Before, Now and ..., l'esprit de Noël selon Ryo Saeba

Chapitre 6 : Joyeux Noël (?) !!!

Chapitre final

6086 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 22/12/2023 14:40


A nouveau, la lumière revint. Mais, cette fois, elle était douce. Une bougie sur une table basse et une petite lampe à abat-jour dans un coin éclairaient un endroit qu'il identifia rapidement : il était de retour dans l'appartement de Kaori. Pas grand-chose n'avait changé depuis son dernier passage, sauf quelques habits supplémentaires qui s'empilaient, toujours à même le sol. Les deux cadres avaient été accrochés mais ils constituaient encore l'unique décoration personnelle de la petite pièce et un modeste canapé en velours rouge bordeau avait investi les lieux, trônant au milieu de la petite pièce, en face d'un écran télé plat comme un tableau. 

Ryo ne s'attarda pas pour observer cette curiosité moderne. 


Kaori était dans la cuisine, en peignoir élimé, débout près du comptoir en pagaille, une petite boîte noire collée à l'oreille dans une main, cherchant dans ses placards de l'autre :

— Non, Sayuri, c'est gentil, mais je n'ai qu'une envie, c'est de me mettre au lit, affirmait-elle. Je travaille demain matin.


Ryo avisa le calendrier affiché dans la cuisine : 2009. Il était donc mort depuis presque un an. Il remarqua ensuite que la petite cuisine était encombrée de vaisselle sale et d'emballages vides, ce qui rendait le tout plus miteux encore. Une fois de plus, ça ne correspondait pas à la jeune femme qu'il connaissait. Kaori, c'était  : ménage, évier qui brille et fleurs sur la table. Pas... ça

— Tu travailles trop, entendit Ryo dans le petit boîtier. C'est Noël. On ne reste pas seule pour Noël.

— Foutaises. Noël, c'est de la connerie.

— N'importe quoi, tu as toujours aimé Noël.

— On a le droit de changer d'avis, non ? répondit Kaori en sortant une bouteille de whisky entamée. 

C'était la marque préférée de Ryo, la même que celle qui était posée sur sa table basse de son salon, celle dans laquelle il avait cru voir les traits d'Hideyuki. 


Dans le téléphone, Sayuri insistait :

— Allez... Jimmy adorerait faire une partie de Mortal Kombat avec sa tata.

Kaori sourit en se servant de l'alcool dans un grand verre :

— J'aurais dû l'parier ! Je savais que tu utiliserais la corde sensible. Coup bas, frangine. Bon, allez, avoue : tu as invité qui ?

— Heuuu... personne.


Kaori leva les yeux au ciel :

— Tu mens mal, frangine. Je parie qu'un beau célibataire est dans ton salon près à me rencontrer.

Sayuri éluda la remarque :

— Je m'inquiète pour toi.

— Bah faut pas, répliqua sèchement Kaori.

— Je ne peux pas m'en empêcher, surtout depuis... 

Kaori l'interrompit :

— Bon, tu n'as rien de plus urgent à faire ? Des invités ? Une fête à préparer ?


Un soupire répondit à son exaspération, puis Sayuri glissa d'une voix douce :

— Kaori, il est mort. Rester toute seule à déprimer dans ton coin ne changera rien. 

— Ça n'a rien à voir, affirma Kaori en portant l'alcool à son nez pour en humer les arômes.

— Je ne te crois pas.

— Je t'assure. Je n'y pense même plus. Son décès n'a rien changé.

— Ah bon ? Rien changé ? Toi aussi, tu mens mal, frangine. Je sais que tu as fait envoyer des fleurs sur sa tombe pour son enterrement et aussi pour l'anniversaire de sa mort, il y a quelques jours.

— Quoi ! Tu m'espionnes ? T'es lourde, Sayuri ! De quoi tu t'mêles ? Je fleuris sa tombe si j'veux ! Ca t'regarde pas !

— Je ne comprends pas. Il t'avait chassée de sa vie depuis bien longtemps. Il ne t'a ni retenue, ni cherchée. Il n'a même jamais téléphoné. Ça fait plus de dix ans, Kaori ! Il serait temps que tu l'oublies, non ?


La jeune femme avala une grande gorgée d'alcool, grimaça silencieusement avant de répliquer :

— Seize. 

— Quoi seize ?

— Ça fait seize ans que je suis partie. 


Un silence gêné lui répondit. Kaori soupira et continua d'une voix soudain plus douce :

— Il fait partie de mon passé, tu sais. Je ne peux pas l'effacer si facilement parce qu’il a énormément compté pour moi. Si tout est allé de travers, ce n'était pas entièrement de sa faute quand j'y repense. Moi non plus, je n'ai rien fait. J'ai attendu comme une vierge effarouchée que mon prince charmant me fasse une déclaration d'amour. Ridicule. Comme si c'était son genre ! Il avait peut-être autant la trouille que moi.

