A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 48 : Un pour tous...

4860 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 05/04/2024 19:14

Chap 48 : Un pour tous… 


Plaquée contre une locomotive, Reiko tâchait péniblement de se souvenir de tous les conseils prodigués par son peloton mais ceux-ci se mélangeaient dans son cerveau pour ne plus constituer qu’une bouillie informe.

“Ton instinct de survie a toujours été très sûr.”

Oui, Harlock le lui avait répété à maintes reprises. 


- Finalement… Il s’agit bien de la seule chose à laquelle je peux me fier.


Une fois les battements de son cœur calmés, elle retourna à ses investigations, aussi vigilante et professionnelle qu’elle pouvait l’être.


- Nous sommes trois. Ils sont deux. Si l’absence de communicateur est regrettable… Au moins nous coopérons, n’est-ce pas ?


Elle examina les alentours et n’avisa aucun danger immédiat. Elle sortit donc de son abri en progressant furtivement sur les quais étroits, tous ses sens aux aguets.

Alors qu’elle scrutait une aire de triage, accroupie derrière une console, un hululement perçant retentit.


- Ils se sont dévoilés, marmonna-t-elle entre ses dents.


Comme décidé plus tôt avec ses compagnons, elle se dirigea vers le cri avien en redoublant de précautions pour demeurer invisible.

Son dos parcouru d’élancements ne facilitait pas ses déplacements et elle avançait en faisant fi de la douleur fictive qui irradiait de sa peau.


- Comment font-ils pour que l’on ressente une telle souffrance sans être réellement blessé ?, maugréa-t-elle en s’affalant contre un wagon, situé en plein centre du hangar principal. 


Elle reprit son souffle avant de risquer un coup d'œil entre deux voitures.

“Et de un.”

L’un des hommes en costume tentait de forcer le panneau de la locomotive d’un train de marchandise immatriculé 632. Obnubilé par son ouvrage, il ne remarqua pas la jeune femme qui se coulait sur l’attelage, cosmo-gun en main.

Tandis qu’elle s’apprêtait à remonter le muret bordant les rails elle aperçut Laura, embusquée à l’arrière du wagon de queue de l’express que l'individu malintentionné essayait d’infiltrer. La pilote lui adressa une série rapide de signes avec les doigts, qu’elle parut comprendre. 

“Prendre en tenaille. Agir en même temps.”

Son acolyte hocha la tête.

Alors qu’elle empoignait le rebord, Reiko trébucha sur les cailloux qui parsemaient les voies du chemin de fer. 

Le voleur fit volte-face et elle dû se jeter au sol pour éviter le sort peu envieux de passoire humaine.

Les rayons laser volèrent au-dessus de son crâne et elle roula sous un essieu en pestant.

Son adversaire bondit dans la fosse pour l’achever mais Reiko fut la plus diligente. Elle s’extraya de l’autre côté du train et se hissa sur le quai le plus proche, se dissimulant derrière une épaisse colonne.Depuis cette cachette de fortune, elle ouvrit le feu, ce qui obligea son ennemi à se replier entre les voitures.


- Putain, je suis nulle… Nulle… Nulle !


Elle vida son chargeur sans jamais toucher sa cible.

Cible qui s’était de nouveau évanouie dans la nature.

Blasée, elle baissa le canon de son pistolet.


- Bon… On reprend les mêmes et on recommence.


***


- Respire Speed.


Bruce expira en prenant appui sur une paroi.


- Ouais. Ce n’est pas passé loin.

- La partie n’est pas encore perdue.

- Je sais, Lawrence, mais si tu étais à ma place, je te garantis…

- Ne t’inquiète pas, intervint Julia. Elle a eu un excellent réflexe en instaurant ce stratagème. Sa prochaine tentative fonctionnera.

- Oha ! Oha !


Le sniper posa le nourrisson contre son épaule et lui tapota le dos, tout en continuant de faire les cents pas dans la pièce de video-surveillance.


- Oui, Okaa-san mon ange. Okaa-san sera bientôt de retour.


Sayuri émit une plainte aigüe qui se transforma en un torrent de pleurs sonores.


- Je peux m’en occuper, proposa le Commandant de la section Spica. 

