Doctor Who Alternative: Saison 9

Chapitre 1 : L'Ombre d'un Doute [Partie 1]

9446 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 10/11/2016 07:26

Le soleil éclairait le petit village de Greyhom depuis quelques heures déjà, et l'équivalent des "10 heures" sur la petite planète l'accueillant approchait à grand pas. Greyhom était fait d'un peu plus d'une trentaine de chaumières, dont une bonne vingtaine se trouvait regroupée au bas d'une légère colline située au sud du village, construite de façon peu ordonnée, là où le terrain avait été le plus plat lorsqu'on avait voulu les bâtir. Elles étaient reliées les unes aux autres par des petits chemins de terre qu'on avait soigneusement désherbée, puis lissée et tassée pour en faire la surface d'un sentier ferme. Dans cet espèce d'essaim de maisons, une chaumière se dénotait par sa taille, étant élevée sur trois niveau, et construite avec beaucoup plus de pierre que les autres. Cette chaumière, un peu à l'est, les dominait toutes du haut de ses deux étages, et de ses plus hautes fenêtres, on voyait parfaitement les quelques autres demeures dispersées plus au nord, dans les champs, puis dans la plaine et dans les solitudes, autour d'une sorte de route de terre à moitié recouverte par les herbes, dénotant le peu de circulation qu'on y faisait. Mais lorsque cette route arrivait dans le centre de Greyhom, elle s'élargissait, et formait une sorte de grande place en demi-cercle, tout herbeux, mais d'une herbe à la fois grandement piétinée, et pourtant fière et belle. Sur cette "place" se tenait une estrade, rectangulaire, construite en bois, et devant avaient été placés de nombreux bancs.

À l'ouest du village se dressait une grande forêt, qui s'allongeait dans toutes les autres directions sur plusieurs kilomètres, plus loin que l'horizon. On y chassait beaucoup, et on y coupait parfois des arbres. À l'est, à une centaine de pas de la grande maison, se trouvait un ruisseau d'une dizaine de mètres de large, et profond d'un bon mètre, qui coulait entre les premières roches annonçant les menaçantes montagnes de pierre qui se dressaient tel un mur à moins d'un kilomètre du village. Greyhom était au pied des sommets...

Au sud du village, il y avait une colline, recouverte d'un sentier, qu'empruntait une jeune fille d'environ 24 ans. Elle était habillée d'une robe un peu vieillie, d'un blanc devenu beige, qui la faisait ressembler à une paysanne. Ses cheveux d'un châtain foncé qui s'illuminait sous le soleil de la planète, et ses yeux d'un bleu métallique lançait un regard vide mais plein de charme devant elle. La colline n'était pas très large, ni très haute, mais il fallait bien une minute ou deux de marche pour arriver à son sommet, et à la maison qui l'occupait. Elle frappa à l'épaisse porte de bois qui se trouvait à gauche sur la façade, et après quelque secondes, elle vit passer un homme par la vitre à droite de celle-ci, qui donnait sur une pièce de la demeure. Le battant s'ouvrit, et l'homme apparut dans l'encadrement, souriant. Il était déjà d'âge mûr, dans la quarantaine, voire peut-être plus. Ses cheveux aussi étaient châtains, mais d'un châtain clair qui semblait parfois prendre des teintes rousses sous la lumière du soleil. Ses yeux d'un bleu pétillant étaient soulignés par des pommettes saillantes dues à son sourire. Sa bouche était surmontée d'une moustache un peu brouillonne, et soulignée par une mouche, une petite touffe de poils située juste en-dessous de sa lèvre inférieure, tandis que son menton était recouvert d'une sorte de barbe rasée une semaine ou deux auparavant, faîtes de poils de tailles irrégulières, qui semblaient avoir été dispersés à la va-vite autour de sa mâchoire. On pouvait penser qu'un homme à la pilosité si peu "soignée" et ordonnée se négligeait, mais il s'agissait plus ici de la preuve d'un caractère légèrement bohème, et surtout d'une illustration du fait qu'à Greyhom, les normes sociales quant à la pilosité étaient différentes. Et puis cela lui allait très bien.

 

« Aurore! s'exclama-t-il. Mais... Que fais-tu donc ici?

- Oh, je viens visiter un peu. Bon, je connais l'endroit, c'est vrai, mais je dois venir quand même.

- Oh, je vois... Une tradition, n'est-ce pas? Léo doit faire de même?

- Oui, il y est depuis quelques minutes. J'avais presque oublié, moi!

 

La jeune Aurore se mit à rire, et l'homme fit de même, mais il se calma vite, et se recula un peu, pour la laisser passer.

 

- Mais rentre donc, tu vas attraper froid. Ce serait bête que cela t'arrive aujourd'hui.

- Oh, merci.

 

La jeune fille passa dans l'encadrement de la porte, et se retrouva à l'intérieur. L'entrée était une simple pièce presque carrée, qui ouvrait à droite sur la cuisine, par une ouverture rectangulaire sans porte. À gauche, les deux tiers du murs étaient longés par une sorte de bassin rectangulaire grossièrement taillé dans une matière ressemblant grandement à de la pierre, mais qui était en réalité le minerai équivalent sur cette planète, et qui s'avérait pouvoir être très friable, morcelable, ou au contraire assez dur, selon les conditions. Ce bassin était "rempli" d'eau, sur quelques centimètres seulement. Sur le mur en face de la porte, à droite, une armoire de bois, qui lançait une forte odeur de ce qui tenait lieu en ce monde de sel, contenait vraisemblablement de la viande conservée, tandis qu'à gauche, entre le bassin et l'armoire, un chaudron d'au chaude laissait échapper un peu de vapeur.