— Kaori...

— Oui, je sais ce que tu vas dire : il est mort et je ne saurai jamais la vérité. Mais je ne peux pas m'empêcher de penser que j'aurais dû lui dire ce que je ressentais à l'époque. Être honnête. Aller l'embrasser. Direct. Comme ça, j'aurais été fixée. Et j'aurais eu un baiser... Au moins ça... Alors les fleurs, c'est ma façon à moi de lui dire que je l'ai aimé et que je lui pardonne. De loin... Même si c'est Saeko qui a déposé le bouquet pour moi. D'ailleurs, quand je l'ai eue au téléphone, elle m'a avoué qu'il allait mal depuis un moment. 


Le mystère des œillets était donc résolu, songea Ryo. Kaori n'était finalement pas revenue à Tokyo. Elle n'avait pas assisté à son enterrement. Ce qui, somme toute, pouvait se comprendre mais lui serrait quand même le cœur. 


Kaori soupira et fit quelques pas dans son modeste salon, jouant avec son verre. Au téléphone, Sayuri restait muette.

— Il avait tellement changé qu'il avait même laissé tomber City Hunter. J'ai appris que Mick et Reïka se chargent des XYZ depuis presque cinq ans maintenant.

— Tu ne me l'avais pas dit.

— Parce que ça t'intéressait ?

— Kaori... Je... Dis-moi... Est-ce que tu veux retourner à Tokyo ? Pour revoir tes amis ou te recueillir sur sa tombe ? s’enquit Sayuri, bienveillante. Je peux t'accompagner si tu ne veux pas y aller seule.


On sentait qu'elle essayait, coûte que coûte, d'éviter le conflit. Ryo, lui, ne reconnaissait décidemment plus son ancienne partenaire. Kaori termina son verre puis soupira :

— Non, on en a déjà parlé, les billets sont beaucoup trop chers.

— Ce n'est pas un problème.

— Non, non, Danny paie mon loyer depuis si longtemps, ça serait trop. Et ma vie est ici maintenant, conclut Kaori en se dirigeant de nouveau vers la cuisine pour se resservir généreusement.


Elle but une nouvelle gorgée pendant que sa soeur proposait gentiment :

— Comme tu veux. Ça n'a pas d'importance pour nous. Enfin, pardon, ce que je veux te dire, ce que je veux dire, c'est que ... hééé... Kaori ! Tu es en train de ...

— De boire un verre d'eau, mentit-elle éhontément avant d'avaler le reste de son verre d'une traite. Ahhh, ça donne soif de papoter, tu sais.

— Tu es sûre ? Oh, mes invités arrivent. On se rappelle demain ?

— Mouais...

— Sans faute ?

— Maiis ouiiii ! Allez, à demain.


Et Kaori coupa la conversation avant de lâcher brutalement le téléphone au bord de l'évier, seul espace non envahi par les détritus ou la vaisselle sale. Elle prit la bouteille, délaissant le verre, et alla s'asseoir sur le canapé. Elle alluma la télé et passa d'un programme à l'autre avant de s'arrêter sur les informations : un reportage de saison, sur les différentes façons de fêter Noël à travers le monde.  


Ryo s'approcha et s'assit lentement sur le canapé à ses côtés, sans faire bouger le moindre ressort, les yeux éperdument accrochés à ce visage qu'il reconnaissait à peine : les yeux cernés de gris avaient durci son regard, des rides encadraient sa bouche pincée, le teint blême... Ça ne pouvait être elle. Et pourtant... 


Il la dévisageait alors qu'elle semblait hypnotisée par l'écran, buvant de petites gorgées à même le goulot, les mains crispées autour de la bouteille. Sa gorge se serra quand il vit ses yeux devenir brillants et deux sillons humides traverser ses joues creuses et pâles. 


Elle posa la bouteille par terre et enfouit son visage dans ses mains en soupirant lourdement. Il entendit alors sa voix tremblante, teintée de sanglots :

— Pourquoi ? Pourquoi tu ne m'as rien dit ? Pourquoi est-ce que je n'ai rien fait ? J'ai été trop bête. Et maintenant, tu n'es plus là. C'est trop tard.

— Je suis là, Kaori, lui répondit Ryo.


Il était persuadé que, cette fois, elle pourrait l'entendre mais la jeune femme ne réagit pas. 

— Elle m'a tellement énervée, l'autre, là, avec sa fête de Noël à la con, grommela-t-elle.


Elle essuya brusquement ses larmes et prit cette fois une grande gorgée d'alcool, sans que Ryo ait pu la retenir, sa main ayant traversé son bras, comme un nuage de coton.