- Pas la peine. C’est ma fille, je gère.


Il se détourna pour juguler l’agressivité engendrée par le stress.

“Je dois lui faire confiance, elle est prête. Elle s’est entraînée, s’est améliorée et est devenue un véritable agent de la SDF. J’y ai veillé. Elle va y arriver.”


- Yuyu… C’est bon Yuyu, ça va aller… Promis… Promis, ça va aller.


***


Reiko dérapa dans un virage et reprit sa course effrénée en poussant un sifflement qui imitait tant bien que mal le cri d’un oiseau de proie.

“Je t’ai retrouvé !”

Toutefois, elle n’eut pas l’occasion de savourer sa victoire car elle dû se jeter sur le côté pour esquiver un trait rougeoyant. Déterminée, elle tenta un tir qui n’eut cependant pas l’effet escompté.

Karim déboula alors dans l’allée après un bond acrobatique depuis le sommet d’un wagon.


- Ici !, s’époumona-t-elle.


Bien meilleur tireur que sa collègue, le militaire perfora le bras de l’homme en costume. 

La pilote voulut faire de même mais n’en eut pas l’opportunité car le second mercenaire pénétra dans son champ de vision sur un quai parallèle à celui qu’elle arpentait.

Elle effectua un freinage d’urgence en pliant son genou droit et en étendant sa jambe gauche. 


- Space Defence Force, Speed, arrêtez-vous !


L’individu fit la sourde oreille et Reiko n’eut pas d’autre choix que de sauter sur le quai pour le poursuivre.


- Ne bougez pas ! Rendez-vous !


Comme on pouvait s’y attendre, celui-ci refusa d’obtempérer.

C’est alors que Laura surgit face à lui et le mit en joue.

Pressentant qu’il allait être pris en tenaille par le binôme féminin, il s’enfila par-dessus un attelage en se baissant pour éviter les faisceaux laser.


- J’y vais ! Rejoins Karim ! 

- Okay, fais attention !

- Oui !


Reiko le prit en chasse, résolue à ne pas se faire piéger une deuxième fois.

Elle le repéra à l’instant où il achevait de briser le blindage de l’un des trains de combat de la SDF. Sans subtilité, puisqu’il canardait le mécanisme d’ouverture avec son arme, montrant ainsi qu’il ne cherchait plus à être discret.


- N’entrez pas là dedans !


Le vantail claqua au nez de la jeune femme qui entreprit à son tour de s’insinuer dans l’express.


- Putain, c’est bloqué ! Putain !


Elle recula et visa la serrure à plusieurs reprises.

Puis, avec un coup de pied bien placé, elle défonça le panneau en métal. 


- N’espère pas le démarrer, grogna-t-elle.


En appliquant toutes les techniques de vérification qu’on lui avait enseignées, elle se dépêcha de gagner la locomotive et, alors qu’elle atteignait enfin le wagon attenant à celle-ci, une voix forte la héla.


- Si tu fais un pas de plus, je le bute.


Reiko lança une brève œillade à travers la vitre et nota avec stupeur que l’homme tenait en joue un mécanicien.

“Oh non, les prises d’otages c’est coton.”

Elle prit une profonde inspiration avant de répondre.

“Première étape, la négociation.”


- Laissez le partir. Vous êtes cernés et vous n’avez aucun espoir de vous enfuir. N’aggravez pas votre cas.

- Boucle-la ! C’est moi qui décide. Ouvre la porte et balance ton pistolet. Au moindre geste suspect, je le descends, c’est clair ?

- Oui, très clair, lâcha-t-elle.


“Seconde étape, la collaboration.”


- Je vous l’envoie, l’avertit-elle en s’exécutant.


Le cosmo-gun glissa jusqu’au mercenaire qui le ramassa promptement.


- Maintenant, tu avances. Doucement. Les doigts bien en évidence.

- Compris.


Sans protester, elle s’approcha avec prudence.


- J’ai fait ce que vous m’avez demandé.


Elle obligea sa voix à demeurer ferme malgré l’angoisse qui la rongeait.


- Deux otages vous handicaperont. Je vous aiderai à activer les systèmes et la machinerie mais uniquement si vous le libérez.

