Before, Now and ..., l'esprit de Noël selon Ryo Saeba

Chapitre 1 : X-mas blues

5057 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 16/11/2023 10:26


En cette fin d'après-midi du Réveillon de Noël, les rues de Tokyo étincelaient encore plus qu'à l'accoutumée. A grand renfort de néons et d'ampoules clignotantes, de boules brillantes et de nœuds multicolores, les lumières combattaient la nuit qui commençait déjà à tomber. Le froid venait de s'abattre sur la ville, laissant échapper quelques maigres flocons des nuages bas. Mais, malgré tout, les sourires se dévoilaient derrière les écharpes, les musiques résonnaient dans les magasins et les guirlandes dans les rues créaient une ambiance joyeuse. Dans le quartier de Roppongi Hills, les arbres s'étaient parés d'une myriade féérique de guirlandes scintillantes bleu pâle... Mais Ryo n'en avait cure et détestait se promener à Roppongi Hills.

Seul, il était assis au comptoir du café Cat's Eyes, à sa place habituelle, et ruminait de sombres pensées. Falcon était sorti faire quelques courses de dernière minute, Kaori avait filé dans la petite cuisine attenante pour aider Miki à mettre une touche finale à sa bûche pendant que le téléviseur fixé dans le fond de la pièce diffusait en sourdine un reportage sur les différentes traditions noëlistiques du monde entier. C'était d'un ennui... 

— Foutaises ! Noël, c'est rien que des foutaises... soupira-t-il.


Il prit une gorgée de café et grimaça : il était froid. Rien ne le mettait plus de mauvaise humeur que le café froid. Rien à part ces foutaises de Noël.


Il se tourna vers la porte de la cuisine d'où il pouvait percevoir les sons étouffés de la conversation entre Kaori et Miki. Il ne fit pas l'effort de tendre l'oreille. Il devait certainement s'agir d'un truc palpitant au possible, nécessitant des argumentations au sommet, du style : glaçage au sucre ou au chocolat ? Qu'est-ce qui rend le mieux ? Ou alors, comment faire soi-même des bonhommes de neige en massepain ? Il soupira à nouveau. Comme il regrettait de ne pas avoir apporté un petit magazine coquinement sympathique, ça aurait passé le temps de façon agréable. Il entendit le téléphone du bar sonner et Miki décrocha depuis la cuisine. Il écouta attentivement mais ne perçut aucune urgence dans sa voix : pas de catastrophe en cours, Falcon avait apparemment quelques difficultés avec sa liste de courses. Triste à mourir, tout ça. Ryo soupira encore, il en était presque à espérer un petit enlèvement ou un XYZ, tellement il s'ennuyait ferme ici.


Au moment où il venait de décider de s'éclipser, les deux jeunes femmes reparurent, souriantes et visiblement ravies du travail accompli. Par pur réflexe, Kaori et Ryo se regardèrent mais se détournèrent immédiatement et simultanément. C'était devenu habituel, ces derniers temps. 


Il faut dire que depuis que Ryo avait affronté son père en duel et qu'il l'avait abattu, lui et sa partenaire ne s'adressaient que très rarement la parole, se contentant du strict nécessaire. Même échanger un regard était devenu impossible ; douloureux pour Kaori ; désagréable pour Ryo. Tout ça à cause de ce qu'il s'était passé sur ce maudit navire... et aussi ensuite.


Enfin, avec le recul Ryo songeait souvent que ce n'était pas le pire. Tuer son père adoptif avait été l'acte le plus cruel et le plus difficile qu'il ait eu à accomplir de toute sa vie. Mais il l'avait fait. Parce qu'il n'avait pas eu d'autre choix. Parce qu'il devait la protéger, elle, coûte que coûte. Quand tout avait été enfin terminé, il s'était senti triste, révolté, déçu et terriblement seul. Sa consolation ? Sa force pour survivre à ça ? Il les avait puisées dans son espoir de retrouver la douceur et la sérénité des yeux de Kaori et peut-être même de découvrir la chaleur de ses bras...


Mais il en avait été tout autrement.

Après leur évasion du bateau de Kaïbara en train de sombrer, toute la bande avait terminé à la Clinique du Doc : petites écorchures pour certains, état dramatique pour Mick, perte de connaissance pour Kaori. Ryo avait attendu le réveil de sa partenaire avec impatience et anxiété. Il avait tellement envie de la tenir dans ses bras. Tout avait été si clair à cet instant. Si évident.