— Kaori, arrête, s'il-te-plaît.


Il avait haussé le ton mais elle n'entendait strictement rien et elle but à nouveau. 

— Stop, tu as assez picolé ! Tu vas te rendre malade.


Absolument sourde à ses avertissements, elle inspecta ce qu'il restait dans le fond de la bouteille d'un oeil vitreux, la tête légèrement inclinée sur le côté :

— Ça sera dur au boulot demain... Bah, sinon, j'irai l'après-midi. Pas grave si l'autre taré me vire. De toute façon, j'en ai ras-le-bol de ce boulot.


Elle vida le tout d'une gorgée puis laissa tomber la bouteille sur le sol. Elle s'allongea ensuite sur le côté et Ryo eut tout juste le temps de se relever. Réflexe inutile, songea-t-il, car elle l'aurait sans doute tout simplement traversé. 

Elle passa une main sous sa joue humide de larmes silencieuses et regarda droit devant elle, comme si elle le voyait, alors qu'il venait de s'accroupir au pied du canapé :

— Est-ce que c'était douloureux pour toi, Ryo ? Est-ce que je te manquais aussi ? Ou bien... ou bien, tu t'es tapé toutes les pu...


Sa voix s'érailla et de grosses larmes roulèrent à nouveau sur ses joues, s'écrasant sur le velours rouge du canapé. Ses paupières commencèrent à papillonner. Elle marmonna entre deux sanglots :

— Tu me manques tellement, Ryo. Ca fait des années que tu me manques... Et maintenant, c'est trop tard... Trop tard... Je ne veux pas fêter un autre Noël sans toi... Non, j'veux pas…


Sa voix se brisa et ses yeux se fermèrent doucement. Le cœur de Ryo battait trop fort dans sa poitrine, son souffle devenait erratique, une fine sueur vint refroidir son dos et sa nuque mais il ne pouvait rien faire, rien dire. C'était insupportable. Il avait envie de hurler.


Il sursauta quand le téléphone sonna dans la cuisine. Ryo se leva et vit que "Jimmy” s'affichait sur l'écran lumineux. Mais, malgré le volume puissant de l'alarme, Kaori ne bougea pas d'un centimètre. Elle dormait déjà du sommeil de l'ivrogne, la respiration lourde et traînante. 


Quand le téléphone se tut enfin, il se précipita vers elle et cria, relâchant une partie du noeud qui lui entravait la gorge : 

— Non, non, non, c'est pas toi, ça. Kaori, réveille-toi. Reprends-toi. C'est Noël, ton neveu a envie de te voir et toi tu picoles ? C'est nul, ça !


Il voulut la secouer mais, bien sûr, sa main passa à nouveau à travers son bras. Ryo se mit à faire les cent pas dans la petite pièce puis s'adressa  à l'esprit qui s'était tenu dans un coin sombre pendant tout ce temps :

— Vous êtes l'esprit du futur, non ? Hideyuki a dit que j'avais droit à une chance de tout changer. S'il y a une chose que je veux changer, c'est ça que je choisis. J'm’en fous de mourir, mais je ne veux pas qu'elle soit... comme ça.

Il pointa le canapé d'un doigt nerveux, presque tremblant : 

— Seule, triste, amère. Ce n'est pas elle, ça.


Il s'arrêta devant la silhouette sombre et déclara, la voix sensiblement troublée :

— Elle ? Elle, elle amène la lumière et la joie. Même si elle me tapait dessus à tout bout de champ, c'est elle qui m'a appris ce que c'est que d'être heureux. C'était ce premier Noël... à l'appart... quand elle l'a transformé... Avec toutes ses décos, ses guirlandes et son étoile façon boule à facettes... Elle avait même fait un gâteau. Il était trop cuit mais j'm'en foutais ! Pour la première fois de ma vie, je me suis senti chez moi. Elle m'a même offert un cadeau. Un manteau en laine. Parce que j'avais tout le temps froid.


Il sourit tristement : 

— Je vous en prie. Je n'ai jamais rien demandé à personne, ni à Dieu, ni au Diable, ni aux anges, ni à je-ne-sais-quoi... Rien. A personne. Mais à vous, je vous le demande : faites quelque chose ! Revenez en arrière et laissez-moi lui parler, rien qu'une minute. Une toute petite minute. Tout ça, c'est à cause de moi alors laissez-moi changer les choses pour elle. J'ai toujours été convaincu qu'elle m'oublierait, qu'elle trouverait un mec bien, qu'elle fonderait une jolie famille et qu'elle serait heureuse loin de moi ... Et moi aussi ! Je pensais que moi aussi je l'oublierai, que je ne remarquerai même pas son absence, mais non ! Carrément non ! C'est pour ça que je suis devenu si chiant, aigri et con ! Parce que je suis en train de la chasser de ma vie !


