Audacieuse

C'est le grand jour. Le jour que je redoute. Theo sort de la douche avec juste son pantalon. Il est torse nu. Je souris discrètement, comme gênée de mon regard qui dévie irrémédiablement vers ses abdos. Il s'approche de moi et me prend dans ses bras. Il me rassure, et je pense que c'est son intention. Son étreinte s'intensifie, mais je ne me rebiffe pas, loin de là. Il me détend et mes muscles se relâchent. Je lève la tête, et je l'embrasse. Une vague de chaleur m'envahit soudainement. Je me sens forte, toute-puissante. Mais je ne le suis pas. Je ne choisirais pas le destin de ma sœur. Elle le choisira elle-même. Et cette pensée me hante. Pour elle, une Sincère vraiment très Sincère, – pas comme moi, j'étais réservée et j'étais polie, chose que les Sincères qualifient de tromperie déguisée – elle choisira certainement les Sincères. A moins qu'elle veuille être douce et amicale, intelligente et vaniteuse, désintéressée et inhibée, ou courageuse et violente. J'ai peur, surtout qu'après mon départ peu prémédité, mes parents ont dû lui rabâcher des centaines de fois que j'étais une traîtresse. Mais qu'importe. Il faut que je me détende. Et Theo a déjà sorti les deux élastiques qui vont m'aider à faire mes tresses. Je brosse mes cheveux doucement, avec Theo sur le lit derrière moi en train de s'habiller avec des habits propres et beaux. On doit faire bonne impression. Il met un T-shirt assez serré qui laisse apparaître ses tatouages, et on peut voir le dessin de ses muscles à travers. Il met un jean noir et pour la première fois, lace ses chaussures. Je sors une bombe rouge du tiroir. Il me regarde, et je lui explique que c'est une coloration temporaire pour les cheveux. Je protège mes vêtements à l'aide d'une serviette et je colore les longueurs de mes cheveux. Je garde ma base brune naturelle des racines jusqu'à mon cou. Je choisis de mettre un jean slim et un T-shirt échancré, ainsi qu'une veste noire. Mes tresses tombent sur mon dos, et Theo les rabat sur mes épaules. Il me chuchote :

- Il faut qu'on voit tes sublimes cheveux rouges.

- Sérieusement, tu trouves ça moche ?

- C'est très beau. Surtout sur toi. De toute façon, même un sac poubelle serait joli sur toi.

- N'exagères pas. S'il-te-plaît.

- Bon... D'accord...

Il lève les yeux au ciel en souriant, comme si une idée trottait dans sa tête.

- A condition que...

- Bon, allez.

- Tu coures aussi vite que moi !

Et il s'élance, en balançant la porte, qui se referme sur moi. Je prends ça très au sérieux, comme tous les défis, et j'ouvre la porte pour m'engouffrer dans le couloir. Je mettrais ma main à couper qu'il est monté pour me tendre un piège. Alors je sors pour courir sur le plafond de verre, et je vois une ombre filer derrière une tour. Je cours, mes jambes me brûlent, et je le vois sur un autre bâtiment, de dos, mais je sais que c'est lui. Il a sauté. Je réfléchis. Je sais comment faire pour l'attraper. Il faut faire mine de descendre. Il reviendra, et je remonterais discrètement. De toute façon, il court plus vite que moi. A quoi bon lutter. Je descends quelques barreaux, de façon à pouvoir l'attraper quand je tends le bras. Je sens ses pas se rapprocher. Il saute et crie selon lui dans le vide, sur un ton moqueur :

- Alors, tu abandonnes ? Personne ne peut me battre à la course.

Et c'est trop. Je remonte discrètement l'échelle. Je glisse mes genoux sur la paroi de verre et me relève en un glissement. Il marche tranquillement. Je marche à pas de loup, et quand je suis à quelques pas de lui, je dis :

- Jamais.

Il se retourne, et le temps qu'il réagisse, je l'ai attrapé. D'un mouvement de jambes précis et agile, je le fais tomber.

- Il est temps d'y aller, Monsieur Long-sur-pattes.

Courte-sur-pattes, va.

- Un minimum de stratégie vaut largement tes jambes. La preuve.

Il sourit et nous descendons pour assister au Choix. Je lui demande :

- Tu as des frères et sœurs?

- J'ai une grande sœur qui a choisi les Fraternels.

- Sans blague.

- Si.

- Et tes parents ?

- Ils sont morts il y a trois ans.

- Désolée.

- Et toi ?

- Mes parents sont Sincères, et ma sœur fait son Choix aujourd'hui.

- Et qu'est-ce que tu en penses ? Tu as une idée des intentions de ta sœur ?

- Non, aucune. Ne serait-ce qu'elle ne nous rejoindra pas.

- Mais si ! crie Terry en entrant, elle nous choisira ! Je lui sourirais, et elle tombera sous mon charme ravageur.

- Bande d'idiots, dis-je, c'est pas parce qu'à mes yeux vous êtes des rayons de soleil que ma sœur pensera la même chose. Terry, elle n'aime pas les blonds.

- Tu peux parler avec tes cheveux rouges.

- Ta bouche !

Je me lève et passe ma main dans ses cheveux pour le décoiffer. Terry adore ses cheveux et prend trois heures le matin pour faire son effet coiffé-décoiffé. Il me lance un regard rageur, et avant qu'il n'ait le temps de tirer sur mes tresses pour les défaire, je me suis ruée sur la commode et j'ai mis un bonnet noir par-dessus mes cheveux et j'ai caché mes tresses dedans. Theo sourit, comme satisfait, et nous filons en refermant la porte, suivis par Keiynan et Terry. Jaden et les autres ne sont pas là. On forme vraiment un quatuor unique. Tous les quatre.