Et puis, enfin, elle avait ouvert les yeux, et tout avait basculé. Elle avait froncé immédiatement les sourcils et elle l'avait ouvertement engueulé, persuadée qu'il l'avait une nouvelle fois laissée en arrière... Face à sa colère, il n'avait pas réussi à en placer une. 


Plus tard, quand chacun avait pu raconter sa partie de l'histoire, et qu'elle avait appris la réalité des événements, il avait sciemment omis de lui préciser ce qu'il s'était passé entre eux...

— S'embrasser à travers la vitre, promettre de survivre, de se retrouver... Non mais quelle idée ! avait-il songé. C'était ridicule. Franchement ridicule.


Les jours suivants, il avait maintes fois hésité à lui avouer la vérité mais aucun moment n'avait été propice. Parfois, le soir, allongé dans l'obscurité de sa chambre, une cigarette coincée entre ses lèvres, il s'était pris à imaginer ...

... si elle n'avait pas perdu la mémoire ...

... peut-être que les choses se seraient goupillées autrement ? ...

... peut-être qu'il aurait pu trouver la spontanéité pour l'embrasser à nouveau ? Même devant les autres ...

... peut-être qu'il aurait même réussi à s'engager pour de bon, tiens... 

Ca, il en doutait fortement, cela-dit... 

... Mais pourquoi pas ?

... Une vraie attache ...

... S'il en devait y en avoir qu'une, ça ne pourrait être qu'elle de toute façon...

... Sauf que ...

... Sauf que ... 

... Sauf que, il n'avait jamais réussi à lui avouer tout ça ...

... Et entre temps, Kaori avait retrouvé la mémoire. Il le savait de source sûre. Et ça... Découvrir ça lui avait fait un mal de chien. 

Elle se souvenait et elle n'avait rien dit ! Rien fait ! Que dalle. Elle avait continué à se comporter comme si de rien n'était, comme s'il ne lui avait pas avoué ses sentiments, comme si tout cela n'avait pas compté pour elle. En plus, jamais elle n'avait semé d'indices qui lui auraient indiqué qu'il avait le champ libre. Il en avait conclu qu'elle s'en fichait bien de ce qu'il s'était passé. 


Il était allé noyer sa déception dans l'alcool et l'exubérance d'une soirée au cabaret. Le lendemain, au réveil, ne restaient qu'une phénoménale gueule de bois et une décision ferme et définitive, irrémédiable. Il se l'était juré : plus d'aveu, plus de déclaration, plus de bisou, même à travers la protection d'une vitre. 

NePlusJamaisFaireCeGenreDeConneries ! 

Et continuer comme si de rien n'était. Après tout, si elle préférait oublier, pourquoi lui imposer d'assumer ce qu'elle ne voulait pas assumer ?

En plus, on ne peut pas être en couple avec sa partenaire, c'est contre la déontologie des pros... 

Oui, en plus, tiens, bonne excuse ça...

Imparable.

Point final.

On passe à autre chose.

Affaire classée.


Kaori, de son côté, avait encaissé avec amertume. Lorsqu'elle avait retrouvé ses souvenirs de cette affreuse journée et de leur baiser, elle en avait tellement voulu à Ryo de ne lui avoir rien avoué... Fidèle à lui-même, il faisait toujours preuve de cette force d'inertie incommensurable en ce qui la concernait. Ah, pour courir derrière tous les jupons qui passaient, il était motivé, pour la prendre en considération, là ... là, il n'y avait plus personne ! Comment pouvait-on jouer avec les sentiments des autres avec une telle désinvolture ? C'était abject !


Et voilà qu'un malaise silencieux et insidieux s'était peu à peu installé entre eux, rongeant inéluctablement leur complicité, leur complémentarité professionnelle et allant jusqu'à éroder leur joie de vivre respective. Chacun s'étant personnellement juré de ne jamais aborder le sujet avec l'autre, il en résultait un statu quo abominablement pénible pour tout le monde. En effet, il leur devenait impossible de dissimuler à leurs amis, et même leurs rares clientes, que quelque chose ne tournait pas rond dans cette équipe habituellement si soudée.


Et, en cette veille de Noël, rien ne changeait entre eux. 


