Une Nouvelle Terre

Chapitre 23 : Épilogue

Chapitre final

2131 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 18/12/2023 21:56

Il lui rend visite dans ses rêves, parfois. Le petit homme cagoulé, avec son visage blanc comme la craie.

Elle n’avait même pas su qui il était. Il n’aurait dû être personne pour elle. Et pourtant, quand il mourut devant elle lors de cette soirée mémorable, Lady Cassandra ruina son maquillage en pleurant pour lui.

Il lui avait semblé si doux, si gentil, sa voix frêle et nasale comme le bêlement d’un chevreau. Elle avait vue quelque chose d’étrangement sincère et insistant dans ses yeux quand il avait prononcé les mots :

― Vous êtes… tellement magnifique.

Lui dire ça avait été le moment le plus important de sa vie. Et aussi le dernier.

Les médecins n’étaient pas arrivés à temps. Non pas que ça aurait aidé le pauvre malheureux, de toute façon. Son cœur avait déjà lâché, lui avaient-on dit. Et le reste des organes étaient défaillants, eux aussi. Les reins. Le foie. Plus rien à faire.

Néanmoins, mourir seul comme ça… entouré de toutes ces belles personnes, aucune d’entre elles n’ayant levé le petit doigt pour l’aider. Personne qui ne connaissait son nom. Est-ce que quelqu’un le cherchait ? Est-ce qu’il manquerait à quelqu’un ?

Et elle alors, dans tout ça ? Et si elle mourrait exactement de la même façon ? Seule, dans une salle pleine d’inconnus ?

Elle veut se souvenir de lui. Mais même quelqu’un comme elle est suffisamment perspicace pour savoir que, un jour, elle finira par l’oublier complètement. Elle sera obligée, pour son propre bien.

Mais il ne disparaît jamais entièrement des sombres recoins de son esprit…

Et à partir de ce moment-là, Lady Cassandra n’a plus aucun doute. Aucune hésitation. Elle ne se contentera pas simplement de vivre, elle vivra pour toujours… et elle sera toujours belle. Belle à briser le cœur.


Les années passent.

Surprendre son mari au lit avec sa secrétaire est la goutte de trop. Ils entretiennent tous les deux une relation ouverte, mais jusqu’à présent Cassandra n’a jamais eu à rencontrer les autres partenaires de son époux. Et elle veillait de même à ce qu’il ne rencontre jamais les siens.

Mais sa secrétaire est plus jeune qu’elle. Plus jolie. Plus blonde. Plus mince. Mieux foutue.

Il lui dit qu’elle est belle. Il ne dit plus jamais à Cassandra qu’elle est belle, maintenant.


Les années passent.

Elle était généreuse, autrefois. Autrefois, elle était bienveillante. Avant, elle donnait de l’argent à des gens comme ça, ceux qui se sont retrouvés à vivre dans la rue.

Mais les choses ont changé. Maintenant ? Lady Cassandra passe devant eux sans même réfléchir. Elle a besoin de garder son argent pour elle. Être belle c’est être mince – et être mince, ça coûte de l’argent.

Elle est en manque d’argent. Peut-être… peut-être qu’elle a besoin d’un nouveau mari ?


Les années passent.

Lady Cassandra enterre son mari. Ça en fait deux morts d’affilée. Est-ce que ça fait d’elle une veuve noire, à présent ?

Peu importe. Il y aura toujours des hommes meilleurs, des hommes plus jeunes ; à la peau plus lisse et aux corps plus fermes, moins débiles et moins fragiles. Désormais, elle va pouvoir se payer les chirurgies.

Elle a besoin d’être plus plate. D’être plus lisse. De maigrir. D’être mince – personne ne sera plus mince qu’elle. Personne ne sera plus belle. Encore une opération, se dit Cassandra, et tout le monde saura qui je suis. Tout le monde m’aimera. Je ne serais plus jamais seule. Mais ils ne finissent jamais par l’aimer.


Les années passent.

Tout est en train de changer trop vite, trop rapidement. Cassandra n’arrive plus à suivre le rythme. Elle est en train de perdre pied, de lâcher prise, de se faire emporter par la marée, incapable de nager avec le courant. À deux doigts de se noyer.