L'esprit pencha la tête sur le côté, comme s'il était intéressé par ses propos. Ryo poursuivit en haussant encore la voix, entraîné par des mots qu'il ne parvenait plus à retenir :

— Vous savez quoi ? Bah c'était une connerie ! Une putain de grosse connerie ! Je me suis planté sur toute la ligne ! Je ne veux pas vivre sans elle ! J'veux pas et j'peux pas ! Elle ne doit pas souffrir juste parce que j'ai été trop lâche pour lui avouer mes sentiments. 


Devant sa véhémence, l'esprit recula de quelques pas. Ryo réalisa alors qu'il était essoufflé. Il prit le temps d'une grande inspiration, ce qui calma un peu son coeur mais pas le flot de ses paroles :

— Si, ensuite, elle et moi, ça ne marche pas, tant pis. Au moins, on aura essayé. Au moins, elle aura son baiser, un vrai de vrai. Au moins, on sera peut-être encore amis, on sera peut-être encore une équipe. City Hunter, c’est nous, elle et moi, nous deux… Et elle sera peut-être heureuse aujourd'hui.


Il fit une courte pause. En face, le spectre restait muet. Il fallait donc poursuivre, insister, encore :

— S'il vous plaît. Je vous en prie. Je veux changer ça. Pour qu'elle soit joyeuse et souriante comme avant, je lui dirai que je l'aime. Je vous le promets. Dites-moi ce que je dois faire pour que vous me laissiez cette chance et je le ferai !


Epuisé, angoissé à l'idée d'en avoir trop dit ou pas assez, essoufflé, Ryo parvint enfin à se taire. Le silence envahit le petit appartement, révélant la respiration profonde et lourde de Kaori sur le canapé derrière eux. 


Au moment où Ryo songeait qu'il ne lui restait plus qu'à se mettre à genoux pour supplier ce bouffon à capuche, une chose incroyable se produisit. Le temps suspendit son vol et Ryo son souffle pendant que l'esprit posait ses mains pâles sur sa capuche noire pour la tirer en arrière, révélant enfin son visage. 

Malgré ses traits marqués par le temps et ses cheveux blancs, il la reconnut immédiatement. Ses yeux étaient à nouveau chauds et doux. Le cœur de Ryo se figea. 

— Kaori ! Ca ne pouvait être que toi, évidemment…


Il se rapprocha d'elle, les jambes cotonneuses, soulagé d'avoir révélé toutes ses choses à elle seule. Sa voix se brisa quand il lui demanda une dernière fois :

— S'il-te-plait ! Laisse-moi une chance. Ramène-moi en arrière et permets-moi d'arranger les choses pour nous deux. 


Sans un mot, elle fit un pas vers lui, lui prit la main et lui sourit. Comme ce sourire était beau ! Ryo eut envie de la serrer contre lui mais il n'en eut pas le temps. Dejà, tout autour de lui devenait noir.

— Kaori ! s'exclama-t-il en se réveillant brutalement, assis au comptoir du Cat's Eye. 


Éperdu, il regarda autour de lui : Falcon n'était pas là et le lave-vaisselle ronronnait doucement. Dans un coin, la télévision tournait en sourdine, servant des images de différentes fêtes de Noël à travers le monde. Il cligna des yeux. Sa tasse était posée devant lui, à moitié entamée. On était donc la veille de Noël.

Il se leva vivement et se précipita vers la porte de la cuisine attenante. Il se figea en entendant la voix de Kaori à travers le fin panneau de bois :

— Je te dis qu'il n'acceptera pas. Il est ... Il est trop... trop buté et ... trop con pour admettre ses erreurs.

— On ne lui en demande pas tant. Juste de venir passer un bon moment tous ensemble. Partager des ondes positives, quoi. Et peut-être qu'ensuite, vous pourrez vider votre sac et vous réconcilier. Et si tout le monde pouvait enterrer la hache de guerre au passage, ça serait... ça serait un véritable miracle de Noël !

— Hmmm... J'y crois pas du tout.


Ryo ouvrit brutalement la porte, les faisant sursauter toutes les deux :

— Hey ! Tu m'as fait peur, espèce d'imbécile ! s'écria Miki, une spatule pleine de chocolat entre les mains. C'est tout barbouillé maintenant !

— Ah, heuuu.... Pardon Miki, bredouilla Ryo sans la regarder.


Il n'avait d'yeux que pour sa partenaire. Plus de cernes gris, pas de tristesse, pas de larmes... mais un regard assassin qui en disait long sur sa rancœur.

— Un problème, Ryo ? s'enquit-elle d'un ton sec.

— Non, non. Je... Je suis juste venu vous prévenir que j'y vais... Je... Je ... j'ai des trucs à faire ! A plus !