Cet après-midi-là, dans le petit salon de thé désert, après avoir détourné le regard pour éviter celui de Kaori, Ryo avait ensuite rencontré celui de Miki. Il n'eut aucun mal à comprendre qu'il avait plutôt intérêt à ne pas s'en aller tout de suite et à recoller illico presto ses fesses sur son tabouret. Ce qu'il fit. 

Ces derniers jours, il était plutôt risqué de contrarier Miki. Depuis qu'elle s'était mis en tête de préparer un réveillon de Noël pour toute la petite bande d'amis, elle était à fleur de peau et dégainait son plateau ou même le bazooka de Falcon au moindre mot de travers... Autant dire que Ryo avait prononcé beaucoup de mots de travers et il en avait un peu marre de se retrouver le nez écrasé... ou pire encore !

Encore une chose que Ryo ne parvenait pas à comprendre avec Noël : pourquoi se mettre tellement la pression pour un simple repas ? Bon, d'accord, elle avait invité plein de gens mais et alors ? Elle n'avait qu'à demander à ce qu'ils ramènent tous un truc à grignoter et hop, le tour était joué. 

D'un autre côté, pour ce qu'il avait son mot à dire. L'invitation ne concernait que Kaori, pas lui. Il en avait été un peu contrarié et puis il s'était dit : pas plus mal ! Les grandes réunions, c'était pas vraiment son truc. En plus, il connaissait tout le monde, même pas drôle. Et il n'aurait pas pu draguer en plus... Quel intérêt ?

En effet, il y aurait bien Kazue mais elle serait accompagnée de Mick qui était maintenant totalement remis de ses blessures. Donc, la charmante doctoresse serait intouchable. 

Ryo se serait bien réjoui de la venue inattendue de la belle Rosemary Moon. Il avait découvert avec étonnement que, depuis son intervention sur le navire de Kaïbara, son ancienne partenaire s'était liée d'amitié avec Miki, elle aussi mercenaire reconvertie... Bon, quoi qu'il en soit, Rosemary avait beau être fabuleusement sexy, elle était aussi malheureusement fiancée et le chanceux, Eric, serait convié lui aussi... Donc, pas de flirt avec Rosemary.

Il aurait éventuellement pu se rabattre sur Kazumi, qui aidait de temps à autre au café, ou même sur sa cousine qui l'accompagnerait, ou Saeko ou sa cadette Reïka mais, avec Kaori et Falcon dans les parages, il lui serait impossible de de faire quoique ce soit de marrant. Ils étaient tellement rabat-joies. Autant ne pas venir, si c'était pour finir assommé et saucissonné tout seul dans un coin. 


Il soupira devant le regard noir de Miki. Ne voulant pas s'attirer ses foudres, Ryo lui tendit alors sa tasse de café froid et lui demanda :

— Tu m'en r'fais un ?


Elle fronça encore plus les sourcils et plaça les mains sur les hanches. Il se força alors à ajouter articulant soigneusement :

— S'teu-plait, Miki.


La jeune femme soupira elle aussi. Ryo avait tellement changé. Il n'essayait plus de lui peloter les fesses, avait arrêté de lorgner dans son décolleté, ne tentait plus de blagues scabreuses sur sa relation avec Falcon, il ne lui lançait plus un regard légèrement salace, même pas un peu équivoque... Rien... Le calme plat. Elle aurait dû en être totalement soulagée mais, au fond d'elle, Miki savait bien que ça signifiait surtout que Ryo n'allait pas bien, contrairement à ce qu'il clamait haut et fort.


Sans un mot, elle prépara un nouveau percolateur de café, tout en épiant Ryo qui faisait mine d'être passionné par la télévision, puis Kaori qui s'était assise elle aussi, mais à l'opposé du comptoir, le plus loin possible de son partenaire. D'un air faussement dégagé, cette dernière avait pris le journal et l'explorait scrupuleusement puis commanda, elle aussi, une tasse de café. 


Quand les deux boissons furent posées devant leurs destinataires respectifs, Miki, postée derrière le comptoir, les observa à nouveau : un qui jouait négligemment avec sa cuillère tout en sirotant son café, et l'autre, en train d'éplucher son journal comme si elle voulait l'apprendre par coeur. Quelle joie de vivre !


