Savoir affronter ses peurs

Chapitre 5 : Réalité

2706 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 29/09/2023 18:51

Kaori…

Subitement, les mains le lâchèrent et il s’écroula à terre. L’air pénétra brusquement dans ses poumons, lui brûlant la trachée. Les larmes aux yeux, il toussa violemment pendant plusieurs minutes, la respiration difficile et saccadée. Le sang battait dans ses tempes, son cœur tambourinait dans sa poitrine et sa vision était encore troublée. Mais il était en vie !

Après quelques minutes laborieuses, il put enfin se redresser à peu près sur ses bras. Il ferma les yeux. Il avait bien cru que sa dernière heure était arrivée. Il se passa une main sur le visage, tentant de se remettre les idées en place, puis il se remit debout. Il chancela un peu et fut pris de vertiges quelques secondes avant de se stabiliser correctement sur ses deux jambes.

Il pria pour que son adversaire ait disparu et ne revienne pas à la charge. Il s’en était sorti de justesse, par un coup incroyable du destin. Il avait un ange gardien plutôt coriace.

Mais tout ceci n’est pas réel… 

Tout à coup, il discerna une silhouette grise et floue au loin. Ses muscles se tendirent prêts à faire face à une attaque. La silhouette s’approcha et il en aperçut un peu mieux les contours. Le soulagement l’étreignit lorsqu’il la reconnut.

Elle marcha et s’arrêta à une dizaine de mètres de lui avant de le fixer de ses yeux noisette. Elle n’esquissa plus le moindre geste, les traits de son visage était inexpressifs, impassibles. Même son regard était vide. Mais Ryô ne remarqua pas ce comportement étrange, trop heureux de la retrouver après ce qu’il venait de se passer.

Kaori…

Cette apparition aurait dû lui rappeler quelque chose au lieu de quoi, il réduisit l’espace qu’il y avait entre eux en quelques pas et elle le suivit du regard. Arrivé à son niveau, il leva son bras en direction de son visage et posa sa main sur la joue de sa partenaire. Comme pour s’assurer qu’elle était bien là. Comme pour s’assurer que tout ça n’était pas un rêve une fois de plus.

Soudain, Kaori s’anima. Elle sourit et se laissa aller contre sa paume. « Ryô… » murmura-t-elle avant de fermer les paupières.

Ryô sourit à son tour. Il pouvait sentir la chaleur de sa peau sous sa main. Il resta immobile ne voulant pas briser ce moment. Si seulement il pouvait durer pour toujours. Toujours…

Brusquement, il fit volte-face, lâchant le contact avec Kaori. Il venait de ressentir une aura meurtrière, pas très loin. Mais il ne voyait rien que du noir. Et il n’était pas armé. Il siffla entre ses dents.

Il scruta les alentours à l’affût du moindre bruit, du moindre mouvement mais ne repéra rien du tout. Il ressentit un malaise au fond de son ventre. Son adversaire était toujours là, mais être aussi aveugle dans cette obscurité le handicapait. Il ne percevait rien au-delà de quelques mètres.

— Reste derrière moi Kaori, recommanda-t-il à sa partenaire en tournant la tête vers elle.

L’horreur serra son cœur.

— Kaori…

Le prénom de sa partenaire mourut sur ses lèvres. Pendant quelques secondes, il ne réagit pas, son esprit refusant de comprendre ce qu’il voyait. Elle était à terre, et tentait péniblement de se relever en s’appuyant sur un bras et s’entourant les côtes de l’autre. Un bleu virant au violacé lui couvrait toute la partie gauche du visage, sa lèvre inférieure était fendue et avait rependu des traces sanguinolentes sur son menton. Du sang recouvrait la base de ses cheveux désordonnés. Son visage était tordu en une grimace de douleur et sa respiration semblait laborieuse.

Comment avait-il pu ne rien voir, rien entendre ? Alors que cela s’était déroulé juste dans son dos ? Est-ce que c’était le lieu qui voulait ça ? Est-ce que c’était lui qui déraillait ? L’angoisse le paralysa.

— Ryô, gémit sa partenaire.

Des ombres se déplaçaient autour d’elle. Des silhouettes humaines, sombres et sans visage. Tout s’était passé si vite…

— Qu’est-ce que… il ne termina pas sa phrase.

Un des fantômes se détachait des autres et venait de donner un coup dans les côtes de Kaori déjà meurtries. Elle gémit de douleur. Ryô se rua vers le tortionnaire, prêt à attaquer mais il fut arrêté immédiatement par d’autres spectres qui l’encerclèrent et qui l’empêchèrent de passer. Deux ombres l’empoignèrent sous chaque bras et l’immobilisèrent. Il rua, refusant de se laisser faire, le regard fouillant l’obscurité afin de discerner ses adversaires sans succès. La forme humaine tournait autour de sa partenaire, menaçante pendant qu’une main puissante sur son épaule obligeait Ryô à s’agenouiller. Il émit un grognement de frustration.

Il vit l’ombre se pencher sur Kaori et l’empoigner par les cheveux, la forçant à se redresser. Elle avait le regard douloureux mais ne flanchait pas, la tête en arrière, face à Ryô. Celui-ci plongea son regard dans le sien afin de la rassurer. Il allait trouver une solution. Il devait trouver une solution.