Et il tourna les talons pour s'éclipser, laissant les deux jeunes femmes médusées, les yeux écarquillés.

— Quelle mouche l'a piqué ?

— Une furieuse envie d'aller draguer ou picoler, à mon avis. Il ne fait que ça en ce moment, bougonna Kaori.

— Et il serait venu nous prévenir ?

— Oh, tu sais avec lui, faut pas chercher à comprendre. Il est…


Elle fut interrompue par sonnerie du téléphone. Miki décrocha le combiné rangé dans son tablier :

— Le Cat's Eyes bonjour. Oui, Nounours... Non, je n'ai pas de branche de gui, c'est pour Nouvel-An, ça... Des bougies ? heuuu, oui, dans le buffet du salon... Un saladier en cuivre ? Mais qu'est-ce que ... Ah, ok. Bon... Bisous, à tout à l'heure.

Elle raccrocha puis rouspéta, les yeux ronds :

— Ils nous font quoi, les mecs, aujourd'hui ?


La clochette de l'entrée tinta et elles entendirent la voix de Mick Angel à travers la porte :

— Hello everybody ! Meeeeerrry Chriiiiistmaaaas !


Quelques heures plus tard, on prenait l'apéritif dans le salon de Miki et Falcon. Tous les invités étaient là. Kaori avait emprunté une robe à son hôtesse pour éviter de rentrer à l'appartement, tant elle était persuadée qu'elle trouverait Ryo en charmante compagnie et ça, elle ne l'aurait pas supporté. Pas le soir de Noël... Et tant pis s'ils n'avaient pas l'occasion de discuter de son départ, le petit mot d'explication posé sur la table suffirait bien, après tout, elle n'avait pas de compte à lui rendre. 


Pour une étrange raison, elle n'avait pas eu envie d'aborder le sujet au café tout à l'heure. Pourtant, Miki était au courant du projet, donc, elle n'avait rien à cacher à personne mais elle n'avait pas réussi à parler à son partenaire. Même lui adresser la parole était devenu une véritable épreuve. Ou peut-être que la simple perspective qu'il se réjouisse de son départ lui tapait déjà sur les nerfs ? 


Quoiqu'il en soit, depuis le début de la soirée, elle faisait semblant de s'intéresser aux conversations qui allaient bon train entre les membres de la petite bande mais son esprit était toujours obnubilé par un seul sujet, encore et toujours le même : Ryo. Comment avait-il réagi en découvrant son petit mot et où pouvait traîner cet imbécile ? 


Elle sursauta quand la sonnette retentit. Tous échangèrent un regard : étonné pour certains, affuté pour d'autres. Des mains gantées se portèrent sur un petit poignard dans un holster, d'autres à l'arrière du dos, d'autres vers une jarretelle fort bien pourvue de petits couteaux et d'un minuscule revolver. 

Quand tous furent prêts, Miki alla ouvrir. Elle en resta bouche bée :

— Ryo !


Les armes restèrent rangées, même celles de Mick.

— Saluuut ! s'exclama Ryo.


Un sourire gêné collé sur le visage, il dansait d'un pied sur l'autre, un bouquet de roses blanches dans une main, un petit sac en papier brun dans l'autre.

— Désolé, j'arrive en retard mais j'ai galéré dans le grenier et ...pfff... Toutes mes excuses. Est-ce que ton invitation tient toujours ? Je peux me joindre à vous ? Ca, c'est pour la maîtresse de maison, ajouta-t-il en tendant les fleurs à Miki.


La jeune femme receptionna le cadeau et s'effaça pour le laisser entrer, sous le regard circonspect de l'assemblée. Le silence pesa alors tel une enclume.

— Je prends ton manteau ? s'enquit Miki.


Ryo lui tendit son trenchcoat de laine, retira ses chaussures, toujours scruté par treize paires d'yeux intrigués, puis s'éclaircit la gorge. Il allait passer un moment désagréable mais ça en valait la peine. Il les regarda tour à tour :

— Je vous dois des excuses à tous. J'ai été con et chiant ces derniers temps. La seule chose que je peux vous dire c'est que je suis vraiment désolé.

Il fixa ensuite intensément Kaori qui fit tout son possible pour qu'elle perçoive sa sincérité : 

— Rien ne pourrait expliquer et encore moins justifier mon attitude. Mais je vais changer ça, je vous le promets. J'espère que vous me pardonnerez.


Le silence lui répondit. Il saisit alors son sac en papier et en sortit quelque chose de brillant qu'il tendit à Kaori :

— J'ai ramené un petit truc.... Pour le sapin.

— Mais, c'est mon étoile ! Je la croyais perdue !


