A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 47 : Un nouveau départ

5457 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 01/04/2024 19:56

Chap 47: Un nouveau départ


- Ces épreuves sont faites pour vous tester, évaluer vos compétences et juger vos aptitudes à vous adapter et à coopérer, vu?

- Oui, tu l’as déjà mentionné. Plusieurs fois.

- Reiko, je suis sérieux. Ce n’est pas une partie de plaisir.

- Tu ne peux pas m’en dire plus ?

- Tu sais bien que non, chaton. C’est le règlement.

- Okay…


La jeune femme s’approcha de son époux et lui tendit l’enfant qu’elle tenait serré contre sa poitrine. Celui-ci dormait paisiblement, contrairement à ses parents qui n’avaient pas fermé l'œil de la nuit.


- Tu as encore le temps d’y réfléchir, les conséquences de cette décision…

- La réaffectation ?

- Si Tôdo décrète qu’une mutation…

- J’obéirai, déclara-t-elle avec force.


Le sniper fit la moue, contrarié.


- Pas de gaieté de coeur, mon amour.

- J’espère bien. 

- Je ne veux bénéficier d’aucun traitement de faveur. En tant que soldat et Commandant, tu devrais le comprendre, non ? 


Un grommellement fut l’unique réponse qu’elle obtint.


- Jure-moi que tu n’interviendras pas. Que ce soit par la menace ou par tout autre moyen à ta disposition.

- Si c’est ce que tu souhaites, céda-t-il, irrité.

- Je me suis entraînée dur pour combler mon retard. Et, avec Sayuri qui somnole moins de cinq heures à la suite, ça n’a pas été évident.

- J’en ai conscience mais elle n’a que neuf mois et…

- Et il est nécessaire que je reprenne du service. J’ai bossé d’arrache-pied avec Akatsuki sur des moteurs en tout genre ; j’ai tiré jusqu’à enfin toucher cette fichue cible avec Manabu et tu m’as obligée à faire des simulations jusqu’à ce que j’en vomisse.

- Non, ça c’était à cause des glaces que tu as englouties juste avant. Et je t’avais prévenue que quatre, c’était trois de trop.

- Peu importe. Je vais le faire aujourd’hui. 

- Dans ce cas…


Bruce se passa une main sur le nez, soudainement très fatigué. 


- Reste fidèle à toi-même et ça ira. Ne trahis pas tes principes, compris ?


Reiko pencha la tête sur le côté, perplexe


- Je ferai attention.

- Bon courage et on se voit dans trois jours. 

- C’est étrange cette règle qui nous contraint à l’isolement…


Le Commandant ne pipa mot, ombrageux.


- Ça aussi c’est secret ?

- Sois tranquille, je m’occuperai de Sayu. Et, en cas de besoin, les numéros de Kanna et d’Hirumi sont épinglés sur le frigo.

- Parfait, approuva-t-elle en se raidissant, bien plus effrayée par la perspective de laisser sa fille qu’elle n’osait se l’avouer.

- On s’est préparés à faire face à ce genre de situation, tenta-t-il de la rassurer.


Une sonnerie stridente retentit dans les couloirs du Quartier Général de la SDF, qui fit frémir la militaire.


- J’y vais, annonça-t-elle après avoir déposé un baiser léger sur le front de Sayuri.


Alors qu’elle se détournait, Bruce la happa dans ses bras.

Il voulait désespérément la retenir mais il savait qu’il n’en avait aucun droit. 

Pas quand elle était déterminée à progresser sur la voie qu’elle s’était choisie.


- Je t’aime. Sois prudente.

- Je le serai, promit-elle, résolue.


Puis, elle se défit de l’étreinte de son conjoint et s’enfila dans le corridor menant à l’auditorium.

Maussade, celui-ci  l’observa disparaître à l’angle de la coursive.

C’est à cet instant que l’enfant décida d’ouvrir les yeux et d'émettre des gazouillis impatients, qui apaisèrent un tant soit peu son père.


- Okaa-san est partie mais elle va s’en sortir, hein Yuyu ? C’est une vraie tête de mule, comme Manabu et Tadashi. Je suis certain qu’elle peut y arriver.