- Je crois plutôt que je vais vous garder tous les deux pour te contraindre à obéir.

- Surveiller deux personnes est plus difficile. Si je suis seule, vous divisez les risques.


Il réfléchit quelques minutes avant d’acquiescer.


- Si tu tentes quoi que ce soit, je te troue la peau.

- À votre guise.


Il déverrouilla un vantail à proximité, happa le mécanicien terrorisé par son bleu de travail et l’éjecta sans ménagement par-dessus bord.


- Viens. Les mains sur la tête. Passe devant.

- Oui. 


Reiko ouvrit la marche, soulagée que l’otage ne soit plus à l’intérieur.

“Troisième étape, la diversion.”

Ils débouchèrent dans la locomotive et elle sentit le canon d’une arme s’enfoncer dans le bas de ses hanches.


- Vas-y, démarre le.

- D’accord.


Fébrile, elle s’attela à connecter le circuit principal et à lever les soupapes de sécurité. Puis, lorsqu’elle eut terminé ces manipulations, elle enclencha la chaudière interne et le moteur.


- On peut décoller ?

- Oui, je nous oriente vers les rampes de lancement, répondit-elle en actionnant le levier directionnel.

- Pas d’entourloupe, vu ?

- Bien reçu, marmonna-t-elle.


“Comment faire diversion ? Comment ?”

Le train prit de la vitesse et des alarmes résonnèrent dans l’habitacle.


“Ce décollage n’est pas autorisé. Je répète : express Phoenix, le décollage n’est pas autorisé.”


- On s’en fout, continue !

- Ils vont nous abattre, déclara-t-elle de but en blanc.

- Quoi ?

- Ils vont faire exploser cet engin avant qu’on n’ait quitté l’atmosphère de Destiny !, bluffa-t-elle, à court d’idées.


Furieux, le mercenaire agrippa la jeune femme par le col, en l’astreignant à pivoter sur ses hanches. Elle se retrouva face à lui, un cosmo-gun pointé sur le front.


- Préviens les que tu es ici !

- Ça ne changera rien ! On mourra tous les deux !

- Mensonge !, vociféra-t-il en postillonnant et en rapprochant son visage à quelques centimètres de celui de la pilote.


Visiblement paniqué par la perspective d’une mort subite, l’homme détacha le canon des tempes de son otage, qui en profita pour attraper son avant-bras droit et pour le tordre de façon à ce qu’il soit dans l’impossibilité de résister.

Elle l’entraîna ensuite au sol tandis qu’il appuyait sur la détente.

Un rayon brûlant frôla la poitrine de la militaire, qui accentua sa prise, l’incitant ainsi à lâcher son arme pour se soustraire à la souffrance cuisante qu’elle lui infligeait.

“Quatrième étape, l’arrestation.”


- Dans la rue, j’ai vu mille fois pire que toi, asséna-t-elle à l’instant où un râle de douleur jaillissait de la gorge du terroriste.


Aidée de son pied droit, elle éloigna le pistolet qui gisait à terre et, avec sa main gauche, empoigna celui qui pendait à la ceinture de son ennemi.

Elle le brandit sous son nez, victorieuse.


- C’est fini.


Soudain, un éclair laiteux et lumineux traversa la voiture, provoquant sa lente dislocation dans une nuée irisée, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que Reiko et son adversaire.

Puis, cette dernière ressentit un grand vide quand il se dissipa à son tour.

“Est-ce que… Est-ce que la simulation…”

Brièvement aveuglée par l’éclairage du plafond, ses cils papillonnèrent.

Enfin, elle reconnut l’immense hangar aux murs blafards.


- Reiko !

- Laura ?

- Tu l’as eu !

- Vous aussi ?

- Évidemment !


Les deux femmes tombèrent dans les bras l’une de l’autre, survoltées.


- On a réussi ! C’est qui les meilleurs ?

- C’est nous !

- C’est qui les meilleurs ?, réitéra Laura.

- C’est nous !

- À la une, à la deux…

- À l’Apodis !


Karim les regarda faire avec amusement.


- Ouais, c’était pas mal. Vraiment pas mal !


***


Bruce s’affala dans un fauteuil en raffermissant son étreinte autour du nourrisson agité.