Il hésita, gêné, puis déposa délicatement l'étoile-boule-à-facettes dans les mains un peu tremblantes de la jeune femme. Pas besoin de connaître Kaori sur le bout des doigts pour constater qu'elle était surprise, émue... heureuse. 

— C'est celle de mon enfance... murmura-t-elle. Mon père et moi, on l'avait bricolée ensemble. Elle est moche mais je l'adore.


En découvrant l'émotion dans ses yeux, il sourit, rassuré. Il allait peut-être y arriver finalement, surtout qu'elle arrivait à aimer quelque chose de moche. Il avait peut-être encore une chance... Il faillit faire une remarque en ce sens mais se retint. Ce n'était pas vraiment le bon moment, ni le bon endroit... Il se contenta de préciser :

— Ton étoile avait glissé entre deux lattes du grenier. J'ai mis un temps fou à la sortir de là. Elle en a perdu des bouts de miroirs, j'ai pas eu le temps d'aller acheter des nouveaux pour la réparer. 

— Pas grave.

— Kaori, tu devrais la mettre sur le sapin, intervint Falcon de sa voix grave.


Tous se tournèrent vers le géant qui retira l'étoile qui surmontait le sapin de son salon. Ensuite, il souleva Kaori par la taille, comme si elle ne pesait rien. Elle fut surprise de cette attention mais profita de cette aide inattendue pour déposer facilement la sienne. 


Quand ce fut fait, elle se tourna vers Ryo et le scruta, à la fois surprise et inquiète, guettant le mauvais tour. Gêné, il lui sourit, ne sachant comment se comporter après une si délicate attention. Il avait secrètement espéré un baiser après ce petit cadeau mais, c'eut été trop simple, il le réalisait maintenant.

— Une petite coupe, Ryo ?

— Ah... heuuu volontiers, Mary, merci. Bonsoir Eric. 

— Ravi de vous revoir, Saeba !

— De même ! Vous avez l'air plus en forme que la dernière fois, mon vieux ! répondit Ryo en serrant la main qui lui était tendue.


Et, à force de bonne volonté, la soirée se déroula sans encombre. Mick et Ryo échangèrent quelques noms d'oiseaux avant de se faire l'accolade et de se taper virilement sur l'épaule. Falcon grogna quelque chose d'inintelligible, Saeko leva les yeux au ciel, Kazumi lui chuchota un "Contente de te retrouver", Reïka réprimanda sa petite soeur qui posait trop de questions et Kazue essaya de soumettre Ryo à un questionnaire de santé mentale pendant que le Doc le scrutait par dessus ses petites lunettes rondes. Kaori, elle, restait un peu distante, n'engageant pas directement la conversation avec lui. Elle observait, de l'autre côté de la table, incrédule, la transformation soudaine et inexplicable de son partenaire. 


Quand le repas se termina, Ryo osa l'interpeller :

— Kaori, je voudrais te parler. Tu m'accompagnes dehors ?

— Tu veux me dire quoi ?

— Un truc perso qui ne regarde pas les autres.

Elle croisa les bras sur sa poitrine, butée. Ryo insista : 

— Accorde-moi une minute. Rien qu'une minute. S'il-te-plait.


Miki les observa gravement puis se leva. Le silence plana sur la petite assemblée qui fixait Kaori et Ryo avec circonspection. Miki revint quelques secondes plus tard, leur tendant leurs vestes et lança, autoritaire :

— Allez, dehors. Tous les deux. Hop, hop, hop et que ça saute ! Et ne revenez pas tant que vous n'aurez pas réglé ce que vous avez à régler.


Ils n'eurent d'autre choix que d'obtempérer. En enfilant son manteau, Kaori pointa un index accusateur vers Ryo :

— Je te laisserai une minute. Pas une seconde de plus.

Il se contenta d'acquiescer et de sortir à sa suite. Les autres, à l'intérieur, perçurent leurs pas dans la cage d'escaliers, la porte d'entrée claquer et puis, plus rien. 


Saeko dut retenir prestement Yuka par le bras pour qu'elle n'aille pas les rejoindre.

— Je veux juste aller téléphoner à papa et maman ! mentit-elle.

— C'est ça, j'vais t'croire...

— Héééé, Mick ! Tu vas où ? s'enquit Kazue en attrapant son fiancé par le bras, les sourcils froncés.

—  Fumer une clope. Je ne vais pas l'allumer ici, quand même.

— Miiick... s'exaspéra la jeune femme. Ça fait un mois que tu as arrêté de fumer.

— Ah oui, pardon, j'avais oublié ! ricana l'Américain en s'éloignant de la porte. C'est que c'est stressant comme situation, non ?

— Miki, tu fais quoi ? lança ensuite Reïka alors que Miki posait la main sur la poignée de la porte. 