Le babillement qui suivit ce monologue tira un sourire béat au sniper.


- On est d’accord.


***


L’amphithéâtre débordait de nouvelles recrues, ce qui rendit Reiko d’autant plus nerveuse. À l’occasion de cette certification, toutes et tous avaient revêtu une veste mauve sans insigne.

“Si j’échoue, ils ne me réintégreront peut-être pas. Si je réussis, je risque d’atterrir dans une autre section. Je dois briller si je brigue le peloton Sirius. Big1 se mérite, quoi qu’en disent Wawa et Otto-san.”

Et, pour le moment, elle n’était pas convaincue d’être suffisamment efficiente pour que sa position lui soit garantie.

Au cours des neufs derniers mois, elle avait fait de son mieux pour prodiguer les meilleurs soins à son nourrisson et, dès qu’elle en avait eu la possibilité, elle s’était évadée pour travailler en vue de décrocher le saint Graal : son diplôme officiel délivré par la Space Defence Force. 

Puisqu’elle n’avait pas fait ses classes, elle avait dû se soumettre à un parcours de rattrapage exigeant durant lequel elle avait dû puiser dans ses maigres ressources.

Si le point de vue d’Harlock était clair sur le sujet et ne faisait que peu de cas d’un bout de papier, Warrius s’était montré davantage enthousiaste, même s’il n’avait pas hésité à proposer que celui-ci lui soit remis sans qu’elle n’ait à valider la moindre unité.

Ce que Reiko avait refusé.

Catégoriquement.

“De quoi aurais-je l’air auprès de mes collègues ? Est-ce qu’il pense que je suis incapable d’y parvenir par mes propres moyens ?”


- Je dois me faire confiance, comme Leopard et Lawrence me l’ont suggéré.


Au sein de cette foule, il n’y avait aucun visage familier, ce qui fit encore grimper son stress.

“On est si nombreux… Et le taux de réussite à chaque session n’excède jamais les 75%... Est-ce que j’ai ne serait-ce que l’ombre d’une chance ?”

Anxieuse, elle prit place sur l’un des bancs et demeura aussi immobile qu’un piquet jusqu’à ce qu’Elle les honore de sa présence.

Layla Destiny Shura.

Le Haut Commandant de la SDF.

Immédiatement après son entrée, un silence déférent s’installa.

“Le même charisme que Maetel… La chevelure blonde en moins.”

En effet, bien que teintée d’un bleu intense, celle du Commandant Shura était tout aussi démesurée.

Habillée d’un justaucorps cobalt et d’une cape d’une couleur identique, elle s’avança dans la lumière.


- Chers aspirants, c’est un plaisir de vous compter parmi nous aujourd’hui. Vous avez choisi la Space Defence Force et je vous en suis reconnaissante. Votre investissement, votre volonté et votre bravoure sont des dons inestimables pour notre compagnie.


Elle balaya l’assemblée avec un regard emprunt d’une incommensurable douceur.


- Aujourd’hui est un jour spécial car vous allez déployer tout votre savoir-faire afin d’être admis dans la grande famille des Chemins de Fer Intergalactiques. Je suis persuadée que vos merveilleuses aptitudes, acquises pendant votre apprentissage au sein de vos sections respectives, nous éblouirons.


“C’est pas gagné.”, songea Reiko, fébrile.


- Je sais que votre opiniâtreté sera à la hauteur. Vous êtes l’avenir du Galaxy Railways, croyez en vous.


“Ça non plus, c’est pas gagné.”

Lorsque les yeux perçants de Layla Destiny Shura effleurèrent la pilote, cette dernière frissonna.

“J’ai la sensation qu’elle lit en moi comme dans un livre ouvert. C’est perturbant. Je ne serais pas surprise d’entendre sa voix dans mon cerveau. Elle est intimidante.”


- Assez de discours. Puisque vous êtes tous réunis ici, nous allons commencer par la première unité ! Ne perdez de vue ni votre objectif ni le fruit de votre formation. Bonne chance à tous, conclut-elle en s’éloignant.