 

- Sigmalion? apostropha Aurore.

- Oui?

- Léo s'est lavé ici, ce matin? demanda-t-elle.

- Oh, non, bien sûr que non! Il est allé au lac, dans la forêt, encore une tradition. Permets-moi de te dire que c'est une bien dangereuse tradition, à mon avis en tout cas.

- Vous avez peur qu'il prenne froid, c'est cela? taquina la jeune fille en souriant. Vous savez très bien qu'il va toujours se baigner au lac le plus proche, et qu'il est chauffé par... par je sais pas trop quoi, d'ailleurs.

- Je pense qu'il s'agit des entrailles de la Terre. Là d'où nous venons, je crois me souvenir qu'on pensait qu'il y avait sous le sol, très profondément, de profondes chaleurs, et que parfois, ces chaleurs remontaient.

- Nature fait bien les chose, remarqua Aurore. Euh, je peux m'assoir?

- Mais bien sûr!

 

Le dénommé Sigmalion rentra dans la cuisine de sa chaumière, et tira un tabouret d'en-dessous de la table centrale de bois. La jeune fille le suivit et s'assit, détaillant la pièce. Derrière elle se trouvait la pièce qu'elle venait de quitter, et à sa droite, elle voyait à l'extérieur par la vitre encadrée et croisée de bois qui occupait le mur, et qui se trouvait au-dessus de plusieurs coffres dans lesquels étaient rangés de la nourriture. Devant-elle, une large cheminée occupée par un feu qui maigrissait peu à peu se dressait sur le mur. À gauche de la cheminée, à l'angle avec un autre mur, moins épais car ne donnant pas sur l'extérieur, une sorte de bloc de pierre épousait ledit angle, sur lequel on épluchait les légumes et cuisinait. La deuxième partie du bloc était faîte d'un petit bassin d'une soixantaine de centimètre de coté et de profondeur, rempli d'eau de moitié. Sur le mur de gauche, elle pouvait voir une petite porte de bois, et encore à gauche, le mur continuait et dépassait la pièce de l'entrée pour former un petit couloir qu'il délimitait avec le mur de celle-ci, couloir qui continuait jusqu'au bout de la maison, soit pas très loin (l'entrée et la cuisine faisant déjà la longueur de la chaumière).

 

- Voudrais-tu boire quelque chose? demanda Sigmalion.

- Oui, pourquoi pas. Choisissez pour moi, je ne m'y connais pas trop en feuilles, épices et plantes, vous savez.

- Bon, dans ce cas, laisse-moi vous préparer un bon petit breuvage de feuilles dentées.

 

Le maître de maison alla vers la "table" de pierre, et ouvrit un petit coffret qui se trouvait contre les pierres de la cheminée, pour en sortir deux petites feuilles d'un vert très sombre, et dont le contour se dessinait tel une mâchoire de dents pointues, recourbées vers l'extérieur. Il prit une tasse de terre cuite, qu'il passa dans l'eau du petit bassin, et enfonça ensuite les deux feuilles à l'intérieur.

 

- Pourquoi es-tu ainsi vêtue, dis-moi? C'est un grand jour, pourtant.

- Oh, c'est une tradition très importante à respecter. On ne revêt l'habit du mariage que très peu de temps avant la cérémonie, et on ne doit surtout pas l'utiliser avant. Et pour les dernières heures avant le grand moment, on doit s'habiller avec de vieux vêtements. Je crois qu'il y a un symbole dans cette coutume, mais je n'en sais rien, pour tout dire.

- Oh, sûrement pour "tuer" la vie de jeune fille, et de jeune homme... devina Sigmalion en plaçant la tasse dans une sorte de "porteur" de métal assez fin suspendu au-dessus de la cheminée, de façon à faire chauffer le breuvage.

- Tuer la vie de jeune fille?

- Oui. Les habits sont vieux, comme la vie de jeune personne seule. Le mariage tue cette vie pour en faire renaître une autre, celle de personne mariée, de mère ou père, et tout le reste. Enfin, je suppose.

- C'est assez compliqué, les symboles... remarqua Aurore.

 

L'homme sourit face à la faible compréhension de sa future belle-fille. Elle n'était pas la plus intelligente des filles de Greyhom, mais la plupart du temps elle comprenait assez vite.

 

- Ah, peu importe, respectons donc ces traditions. J'ai essayé de me souvenir de toutes, mais je n'y arrive pas. Léo s'intègre plus facilement aux coutumes. Les pères et les fils ne se ressemblent pas tant, on dirait.

- Roh, ne dîtes pas ça.

- Mais certains ne pensent-ils pas que ce mariage n'est là que pour que l'on s'intègre bien au village?

- Sigmalion, s'il vous plaît, ne pensez pas comme ça. Léo m'aime, et j'aime Léo, et tout le monde ici le sait. Et il est proche des autres jeunes. Il est un habitant de Greyhom, comme les autres, et pareil pour vous. Il n'a pas besoin d'épouser la fille du chef du village pour ça.