— Il faut que je sorte la poubelle. Tu sais, le développement bactérien des restes de repas, c'est terrible... se justifia-t-elle en brandissant son sac en plastique bleu.


Soudain, Falcon se leva et dégaina un énorme bazooka, sorti de nulle part, sous le regard hébété de tout le monde. Il avait donc des cachettes partout ! 

— Personne ne sort, tonna-t-il. Et personne ne s'approche de la porte. Même toi, Miki. Et toi, Mary, les toilettes, c'est de l'autre côté.


Les tenant toujours en ligne de mire, le géant alla se caler dans son fauteuil au pied du sapin et pointa son arme démesurée vers eux. 

— Maintenant, venez vous asseoir en attendant qu'ils reviennent.


Tous, obéissants et impressionnés, vinrent prendre place sur le canapé, les fauteuils ou les coussins posés à même le sol pour accueillir tous les invités. Satisfait, le maître des lieux hocha la tête en grognant avant de reposer le canon de son arme contre  l'accoudoir de son siège.

— Miki, tu avais prévu un devine-à-qui-je-pense, je crois, rappela Kazumi avec un sourire nerveux.

— Un devine-à-qui-je-pense ? Ça va pas, non ? Avec ce qui est en train de se passer en bas ? s'indigna Mick. 


Falcon redressa son arme et l'Américain toussota, lissa son costume et croisa les jambes :

— OK, OK, ça vous va si je commence ?

— Mouais, fais donc ça, Gueule d'Ange.


Ils eurent quelques difficultés à se concentrer, ils durent bien le reconnaître et le jeu rencontra un succès mitigé face à la concurrence de ce qu'il se tramait deux étages plus bas. Falcon se vit obligé de brandir encore quelques fois son lance-missile. D'aucuns savaient qu'il était tout à fait capable de l'utiliser donc, ils restèrent tous sagement dans le salon, pendant que le duo City Hunter sur le trottoir, juste devant le café, dans la rue endormie, en tête à tête, profitait de cette relative intimité pour se dire ... se dire quoi, d'ailleurs ? 


Personne ne le sut exactement. Seul Falcon grâce à son ouïe surdéveloppée entendit certainement quelque chose mais, il ne dévoila rien. De ce que Ryo avoua, le géant n'en répéta jamais un mot:

— Je suis désolé Kaori. Pardonne-moi. Mais tu as été tellement... Tu m'as menti, tu as retrouvé la mémoire...

Falcon aurait préféré mourir que de mentionner la colère de Kaori, ou ses larmes de rage ou la gifle qu'elle administra au repenti. Il ne parla pas non plus du compte à rebours qu'elle entama ensuite : 

— ...Cinquante-neuf... cinquante-huit... cinquante-sept... Tic-tac... Une minute, Ryo. Pas une seconde de plus.

— OK... Va falloir miser sur l'efficacité... 

Ryo s'éclaircit la voix, se planta devant Kaori et la regarda dans les yeux :

— J'ai été idiot. J'ai cru que tu préférais oublier ce qu'il s'est passé, notre baiser... tout ça... Mais je viens seulement de comprendre que tu attendais quelque chose que je n'arrivais pas à t'offrir... Je ne veux pas que tu partes vivre à New York car c'est ce qui va arriver si on continue comme ça. J'ai besoin de toi, plus que tu ne peux l'imaginer... plus que je ne pouvais l'imaginer... Je ne veux plus passer un seul Noël sans toi. Est-ce que tu veux bien me pardonner ?


Falon entendit... mais ne répéta rien de tout ça... Et, même si son crâne devint rouge pivoine et fumant comme un café chaud, il participa au jeu autant que possible et resta muet sur ce qu'il se passait en bas de chez lui. 

Et pourtant... Un doux baiser y était échangé, là, sous les étoiles de la nuit de Noël. 

Le géant sourit derrière sa fine moustache en songeant que la branche de gui avait été, par chance, attachée à l'enseigne du Cat's Eye par un esprit décidément bien inspiré. Ce sourire passa heureusement inaperçu car il venait de gagner la partie, devinant en deux questions que le Doc pensait à Cindy Crawford. 


Ryo obtint apparemment du rabe à ces soixante secondes car Kaori et lui remontèrent au bout d'une vingtaine de minutes, en se chamaillant comme avant, lui allégrement espiègle et elle faussement fâchée, sourire aux lèvres et yeux brillants. Elle serrait autour de son cou une écharpe en laine jaune toute neuve. Ils ne répondirent à aucune question, ne relevèrent aucune allusion, ne partagèrent aucun regard entendu. Boudeuses, Yuka et Miki ne dissimulèrent pas leur déception mais furent bien forcées d'abandonner leur interrogatoire en règle.