“Pardon… Quoi ?”

Des chuchotements inquiets envahirent l’amphithéâtre tandis qu’un tic fiévreux agitait la commissure des lèvres de la jeune femme.

Des membres de l’administration se dispersèrent alors entre les rangs pour distribuer un dossier et un stylo à chaque candidat. 

“Un test écrit ?”


- Vous pourrez retourner vos feuilles à onze heures précises.


Reiko patienta en s’efforçant d’inspirer et d’expirer profondément.


- Allez-y ! Vous avez cent-vingt minutes. 


Elle ouvrit son cahier avec hâte et parcourut frénétiquement les questions.

“Décrivez la source d’alimentation d’un train de transport classique de voyageurs... Explicitez les différentes caractéristiques du radar… Le fonctionnement des valves et des soupapes…. Le rôle de la chaudière interne et de ses composants… Dans la mise en situation A, quel élément du moteur faudrait-il refroidir pour que le circuit ne disjoncte pas ?… Dans la mise en situation B, lors d’un raccordement avec un wagon externe de combat…“


- J’ai révisé. J’ai révisé ça avec Akatsuki et Johanna.


Durant le temps qui lui était imparti, Reiko ne leva pas le nez de son questionnaire.

Elle griffonnait des réponses, s’aidant parfois de schémas et, lorsque treize-heures sonnèrent, elle achevait de se relire.


- Posez vos stylos !


Elle se rejeta en arrière en soufflant de soulagement.


- Tu t’en es sortie ?, lui demanda son voisin, un jeune homme avec des dreads et une peau ébène.

- Dans l’ensemble ça a été même si la pratique aurait été plus facile…

- Ah ouais ?


Le repas du midi fut animé mais, au cours de celui-ci, Reiko ne put se mêler aux autres ou avaler la moindre bouchée.

“Je ne dois pas relâcher ma vigilance. Pas un seul instant. Il y a beaucoup trop d’enjeux.”

Pour rester aux côtés de David, Yûki, Louise et Manabu… Et de Bruce.

L’erreur n’était pas permise.

Et surtout, elle voulait rendre fier le Commandant Bulge.


- Je vous ai juré de ne pas vous décevoir, marmonna-t-elle, mais par-dessus-tout, c’est moi-même que je ne veux pas décevoir.


*** 


- Je croyais que la convocation était pour demain ? Oh, un changement de programme, ben voyons… Je vous préviens ma fille sera avec moi, je n’ai pas la possibilité de m’organiser autrement. Oui, c’est ça.”


Bruce éteignit son émetteur, hautement agacé. Il le lança sur le canapé avant d’empoigner une bavette pour débarbouiller la frimousse de Sayuri, qui était enduite d’une mixture à la carotte.


-  Quels imbéciles… J’avais pris ma journée, maugréa-t-il. Il est trop tard pour contacter la baby-sitter.

- Oha ! Ohasa !

- Oui mon coeur, Okaa-san n’est pas là. Aujourd’hui tu es avec papa. Dis papa !

- Ohasa !

- Otto-san ?, tenta-t-il.

- Gato ?


Bruce récupéra l’assiette de purée en ronchonnant et la jeta dans l’évier. Il chercha ensuite le paquet de boudoires qu’il déchira avec les dents.


- Je te donne ce gâteau si tu dis “Otto-san”. Allez, Yuyu !

- Gato !, s’époumona le bébé avec enthousiasme en tendant ses petites mains potelées vers son père ou plutôt vers le biscuit sucré.


Face aux geignements de Sayuri, Bruce n’eut pas la force de lutter.


- Tiens, prends-le puisque tu le veux tant, concéda-t-il en embrassant son crâne recouvert d’une épaisse chevelure noire de jais. Quand tu auras terminé, on partira en balade.


***


- Pour la seconde épreuve, vous serez répartis en équipes de trois et chaque groupe participera à la même simulation. Vous serez assignés dans l’une des dix salles qui ont été réservées. Dix trios seront donc évalués simultanément.