 

Sigmalion soupira, puis attrapa la tasse et se retourna pour la poser sur la table. Aurore la prit, et commença à la boire, tandis que l'homme s'asseyait face à elle. Aurore Glimm, celle qui allait épouser son fils dans l'après-midi. Et accessoirement, la fille de Protos Glimm, chef du village. Si ce mariage n'était pas arrangé, il arrangeait en tout cas beaucoup les deux habitants de la chaumière, Sigmalion et Léo, les "étrangers du village".

 

- Et puis, vous êtes là depuis... 3 ans, non? Ne vous faîtes pas de souci sur "l'intégration", comme vous dîtes. On vous a accueilli à bras ouvert, et on ne vous lâche plus.

 

Elle gloussa, manquant presque de s'étouffer avec le breuvage, puis continua à boire celui-ci, sous le regard rassuré et le sourire joyeux de Sigmalion.

 

- Il n'empêche qu'il me manquera, mon fils. Cette maison sera bien vide, sans lui.

- Oh, arrêtez, vous allez me faire culpabiliser, là! lança Aurore en riant. Et puis on habitera pas loin.

- Je sais. Mais bon, il m'aidait beaucoup... Tu sais, il a toujours été là, pour moi. Je ne sais toujours pas ce qui a bien pu se dérouler là où nous vivions auparavant, et il n'a jamais voulu me le dire. Comme quoi, je ne sais toujours pas pourquoi je suis ici. Mais il m'a toujours aidé, lorsque des bribes de mémoires me revenaient, par exemple. Jamais il n'a essayé de me cacher quelque chose. Et puis, pour "l'intégration", comme je le dis, il a toujours été le premier à aller vers vous tous, à nouer des liens.

- Et si l'on pensait plutôt à l'avenir, non? Je sais que vous n'aimez pas parler de votre "vie d'avant", et...

- C'est Léo qui n'aime pas parler de cette "vie d'avant". Moi il ne me reste presque plus rien de cette époque. Mais tu as raison. Pensons à l'avenir. Dis-moi, une tradition empêche-t-elle la future mariée de découvrir le dot que va lui faire son futur mari?

- Euh... Non, je ne crois pas.

 

Sigmalion se leva, et tendit la main vers le couloir. Aurore finit sa tasse, et se leva, pour le suivre. Au fond du couloir, il y avait deux portes, sur le mur de droite (celui opposé à l'entrée). La plus au fond menait aux "toilettes", tandis que celle un peu plus proche de la cuisine ouvrait sur la chambre de Léo. À droite, perpendiculaire au mur qui séparait cette pièce de la chambre du père, se trouvait le lit, à peu près fait, du jeune homme, entre une table de nuit et un miroir. Sur le mur constituant la façade arrière de la chaumière se trouvait une épaisse vitre encadrée de bois, et à gauche, alignée avec le lit, se dressait une armoire bien étrange.

Elle était faîte d'un bois d'une couleur qu'on ne voyait sur nul autre bois, une couleur bleue foncée, qui semblait avoir été apposée comme un piment ou une teinture (la peinture n'étant pas connue dans le village de Greyhom). Plus grande qu'un homme, mais d'une faible largeur, elle était surmontée d'un étrange cylindre de verre. Chacune des quatre faces de l'armoire était trouée de deux "fenêtres" de verre à travers lesquelles on ne voyait pourtant rien, chacune divisées en six. Sur la double-porte se trouvaient des poignées métalliques. En-dessous de l'une se trouvait une petite serrure, et à coté de l'autre, un panonceau. Mais bizarrement, ce qui attirait le plus l'attention des deux entrants étaient l'inscription au-dessus des portes, qui se retrouvait des autres cotés: "Police Public Call Box".

Sigmalion pointa l'armoire du doigt, et expliqua à la jeune fille:

 

- Voici notre cadeau de mariage. »

 

L'Ombre d'un Doute

PARTIE 1

 

Le garçon commençait à avoir peur... La forêt était assez sombre, là où il se trouvait. Il n'aurait peut-être pas dû aller aussi loin. C'était juste une petite promenade qu'il était supposé faire, bien qu'elle était en partie dévolue à la chasse (de rongeurs et de petits animaux, pour un si jeune adolescent). Mais il se sentait comme oppressé. Autour de lui, les hauts arbres créaient une sorte de plafond de feuilles épaisses qui empêchait la lumière de passer et qui plongeait toute la zone dans une atmosphère étouffante et légèrement obscure.

Mais surtout, il n'y avait personne autour, et rien. Aucun animal, aucun insecte. Même les plantes et l'herbe avaient disparu, sûrement tués par le trop peu de lumière. Il n'y avait que les arbres, quelques racines qui ressortaient, et la terre, ferme, qui tenait lieu de sol bosselé et en pente.

En effet, le "chemin" qu'empruntait le garçon (qui n'était pas un chemin, mais tout simplement la direction dans laquelle il allait) descendait sur quelques mètres, pour atteindre une zone plus basse, mais tout aussi obscure. Quelque chose lui disait qu'il ne fallait mieux pas qu'il continue. Non, il devait rebrousser chemin, faire demi-tour et rentrer à Greyhom. Midi approchait, et c'était jour de mariage: on ne mangeait pas avant le festin du soir, donc pas de déjeuner. Il ne fallait pas qu'il soit fatigué. Et il n'était plus un enfant, alors s'il tardait trop, il pourrait arriver en retard pour la cérémonie, et prendre une mauvaise place (les plus jeunes ayant un banc réservé).

