Audacieuse

Les autres factions sont dehors, en train d'attendre. Je les vois à travers les vitres du train. Le signal retentit, et les Sincères, Altruistes, Erudits et Fraternels détournent le regard vers nous. Je regarde Theo avec un air malicieux. Par instinct et pour nous montrer, nous crions tous. Quand on arrive au bon niveau, Terry se lance, suivi par Keiynan et moi. Theo sort le dernier. Nous courons vers la porte, et les autres factions nous laissent passer, comme une haie d'honneur. Je ris aux éclats. Nous donnons des coups de coude pour se frayer un chemin, et j'enlève mon bonnet pour le mettre sur la tête de Theo :

- Ca te va bien, mon amour.

- Tu m'as appelé mon amour ?

- Oui.

Je souris et lui attrape le bras pendant la course effrénée. Nous nous plaçons devant, pour accueillir les transferts. Les natifs trouveront une place naturellement. Ils ont déjà leur place parmi nous. Les autres factions arrivent ; d'ailleurs les Erudits, qui nous regardent d'un air dédaigneux, pendant que nous plaisantons. Ils ont des livres entre les bras, et avec Terry et Keiynan, nous tirons la langue à des jeunes Erudits. Je ne veux pas le moins du monde apprendre mon art aux Quat'z'yeux. Theo, à côté de nous, s'adresse à nous trois :

- Bande de meringues.

- T'as dit quoi ? s'exclame Terry.

- C'est petit, ce que vous faites. Vous allez voir ce que c'est, d'être Audacieux.

Il se lève, va voir un Erudit de visiblement 16 ans, et parle suffisamment fort pour que je l'entende, ainsi que les garçons :

- Chez les Audacieux, tu survivras pas un jour. Tu veux savoir pourquoi ?

Il a particulièrement insisté sur le mot savoir.

- Euh... Oui...

- Parce que vous, les Quat'z'yeux, vous êtes bien trop bêtes pour nous intégrer.

- Les Erudits sont bien plus intelligents que les Audacieux. Vous n'êtes que des brutes. C'est prouvé scientifiquement.

- Moi, je vais te le prouver en pratique. C'est bien mieux que la théorie. Dis-moi que je suis une meringue.

- La meringue est une pâtisserie très intéressante, car sa texture...

- Dis-moi que je suis une meringue.

- Vous êtes une meringue.

Theo sourit, l'Erudit ne comprend pas, mais il s'est fait prendre au piège. Theo le frappe à la mâchoire pas très fort pour un Audacieux.

- Je n'ai pas frappé fort, j'ai pas envie que tu casses tes lunettes.

- Mais pourquoi...

- Une meringue est la pire insulte au monde chez les Audacieux. Et tu ne savais pas ça ? Ca me déçoit venant d'un Erudit.

Et il se retourne. Les Audacieux crient, et nous partons voir Theo. Il arbore un sourire glorieux. Il bombe le torse et marche fièrement. Je le rejoins et il m'embrasse devant les Altruistes. Grossière erreur. Ils abordent une moue de dégoût. J'éclate de rire, et je vois Jeanine entrer. Nous nous rasseyons. Elle entame un discours :

- Je ne m'imaginais que des Audacieux pouvaient être aussi immatures. Nos enfants Erudits font preuve d'une maturité remarquable.

Et ça ne manque pas. Touchés dans notre ego, nous la huons. Elle fait son discours sur les factions, et la cérémonie commence. Tous les natifs – pour l'instant - nous choisissent. Notre premier transfert – une Sincère – arrive. Keiynan l'accueille d'un sourire radieux. Je chuchote :

- Eh ! C'est mes transferts !

- Je fais ce que je veux.

- Le prochain, c'est pour moi.

- OK.

Les jeunes s'enchaînent. Un Audacieux part pour les Erudits. Ce n'est qu'un traître, surtout qu'ils vont le détester après ce que Theo a fait. Et c'est le tour de ma sœur. Elle marche d'un pas assuré, et mes parents lui lancent un regard entendu, comme rassuré, sûr de son choix. Elle s'entaille avec le couteau. Le verre, l'eau, la terre, les galets ou le charbon ? Theo et moi retenons notre souffle. Sa main se dirige vers la coupe ornée d'un œil. Elle déverse son sang, et je m'avachis, ne réalisant pas. Les larmes me montent aux yeux. Theo me serre dans ses bras. Ma sœur regarde en l'air et quitte l'estrade. Je la regarde, remplie d'incompréhension. Qu'est-ce que j'espérais ? Elle me regarde d'un air hautain et vengeur. C'est le tour de l'Erudit que Theo a frappé. Je regarde l'Erudit, et lui aussi. Je prends un malin plaisir à voir son tressaillement quand son regard croise le nôtre. Il verse finalement son sang dans la terre des Fraternels. Je dis à Theo que c'est cool. Les transferts déboulent, et nous n'avons plus de place. Je dis à Theo de se mettre à ma place. Il s'exécute et je m'installe sur ses genoux, ses mains autour de ma taille. Theo a son menton appuyé sur mon épaule. Nos visages sont l'un à côté de l'autre. Huit Sincères, cinq Fraternels et sept Erudits nous rejoignent par la suite. Deux natifs partent. Nous avons un effectif assez chargé. La cérémonie prend fin, et nous applaudissons tous. Je parle à Theo :

- On va au train ?

- Ouais.

- On va voir lesquels sont prêts, dis-je en souriant.

- Allez.

Avec Keiynan, Terry et Theo, nous sortons des rangs les premiers. Je jette un regard entendu à Keiynan, et nous courons. Les Audacieux se pressent pour nous suivre. Une jeune Fraternelle crie :

- C'est dur !

- C'est que le début ! crie Keiynan, tu vas sauter dans le train !

Elle nous regarde avec un air de chien battu. Je ne peux rien faire pour elle. Moi, on ne m'a pas aidée.