Lorsque le trait laser avait effleuré le ventre de Reiko, il avait cru faire une syncope mais, contre toute attente, la situation avait semblé être sous contrôle.

Peu après, une sirène s’échappa des hauts-parleurs, annonçant la fin de l’épreuve.


- Tu respires plus librement ?, l’interrogea Guy Lawrence.

- Ouais, on peut dire ça. Elle a respecté toutes les étapes et a pu mettre hors d’état de nuire un assaillant sur les quatre que comptait la simulation. C’est déjà bien.

- Plus que bien.

- Ses tirs sont toujours aussi calamiteux mais je crois que ça ce sera compliqué d’y remédier.

- Elle a utilisé son atout, le combat au corps à corps.

- Hum, pas sûr qu’elle s’en sorte de cette manière à chaque fois.

- Aie confiance.

- Hum.


Sayuri sanglota et il la berça en lui murmurant des paroles apaisantes.


- Sa mère lui manque et ça ne fait qu’un jour.

- À toi aussi ?


Le sniper eut un sourire mélancolique.


- À ton avis ?


***


Parvenue dans le dortoir qu’elle partageait avec Laura, Reiko s’effondra, épuisée.

“Quelle journée… Cet exercice était aussi, voire plus éreintant, que tous ceux auxquels Bruce m’a soumise. Bruce… J’espère qu’il se débrouille avec…”


- Sayuri…, chuchota-t-elle en se figurant le portrait de sa petite fille. 

- C’est qui ?


La jeune femme soupira en tournant le dos à son amie.


- Mon bébé, bougonna-t-elle.

- Oh. Oh !


Laura se pencha au-dessus de la pilote.


- C’est ce que je voulais te dire tout à l’heure. J’étais là quand elle est née. Mon peloton a remplacé le tien sur Jupiter.

- Ah oui… C’est vrai que Bruce était affecté sur la Voie Lactée à cause… D’une pluie de météorites qui menaçait la planète et ses satellites.

- Tu aurais dû voir sa tronche quand on lui a appris la nouvelle ! On aurait dit que le ciel venait de lui tomber sur la tête !

- Je n’imagine que trop bien, répondit-elle en baillant.


L’Officière radar s’étira, tout aussi exténuée.


- Demain on attaque le deuxième jour de cette session d’examen. Peut-être qu’on sera encore ensemble, qui sait ?

- Qui… Sait ?, balbutia Reiko en fermant les yeux, incapable de lutter plus longtemps contre le sommeil.


*** 


- Paré pour une autre unité ?

- Vu que Sayu a dormi moins de cinq heures cette nuit, j’irais pas jusque là, Manabu.

- Aujourd’hui ça se passe en plein air ! On peut tous y assister. J’ai l’impression que la moitié des membres de la SDF sont postés à leurs fenêtres. Enfin tous ceux qui n’ont pas été appelés.

- Quelle chance, grommela le sniper en prenant place devant l’une des baies vitrées.

- Au vu de ce qui a été installé…

- Ouais, ça risque d’être plus compliqué qu’hier.


Bruce dégaina un biberon d’un large sac rose, en maintenant tant bien que mal sa fille contre son torse.


- C’est bon Yuyu, ça arrive.

- Tu crois qu’elle va s’en tirer ?

- Pas le choix, Yuuki. Si elle ne le termine pas, c’est l’élimination définitive.


*** 


- Oh non… Oh non…


Avec horreur, Reiko scruta les différents obstacles qui constituaient le parcours du combattant.

“Huit, neuf… Dix… Et ils ont mis une corde… Je galère toujours autant à grimper et je ne finis jamais dans les temps… Je suis foutue. Foutue !”


- Inutile de vous rappeler, commença l’administratrice, que si vous n’achevez pas l’épreuve avant la fin du chronomètre vous serez déclaré forfait. Votre note dépend de votre classement. Plus vous êtes haut dans celui-ci, plus vous marquez de points. Aussi simplement que ça.

- Hé ça va, Reiko ? T’as pas l’air bien, la questionna Laura.

- Je… Je… Tout ça, expliqua-t-elle en traçant un rond dans le vide, ce n’est pas… Mon point fort.