Ses adversaires étaient nombreux, il n’arrivait pas à déterminer avec précision leur nombre. Et même s’il s’attaquait à ceux qui l’empêchaient de bouger, d’autres lui tomberaient immédiatement dessus. Mais d’un autre côté, s’il ne faisait rien rapidement… C’en était terminé de Kaori. Une solution qui restait inconcevable pour lui.

Il ne pouvait pas l’abandonner. Il devait se battre. Pour elle. Pour Kaori.

Son cœur tambourinait dans sa poitrine pendant qu’il réfléchissait à toute allure. Il devait faire abstraction de cette terreur qui engourdissait ses membres et ses sens. Il n’y avait rien autour de lui qui puisse l’aider, aucun secours extérieur n’était possible. Une peur dévastatrice montait en lui à mesure que s’écoulaient les secondes.

Il devait s’attaquer au point faible de leurs ennemis. Le problème, c’est qu’ils semblaient n’en avoir aucun ou alors ils le dissimulaient bien. Ils n’avaient pas de visage, seulement un masque noir. Ils ne produisaient pas de bruit, pas de son, Ryô ne les entendait même pas respirer. Ils se déplaçaient furtivement, avec précision. La seule chose qu’ils dégageaient était une force bestiale. Comment s’attaquer à quelqu’un s’il ne paraissait même pas humain ? S'il se montrait insaisissable ?

Soudain, Ryô aperçut un objet dans la main du spectre qui tenait toujours Kaori par les cheveux. Un révolver. Son révolver. Son fidèle magnum 357. Il écarquilla les yeux. Comment cette ombre avait réussi à s’en emparer ? Et à quel moment ? A moins que… Cette carrure, cette façon de tenir son arme… c’était lui. Il était certain que sous ce masque d’ombre, ce sont ses propres traits qui apparaitraient. Toutes ces ombres étaient des démons venus tout droit de son passé, prêts à lui faire payer ses crimes. Des monstres avaient pris une vague forme humaine, la sienne pour lui faire comprendre qu’il était le seul responsable. Coupable. Toujours. Comment pouvait-il faire le poids face à lui-même, face à ses propres démons ?

La terreur de sa découverte s’amplifia lorsque l’ombre qui tenait son arme la pointa sur la tempe de Kaori. Il oublia où il était, à qui il avait affaire, qu’il n’avait pas la moindre chance. Un cri remonta le long de sa gorge et s’échappa abruptement de ses lèvres. Il sentit la stupéfaction gagner ses adversaires. C’était le moment d’agir.

Il poussa le spectre sur sa droite d’un coup d’épaule et décocha un violent coup de poing à celui à sa gauche. Ils se retrouva ainsi libéré des deux côtés. Il se rua ensuite sur Kaori qui avaient les yeux remplis d’espoir. Mais à peine avait-il fait un pas, qu’un bras s’enroula autour de sa gorge encore douloureuse de son expérience avec la mort. Une brusque secousse le tira en arrière l’empêchant d’avancer plus loin. Il tenta de donner un coup de coude dans les côtes de son ennemi qui le maintenait par derrière, mais ce dernier raffermit sa prise sur Ryô qui pouvait sentir le froid émanant de son adversaire. Froid comme la mort.

— Lâche-moi, saloperie ! cria-t-il, ce qui fut inutile.

Ryô se retrouva à nouveau à genoux malgré lui. Deux autres ombres l’empêchèrent de bouger en l’empoignant par les bras comme précédemment. Il se retrouva cloué au sol. Il lui était impossible de se mettre debout et après s’être débattu quelques instants, renonça à trouver une échappatoire.

La prise autour de son cou était ferme mais ne l’empêchait pas de respirer. Il avait la tête relevée et bloquée par l’autre bras du spectre comme s’il le forçait à bien contempler la scène. Kaori était également à genoux, l’arme contre sa tempe alors que lui était entravé, incapable désormais d’agir. Une larme roula sur la joue de la jeune femme.

Kaori allait mourir… Cette constatation fit son chemin dans l’esprit de Ryô qui ferma les paupières quelques secondes. C’était impossible, ça ne pouvait pas finir comme ça.

Le bourreau qui maintenait Kaori arma le chien, produisant une vague de panique chez Ryô qui rouvrit les yeux.

— Laissez-la tranquille ! Prenez-vous en à moi plutôt, elle n’a rien fait.

Sa voix résonna dans le noir et toutes les têtes se tournèrent vers lui. Le temps se suspendit, faisant naître un espoir dans sa poitrine.

— Prenez-vous en à moi, répéta-t-il.

Il aurait presque parié entendre des ricanements de la part des ombres. La prise autour du révolver s’affermit : le fantôme allait tirer. Tous les muscles de Ryô se tendirent et il tenta une dernière fois de se défaire de l’emprise des monstres dans un geste désespéré.

— NON ! hurla-t-il.