L’administratrice réajusta ses lunettes et Reiko la reconnut comme étant celle qui lui avait fourni son uniforme le jour de son enrôlement. 


- Le système de notation est le suivant : vous disposez tous de vingt points. Chacune de vos actions vous fera gagner ou perdre des points en fonction d’un barème prédéfini qui ne vous sera pas divulgué. Votre score sera également tenu secret jusqu’à la fin de la session d’examen.

- Hé ben, intervint une jeune demoiselle aux cheveux bruns, comment savoir ce qui nous fera perdre ou gagner des points ?

- Fiez-vous à votre instinct. Sachez simplement que les fautes de vos coéquipiers augmenteront votre jauge. Tout comme leur “mort”. Mort qui, soit dit en passant, entraînera votre élimination ferme et définitive.

- Sérieusement ?, s’offusqua-t-elle.

- Et les groupes ?, interrogea le garçon aux dreadlocks.

- Vous serez appelés par haut-parleur dans l’auditorium.


Reiko, à l’instar des autres postulants, quitta le hall principal.

Comme elle en avait l’habitude quand elle était angoissée, elle se gratta le poignet avec insistance.


- Observation, analyse et réaction… Point de mire, prudence et surveillance de ses arrières.

- Tu fais quoi ?

- Hein ?

- Tu discutes toute seule.

- Ouais et alors ?, la rabroua-t-elle en enfonçant ses poings dans ses poches.

- C’est bizarre.

- Hum.


La militaire qui venait de l’interpeller était celle qui avait questionné la vieille employée du bureau administratif. Des mèches auburn en bataille balayaient ses épaules et son regard bleu azur tranchait avec la pâleur de son teint.


- Je suis Laura Schmidt, Officière radar de la section Mizar, enchantée !

- Reiko Speed, pilote chez Sirius.

- Oh la célèbre !

- Célèbre ?

- Hé bien, le Capitaine Harlock, ce n’est pas rien, n’est-ce pas ? Est-ce qu’il fait aussi peur qu’on le raconte ?

- Peur ? J’imagine que ça dépend de la personne qui lui fait face.

- Oh ! Et…

- Toutes mes excuses, une prochaine fois, d’accord ?


Reiko se faufila dans l’amphithéâtre, peu désireuse de s’étendre sur le sujet.


- Quelle drôle de fille, s’exclama Laura Schmidt à haute voix.


*** 


Bruce écarta brusquement les portes battantes afin que la poussette high-tech offerte par Warrius Zero et Marina Oki puisse se frayer un passage dans une pièce déjà bondée.


- Oh la voici ma mignonne ! Ma toute mignonne et gracieuse Sayuyuyu !

- Reinhart…, soupira le sniper.

- Je peux la prendre ?, demanda-t-elle en retirant les sangles qui stabilisaient l’enfant.

- Est-ce que j’ai le choix ?

- Absolument pas ! Viens là ma chérie. Dis bonjour à ta marraine adorée !

- Gato !

- Oh ! 


Le Commandant de l’unité Sirius coula une oeillade circulaire sur l’assemblée réunie dans la salle de vidéo-surveillance.


- Ils sont tous là, constata-t-il.

- En effet.


Guy Lawrence s’approcha, sa large carrure se ménageant aisément un chemin parmi la foule. 


- Désolée, elle est déjà prise, l’avertit Julia en raffermissant son étreinte autour du bébé qui babillait, ravi d’être le centre de l’attention.

- Mouche la, l’exhorta Bruce. Avant qu’elle ne repeigne ta veste.

- Ce n’est pas la spécialité de ta femme ça ?, se moqua Lawrence.

- Oh c’est marrant, tiens. Qui aurait cru que le Commandant du peloton Cepheus avait autant d’humour ?


Un léger sourire se dessina sur le visage du concerné.


- Elle a rejoint cette session, n’est-ce pas ?

- Ouais. Je pense qu’elle est prête. J’espère juste qu’elle ne perdra pas ses moyens. Qui sait quelle règle tordue ils vont nous pondre cette fois-ci ?

- Leur inventivité n’a de cesse de croître au fil des ans.