Il se retourna donc, et commença à marcher dans la direction opposée, vers le village. Mais après avoir dépassé plusieurs arbres, un étrange frisson le traversa.

Il y avait un bruit, derrière lui. Il entendait comme un souffle... Sa main se resserra sur le pic qu'il portait, une sorte de flèche en plus lourd et en moins aérodynamique, utilisé pour le corps à corps, surtout contre les animaux. Sauf que s'il y avait quelque chose derrière lui, ce n'était probablement pas un animal. Il l'aurait senti, sinon. Il aurait senti le mouvement d'un être de ce genre, il aurait entendu son souffle. Le souffle qu'il avait entendu n'était pas un souffle de respiration, c'était autre chose... De bien plus effrayant.

L'adolescent regarda vers la gauche, et vit alors que l'arbre qu'il avait dépassé quelques secondes auparavant n'était plus là. Il n'y avait plus que de la terre et du vide, à sa place. En déplaçant son regard encore plus à gauche, il vit que c'était le cas des autres arbres devant lesquels il était passé. Et pourtant, au-dessus, il y avait toujours les feuilles... Ce plafond... Il commençait vraiment à avoir peur. Lentement, très lentement, il se retourna, et avant même d'avoir terminé de pivoter, il vit cette chose.

Ses yeux grossirent de peur et de surprise, et alors que la sueur coulait sur son front lisse et sous ses cheveux d'un brun sombre, il la vit se rapprocher. Et il courut, il courut en criant de toutes ses forces, lâchant son pic et fuyant à toute vitesse l'endroit, terrifié.

 

ΘΣ-ΘΣ-ΘΣ-ΘΣ-ΘΣ-ΘΣ

 

« Je dois dire que je ne sais pas ce qu'il met dedans... avoua Sigmalion en détaillant la cabine bleue.

- Si c'est son armoire, c'est qu'il doit y ranger ses vêtements, non?

- Oui... Oui, c'est logique. Mais ce n'était pas ce que je voulais dire, je me suis trompé. Je voulais juste dire que c'est un peu petit pour que l'on puisse ranger tout ses vêtements. Je me demande toujours comment il fait.

- Il y a un autre coffre, ici, remarqua Aurore en en montrant un du doigt, près du lit. Il doit aussi les ranger à l'intérieu. Mais vous n'avez jamais ouvert son armoire?

- Bien sûr que non! C'est défendu.

- Vous êtes son père, et c'est votre maison, non?

- Oui, mais là d'où nous venons, c'est interdit. C'est une "tradition", si vous voulez. Léo est un adulte, il a 25 ans. Je ne peux pas me permettre de m'occuper de ses affaires. C'est... c'est très déplacé, je dirais.

- Vous aviez de drôles de coutumes, là-bas. D'ailleurs, cette armoire vient de là-bas aussi?

- Oui. Il m'a dit qu'il s'agissait d'un des rares meubles qu'il avait décidé d'amener avec nous, et...

- Hé! Qu'est-ce que vous faîtes là? s'exclama quelqu'un derrière eux.

 

Léo était dans le couloir, face à la porte ouverte de sa chambre, et son regard trahissait la surprise qu'il avait de voir son père et sa futur épouse à l'intérieur. Tout comme elle, il était habillé de vieux vêtements, de véritables haillons, pas déchirés, bien heureusement, mais qui contrastaient, par leur saleté, avec la propreté de leur porteur. Celui-ci avait les cheveux d'un châtain plus sombre que ceux de son père, et des yeux d'un brun foncé qu'il avait hérité de sa défunte mère. Ses cheveux descendaient en deux favoris jusqu'au niveau de sa bouche, tandis qu'un collier de barbe rasé l'avant-veille commençait à renaître peu à peu autour de ses lèvres menton, et était comme mis en évidence par le visage contrarié qu'il portait.

 

- Je ne t'ai pas permis d'entrer dans ma chambre, père.

- Oui, je sais, je sais, excuse-moi. Mais je voulais montrer à Aurore le cadeau que tu allais lui faire. Tu disais toi-même que ce n'était pas vraiment une surprise, et que je pouvais lui dire.

- Dire, pas montrer. Tu sais que je n'aime pas qu'on rentre dans ma chambre.

- Ah, on dirait qu'il est encore un adolescent, enfermé dans sa tanière... soupira Sigmalion.

 

Aurore fronça les sourcils en entendant cette dernière remarque.

 

- Mais les adolescents ne s'enferment pas dans leur chambre, vous savez. Ils passent leur temps dehors, d'habitude.

- Pas d'où nous venons, expliqua Léo avec précipitation.

- Dis-moi, ça va? s'inquiétait la jeune fille. Tu es tout stressé, là, à critiquer ton pauvre père parce qu'il est entré dans ta chambre, et tout ça.

 

Elle s'approcha du jeune homme, et lui caressa la joue pour le rassurer. Celui-ci sourit, et lui déposa un léger baiser sur le front.

 

- Je suis désolé... Avec le mariage, et toutes ces règles et traditions, et le serment qu'il faut connaître par cœur, je... Je suis un peu à cran.

- D'ailleurs, les mariés ne sont pas censés ne pas se rencontrer avant la cérémonie? rappela Sigmalion.