Le coup de feu partit et résonna jusqu’à ses oreilles. Toutes les ombres s’évaporèrent et bientôt ce fut comme si elles n’avaient jamais existé. Ryô sentit la pression des spectres disparaître avec elles et il en profita pour se ruer vers Kaori qui était allongée sur le sol.

Sa tête reposait dans une mare de sang, ses paupières étaient closes et sa peau était pâle. Sa poitrine ne se soulevait plus au rythme de sa respiration et son cœur avait cessé de battre. Une image que Ryô n’aurait jamais voulu avoir à affronter.

Il tomba à ses côtés, la douleur lui comprimant la poitrine.

— Kaori, souffla-t-il, la gorge serrée.

Il porta une main tremblante jusque son visage et il posa la paume de sa main sur la joue de sa partenaire comme il l’avait fait un peu plus tôt. Toute chaleur s’en était allée. Elle était froide. Froide comme la mort.

Il tremblait alors que sa main descendait vers sa gorge. Même s’il savait la partie perdue, il tentait de percevoir son pouls, une étincelle de vie.

— Je t’en prie Kaori, supplia-t-il. Réveille-toi bon sang !

Mais il ne sentit aucune pulsation sous ses doigts. Il voulut crier pour évacuer la douleur et le vide qui se formait en lui mais aucun son de franchit la barrière de ses lèvres. Sa mâchoire était bien trop contractée et ne pouvait être desserrée. Il se sentait si impuissant. Une phrase tentait de percer son esprit mais il ne la laissait pas faire. Sa vue se brouillait. Il avait mal. Mon dieu, que devait-il faire ?

Une faible lumière attira son attention. Plutôt que de lumière, il devrait parler de clarté. Une fine ligne pourpre s’étalait à l’horizon marquant l’espace entre le ciel et la terre toujours aussi sombres. On aurait dit… le lever du soleil. Il contemplait cette lumière d’un œil morne. Puis tout lui revint.

Le spectre, la peur, le compte à rebours… tout. Il devait se sortir d’ici. Il avait découvert de qui il resterait prisonnier s’il ne s’échappait pas d’ici avant le lever du soleil. C’était de ses propres peurs. Toutes ces peurs terribles qu’il avait affrontées au cours de la nuit. Il devait revenir à la vie réelle. Mais comment faire ?

Une question lui revint. Une question posée avec une voix spectrale : « De quoi as-tu le plus peur Ryô Saeba ? »

De quoi ai-je le plus peur ?

C’était ça la réponse pour s’en sortir. Toutes les épreuves de la nuit passée avaient pour unique but de lui faire comprendre cette chose qu’il ne s’était jamais avoué… Sa plus grande peur.

La ligne s’étalait de plus en plus à l’horizon. Bientôt, le soleil ferait son apparition telle une boule de feu et il serait trop tard. Son estomac se contractait en même temps qu’il contemplait le visage sans vie de sa partenaire.

Vite Ryô, réfléchis, de quoi as-tu le plus peur ? Qu’est-ce que tu crains le plus ? La mort de Kaori ? Ta propre mort ? Faillir dans tes missions ? Prendre l'avion ? Te faire mordre par des serpents ? Non. Non, ce n'est pas tout ça. A moins que… que ce soit en partie lié !

Et il comprit soudain que ce n’était pas la mort de Kaori qu’il redoutait le plus, non. Il en eut le souffle coupé. Il avait enfin réussi à mettre un mot sur sa plus grande peur.

Alors, il leva les yeux vers la ligne dorée et souffla :

— J’ai compris…

Puis tout s’effaça. Comme si rien de tout ça n’avait jamais existé.   


Le brouillard était toujours là, teinté cette fois du rose et du doré de l’aube. Une ombre refit son apparition. Une ombre que Ryô connaissait bien maintenant. Le fantôme ne bougeait pas, comme s’il le contemplait.

— J’ai réussi, c’est ça ? demanda Ryô pour briser le silence.

Le spectre hocha la tête sans un bruit.

Aussitôt, Ryô en ressentit un immense soulagement et un soupir lui échappa. Tout était finit. Terminé. Derrière lui. Kaori était toujours en vie, probablement en sécurité dans son lit et une nouvelle journée était sur le point de commencer. Il avait compris une chose essentielle sur lui cette nuit.

— Tu as réussi toutes les épreuves qui t’étaient adressées, tu as su faire face à chacune de tes peurs sans te détourner. Je connais peu de personnes qui auraient réussi aussi bien.

La voix était toujours aussi ténébreuse bien que teintée d’un peu plus de douceur maintenant.

Ryô enfonça ses mains dans ses poches et posa un regard serein sur le spectre.

— Bien, je vais m’en aller maintenant que ma mission ici est terminée, conclut l’ombre.

Et elle se détourna lentement pour s’en aller avant d’avoir un sursaut. Elle tourna uniquement sa tête encapuchonnée vers Ryô avant d’ajouter :

— Tout ce que tu as vécu cette nuit Ryô, contrairement à ce que tu as pu penser au cours des épreuves, tout ça était bien réel.

Puis le brouillard s’enroula autour du spectre avant de s’effacer complètement, brutalement, pour laisser place à ce qui avait toujours été : une ruelle de Shinjuku.


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