Le Clan Dolores : plume et aiguille

Chapitre 2 : Chapitre 2 : Dans la peau

2835 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 26/03/2017 19:22

"Armin Galienne, l'homme qui murmurait à l'oreille des disques durs, lançai-je éberluée.


J'avais invité les jumeaux au loft pour les aider à améliorer leurs piètres performances littéraires. Dès qu'Armin avait vu mon PC, il s'était précipité dessus. En un laps de temps qui m'aurait tout juste permis de changer de fond d'écran, il avait viré un cheval de troie, boosté ma connexion, installé de nouvelles mises à jour et rendu internet plus rapide que jamais.


- Qu'est-ce que je ferais pas pour Rick Genest ? me répondit-il.

- Lara Croft, Kat Von D, et maintenant Rick Genest ?


Deux jours plus tôt, son frère et lui m'avaient accompagnée chez le tatoueur. Bon, je l'avoue, j'étais censée ajouter UN SEUL tatouage à ma "collection"... et je suis ressortie avec des fils barbelés autour de ma cheville, une rose noire à l'arrière de mon bras et des petits pistolets au niveau des clavicules. En voyant l'aiguille entrer dans mon épiderme, Alexy avait failli tomber dans les pommes. Armin m'avait alors baptisée sous tous les noms de personnalités tatouées. 


- Et puis lâche cet écran deux minutes, lui lançai-je. Ton frère et toi vous avez besoin d'une bonne remise à niveau en ce qui concerne la rédaction des dissert'.

- Pffff... t'es plus marrante quand t'es défoncée. 


J'avais vidé quasiment tout mon pochon de beuh le matin de la rentrée.


- Je connais des dealers ici, si tu veux. 

- Ça ira, assurai-je. Faut que j'arrête avec cette merde.

- Je sais pas comment tu fais."


Moi non plus Armin, moi non plus...



***



Le lendemain, retour au lycée. Youpi.

J'avais très mal dormi et j'étais de mauvaise humeur, ce qui me donnait plus que jamais la flemme de faire EPS. D'ailleurs, pourquoi on nous impose ces deux heures hebdomadaires? Comment elles font, les larves sportives comme moi? Et puis si au moins on nous proposait des sports intéressants... Franchement, je serais beaucoup mieux sous ma couette.

Qu'est ce que je m'ennuie, en plus. Je préfère encore les cours d'histoire chiants de Faraize. Ils pourraient pas mettre cette pseudo-matière en option, au lieu d'obliger tous les élèves à..


"KRUGER ! Bouge toi, un peu ! T'es sur un terrain de volley, pas dans ton lit ! " hurla ma prof de sport.


Je levai un sourcil dédaigneux à l'attention de cette vieille aigrie qui, j'en étais sûre, cachait un pénis sous son vieux jogging troué.

La balle fut lancée dans ma direction. Je la suivis du regard sans bouger.


- Bah quoi ? Notre gouvernement de sadiques m'oblige à être ici, mais pas à être performante, répondis-je aux regards assassins que mes co-équipiers me jetaient.


Parmi eux, Nathaniel. Celui-ci ne m'avait plus reparlé depuis qu'il avait vu mes tatouages. Il faudrait que j'aie une petite discussion avec lui, histoire de lui expliquer que ce n'étaient pas les marques d'une maladie mortellement contagieuse que j'avais sur le corps.

En revanche, un mec aux cheveux rouges du nom singulier de Castiel m'avait fait quelques compliments là-dessus, avec beaucoup de sarcasme et de cynisme, mais ça ressemblait à des compliments. D'après Alexy, ce serait un exploit : il n'adresserait jamais la parole spontanément à qui que ce soit, sauf à son ami aux cheveux blancs, celui dont Alex et moi mations les fesses le jour de ma rentrée. Où était-il, d'ailleurs, celui-là ? C'était le seul garçon de la classe que je n'avais pas vu sur le terrain. Et il me fallait une distraction oculaire. Je le cherchai du regard à travers le gymnase.


Soudain, le ballon me frappa de plein fouet. Je compris à son sourire satisfait que c'était la bimbo blonde qui me l'avait lancé dessus. Ah, elle voulait jouer à la balle aux prisonniers ? Très bien. 

Je chopai la balle avant de la lui balancer à la gueule. Elle fit exprès de tomber par terre en pleurnichant, c'était carrément surjoué, mais je semblais être la seule a l'avoir remarqué. 