- Et leur cruauté, ajouta Bruce, morose.

- Ne vous en faites pas, elle a de la ressource.

- Julia a raison. Ses efforts vont certainement porter leurs fruits.

- Et tout ce beau monde…


Le parrain de Sayuri eut un rictus sarcastique.


- Oui Speed, ils sont là pour recruter et juger les compétences des aspirants de cette année.

- Et les débaucher.

- Hum. Si leur profil correspond et que la section en a la nécessité… Dans ce cas, ils peuvent adresser une requête à la Direction.

- Formidable, lâcha-t-il entre ses dents. Et qui est prioritaire ?

- Les unités en sous-effectif il me semble.


Les écrans clignotèrent, affichant les différents hangars de simulations, ainsi que les premières recrues qui attendaient en piétinant. 


- Le spectacle va débuter, annonça Lawrence.


***


Reiko Sakuramachi


- C’est Speed, grogna-t-elle en se levant malgré tout.


Laura Schmidt

Karim Al-Haddad, numéro quatorze.”


Les équipiers du jour se fixèrent en chien de faïence avant de se diriger comme un seul homme vers la salle qui leur avait été attribuée.

“Leur échec me fait gagner des points… Leurs erreurs me font gagner des points… Leur mort me fait gagner des points ! C’est malsain.”


- Speed, c’est ton nom de mariage ?

- Laura, c’est ça ?

- Oui ! 


Reiko dansa d’un pied sur l’autre, mal à l’aise.


- Hum, exactement.

- Ton mari… C’est pas un soldat de ton unité ?

- Hum.

- Le blond à l’air renfrogné ? Celui qui est devenu Commandant ?

- Oui celui-là même, répondit-elle en étouffant un petit rire.

- Il n’a pas l’air commode. Ah, mais je me souviens ! Je suis de la section Mizar. J’étais là le jour…

- Tu parles toujours autant ?

- Uniquement avec les personnes que je trouve intéressantes !


Le trio déboucha devant le volet de l’entrepôt ce qui, au grand soulagement de Reiko, mit un terme à leur conversation.


Démarrage du test dans dix, neuf, huit…”


La pilote fit le vide dans sa tête.

“Les choses sérieuses commencent enfin.”

Un éclair blanc et aveuglant illumina alors brièvement les lieux.

Lorsque les réverbérations se dissipèrent, elle la vit. 

La gare de Destiny.

Foisonnante de voyageurs de tous âges et de toutes nationalités.

“Pas dans un train… La menace peut donc venir de n’importe où. Ces exercices sont ceux que je déteste le plus.”


- On se sépare ?, proposa Salim. Après tout, on a beau être ensemble, c’est chacun pour soi, non ?

- Ça me va, approuva Laura.

- Ce n’est pas le protocole, les morigéna Reiko. On devrait…

- Les règles du jeu sont claires. Optimisons nos chances.

- Mais… Mais… 


Impuissante, elle observa ses partenaires emprunter une direction différente.


- Ce n’est pas ce qu’on m’a enseigné.


“Peut-être qu’ils n’ont pas tort… Peut-être que je dois faire mes preuves et me démarquer.”


- Où aller ? Précepte numéro un… “Prends de la hauteur et tu verras loin”. 


“Car il n’y a que de là que je pourrai déceler d’éventuels assaillants.”, songea-t-elle en dégainant son cosmo-gun.

Elle avisa la tour de l’horloge, située au sud-est de la gare et décida d’y monter.

Son badge lui permit de déverrouiller l’accès et elle enjamba les marches deux à deux.

Arrivée au sommet, elle ouvrit précautionneusement la porte.


- C’est désert.


Puis, elle s’embusqua derrière les fenêtres étroites.


- Si j’étais aussi bonne tireuse que Bruce, je pourrais dégommer mes ennemis directement depuis ce point de mire. Enfin… Tout ce que j’ai à faire dorénavant, c’est attendre.


“Même si ce n’est pas mon fort.”