Miki hésita : allait-elle enfin se laisser aller à son envie de hurler de rage et d'engueuler ces deux idiots ? Non, ça ne servirait à rien. Elle avait déjà essayé de les confronter et de leur faire cracher le morceau. Rien à faire. Et pourtant, elle avait bien tenté de faire parler Kaori. Peine perdue. Son amie n'avait rien laissé paraître, affirmant qu'elle ne se rappelait de rien avant d'entrer dans une rage folle quand Miki avait clamé haut et fort qu'elle épouvait des sentiments pour son partenaire. Kaori avait qualifié ce dernier de "crétin fini" et d' "obsédé du slip." Bref, Miki avit fait chou blanc.


Quelques semaines auparavant, après avoir été blessé lors de sa dernière enquête en tant que pro, Mick avait essayé de convaincre Ryo de parler à coeur ouvert mais ce dernier avait nié avoir tenté un rapprochement significatif ou avoué de réels sentiments, et s'était retranché derrière son argument fallacieux d'instinct de survie. Devant ce refus opiniâtre et ridicule de Ryo, Mick s'était tant énervé que le Doc et Kazue avaient dû unir leurs forces de persuasion pour l'empêcher de provoquer Ryo en duel. Depuis, un autre statu quo s'était établi mais cette fois, entre les deux anciens amis rivaux. Mick dédaignait maintenant la compagnie de celui qu'il considérait auparavant comme son frère qui semblait s'en inquiéter comme de sa première chemise. 


Même Falcon avait tenté sa chance mais il n'avait fait que perdre son temps. Ryo était resté muet et le géant n'avait rapporté que des grognements contrariés à sa compagne. 


Peu à peu, tous les membres du petit groupe avaient commencé à éviter d'adresser la parole à Ryo, tant il était devenu désagréable. Pensant que les festivités de Noël pourraient être une belle occasion pour tout le monde d'enterrer la hache de guerre, Miki lança à travers le silence du café :

— Ryo, tu ne voudrais pas te joindre à nous ce soir ?


Il faillit s'étouffer avec son café. Kaori sursauta avant de tourner la page de son journal d'un coup sec. Elle le remit droit d'un geste autoritaire puis disparut à nouveau derrière sa muraille de papier, les sourcils froncés.


Miki soupira et poursuivit :

— J'ai prévu un vrai festin ! Noël est une si belle occasion de faire la fête, entourés des gens qu'on aime.


Kaori baissa son journal, sourit à son amie avant de lui répondre, ignorant ostensiblement Ryo :

— C'est vrai ! J'ai hâte de découvrir ce que tu nous as préparé ! Mais si tout est du même acabit que la bûche, on va se régaler !


Miki trouva son ton exagérément enjoué mais, au moins, elle la voyait sourire. Ça faisait plaisir ! Elle se tourna vers Ryo :

— Alors ? Tu ne m'as pas répondu, tu viens ou pas ?

— Non merci.

— Tu es sûr ?

— Certain.


Kaori soupira de soulagement puis retourna se terrer dans son journal. Ryo, lui, posa quelques pièces de monnaie sur le comptoir, se préparant à partir.


A cet instant, la porte du petit café fit sonner la cloche de l'entrée et Mick apparut dans un tourbillon de froid, avec, à bout de bras, quatre énormes cabas d'où dépassaient boîtes à cadeaux multicolores parées de rubans dorés et argentés. Il referma la porte du pied avant de lancer joyeusement :

— Hello everybody ! Meeeeerrry Chriiiiistmaaaas !


Il se figea en découvrant Ryo, le salua froidement d'un hochement de tête avant de se précipiter vers Kaori : 

— Regarde tout ce que j'ai déniché ! J'ai trouvé un shop dans le centre ville avec des tas et des tas de décorations directement importées des USA ! Ah non, ça, c'est pas touche, c'est ton cadeau !

— Tu m'as fait un cadeau ?

— Evidemment ! A Noël, on fait toujours un cadeau aux gens qui comptent ! Et il y en a un pour tout le monde !

Il déposa un baiser rapide dans les cheveux de Kaori avant de tendre ses sacs à la maîtresse des lieux :

— Et voilà tout ce qu'il te faut pour ce soir ! Tu verras, il y a de tout : des décos pour le sapin et la table, des pics apéritifs, des bonnets de Noël, des petits cadeaux à mettre au pied du sapin, tout ça, tout ça ...

— Wahouw ! Mick ! Mais, c'est beaucoup trop !

— Yes, yes, yes, I Know... je me suis un peu emballé ! 

