous n’avons pas d’impératif elle te rejoindra plus tard dans la matinée.


La pilote détailla l’immense peluche qui avait été délaissée dans un coin de la chambre.


- Tu as fait des folies.

- Tss tss, ne dis pas n’importe quoi. Elle a les cheveux foncés, non ? Encore plus que les tiens.

- Oui, ceux de ma mère, mais ses iris sont de la même couleur que ceux de Bruce.

- Hum, il se comporte bien avec toi ?

- Ne te fie pas aux apparences, je n’aurais pas pu rêver mieux.

- Content de le savoir princesse. S’il te malmène…

- Aucune chance, il me traite comme si j’étais la septième merveille du monde. 

- C’est la moindre des choses. Je peux lui donner le biberon ?

- Oui, ce sera bientôt l’heure de toute façon.


Reiko posa sa joue contre l’épaule de Warrius.


- Harlock m’a raconté ce qu’il s’est passé là bas. Je suis fier de toi Koko, tu as été courageuse. J’aurais aimé être des vôtres car la dictature de la reine n’avait que trop duré. Sa politique n’avait rien de pacifiste et son oppression sur les êtres biologiques était révoltante. Oui… Dans son cas, il s'agissait de domination et non pas de cohabitation.

- Ne t’inquiète pas, on sait tous que le gouvernement terrien ne te l’aurait pas permis.

- Hum, pour l’instant. La chute de Promethium a affaibli son autorité et les humains sont en train de se mobiliser pour que la balance soit plus équitable. J’ai bon espoir qu’une entente soit enfin possible.

- Hum.

- Je ne suis pas naïf, je sais que tu ne portes pas les humanoïdes dans ton cœur mais j’espère que tu comprends mon point de vue.

- Oui, Wawa. La Compagnie est une entité neutre et mon travail consiste à protéger tous ses passagers sans distinction de race. J’ignore si je parviendrai à dépasser mes a-priori mais pour Sayuri… Je m’y emploierai de mon mieux. Je refuse de lui transmettre ma haine.

- C’est preuve de sagesse.

- Si tu le dis.


Warrius caressa le crâne de l’enfant avec tendresse.


- T’es sûre que tu ne veux pas me la prêter ?

- Tu as du sommeil à perdre ?

- Peut-être pas, répondit-il en souriant.


***


- Sinon, il compte nous la rendre bientôt ?

- Bruce, il attend ce moment depuis un mois, sois sympa !


Le sniper bougonna en s’éloignant de l’autre côté de la passerelle de l’Arcadia.

Reiko soupira et abandonna son époux à sa mauvaise humeur. 

Les nuits blanches de ces derniers jours ne lui réussissaient pas et son épuisement allait de paire avec sa morosité. 

Elle s’approcha du pirate, qui tenait le nourrisson serré contre lui, et le contemplait avec une douceur que peu de personnes avaient déjà vue sur son visage.


- Je passe mes soirées à cajoler Sayuri et mes journées à m’excuser pour l’attitude de Bruce.

- Il est difficile d’imaginer qu’il a eu un rôle dans la conception de cette merveille.

- Et pourtant…

- Je ne veux rien savoir.


Elle s’esclaffa avant d’embrasser le front de sa fille.


- Il s’implique, tu sais. Il a négocié avec le QG pour que Big1 ne soit pas dépêché sur de longues missions. Je m’occupe de Yuyu à la maison à plein temps mais quand il est à terre, il prend le relais. Il ne dort presque pas, d’où cette bouderie…

- Encore heureux qu’il s’investisse.


Sayuri émit une plainte aigüe et Harlock l’allongea sur son épaule en tapotant son dos. 


- Elle fait ses nuits ?

- Au bout de trois semaines ? Tu rêves. Elle ne nous laisse aucune seconde de répit.

- Elle est si mignonne qu’on lui pardonne tout.

- Hum…


Reiko prit appui contre une console, tracassée.


- Pour ce qui est de Râ-Metal…

- Koko… Tu as des préoccupations plus importantes, non ?

- Papa…


Le hors-la-loi se pinça les lèvres.


- Hé bien, au cours de ces derniers mois, Mamoru a offert les compétences de ses soldats pour faciliter la vie aux humains qui ont choisi de demeurer sur cette planète glacée. Étant donné qu’elle a été privée de son soleil, Râ, il est compliqué d’y cultiver quoi que ce soit… Des serres artificielles ont donc été construites pour subvenir aux besoins de la population.

- Une population…

- D’hommes mais aussi de robots. Certains civils mécanisés sont restés et l’aide que Warrius apporte au gouvernement est inestimable pour que la cohabitation ne dégénère pas… D’un côté comme de l’autre.

- Et tu soutiens ça ?

- Tu n’es pas la seule à devoir surmonter rancune et préjugés.

- Oh. Et Otto-san, as-tu des nouvelles du Commandant…

- Leopard ?, termina-t-il. En quoi ça t’intéresse ?


Elle enroula une mèche de cheveux autour de son doigt en rougissant.


- Ben, il m’a quand même sortie de cet enfer et…

- Il assure une gouvernance par interim et il s’en tire plutôt bien. Ses mesures semblent tolérées par toutes les espèces.

- J’en étais sûre, répondit-elle en souriant.

- Tu as l’air de le tenir en haute estime.

- Pas toi ?

- Si, évidemment.


Sayuri ouvrit alors les yeux et une bulle se forma sous sa narine gauche.


- On y va ?, la questionna Harlock.

- Oui.


Père et fille quittèrent le pont, sans un regard pour Bruce et Tadashi qui se disputaient, et se dirigèrent vers les entrailles du vaisseau spatial. 

En silence, ils empruntèrent un dédale de corridors qu’ils connaissaient par cœur, saluant d’un geste du menton les membres d’équipage qu’ils croisaient sur leur chemin. 

Puis, enfin, ils parvinrent dans une salle au centre de laquelle trônait un ordinateur imposant.


- Bonjour Tôchi, ça faisait longtemps, lança la pilote. 


Une batterie de lumières se mit à clignoter sur la machine.


- Mon ami, enchaîna Harlock, nous avons quelqu'un de très spécial à te présenter.


Le bébé s’exprima avec de petits gloussements qui tirèrent un sourire béat au Capitaine.


- Sayuri. Elle est adorable, n’est-ce pas ?


Les lumières s’intensifièrent et un vrombissement ravi résonna dans la pièce.


- Merci pour le coup de main de la dernière fois.


Harlock grimaça.


- Tu devais avoir tes raisons tomoyo mais, à l’avenir, ne jette pas délibérément notre fille dans la gueule du loup. C’est aussi valable pour Sayuri.

- J’aurais aimé que tu puisses la prendre dans tes bras, Tôchi-kun.

- Et si on trinquait ?, offrit le pirate en extrayant une bouteille et trois gobelets d’une trappe dans le mur.

- Ta cachette était donc là !

- Ne dis rien à Dashi-kun.

- Motus et bouche cousue.


Il remplit les verres, en tendit un à la militaire, et déposa le troisième sur l’ordinateur.


- J’allaite, Otto-san.

- Porte un toast avec nous, alors. À Sayuri !

- À Sayuri Julia Lawrence Speed !, rectifia-t-elle.

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