Les trains allaient et venaient en poussant leurs sifflements si caractéristiques, les passagers récupéraient leurs lourdes valises, les contrôleurs donnaient le signal de départ des galaxy express… 


- La solution à un problème se trouve toujours dans le plus infime détail. Dans le plus infime…, se moralisa-t-elle en plissant les paupières.


***


- Elle se débrouille bien, grommela Bruce. Il ne faut pas qu’elle se relâche.

- “Prends de la hauteur et tu verras loin” ?

- Je lui ai assez répété. Elle a appris à écouter.

- Oha !, gloussa le bébé.

- Oui, Okaa-san, traduisit le sniper. Tu l’as vue sur l’écran, Yuyu ?


Guy Lawrence eut un sourire en coin tandis qu’il berçait Sayuri, qu’il était parvenu à arracher de l’emprise de Julia.


- Elle n’est pas la seule à avoir eu cette idée mais, contrairement aux autres, elle a essayé de privilégier le travail d’équipe.

- Les novices se font facilement leurrer. Comme prévu…


Le Commandant du peloton Cepheus acquiesça.


- Ils se sont laissés distraire par le système de points ?

- Comme si cela allait leur assurer une meilleure place, ricana Bruce.

- Ils sont jeunes et…

- Et idiots. Ce n’est pas le protocole, le coupa Julia. Maintenant, rends-moi la petite…


Son interlocuteur fit la sourde oreille et lui tourna sciemment le dos.


- Que va faire ta maman, à ton avis, ma chère Sayuri ?

- Pas trop d’impairs, j’espère, soupira son père.


***


- Je ne… Je ne vois rien de suspect. Pourquoi est-ce qu’il ne se passe rien ? C’est beaucoup plus… Beaucoup plus long que d’habitude. 


Ses yeux scrutèrent la station une fois de plus.

“Qu’est-ce que tu vois Reiko… ? Je veux dire, qu’est-ce que tu vois vraiment ?”

Lasse, elle reprit son activité statique, contemplant une femme à la longue chevelure rousse qui poussait un chariot rempli de malettes multicolores.


- Non…


Un couple de personnes âgées et leurs petits enfants en train de déguster des bentos sur un banc.


- Sans intérêt…


Un groupe d’amis, âgés d’une vingtaine d’années, patientant en bordure de quai et guettant l'atterrissage imminent d’un express.


- Ici non plus…


Puis, elle les remarqua.

Les quatre hommes qui allaient d’un bon pas dans la gare, d’allure confiante, vêtus de costumes-cravates.

Par réflexe, elle effleura sa joue, cherchant à activer son émetteur, avant de se souvenir qu’on ne leur en avait fourni aucun.


- Bordel de merde, s’exclama-t-elle en se redressant.


Après un dernier coup d'œil à travers l’ouverture exigüe, elle se précipita dans les escaliers.


- C’est un détail, certes… Mais ils n’en ont pas.


***


- … Des valises ou des attachés-cases. Pas mal, se réjouit Julia Reinhart.

- Bien vu, lança Guy Lawrence.

- Il lui a fallu combien de temps ?

- Vingt minutes, les renseigna le Commandant de l’unité Spica.

- Un peu long, nota Bruce. Le garçon les a repérés il y a cinq bonnes minutes et les a déjà pris en filature.

- Détends-toi, elle n’a rien fait d’éliminatoire, intervint le parrain de Sayuri.

- Ouais, j’imagine que je peux m’estimer heureux. 


***


Reiko déboula hors de la tour de l’horloge, le souffle court.

“À l’ouest… Près de la zone de restauration et des terrasses.”

Difficilement, elle se fraya un chemin au milieu de la rivière humaine, progressant à contre-courant, à l’instar d’un saumon remontant un cours d’eau.


- Plus vite… Plus vite…, maugréa-t-elle, le cœur battant à tout rompre.


Enfin, elle déboucha sur une large esplanade bordée de feuillus et d’aires aménagées pour les familles.


- Ils devraient être par là… Ils devraient être par là…

- Toi aussi tu les as vus, alors !


La pilote sursauta en posant une main sur sa poitrine.


- Laura !

- Je t’ai fait peur ?

- À ton avis ?