“J’aurais dû insister sur le sport comme Bruce me l’avait conseillé. Je suis trop balourde et maladroite… Ça va être un enfer.”


- Postulants, sur la ligne de départ.


La pilote s’exécuta, fiévreuse.

“Okay, fais de ton mieux et tu n’auras pas de regret et ce, peu importe le résultat…”


- Trois… Deux… Un, partez !


Un sifflement retentit et tous les candidats s’élancèrent pour s’attaquer au premier agrès.

Reiko se jeta sous un filet et, à l’image de ses collègues, rampa dans la boue sur une douzaine de mètres.

Lorsqu’elle parvint enfin à s’extraire de la mare de vase, elle soufflait déjà comme un bœuf.

La démarche pesante, elle se dirigea vers le second obstacle, des anneaux suspendus à une échelle.

Alors qu’elle atteignait le centre de celle-ci, ses doigts ripèrent autour d’un cercle en acier et elle se retrouva le nez dans la fange, légèrement sonnée.

Elle se releva en titubant et retourna derrière les aspirants qui avaient échoué à cette étape.


- Allez, tu peux le faire. Tu peux le faire, s’admonesta-t-elle en essuyant la terre de son visage.


***


- Reiko ! Du nerf, bordel de merde !


Sayuri blottie dans son pull, le Commandant de la section Sirius asséna un coup contre la fenêtre, qui déclencha les pleurs du nourrisson.

Complètement stressé par le déroulement de cette unité, il ne tenait plus en place.


- N’abandonne pas ! Bats-toi ! Montre leur ce que tu as dans le ventre !, tonitrua-t-il, sans se préoccuper des regards ébahis des autres agents de la Space Defence Force.


Il observa son épouse franchir avec peine les anneaux et, alors qu’elle entamait le troisième obstacle, il sut qu’elle était à bout.

Ses membres tremblaient, ses gestes n’étaient pas sûrs et ses mouvements, saccadés.

En bref, il était impossible qu’elle termine le parcours par ses propres moyens. Et, pour ne rien arranger, la pluie fit une entrée fracassante, trempant les cadets jusqu’aux os.


- Ce n’est pas en hurlant de la sorte que vous allez aider qui que ce soit. Pauvre petite, vous lui faites peur !


Il fit volte face, ulcéré.

Une femme d’âge mur se précipita alors vers lui et lui ôta le bébé larmoyant des bras.


- Kanna ?


Manabu, dont Bruce n’avait pas remarqué l’absence, les rejoignit, un sourire taquin sur les lèvres.


- Qui d’autre ? Je n’allais pas manquer cet événement crucial. Phantom m’a prévenu, de même que cet étrange militaire qui était au mariage.

- Wa… Warrius ?, bégaya le sniper.

- Exactement, il était déçu de ne pas pouvoir venir en personne, signifia-t-elle en berçant Sayuri. Et donc ? Comment ça se passe ?

- Pas bien.


Il reporta son attention sur le patio en contrebas et nota avec dépit que sa femme faisait partie des quinze derniers postulants.


- Et le pire est encore devant elle.


*** 


“Je n’y arriverai pas, c’est une certitude.”

Du moins, pas avant que le chronomètre n’achève son décompte.

Péniblement, elle venait de traverser un entrelacs de bambous et de branches en tout genre.

Laborieusement, elle maintenait sa position parmi les derniers en lice.

Et elle lui faisait à présent face. 


- La corde…


Reiko recula, prit de l’élan et sauta aussi haut que ses ultimes ressources le lui permettaient. Elle réussit à hisser son poids sur près de deux mètres avant de commencer à glisser dangereusement.


- Non… Non…


Elle savait pertinemment que si elle touchait le sol, elle ne parviendrait plus à remonter. Avec l’énergie du désespoir, elle fit de son mieux pour grignoter quelques centimètres mais ses phalanges tremblotantes perdaient du terrain.


- Je ne veux pas tout rater… Non, je ne veux pas…


Elle puisa dans toute sa hargne et dans toute sa volonté pour gagner un autre mètre et, enfin, elle entrevit le sommet.

Si proche et si éloigné.

Trop éloigné pour qu’elle n’envisage ne serait-ce que de l’effleurer.