Gêné, il se gratta le crâne, puis se justifia, souriant comme un gamin, les yeux pétillants de joie : 

— Mais ça me fait tellement plaisir de fêter Noël en famille ! Ca ne m'est plus arrivé depuis que j'ai quitté San Francisco [1] alors, je m'en fais une joie, tu peux pas imaginer !

— Comment peut-on avoir envie de participer à une fête aussi cucul, franchement ! grommela Ryo dans son dos.


Le visage de Mick se figea et toute trace de bonheur disparut en un battement de cil. Il serra ses poings gantés mais ne se retourna pas. Il respira profondément tout en cherchant dans les yeux de Miki la force de ne pas sauter à la gorge de Ryo pour le dépecer alors que, dans son dos, celui-ci éclatait de rire :

— Pas la peine de te foutre en rogne, l'Amerloque. T'inquiète pas, j'me barre. Comme Miki l'a si bien dit... Noël, ça se fête avec les gens qu'on aime... alors, hasta la vista, compadres. Je vais aller retrouver celles qui m'aiment !


Kaori se dissimula à nouveau derrière son journal, gratifiant son partenaire de sa plus froide indifférence. Ryo lui jeta un coup d'œil, sourit puis releva le col de sa veste, visiblement satisfait que son sarcasme malveillant ait fait mouche.

— Celles qui aiment ton porte-monnaie, plutôt ! corrigea Mick, acerbe, alors qu'il lui tournait toujours le dos.

— Mon porte-monnaie est vide, très cher. Donc, c'est qu'elles me trouvent autre-chose... Contrairement à toi...


Le visage de Mick se figea, ses joues devinrent pâles comme la neige et ses mâchoires se serrèrent. Il était sur le point d'exploser de rage. Miki contourna vivement son comptoir pour aller le prendre gentiment par le bras et l'entraîner avec elle vers la cuisine. Ce n'était vraiment pas le bon jour pour déclencher une bagarre dans son café, vraiment pas. 


Bon gré, mal gré, Mick accepta d'oublier l'incident... tout du moins, pour aujourd'hui... Pas sûr qu'il se retienne quand il le croiserait la prochaine fois, hein... Ryo, lui, s'éclipsa pour le plus grand soulagement de tous.




Une fois la porte du Cat's Eyes franchie, Ryo sentit un froid vif, âpre et pénétrant, le mordre à travers sa veste. Pourquoi n'avait-il pas pris un manteau plus chaud, son grand trench coat marron par exemple ? Il grogna nerveusement. Il ne l'avait pas pris parce que c'était un cadeau de Kaori, le cadeau qu'elle lui avait fait lors de leur premier Noël passé ensemble. Sortir ce manteau, ça aurait été reconnaître qu'elle faisait partie de sa vie en quelque sorte. Il préférait encore de loin se cailler les miches. 


Obstiné, convaincu du bien-fondé de son choix vestimentaire, il resserra les pans de sa veste bleue autour de lui et continua à marcher, tentant, tant bien que mal, de slalomer pour éviter les gens, nombreux dans ce quartier très animé. Tous semblaient très affairés et pressés de s'acquitter de leurs derniers achats avant l'heure fatidique. 


A la gare de Shinjuku, la foule se fit encore plus dense mais il se devait de vérifier le tableau des messages : sauver une sexygirl en détresse, voilà ce qu'il lui fallait... Et lui faire payer ses services en nature, cela coulait de source. Comme Kaori serait absente une bonne partie de la soirée, ça représentait une opportunité exceptionnelle. Oui, oui, ça valait le coup d'aller jeter un œil, et de supporter toute cette frénésie alentour. Malheureusement, il n'y avait rien pour lui. Il repartit bredouille et d'une humeur encore plus massacrante qu'avant, si cela était encore possible, jouant des coudes pour se frayer un chemin parmi la foule...


Ses pas le portèrent à son quartier préféré, le Kabuki-Cho mais même là, Noël et ses atours l'avaient poursuivi. 

— Tu viens fêter Noël avec nous, mon chou ?


Celle qui l'avait interpellé avait une voix d'homme sur un corps massif de femme engoncé dans une robe à paillettes rouge. Erica, le Travesti le plus déjanté du quartier, lui faisait signe de la main. Ryo s'approcha et l'interpella dédaigneusement :

— Qu'est-ce que tu fais avec ses conneries sur le crâne ?

— Ca ? C'est mon serre-tête de renne !

Il appuya sur un petit bouton situé derrière son oreille et les bois de rennes rouges s'illuminèrent et clignotèrent : 

— C'est chouette, non ?