- Ils sont dans les alentours.

- Probable.


Elles avancèrent prudemment dans l’allée, lorgnant dans le moindre recoin et dans le plus petit renfoncement.


- Reiko, ils avaient l’air de préparer un sale coup, non ?

- Hum, c’est vrai.


Puis, sans crier gare, un éclair lumineux fila à travers le square et les filles se jetèrent au sol dans un ensemble presque parfait.

Reiko rampa à l’abri d’un arbre et Laura renversa une table pour se dissimuler derrière.


- Cachez-vous !, ordonna l’Officière radar. Dépêchez-vous ! Fuyez ! Ne restez pas là !


“Oh non… Un tireur… Je me suis améliorée mais je suis loin d’être assez précise pour l’abattre à cette distance.”

En effet, l’un des mercenaires s’était embusqué à l’angle d’un bâtiment de restauration rapide destiné aux voyageurs du Galaxy Railways.


- Ma fenêtre de tir… Elle est insuffisante !, pesta-t-elle.


Les rayons laser pleuvaient autour d’elle, entaillant l’écorce du chêne avec plus de facilité qu’une hache ou une tronçonneuse.

Du coin de l'œil, elle avisa alors Karim qui contournait l’esplanade pour prendre l’homme à revers. 

“Malin.”

Il s’approcha discrètement, masqué par la masse de passagers qui couraient en tous sens en poussant des hurlements terrorisés.

Puis, il tendit son cosmo-gun et shoota. Une seule fois.

Un faisceau rougeoyant perfora le front de leur assaillant qui tomba en arrière, en dehors du champ de vision de Reiko.

Circonspecte, cette dernière ne bougea pas, observant son équipier se diriger vers le cadavre fumant.


- Il l’a eu !, se récria Laura, dépitée. C’est un coup de chance, rien de plus.


Instinctivement, Reiko tourna la tête vers son interlocutrice, qui s’était relevée en époussetant son uniforme.

Son sang se glaça lorsqu’elle aperçut l’individu qui se tenait une vingtaine de mètres derrière elle.


- Baisse-toi !


Sans réfléchir, elle bondit en avant, survolant les trois mètres qui la séparait de sa partenaire du jour et la percuta de plein fouet.

Les deux femmes basculèrent sur le côté dans un entremêlement de jambes et de bras.

Puis, alors qu’elles allaient heurter le sol, un trait de feu lacéra le dos de Reiko, qui émit une plainte rauque en s’écrasant sur la terre meuble d’un jardinet.

Sans se laisser déstabiliser, Laura pivota d’une torsion du buste, arme au poing.

Le rayon qui fusa hors de son canon transperça le terroriste et un trou béant se dessina sur son ventre.

Moins d’une seconde plus tard, il s’écroulait, terrassé par la mort. 


- Hé ! Tu vas bien ?, s’affola l’Officière radar. Oh mon dieu… Je suis tellement désolée… J’ai manqué de vigilance…

- Les autres ?, balbutia sa coéquipière, en proie à une souffrance sans pareille.

- Ils se sont enfuis, les informa Karim. En direction des entrepôts.

- Tu peux marcher ?

- Ouais... La douleur a beau être simulée… Elle reste réelle.

- Pourquoi tu ne l’as pas abandonnée à son sort ?, demanda Karim. Son décès aurait augmenté notre jauge de points.


Aidée par son binôme, Reiko retrouva une position verticale en grimaçant.


- Oui… Pourquoi… Pourquoi tu as fait ça ? Tu aurais pu être éliminée ! Tu aurais pu… Perdre ton poste.

- Mais parce que… Parce que ce n’est pas ça la Space Defence Force !, se révolta-t-elle, la colère accrue par les ondes électriques qui labouraient sa peau.


Elle se détacha de Laura, excédée.


- Si sacrifier un camarade vous paraît acceptable… Pour “augmenter une jauge”, hé bien moi ça ne me convient pas !

- C’est le jeu, l’interrompit Karim. Ce n’est pas nous qui fixons les règles.