Puis, au moment où elle s’apprêtait à bondir dans sa direction, sa main gauche lâcha et elle perdit le mètre durement remporté.

Tandis qu’elle entravait sa chute, un gémissement rauque s’échappa de sa bouche

Et c’est à cet instant précis qu’elle comprit.

“Je vais être éliminée, rattrapée par mon manque de préparation et mes faiblesses.”

Alors que tout espoir semblait s’être évanoui, que des larmes impuissantes inondaient ses yeux et que son auto-mail crissait de façon inquiétante, des doigts frêles entourèrent son poignet de métal.

Elle leva la tête en hoquetant de surprise.


- Lau…

- Allez Reiko !

- Mais pour…

- Pousse sur tes jambes ! Dépêche-toi, on n’a plus beaucoup de temps !

- Oui… Oui !, grogna-t-elle.


Une force qu’elle n’aurait pas cru posséder lui donna un violent coup de pied au derrière.

Sous l’impulsion de l’Officière radar, elle avala plusieurs coudées de cordes.


- Encore !

- Je….


Sa prothèse, qui ne tolérait pas l’humidité, entreprit cette fois de ne plus répondre à ses sollicitations.


- C’est pas vrai !, s’énerva la pilote, dont les muscles tétanisaient.

- Je t’en prie !

- C’est foutu. Vas-y sans moi. Ne gâche pas ta chance !

- Non ! Tu m’as secourue ! Je veux faire pareil !, sanglota Laura.

- Va-t-en !


Une tête chevelue apparut alors aux côtés de la jeune fille.


- Je vois que vous ne pouvez rien faire sans moi !

- Ka… Kar…


Une forte poigne saisit son avant-bras gauche et la hissa en haut du promontoire.

En sécurité.

Haletante, les membres endoloris, Reiko reprenait son souffle.


- T’es… T’es revenu ?

- Ouais, j’allais pas laisser tomber ma team. L’Apotruc ou quel que soit le nom que vous avez choisi. On a du retard. Bougez-vous !

- Oui !, s’exclamèrent-elles en cœur. 


Main dans la main, les compagnons se lancèrent à l’assaut du prochain obstacle.

Étonnamment, le reste de l’épreuve se déroula aisément.

Les trois candidats s’encourageaient, se tiraient vers l’avant, s’entraidaient mutuellement si bien que le passage des agrès suivants ne fut plus qu’une formalité.

Reiko retint Karim qui menaçait de chuter d’une poutre.

Karim fit la courte échelle à Laura afin qu’elle atteigne le sommet d’une barricade.

Laura désemmêla l’auto-mail de Reiko qui s’était coincé dans un filet. 

Et, en récompense de leurs efforts, ils l’aperçurent.


- La ligne d’arrivée !

Dix, neuf, huit…



Sans se concerter, ils se propulsèrent et roulèrent au-delà des plots marquant la fin de la course.

Le chronomètre bipa au moment où ils s’étalaient dans la boue.

Bons derniers.

La pluie s’abattit sur la peau de la militaire, nettoyant la terre qui recouvrait ses pores.

Puis, elle ferma les paupières, harassée.

Mais soulagée.


*** 


- C’est fini, Bruce, murmura Kanna d’une voix douce.


Le sniper garda le silence, les yeux mi-clos et la nuque renversée contre le dossier du banc.

Terrassé par l’angoisse.


- Ils ont franchi la ligne d’arrivée, c’est tout ce qui importe, intervint Manabu.

- Ils n’ont pas respecté les règles, gronda le Commandant.

- Et alors ? Rien ne spécifiait qu’ils n’avaient pas le droit de travailler ensemble ! Je me trompe ?

- Ce n’est pas ainsi que ça fonctionne, Kanna.

- Et qui le dit ?


Bruce se redressa, désœuvré.


- Moi.


Ébranlé, il récupéra Sayuri de l’étreinte de la mère de Manabu, jeta le sac à langer sur ses épaules et quitta la coursive donnant sur le terrain d’entraînement à l’instant où les aspirants vidaient les lieux.