- Oh par Nature, c'est vrai! s'exclama Aurore en ramenant ses deux mains pour couvrir sa bouche, réalisant l'erreur qu'elle venait de faire.

- Oh, ne disons rien à personne, dans ce cas, lança Léo en riant.

- Bon, je m'en vais quand même. Il faut que je rentre me préparer!

- Pareil pour moi. Et rappelle-toi, père, tu ne peux pas m'aider à enfiler le costume de cérémonie. Il faut que cela soit une personne non-mariée qui le fasse.

- Je m'en souviens, n'aie pas peur. Et puis, je ne suis pas à proprement parlé "marié"... Je... Enfin, je...

 

Un léger malaise s'installa dans la pièce. Léo et Sigmalion étaient arrivés trois années auparavant, seuls. Jamais personne n'avait vu la mère du jeune homme, et pour cause, lui-même ne l'avait jamais vraiment connue. Léo n'avait pu dire qu'une seule chose sur elle: elle avait succombé à une maladie alors qu'il n'avait que trois ou quatre ans. Là d'où il venait, on parlait rarement des morts, surtout de ceux qui n'étaient pas mort de manière naturelle. C'était un châtiment des dieux, et on ne devait pas les contrarier encore plus en entretenant le souvenir. Seul Sigmalion aurait pu en parler, mais lorsqu'il vivait dans leur ancienne maison dans ce pays lointain, il avait respecté les traditions, et depuis qu'ils étaient "partis", il avait perdu la mémoire.

Il savait qu'il était veuf, mais il ne se souvenait de presque rien d'autre sur elle... Et y repenser signifiait pour lui se heurter au mur blanc de la mémoire disparue.

 

- Euh, je vais y aller. Merci encore pour la boisson, Sigmalion... lâcha timidement Aurore.

 

Elle sortit de la chambre, et après que le claquement de la porte d'entrée eut atteint les oreilles du propriétaire de la maison, celui-ci lâcha un soupir de tristesse, comme s'il se retenait.

 

- Tu peux pleurer, tu sais... murmura son fils.

- Non. Pas aujourd'hui. Aujourd'hui est un jour heureux. Aujourd'hui c'est ta journée, Adrian. Léo! Pardon, Léo... Pourquoi est-ce que je t'appelle Adrian...?

- Ce n'est pas le moment de ressasser le passé, ni de se souvenir. Aujourd'hui est un jour heureux, non? Qu'il le reste. »

 

Le jeune homme s'avança, et serra son père dans ses bras, pour le consoler. Il se laissa faire, et sécha les quelques larmes qui commençaient à couler sur ses joues.

 

ΘΣ-ΘΣ-ΘΣ-ΘΣ-ΘΣ-ΘΣ

 

Le soleil était bien haut dans le ciel, et commençait déjà à descendre vers l'horizon. L'après-midi débutait. À la limite de Greyhom, à l'est, face à la forêt, Mahieu était assis sur une pierre située à coté de sa maison, une petite chaumière tout aussi simple que les autres. Il avait un visage jeune et des cheveux d'un brun très sombre, qui contrastaient assez avec ses yeux bleus et clairs comme le ciel. La mode de la "pilosité de quelques jours" l'atteignait lui aussi, puisqu'il avait une barbe complète rasée il y a peu, faîtes de poils courts et dispersés...

Aujourd'hui c'était le grand jour. Même pour lui. Et son regard un peu triste et nostalgique trahissait que si ce jour était important dans sa vie, ce n'était peut-être pas en bien. Mahieu Asmara jouait avec une petite pièce d'un métal proche de l'or, qui possédait une particularité: l'une de ses faces était décorée du visage de Léo, et l'autre de celui d'Aurore. Cette pièce, à l'origine symbole de leur amitié, devenait symbole de leur mariage... Car Mahieu avait toujours été un grand ami de la jeune fille, et lorsque Sigmalion et Léo étaient arrivés trois ans auparavant, "les étrangers" comme certains disaient encore (non pas par méchanceté, mais parce qu'ils venaient d'un pays où l'on n'avait pas de nom de famille, et donc qu'on ne pouvait pas leur trouver une autre appellation, là où l'on parlait des Asmara ou des Glimm), il s'était très vite lié d'amitié avec le jeune homme. Leur complicité était connue de tous. Et bien entendu, le fils de Sigmalion avait aussi noué une amitié avec Aurore, mettant donc bien en place le trio. Ces trois amis qui animaient un peu le village lorsque celui-ci s'effondrait dans l'ennui, ces trois jeunes qui acceptaient de garder les enfants lorsque leurs parents partaient à la chasse, à la pêche ou aux champs, sans pour autant faillir à leurs propres devoirs envers la communauté. Si Aurore, étant une jeune fille non-mariée et étant surprotégée par son père, le chef de Greyhom, restait souvent au village à s'occuper des enfants ou à aider à droite à gauche, Mahieu et Léo allaient chasser et pêcher pour leurs propres familles. En effet, les parents du premier étaient morts dans l'incendie de leur maison, quelques mois avant l'arrivée des "étrangers". Il devait subvenir aux besoins de ses deux frères, Rokoy et Timo. Le plus âgé, Rokoy, ne savait que pêcher, étant totalement lamentable à la chasse, malgré ses 20 ans. Timo, lui, n'avait qu'à peine 11 ans, et ne pouvait chasser que de petits animaux. De son coté, Léo devait subvenir aux besoins de son père, qui n'était déjà plus très jeune, et qui avait du mal à voir de loin, ce qui l'empêchait de chasser convenablement. Il pouvait cependant pêcher, mais les poissons du ruisseau étaient de plus en plus rares, et il fallait marcher des kilomètres au nord pour atteindre une rivière.