- Qu'est-ce que t'as fait à ma sœur ?! m'engueula Nathaniel d'une voix aigue qui me fit pouffer de rire.


Eh mais attendez... sa sœur ?


- Oups, ça m'a échappé, gazouillai-je.


Cela n'avait pas suffi pour convaincre mon travelo de prof qui s'empressa de me virer :


- Kruger, dehors !


Mes yeux se mirent à pétiller.


- Vraiment ?

- J'ai l'air de plaisanter ?! grogna la prof."


Privée d'EPS, Dieu existait donc bel et bien. Je lancerai des choses sur les pimbêches peroxydées plus souvent.



***

La météo à Sweet Amoris était vraiment bizarre. Après la canicule de la semaine précédente, il faisait aussi froid que dans un goulag. Je décidai donc de squatter les vestiaires au lieu de me geler les miches dehors. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque je trouvai le garçon aux yeux vairons assis à un banc du vestiaire des filles. Il écrivait dans un bloc-notes qu'il s'empressa de fermer dès qu'il me vit.


"Salut, lui dis-je. Qu'est ce que tu fais ici?

- Je suis dispensé à cause de mon dos, et je viens ici parce qu'il fait vraiment trop froid dehors.

- Pourquoi dans les vestiaires des filles?

- Ceux des garçons sentent les entrailles de poisson"


Je lui répondis par une grimace compatissante avant de m'asseoir à ses côtés. Il portait un perfecto en daim noir absolument sublime, et une chemise bleue canard avec des fleurs de Lys ton-sur-ton qu'il avait boutonnée jusqu'en haut. Il avait glissé sous le col une chaîne de laquelle pendait un camée noir et blanc de style victorien. Un chapeau noir à larges bords était posé à l'arrière de son crâne, et quelques mèches de ses cheveux ivoires, dont les pointes étaient noires, tombaient sur le côté gauche de son visage. Je distinguai entre elles les lobes de ses oreilles : il avait des plugs en bois foncé qui devaient faire au moins vingt ou trente millimètres de diamètre. Il avait vraiment du style.


"Moi, j'ai été virée de cours pour avoir assommé la sœur de Nathaniel avec le ballon.


Il eu un léger sourire. 

Sa soeur... La seule chose qu'ils avaient en commun, c'était la couleur de leurs cheveux.


- Oh, j'espère que je te dérange pas, tu écrivais quelque chose je crois.

- Ne t'inquiète pas pour ça, répondit-il en rangeant son bloc-notes dans sa poche.


Il changea vite de sujet, comme s'il avait peur que je m'attarde là-dessus.


- Castiel m'a parlé de toi il me semble.

- Plutôt de mes tatouages, non ?

- Oui je l'avoue, tu as un admirateur en tout cas. Je ne me suis même pas présenté, je m'appelle Lysandre.


Original. Ça faisait plaisir de rencontrer un mec avec des écarteurs et un chapeau. Ça me rappellait mon chez-moi.


- Et moi, Aurore.

- Je sais"


Je commençais a en avoir assez qu'on me réponde ça.


Nous avions un peu discuté (j'avais du mal à me concentrer tellement je beuguais sur ses yeux), puis nous entendîmes des bruits de pas en notre direction.


"Tu devrais partir avant que les filles ne se demandent ce que tu fais là.

- Bonne idée, répondit Lysandre en se levant.


Je sortis des vestiaires avec lui pour attendre les jumeaux dehors.


"Toi ! Tu m'as défigurée ! me hurla la blonde écervelée dès qu'elle me vit.

- Défigurée? Avec un ballon en mousse? lui lançai-je en ne levant même pas les yeux de mon smartphone.

- Laisse tomber, Ambre, viens plutôt te remaquiller, la conseilla sa copine asiatique.


Cette fille avait d'ailleurs constamment un rouge à lèvres entre les mains, comme s'il était greffé à elle. Ambre me jeta alors un regard noir, puis elle partit se peinturlurer le visage alors qu'elle portait déjà plus de maquillage qu'un catin du XIXe.


Brrr... il fait froid. Qu'est ce qu'ils foutent, les jumeaux? Je tuerais pour avoir mis une veste.


C'est qui cette bombasse avec de longs cheveux blancs qui avance vers moi en souriant ? Je regardai derrière moi pour vérifier qu'elle ne s'adressait pas à quelqu'un d'autre.