Pour détourner l'attention, Kaori proposa de déballer les cadeaux de Mick. Les papier colorés partirent en lambeaux, révélant, dans de petits cris de joie et d'excitation, des gadgets inutiles pour certains, "Le vieil homme et la mer" pour le Doc, des lunettes de soleil roses pour Falcon, une paire de boucles d'oreilles pour Kazue, un pendentif porte-bonheur pour Kaori :

— Je me disais que ça t'aiderait peut-être. Tu semblais avoir besoin d'une petite dose de baraka, expliqua Mick. Enfin, je crois que ce n'est plus très utile... Et, sorry, bro'. Je ne pensais pas que tu viendrais, je n'ai rien pour toi.

— Pas grave. Tu n'auras qu'à payer ta tournée la prochaine fois au... Aïeuuu, ça fait mal ça, Kaori ! Pourquoi tu me frappes ? C'est Noël, quoi, un peu de coeur ! s'indigna-t-il en se frottant le crâne.

— Justement, c'est Noël ! Pas la peine de mentionner vos balades de dépravés là....

— Mais non, mais non, Kaori, c'est juste que... tenta Mick avant de se prendre lui aussi une tape sur la tête. Aïeuuu, ça fait mal ça, Kazue chérie ! 


Ce fut dans les rires que tout le monde passa à table pour le dessert. Mick tenta encore d'assouvir sa curiosité mais Kaori éluda ostensiblement ses questions, de même que Ryo qui finit par entrouvrir sa veste pour montrer son revolver dans son holster, calmant  l'Américain et tous les autres indiscrets par la même occasion. On n'allait pas s'entretuer pour si peu, seriously !  It's Christmas time !


A la fin de la soirée, tous remarquèrent que Kaori et Ryo repartaient bras dessus, bras dessous. Miki se garda bien de rappeler à son amie qu'elle devait s'envoler le lendemain soir pour New York et que le lit d'appoint avait été sorti pour elle dans la petite chambre mansardée. Oh non, pour une fois, Miki n'oublia pas de se taire... Il faut dire qu'un autre magnifique voyage attendait Kaori... et Ryo ! 

Elle souriait de satisfaction, les mains sur les hanches, tout en observant par la fenêtre ses invités partir :

— Voilà ce que j'appelle une fête réussie ! Qu'est-ce que je suis contente pour eux deux ! Moi qui ai tellement prié pour avoir un miracle de Noël, je crois que c'en est un, non ? Au fait, Nounours, dis-moi... tu n'aurais pas réussi à entendre ce qu'il lui a dit ? Nounours ? Nounours ?


Derrière elle, dans le grand fauteuil au pied du sapin, un ronflement sonore, paisible et puissant lui répondit. Elle se retourna, sourit et alla déposer un tendre un baiser sur le front étincelant de Falcon :

— Joyeux Noël, Nounours. 


Le lendemain, Kaori s'envola comme prévu pour New York. Elle félicita chaleureusement Sayuri pour ses fiançailles mais n'eut pas l'occasion de fêter Nouvel-An sur Time Square. En effet, elle écourta son séjour, prétextant devoir revenir à Tokyo pour une affaire urgente. Elle ne parvint évidemment pas à dissimuler à son amie Sayuri qu'une "petite chose en plus" la liait depuis peu à son partenaire. Cette dernière avait souri, lui assurant qu'elle était absolument et sincèrement ravie pour elle.


Pendant ce temps, Ryo était allé faire amende honorable sur la tombe de son ami défunt, et avait invité Saeko à se joindre à lui. Devant la stèle d'Hideyuki, Ryo et elle avaient longuement échangé puis il avait laissé son amie seule : elle avait des choses personnelles à dire à un certain fantôme qui hantait son cœur depuis quelques années. Elle devait le laisser partir et lui dire au revoir. De loin, Ryo n'avait pu s'empêcher de veiller discrètement. Pour la première fois de sa vie, il avait entraperçu les larmes de Saeko. Il en avait eu le coeur serré mais le deuil était un douloureux chemin solitaire, il ne le savait que trop.


Les années qui suivirent cette étrange veillée de Noël, Ryo Saeba mit un point d'honneur à ne plus cacher ses sentiments à sa belle. Oh, il eut bien des disputes bruyantes, d'innombrables massues s'écrasèrent sur son crâne, des crises de jalousie retentirent entre les murs de leur appartement, et pas que de la part de Kaori, mais jamais plus rien ne les empêcha de fêter Noël tous les ans, ensemble. Parce que c'était ça, leur seul vrai cadeau. Ils étaient ensemble... Et rien ne pourrait les séparer...


Et, avec le temps, quelque part dans les brouillards de l'oubli éternel, un fantôme avait senti ses chaînes s'alléger. Il allait enfin pouvoir se reposer. 


Joyeux Noël !


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