— Je dirais pas ça, non, répliqua Ryo sombrement.

— Ah... moi j'aime bien, en tous cas ! Ça permet de faire Noël en haut tout en restant sexy en dessous ! Tu aimes ma robe ?


Il tourna sur lui-même pour faire scintiller les paillettes :

— Et t'as vu les bordures en fourrure blanche ? Je suis Sexy-Christmas-Mum, hahahaha !

— Hmmm...

— Houlààà, t'as ta tronche des mauvais jours, toi... tu prends un whisky avec moi ? proposa le travesti en prenant Ryo par le bras. Viens raconter à Maman-Noël-Sexy ce qui cloche... Hihihihi, Noël, cloches... tu as compris ? Non ? Humhumhum...


Erica l'entraîna à l'intérieur du bar le plus proche mais à peine avaient-ils franchi le seuil que Ryo se figea.

— Quoi ? Qu'est-ce qu'il s'passe ? s'enquit le travesti.

Ryo fit brusquement volte-face :

— Je vais boire tout seul chez moi, tous ces trucs-machins qui clignotent, ces sapins et ces flocons pailletés et ces conneries moches de Noël, j'en ai ras le bol...

— Ah bah... T'es mal barré... Il y en a partout dans l'coin.

— Hmmm... répliqua Ryo en s'adossant à un lampadaire, les mains dans les poches.

— T'aimes pas Noël ?

— Pas vraiment.

— Ah bon ? s'étonna Erica. Les autres années, tu ne fêtais pas avec ta partenaire, la grande rouquine à cheveux courts ?

— Ouais mais là, j'ai décidé d'arrêter de me forcer. Ma partenaire comme tu dis, elle va réveillonner avec des amis. Donc, moi, je vais boire un verre à la maison, loin de toutes ces ... ces foutaises... là. C'est très bien comme ça.

— Comme tu veux... N'empêche, c'est sympa quand on a quelqu'un avec qui partager ce moment... Tu es sûr que tu veux rester seul ? Ça ne se fait pas de laisser quelqu'un seul un soir de Noël.


Erica s'accrocha à nouveau au bras de Ryo, tentant de l'attirer vers un autre bar : 

— Allez, viens faire la fête ! J'ai donné rendez-vous à toutes mes filles dans un quart d'heure ! On va bien s'marrer ! Ce soir, c'est Noël, ça sera pas du business, tu pourras draguer autant que tu veux ! Je suis sûr que j'ai encore un bonnet rouge quelque part... Ohhhh, je te vois tellement bien en PapaNonoSexy ! Je te parie mon billet que tu arriveras à emballer un tas de filles, mon Ryo en suuucre !!!


Indifférent à l'enthousiasme du travesti, mère maquerelle à ses heures, Ryo se dégagea et tourna définitivement les talons :

— Non merci, sans façon. 

La proposition aurait été tentante en d'autres circonstances. Mais, là, Ryo était en overdose de Noël. Il ne supportait plus ce qui clignotait devant ses yeux. Il ne parvenait pas non plus à oublier le regard méprisant et froid de Kaori, son soulagement quand il avait décliné l'invitation... Non, mieux valait rester seul ce soir.

Erica resta interdit. D'habitude, Ryo était l'un des rares hétéros à venir faire la fête avec lui, ses amis et amies. Lors de ces soirées mémorables, alcool, blagues et fous rires coulaient à flot... Étrange. Mais, comprenant que, quoiqu'il dise, il n'aurait pas gain de cause, Erica soupira et lança à Ryo qui s'éloignait déjà :

— Bon... C'est ton choix... Joyeux Noël à toi quand même !

— Ouais, compte là-dessus, mon pote ! répondit le bougon en le saluant de dos.

Il resserra prestement sa veste autour de lui et grommela : 

— Putain, ça caille à mort... 


Sur son chemin, il croisa encore quatre faux Pères Noël, une dizaine d'elfes en collants verts et une multitude de bois de rennes clignotants fixés sur serre-têtes à paillettes. A croire que c'était à la mode cette année. Sur son chemin, il constata que toutes ses adresses préférées avaient été corrompues par la marée rouge et blanche, infestées de paillettes ou polluées par Jingle Bells.