Son monde est en train de s’éteindre. L’humanité se meurt, noyée dans une mer de sang extraterrestre – mais elle tiendra tête à ce raz-de-marée, et préservera les derniers vestiges de la beauté humaine, pure et authentique. Des traîtres, c’est tout ce qu’ils sont ; trahissant les racines dont ils sont issus.

Eh bien, Cassandra n’osera pas se salir de la sorte. Elle va lutter et se battre. Tuer et comploter, s’il le faut. Garantir sa propre survie par tous les moyens nécessaires. Face à la laideur corrompue des autres humains – qui se donnent toutes sortes de noms, maintenant ; « nouveaux humains », « proto-humains », « digi-humains » et même « humanoïdes » – c’est tout ce qu’elle peut faire rester pure. Pour échapper à tout ça.

Elle fera tout, juste pour rester en vie. Pour rester belle. La Terre elle-même finira par brûler, un jour, mais pas elle. Non, pas elle.

Elle leur survivra à tous. C’est sa responsabilité, après tout, en tant que le dernier être humain.


Les années passent.

La Cassandra du passé aurait été horrifiée, peut-être. Mais lorsqu’elle rouvre les yeux après les dernières chirurgies et se regarde dans le miroir… elle sourit.

Tout ce qui reste d’elle, c’est du rouge à lèvres et un bout de peau, tendue sur un cadre. Des yeux qui ne sont même pas les siens à l’origine, mais des yeux clonés et cultivés dans une cuve. Son cerveau est bien à l’abri en-dessous, préservé dans un bocal chimique.

Cassandra sourit. Elle sourit jusqu’à ce qu’elle ait mal. Elle pourrait continuer ainsi pendant des siècles. Elle ne mourra jamais. Si ça c’est le prix à payer pour rester belle, alors elle le paiera. Elle paiera toujours le prix.

― Humidifiez-moi, ordonne-t-elle, pour la première fois.

Pas la dernière.


Les années passent.

Les clones à croissance forcée, dit-on, portent des motifs sur leur peau.

Cassandra ne prête pas attention au pourquoi. Quelque chose concernant la vitesse de croissance qui entraîne la création naturelle de motifs fractaux dans la chair. Comme des tatouages.

Il y a un motif en particulier qui lui est familier… Apaisant. Nostalgique. Cassandra finit par comprendre qu’elle a déjà vu ce motif quelque part. Mais ça fait si longtemps, qu’elle ne s’en souvient plus.

Elle demande au clone de la servir. De la satisfaire. De la désirer. De l’aimer. De l’idolâtrer. Il devient son compagnon permanent, son plus fidèle serviteur. Son animal de compagnie. Son jouet. Son plus dévoué d’esclaves. Il ne mérite pas de nom, mais elle lui en donne un quand même : « Chip », elle l’appelle. Son petit Chip.

Il est si mignon, si prêt à lui plaire. Une part d’elle a envie de prendre le clone dans ses bras. Mais Cassandra n’a pas eu de bras depuis très, très longtemps. Et avant ça, ses bras étaient déjà devenus fragiles et ridés et inutiles, de toute façon.

Elle avait été si vieille à l’époque, au seuil de la mort. Devenir mince avait été son salut. Elle aurait pu mourir, entourée de sa famille. Mais ils ne voulaient plus rien savoir d’elle. Certains la soupçonnaient même de meurtre !

Elle aurait pu mourir, entourée de ses amis. Mais ses insultes et ses médisances et ses petites jalousies avaient finies par dresser un mur autour d’elle, que ses amis ont renoncé à percer depuis longtemps. Un par un, ils l’ont tous abandonnée.

Elle aurait pu mourir entourée de gens qui connaissaient son nom… Mais quasiment tout le monde a oublié Lady Cassandra, de nos jours.

Parfois, Cassandra aurait préféré être morte. Puis elle se ressaisit et continue à lutter ; pour revenir, une dernière fois, à ses jours de gloire. Cela la pousse à aller de l’avant ; pour être belle et les reconquérir tous. Pour être plus mince et plus lisse encore.