- Je m’en fiche. Je n’ai pas besoin de piétiner mes semblables pour prouver que j’ai ma place ici.


Elle s’adossa à un sapin, exténuée.


- Je n’ai jamais réussi une mission par mes seules forces. On travaille en équipe à la SDF et c’est en équipe qu’on aurait dû mener cette opération dès le début. Leur stratégie minable pour nous monter les uns contre les autres… C’est ridicule. On est quand même plus intelligents que ça, non ?


Laura hocha lentement la tête.


- Je crois… Je crois que tu n’as pas tort. On ne serait pas trop de trois pour les traquer dans les immenses hangars. Et surtout… Merci. Je ne sais pas… Je ne sais pas ce que je serais devenue si on m’avait renvoyée. Mes sœurs font toutes parties du peloton Mizar. Si par malheur je venais à échouer… Je les décevrais énormément.

- Nous n’échouerons pas, affirma la pilote. Pas si on coopère. Et leur barème ils peuvent se le mettre au cul. On finit la mission ensemble et on rentre à la maison ensemble. C’est ce qu’on m’a appris.

- Je… Je suis d’accord !


Le duo féminin reporta son attention sur Karim.


- Et toi ?, demanda Laura. T’en dis quoi ? T’es avec ou contre nous ?


***


- Dans…? Elle vient bien d’insinuer que la Direction pouvait se mettre son règlement dans… Dans… ?, bégaya Julia Reinhart.

- Insinuer ? Elle l’a plutôt attesté haut et fort. Ton influence sur Reiko est indéniable, Speed, fit remarquer Guy Lawrence.


Un silence interloqué s’était installé dans la pièce, uniquement troublé par quelques chuchotements sidérés.

Ignorant les dizaines de regards qui convergeaient vers lui, Bruce récupéra Sayuri des bras du Commandant de l’unité Cepheus et l’embrassa sur le nez. Le bébé gazouilla avec ravissement et un sourire étira les lèvres fines du sniper.


- Sois fière de ta maman parce que moi je le suis. C’est la femme la plus courageuse que j’ai rencontrée.


Il l’enveloppa dans une couverture avant de reprendre.


- Son éducation anarchiste a parfois de bons côtés, mais par-dessus tout…

- Elle a compris qui nous sommes et ce que nous faisons, termina Lawrence.

- Ouais.

- Je ne suis pas certaine que le Haut Commandement le voit de cette manière, argua Julia.

- Hé bien, il le devrait, rétorqua Bruce. Et si ce n’est pas le cas… Alors ce n’est pas mon épouse qui est dans l’erreur.


***


- On quadrille le secteur ?

- Hum, excellente idée.

- Ta blessure ?

- C’est superficiel, Laura. Je survivrai.

- Si tu le dis. Donc, le signal c’est le hululement de la chouette ?

- Le cri d’un piaf, peu importe lequel, répondit Karim.

- Les canards ça compte ?, questionna Reiko. Je ne connais que celui-là. On avait bien une sorte de vautour sur l’Arcadia, Tori-san, mais de là à l’imiter…

- T’as déjà vu des canards dans un entrepôt, toi ?

- Euh… Pas plus que des hiboux.


Reiko déploya son bras, paume contre terre.


- Il nous faut un nom de team.

- La constellation de “l’oiseau du paradis”... Son étoile la plus brillante est Apodis, proposa Laura en posant ses doigts sur ceux de sa partenaire.

- Va pour ça, alors !

- Vous êtes graves.

- Allez Karim, fais pas ton rabat-joie, l’encouragea l’Officière radar.


Le jeune homme s’exécuta avec lassitude et sa main recouvrit celles de ses collègues. 


- À la une, à la deux à l’Apodis !, clama la pilote.


Ils levèrent le coude en reproduisant du mieux possible un criaillement avien. Puis, ils s’enfilèrent tour à tour dans les hangars de stationnement des trains en latence ou en cours de réparation.


- Mais les oiseaux ne seront pas la proie. Pas aujourd’hui… Ou plutôt si, nous serons les oiseaux de proie. Des rapaces qui partent en chasse et qui vont débusquer du gibier !

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