N'en pouvant plus, il obliqua sur sa droite, dans une ruelle sinistre, en contraste complet avec la grande avenue lumineuse et agitée qu'il avait quittée. Il ne craignait pas les petites ruelles, oh non ! Ça faisait même du bien, l'ombre, le calme, la solitude. Il devait même s'avouer qu'il était d'humeur à casser un peu du yakuza ce soir. D'ailleurs, il fut déçu de n'en croiser aucun sur sa route et malheureusement, rien ne vint troubler le flot de ses pensées...

Comment pouvait-on avoir envie de fêter Noël ? Toutes ces décorations agressives partout, ces musiques niaises, ces attentions programmées, cette hypocrisie de faire comme si tout allait bien dans le meilleur des mondes, ces pères Noël partout, cette fausse fourrure blanche qui envahissait les tenues de ses bunnies préférées, cette obligation de sourire et de paraître heureux lors d'une fête même pas d'origine japonaise... Tout ça pour "passer un bon moment" qui, de toute façon, sera tout aussi éphémère que les autres et demain sera de nouveau pareil... Quelle foutaise ! 

En plus, tout ça mettait les gens sur les dents, stressés comme ils étaient de ne pas trouver la bonne couleur de serviettes de table pour aller avec les assiettes, ou n'importe quelle autre détail sans importance... Où étaient les réjouissances, franchement ? Comme si Miki avait l'air de se réjouir...

Et puis, tiens, parlons-en des réjouissances ! Même le plaisir le plus essentiel de Ryo avait disparu ! En effet, par ce froid, les filles se baricadaient littéralement : pas de jupe courte, pas de décolleté, pas de cheveux au vent, pas de fesses moulées dans des jeans. Que des longs manteaux ou des doudounes gonflantes transformant les femmes en sacs poubelle sur pattes. Plus d'élégants talons aiguilles mais des bottes fourrées informes, des bonnets et des écharpes qui dissimulaient tout ce qu'il y avait d'intéressant à regarder... Nan mais vraiment, vivement que cette fête de Noël à la con se termine !


Mais, malheureusement pour Ryo, les festivités de ce Noël-là étaient bien loin d'être terminées... de même que sa contrariété...


Il faisait définitivement nuit quand il arriva à son appartement transis de froid. Il ne sentait même plus le bout de ses doigts, bien qu'il ait maintes fois soufflé dans ses mains. 

Il alluma la lumière et respira de satisfaction en découvrant son intérieur. Rien n'avait changé. Sa tanière n'avait pas été contaminée : pas de guirlande, pas de sapin, pas de boules, pas de faux flocons aux fenêtres, pas de chaussette pendue à la cheminée, rien. Ça faisait tant de bien ! Il n'avait même pas eu besoin de lutter contre l'invasion : cette année, Kaori avait délaissé ses cartons remplis de vieilleries... Elle avait enfin compris ! Ryo s'était donc bien gardé de faire un quelconque commentaire, ravi de voir que ce qui était vaguement toléré les années précédentes avait été, purement et simplement, abandonné. Au moins, cette année, il n'aurait pas à jouer la comédie pour lui faire plaisir. Une corvée de moins, c'était déjà ça !

Il soupira de soulagement en retirant ses chaussures et sa veste glacée. Il se frottait les mains, à la fois de satisfaction et pour les réchauffer. Il se réjouissait de son plan pour la soirée : se préparer un café chaud avec une bonne dose de whisky qu'il irait siroter dans un bon bain avant de s'installer confortablement sur le canapé, avec le reste la bouteille, un grand verre et une pile de ses magazines préférés. Ah oui, la soirée allait être chouuueeette !!! 

Mais soudain, quelque chose attira son regard : une feuille de papier posée bien évidence sur la table de la pièce centrale.


En découvrant ce qui était griffonné dessus, il écarquilla les yeux : 

"Pour info, je suis invitée à fêter le Nouvel-An à New-York, chez notre ancienne cliente Tachiki Sayuri. Miki me conduira à l'aéroport le lendemain du réveillon de Noël. Je dormirai chez elle et Falcon ce soir, ça sera plus simple. 

Kaori."


— Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ! gronda-t-il. Mais elle pouvait pas me le dire tout à l'heure, ça ?

Il froissa la lettre toute en se dirigeant vers la cuisine en grommelant quelques inintelligibles jurons sur le froid, les foutaises et l'hypocrisie puis conclut par :

— Putain de Noël à la con !




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[1] Je fais référence à une de mes fanfictions précédentes : Yes or No, chapitre 23.


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