Pour entendre à nouveau quelqu’un lui dire qu’elle est magnifique.


Les années passent.

La dérive des continents était censée déstabiliser la Terre entière, mais il n’en est rien. Cassandra s’en est assurée. Oh, bien sûr, les grosses têtes du National Trust s’étaient chargés de tout avec leurs satellites gravitationnels, mais devinez qui leur avait trouvé l’argent ?

Cassandra, et personne ne le savait. Elle a acheté les autres pour qu’on s’occupe de sa planète natale. Après tout, à quoi bon être le dernier être humain s’il ne restait plus rien de la Terre ? Autant aller côtoyer les autres mutants et… copuler !

Mais elle a un plan, désormais, et n’aura plus besoin d’investir sans arrêt son argent dans cette petite planète inutile. Comme ça, elle en aura tellement plus pour se refaire la peau. C’est pas gratuit, vous savez, d’être aussi plate…

La minceur est revenue à la mode, ces derniers temps. Et Cassandra est la plus mince de toutes. On ne peut presque plus la voir quand elle se met de profil, mis à part le bocal contenant ses organes vitaux. Elle avait toujours trouvé ces-derniers plutôt vulgaires, et s’est réjouie de l’occasion de se les faire enlever. Ses organes reproducteurs étaient parmi les premiers à partir, à l’époque. Puis vint sa première rhinoplastie…

Elle a déjà subie tellement d’opérations, mais il y en a toujours tant d’autres à faire. Il y a la prochaine ablation de son menton, l’épilation de ses sourcils, le blanchissement de son sang, et même l’étirement de sa peau. Et tout ça lui coûte cher… !

 

Les années ont passé.

La Plateforme Une interdit l’usage des armes, de la téléportation et de la religion. Heureusement, Cassandra a un plan. Elle attend le bon moment. Ça fait longtemps qu’elle a cessé de donner son argent au National Trust : ils ont donc décidé de laisser la Terre mourir.

Elle connaît la liste des invités par cœur : la Forêt de Cheem ; M. et Mme Pakoo ; les ambassadeurs de la Ville de la Lumière Obligatoire ; Cal « Bougie » MacNannovich et son entourage ; les frères Hop Pyleen ; le Moxx de Balhoon ; Face de Boe…

Oh, et deux additions de dernière minute – « le Docteur » et « Rose Tyler ».

Leurs noms ne représentent rien pour elle, bien entendu. Mais leurs fortunes, si. Et Cassandra sait exactement comment en « hériter » …

Les Adhérents de la Transmission du Meme. Ils ne sont qu’une idée ; un groupe stéréotypé d’êtres cagoulés à l’allure sinistre qui répandront ses araignées métalliques à travers la station et lui serviront volontiers de boucs-émissaires par la suite. Ses araignées causeront des dégâts, des ravages et du sabotage, et laisseront le sort de tout le monde à bord entre… eh bien, entre ses mains.

Non pas que Cassandra ait encore des mains, à proprement parler. Celles-ci avaient vieillies avant le reste, si laides et noueuses et encombrantes… !

Non ; elle a payé d’autres gens pour faire le sale boulot à sa place, comme toujours. Elle est une dame, après tout ! Elle a découvert que le personnel de la Plateforme ne vérifiera pas le contenu des artefacts, et utilise ça à son avantage pour y cacher un dispositif de téléportation. Un faux œuf d’autruche fera très bien l’affaire… à condition qu’elle puisse trouver quelque chose à dire sur cet oiseau ridicule.

Du moins, Cassandra pense qu’il s’agit d’un oiseau. Ça pourrait tout aussi bien être une girafe, si elle s’en souvient bien. Le temps tourne et tourne, et tourne encore, et l’Histoire de la Vieille Terre n’est pas vraiment son point fort…

Ah, tant pis ; ça n’a pas d’importance. Tout a été planifié dans les moindres détails… jusqu’aux deux grands gaillards de confiance sur lesquels elle peut compter pour humidifier sa peau.

Voilà, au bout du compte, le seul véritable inconvénient de la chirurgie.


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