 

Il n'empêchait qu'aujourd'hui on ne chassait pas. Pas Mahieu, en tout cas. Il fallait s'occuper du mariage. Et les trois membres du trio étaient pris par les évènements. Il y avait bien entendu les deux mariés, mais le troisième devait aller aider son ami à s'habiller (il fallait une personne non-mariée pour cela, tradition obligeait), et était un de ses deux proches. Un témoin de mariage, en quelque sorte. Il allait faire partie de la cérémonie mariant ses deux meilleurs amis... Ne devait-il pas être heureux? Il ne l'était pas. Il y avait quelque chose qui s'insinuait en lui depuis des mois qu'il côtoyait leur relation...

 

« Mahieu!! Mahieu!! cria une voix d'enfant.

 

Le jeune homme releva la tête, tout en rattrapant la pièce dorée qu'il lançait en l'air depuis plusieurs minutes, perdu dans ses pensées, et aperçut Timo, son jeune frère, sortir de la forêt.

 

- Mahieu!!

- Timo, qu'est-ce qui t'arrive?

 

Le jeune adolescent pleurait, et se jeta dans les bras de son grand frère, qui, surpris, faillit presque le repousser.

 

- Eh, Timo, qu'est-ce qui se passe? Tu as rencontré une grosse bête ou quoi?

- Je... J'ai vu les... ténèbres. J'ai vu les ténèbres!! sanglotait l'enfant.

- Que... Mais non, tu n'as pas vu les ténèbres, voyons.

- Mais siiiii! Je les ai vu!

 

Mahieu laissa échapper un sourire amusé en entendant le petit insister. C'était bien dans son caractère, et il avait parfois été ingérable pendant les trois dernières années. Mais il n'avait certainement pas vu les ténèbres. Le jeune homme serra son petit-frère dans ses bras, puis passa sa main sous son menton pour l'intimer à le regarder droit dans les yeux. Il n'allait pas être sévère, ce n'était pas dans son habitude. Il voulait juste savoir si Timo lui mentait, et quand il s'agissait des mensonges dans une jeune fratrie, le regard révélait tout.

 

- Bon, où est-ce que tu as vu ces "ténèbres", dis-moi?

- Dans la forêt... répondit l'enfant en reniflant.

- Mais ce n'est pas possible, ça. La forêt est sous la protection de Nature. Tu crois que Nature laisserait les ténèbres venir chez elle?

- Elle nous laisse bien entrer, nous...

- Oui, mais nous, nous la respectons. Quand on chasse un animal, quand on pèche un poisson, quand on coupe du bois, quand on cueille des fleurs, et même quand on fait les récoltes dans les champs, on se recueille devant Nature.

- Mais je sais... Mais... J'étais dans la forêt, et il faisait noir, et les arbres ils... ils avaient disparus. Alors que les feuilles elles étaient toujours au-dessus. Et il y avait les ténèbres. Y avait les ténèbres, je te dis! C'était tout noir, c'était...

- Mais non, mais non... rassurait l'ainé en baisant le front de son frère et en le serrant fort contre lui, pour l'apaiser.

- Il faut pas...

- Il faut pas quoi?

- Que Léo et Aurore ils se marient. C'est un message de Nature, j'en suis sûr. Elle veux pas qu'ils se marient! insista Timo en s'enfouissant dans les bras du jeune homme.

- Mais si, elles veulent qu'ils se marient. Regarde, le Lieur a bien réussi à prendre le bois sur un arbre pour faire les anneaux de mariage.

- Mais arrête de dire ça! Même toi tu veux pas qu'ils se marient.

 

L'estomac de Mahieu se noua fortement lorsqu'il entendit cela, si fortement qu'il dut serre les dents pour ne pas le laissez paraître. Son étreinte se desserra, alors que sa main se refermait avec force sur la pièce dorée. Il soupira, puis plaça sa main dans les cheveux de son frère, pour le calmer.

 

- Bien sûr que si, je veux qu'ils se marient... répondit-il d'une voix lasse et timide. Arrête de dire des bêtises. Rentre à la maison, plutôt, et repose toi.

- Tu pourras m'aider à mettre des beaux habits?

- Non, demande ça à Rokoy. Moi je dois aller voir Léo.

- Tu peux me garder une bonne place sur les bancs?

- Mais, oui, ne t'inquiète pas. Et ne pense pas à la forêt, d'accord? Tu as juste eu peur du noir ou d'une bête, c'est tout. »

 

ΘΣ-ΘΣ-ΘΣ-ΘΣ-ΘΣ-ΘΣ

 

Dans la chambre de Léo, les deux jeunes hommes s'affairaient. Enfin, surtout Mahieu, pour tout dire. La cérémonie approchait à grand pas, et Sigmalion était parti vérifier que tout était en place. Le futur marié devait être prêt lui aussi, et le costume faisait partie de cette préparation.