"Salut ! me dit-elle avec entrain.


Ah, non.


- Euh, salut, répondis-je.

- Tu t'appelles bien Aurore ? Moi c'est Rosalya. Tu pourrais me rendre un service ? J'aurais besoin d'un conseil par rapport à un tatouage.


Génial, j'étais devenue le guide touristique des vierges de l'encre...


- Tu veux t'en faire faire un ? demandai-je machinalement. C'est le premier ?

- Oui, répondit-elle. Je sais déjà quoi, mais j'ai aucune idée de l'endroit... par rapport à la douleur et tout ça.

- Ah. C'est une grosse pièce ?


Elle écarquilla ses yeux dorés.


- Heu, en fait je veux juste une plume.


Pas très original, mais au moins cela ne comportait ni "YOLO" ni "Only God can judge me".


- Hum... la cheville, j'ai presque rien senti. Sinon je te déconseille l'arrière du bras si t'es du genre douillette.


Elle eût l'air perplexe.


- Je sais pas trop, beaucoup de mes chaussures couvrent mes chevilles et j'aimerais bien qu'on le voit.


Je tentai de me rappeler du niveau de douleur de mes tattoos. 


- Heu... il me semble que la nuque a été très supportable, enfin pour moi.

- La nuque ?! T'es tatouée de la nuque ? Je peux voir ? me demanda-t-elle, des étoiles plein les yeux.


Cela me semblait bizarre qu'elle fusse si étonnée. Je relevai mes cheveux brun cendré et lui montrai la vague qui figurait sur ma nuque. 


- Sympa. Ça a un sens particulier ?


Expliquer mes tatouages était toujours délicat pour moi.


- Heu... la mer, l'eau. Tout simplement.


C'était un mensonge. L'explication de mes tatouages n'était jamais simple. 

Rosalya me demanda encore quelques conseils, puis elle rentra au lycée.



"Ah ben vous êtes là, vous !"


Les jumeaux étaient enfin sortis.


"Aurore, t'as vraiment un problème avec la météo, remarqua Armin en contemplant mon top à fines bretelles.


- C'est pas ma faute si hier encore on se serait cru à Saint Martin 

- Merci pour le ballon dans la gueule d'Ambre ! s'écria Alexy en me prenant dans ses bras. Tu as fais ce que presque toute la classe rêvait de faire depuis longtemps."


Au secours, je vais mourir asphyxiée.

Je repoussai Alex pour qu'il me laisse respirer. Même s'il n'avait pas vraiment le profil d'un garçon brutal, ses étreintes étaient musclées.


Je pressai les garçons pour aller en philo, rêvant de m'installer à côté du radiateur pour faire décongeler mes pauvres extrémités. 



***



La journée me parut interminable, j'étais épuisée. Je m'apprêtais à rentrer chez moi, quand je sentis une main m'attraper par le poignet.


"Attends !"


Je fis volte-face et vis Nathaniel.

"Oh", fis-je en dégageant sa main.

Il avait l'air gêné.


"Salut Aurore... euh, ma soeur a décidé d'organiser une petite soirée chez nous dans une semaine, mes parents seront absents donc on va en profiter. Tu voudrais... enfin, tu voudrais bien venir ?


Je me demandai si le fait que je fusse crevée me faisait entendre des choses bizarres ou bien si le délégué principal, qui m'ignorait royalement depuis quelques jours, m'avait réellement invitée à la soirée de sa sœur qui semblait capable d'avoir une poupée vaudou de moi planquée dans son sac à main matelassé.


- Quoi ? Oh, c'est à moi que tu parles ?


Il baissa la tête.


- Euh... oui, à propos de ça, je suis désolé, bafouilla-t-il. Quand j'ai vu que tu étais tatouée, j'ai été très surpris... ne te méprends pas, j'aime beaucoup tes tatouages... enfin bref. Tu as toi même vu comme je t'ai regardée bizarrement, comme si je trouvais ça choquant et tout ça, et c'est pas souvent que je rencontre quelqu'un qui ne me prend pas seulement pour le délégué principal, le garçon qui squatte toujours la salle des délégués et à qui on parle seulement quand on a des problèmes pour comprendre les réformes du Front Populaire ou les Essais de Montaigne... j'ai pensé que tu avais mal interprété la façon dont je t'ai regardée et je me voyais mal revenir vers toi après ça, donc au lieu de mettre les choses au clair je me suis enfoncé en t'ignorant comme un gamin... c'est totalement idiot et je m'en rend vraiment compte maintenant que je m'entends te l'expliquer. Et puis...