- Je ne sais pas quoi en penser, Yuyu. Sans doute devrais-je me réjouir qu’elle soit encore dans la compétition. Mais j’ai eu peur. Putain… Ce que j’ai flippé.

- Oha !

- Oui Okaa-san. On la retrouvera demain soir, bébé.

- Gato ?

- Si tu veux, soupira-t-il, amusé.


***


- Qu’est-ce que tu fabriques ?

- Je calibre mes articulations.

- Tu es sacrément préparée !

- Mon auto-mail n’apprécie pas l’eau et j’ai trop forcé dessus. Ce combo ne fait pas bon ménage.


Laura s’installa en tailleur sur le couchage de son amie, l’observant jouer du tournevis sur sa prothèse en titane.


- Tu n’aurais pas dû revenir pour moi. Tu as peut-être ruiné tes chances, se désola Reiko d’une voix morne.

- T’aurais agi pareil

- Je ne suis pas futée.

- On n’a qu’à dire que je ne le suis pas non plus.

- Laura… Tu as beaucoup à perdre.

- Toi aussi, mais on est une équipe et abandonner un camarade pour augmenter sa jauge de points n’est pas une solution acceptable, hein ?

- Hum.


L’Officière radar s’allongea sur le ventre, mutine.


- Comment ta main a-t-elle été coupée ?

- Pas envie d’en parler.

- D’accord. 


Elle pivota et positionna ses orteils de pieds contre le sommier du lit superposé.


- Tu sais qui j’ai vu à travers les fenêtres ?, l’interrogea-t-elle en changeant de sujet.

- Qui ?, demanda Reiko en levant les yeux au ciel.

- Ton mari et ta fille.


La pilote s’immobilisa, sa pince figée dans les airs.


- Bruce et Sayuri ?

- Oui.

- Je vois.

- Il paraissait mort d’inquiétude pour toi.

- Je l’ai probablement énormément déçu. 


Sa compagne de chambre sembla surprise.


- Pourquoi ?

- Je n’ai pas réussi par mes propres moyens.

- Tu as toi-même dit qu’on ne réalisait aucune mission par notre seule force.

- Oui, je l’ai dit, en effet, mais comme tu le sais, je ne suis pas très maligne.


La porte du dortoir s’entrouvrit, dévoilant les traits de Karim.


- Je peux entrer ?

- On ne t’a pas appris à toquer ?, le rabroua Laura.

- On ne t’a pas appris à être aimable ?

- Viens, l’invita Reiko. Qu’est-ce qui t’amène ?


Le jeune homme s’assit sur le matelas en face des deux femmes.


- Rude journée, hein ?

- Oui, je ne te remercierai jamais assez de ton aide.

- Pas de problème, Koko mais j’aurais fait un bien meilleur score sans vous.

- Hé ! On t’a pas obligé à faire demi-tour !

- Je plaisante. T’as pas d’humour, Lau’.


La team Apodis se tut, soudainement préoccupée.


- Demain…

- Au moins on sera ensemble, pas vrai ?


Reiko posa son menton entre ses genoux.


- Ils vont évaluer notre potentiel dans nos domaines respectifs. 

- On n’aura qu’à leur prouver qu’on est compétents. Toi, t’es une pilote audacieuse, moi je suis l’artilleur le plus talentueux que le peloton Cygnus n’ait jamais connu et toi… Ben toi t’auras qu’à faire ce que tu peux.

- Hé ! C’est pas sympa ça !, s’offusqua Laura en lui pinçant les côtes.

- Aie ! T’es malade ma parole !

- Ce n’est pas un hasard.


Les deux amis cessèrent leurs chamailleries.


- Comment ça ?

- Ils vont nous tester et je crois que nous sommes loin d’imaginer ce qu’ils nous réservent.

- On leur montrera de quoi on est capables !, s’exalta l’Officière Radar.

- La chouette a raison.

- La chouette ?

- Ouais, toi et tes hululements bizarres là.

- Tu vas voir ce que tu vas voir !, s’exaspéra-t-elle en lui enfonçant un doigt dans l’abdomen.

- Hé !


La bonne humeur de Laura et de Karim tranquillisa Reiko, qui tendit son bras, apaisée.


- À la une, à la deux…

- À l’Apodis !

Laisser un commentaire ?