 

Ledit costume était chargé. En effet, sous une tunique blanche, il portait une sorte de veston ou de chemise assez épaisse, d'un vert kaki, faîtes d'une matière ressemblant fort aux poils de chameaux terrestres. Ladite veste était fermée par de petit nœuds, tous faits à la main par Mahieu à partir de minuscules fils de cuir cousus au reste du vêtement. Le col de cette chemise était grandement ouvert, faisant une sorte de décolleté sur le haut du torse du jeune étranger. Mais au-dessus de cette veste, Léo portait un manteau. C'était un vêtement à la fois très long, épais mais serré. De couleur brune, il allait de ses épaules jusqu'en-dessous de ses genoux. Resserré en bas de l'abdomen par une ceinture que Mahieu finissait de boucler, il recouvrait en-dessous un pantalon brun lui aussi. Au niveau du tronc, seule une partie du manteau était fermée, par de petits nœuds de cuirs simples et discrets eux aussi, bien que certains "fils", au-dessus, pendaient légèrement, n'étant pas accrochés. De minuscules poches en-dessous de chacun d'eux permirent à Mahieu de les cacher, et après avoir fait ceci, le jeune homme tira l'espèce de dentelle blanche cachée sous le manteau pour qu'elle recouvre en partie la chemise.

 

« OK... Bon, les manches, maintenant, murmurait-il en faisant glisser ses mains sur le bras de son ami pour bien tendre le tissu.

- Je risque pas d'avoir un peu chaud là-dedans?

- J'en sais rien, je ne me suis jamais marié... répondit Mahieu en tirant un peu de la dentelle au niveau des poignets de Léo. Bon, voilà qui est fait!

- Ah, enfin! soupira le futur marié.

- C'est bon, pas trop serré?

- Un peu, mais ça va. De toute façon, ça se desserrera au fil des heures.

- Oh, attends! J'ai oublié la capuche!

 

Mahieu prit un morceau de tissu brun posé sur l'oreiller du lit, et le secoua en l'air pour le déplier totalement. C'était en effet un capuchon, mais dont la base se prolongeait vers le bas et les cotés. D'autre petites lanières de cuir y étaient cousues. Le jeune homme posa la capuche sur la tête de son ami, et tira la base sur ses épaules, et plus bas encore, pour la tendre un peu. Ce prolongement permettait d'accrocher le capuchon au manteau, surtout dans le but de le détacher au plus vite. Mahieu devait en effet faire quelques nœuds seulement, qui devait se défaire si l'on tirait le tissu... Il s'était entraîné plusieurs jours, mais avait toujours un peu peur de serrer un peu trop l'un, ce qui pouvait bien gâcher la cérémonie.

 

- Ne stresse pas trop... rassura Léo en voyant trembler les doigts de son camarade. Ce ne sont que des nœuds.

- C'est vrai... C'est toi qui devrais être angoissé comme tout. Comment tu fais? demanda l'autre en continuant son travail avec minutie.

- J'imagine que ça fait des mois et des mois que j'attends cet événement. Et puis, je... j'ai vécu pire.

- Oh, s'il te plaît, n'essaye pas de parler de ça, même si ça m'intéresse toujours, tes petites anecdotes. C'est pas la journée. Tu épouses une fille de Greyhom, Léo... La fille de Greyhom, même. Ton pays attendra demain pour revenir dans les discussions.

- Je ne prévoyais pas d'en parler... Enfin bref, sinon, toi, pas trop stressé? Par autre chose que ces fichus nœuds, bien sûr?

 

Mahieu s'arrêta encore, et son estomac se resserra. Mais il resta impassible, et réussit même à sourire de la petite pique de son ami sur les nœuds.

 

- Bah, ça va me faire bizarre de vous voir vivre ensemble, c'est vrai.

- Cela ne remets en aucun cas en cause notre amitié, tu sais. Ni celle d'Aurore.

- Je sais... Tiens, voilà le dernier qui est fait. Mais il manque quelque chose d'autre...

- Ah bon? Tout me semble fait, pourtant. Et je ne crois pas pouvoir supporter plus d'habits...

 

Le jeune Asmara posa son doigt devant ses lèvres pour intimer à son ami de se taire, et prit une des deux pièces d'or sur la table de nuit. Il y voyait le portrait d'Aurore, et lorsqu'il la retourna, ce fut face à son propre visage qu'il se retrouva. C'était bien la pièce de Léo. Tout les trois en avait une, forgées presque deux ans auparavant, et chacune avait, gravé sur ses deux faces, deux des trois portraits. Chacun avait donc le visage des deux autres sur soit. C'était un symbole fort d'amitié dans la culture de Greyhom.

 

- Ce n'est pas un vêtement, répondit Mahieu en plaçant la pièce dans l'une des poches de la veste sous la dentelle. D'ailleurs, maintenant que j'y pense, cette amitié entre vous deux est encore assez forte, je le sens, même si l'amour a pris le dessus, alors...

- Alors?

 

Le célibataire s'approcha de l'oreille de Léo, et lui murmura:

 

- Demain, ne soit pas trop insistant lorsqu'il s'agira de... tu sais... fêter le mariage entre vous deux.

- Oh... Oooooh, je vois, oui... Je... Comment ça demain?

- Et bien... Demain... Demain matin.

- Matin? Mais c'est la nuit qu'on est sensé... "fêter le mariage entre époux", non?