- Euh, Nathaniel, l'interrompis-je. T'as pas besoin de me faire une dissertation pour un truc aussi dérisoire. 


Nathaniel sourit, gêné.


- Je... tu as raison.


Il baissa la tête et se gratta la nuque.


- Je suis grotesque. Enfin bref... j'ai vraiment envie que tu viennes à cette fête. Quand Ambre fait ce genre de choses d'habitude, je m'exile dans ma chambre avec des boules quiès dans les oreilles pour lire. Sauf que je pense qu'une petite soirée me fera du bien, je me mets peut-être un peu trop de pression au niveau scolaire, enfin tu vois quoi.


Un peu ? Il était tellement stressé que je pouvais voir la veine de sa tempe battre la chamade sans arrêt.


- Euh, oui peut être un chouïa. Et pourquoi tu m'invites moi? l'interrogeai-je.

- Parce que je me suis vite entendu avec toi et que j'aimerais que tu viennes, tout simplement. J'ai aussi invité Iris, Rosalya, Kim et Melody. Et...


Il soupira avec un air désespéré.


- ... et si tu voyais la liste d'invités de ma sœur...


A tous les coups, Ambre avait sélectionné une belle brochette de bimbos et de kékés dragueurs et auto-bronzés.


- Je pourrai amener des gens ? demandai-je spontanément.


À part Rosalya, je n'avais pas vraiment envie de sympathiser avec ses autres invités.


- Euh... oui, oui bien sûr. Mais qui tu...

- NATHANIEEEL ! hurla une voix stridente derrière moi.


Oh non, pas elle.


- Salut Melody, lança Nathaniel à sa groupie.

- On rentre ensemble ? se précipita-t-elle de proposer alors qu'il avait à peine fini sa phrase.


Elle s'était interposée entre nous et était presque collée à Nathaniel. Elle se tourna vers moi et fendit son visage d'un large sourire. 


- Tiens, salut Aurore, comment ça va ?


Qu'est-ce que c'était que cette risette et ce ton mielleux ? J'allais lui répondre, mais elle s'était déjà retournée vers son blondinet tant adoré :


- Au fait, Nathaniel, on devrait aller à la bibliothèque tous les deux pour s'avancer pour le cours de..

- Bon, je vais peut être rentrer chez moi, fis-je en m'éloignant à reculons. À plus."


Le délégué principal me fit un timide geste de la main pour me dire au revoir. Je partis en direction du loft, et je reçus un texto d'Armin à mi-chemin :


"Alors, t'as fini par te transformer 

en stalactite finalement ?"


Ce message venait de me rappeler que j'étais en train de mourir de froid.


"Très drôle. Sinon, monsieur l'ermite, 

je vous incruste à une soirée dans deux 

semaines toi et ton frangin."


"Tant qu'il y a la 

Wi-Fi, je suis partant."



***



J'étais tout près du loft, marchant contre le vent et me promettant de ne plus jamais sortir sans être munie d'un gros sweat en laine, quand je vis une longue silhouette se diriger vers moi. 

Il me fallut plusieurs secondes pour réaliser qui était cette personne, et quand l'information monta à mon cerveau, je fis deux pas en arrière.


"Oh non, pitié, pas toi, c'est pas possible ! m'exclamai-je en levant les yeux au ciel. Je vais devoir aller me terrer jusque dans les DOM-TOM pour que tu me laisses enfin tranquille ?"


Pour toute réponse, j'eus un sourire narquois. Le nuisible avançait vers moi avec les bras tendus devant lui.


"Alors, fit-il, on ne dit même plus bonjour ?

- Fous-moi la paix."


Je me dirigeai vers l'entrée du loft, pressant le pas pour échapper à ce pot-de-colle. Mais il m'attrapa par l'épaule pour me faire face. 

Il se mit à parler doucement dans mon oreille pendant que j'essayais de le repousser en vain.


"Doucement, chérie, tu ne penses pas ce que tu dis. Pas le moindre mot...


Il releva mes cheveux pour découvrir ma nuque.

Psychopathe.


- ... parce qu'après tout, tu m'as dans la peau quoi que tu dises, quoi que tu fasses et où que tu ailles."

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