- La nuit vous fêterez le mariage "tout court", et vous serez trop fatigué pour faire autre chose que dormir. C'est devenu une tradition, au inal. Heureusement que je suis là pour te l'expliquer, parce que vouloir faire ça en pleine nuit... Le mariage n'aurait pas fait long feu!

 

Mahieu se mit à éclater de rire, et Léo le frappa légèrement derrière la tête, excédé mais amusé quand même. Et alors que le célibataire reprenait sa respiration, la porte s'ouvrit.

 

- Les jeunes, il va fall...

- Père! s'exclama Léo en sursautant, surpris.

- Oh... Tu es... Waw... Tu es tout bonnement magnifiquement habillé! s'exclama Sigmalion. Voilà une tenue digne d'un mariage.

- Ah, moi j'ai rien fait, c'est Mahieu qui m'a habillé.

- Bravo à toi, dans ce cas. Allez, venez les jeunes, la cérémonie va commencer. Allons donc exhiber ce beau costume devant tout le monde! »

 

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Sur l'estrade, le Lieur avait intimé le silence aux "invités", à savoir tout le village. Habillé d'une tunique et d'un pantalon blanc, s'était à lui d'officier lors de la cérémonie, de lier les deux êtres qui allaient se jurer amour et fidélité. C'était le premier mariage auquel il officiait, et il était presque autant angoissé que les concernés... Mais il voulait le cacher parfaitement, refusant de gâcher quoique ce soit avec son stress.

Lorsque toutes les voix se furent tues, il prit la parole.

 

« Nous sommes réunis ici, en ce jour, pour célébrer un mariage. Mais pas n'importe lequel. Aujourd'hui nous assisterons au premier mariage entre une fille de Greyhom, et un fils d'un pays lointain. Mais quand il s'agit d'amour, ce genre de détail n'est rien, et ce mariage sera un mariage comme les autres, permettez-moi de vous l'assurer! Ainsi, sans plus attendre, j'appelle la mariée, Aurore Glimm de Greyhom, et ses proches!

 

La "place" était en demi-cercle, et sa bordure plate était une sorte de chemin de terre qui longeait plusieurs maisons. Le lieur, surélevé par l'estrade, regarda vers la droite, et vit alors la jeune fille dépasser la dernière demeure, accompagnée par ses deux parents. Elle était habillée d'une magnifique robe, qui se trouvait en fait être un assortiment de plusieurs robes et voiles différents, sur plusieurs couches, étant faîtes pour être portées ensemble. Chacune était d'un vert différent, allant d'une nuance assez foncée à des teintes très vives et éclatantes. Un capuchon de la même couleur recouvrait sa tête, et ses cheveux châtains sombres éclaircis par le soleil retombait autour de son visage, qu'elle penchait en avant, n'ayant pas le droit de regarder devant elle.

Le cortège avança jusqu'au petit escalier au centre de l'estrade, et le père de la jeune fille, Protos, l'aida à les monter, en la tenant par la main, avant d'aller s'assoir avec sa propre épouse sur le banc à gauche des marches...

 

- J'appelle le marié, Léo du lointain, et ses proches!

 

Le Lieur fixa son regard vers l'autre direction, et le jeune homme apparut, précédé de son père et de Mahieu. Lui aussi regardait le sol, lui aussi portait le capuchon, et son épais costume brun. Il monta les marches, tandis que ses proches s'asseyaient sur le banc à droite de celles-ci, puis il se plaça face à Aurore, sans la regarder.

 

- Nos deux jeunes gens sont présents... Que les vers soient prononcés et que le mariage ait lieu! annonça l'officier.

 

Et alors qu'il prononçait cette formule traditionnelle ouvrant officiellement la courte cérémonie, les deux amants levèrent leurs visages et croisèrent leurs regards. Aurore était intimidée, cela se voyait. Mais le sourire rassurant de Léo devint très vite contagieux et s'empara d'elle...

Entre eux, mais derrière eux, le Lieur venait de prendre un petit coffret, et l'ouvrit. À l'intérieur, au-milieu d'un petit duvet fait de pierres moussues se trouvaient deux bagues en bois, qui à l'origine devaient tenir en équilibre sur les galets, mais dont l'un était tombé entre deux d'entre eux. Le regard que le jeune marié jeta au contenu le fit pouffer quelques secondes, mais il se reprit, et fixa à nouveau les yeux d'Aurore.

Le Lieur tendit le coffret vers eux, en commença à réciter.

 

- Deux anneaux faits de bois, taillés et pliés

De deux racines d'un même arbre de la forêt

Auquel jamais rien nous ne ferons

Car dans l'écorce est gravée leurs noms,

Vont lier leur union ; car ces ornements

Viendront cercler leurs doigts lors du Beau Serment.

 

Aurore prit l'un des anneaux, l'examina, et vit que son nom était gravé à l'intérieur, dans le bois incroyable des Arbres Souples, desquels ont pouvait tordre l'écorce pour en faire pareils "bijoux"... Et alors, elle-même récita ce qu'elle avait appris par cœur durant les derniers jours, sans quelques hésitations.

 

- Face à Nature, je prête ce serment

Que l'on entendra jusqu'au Firmament.

Je te promets amour, je te promets protection,

J'élèverais tout les enfants naissant de notre union.

Et même face aux... grandes... colères

Contre lesquelles on ne peux rien faire

Je serais toujours à tes cotés

À jamais je... te soutiendrais

Car Nature n'est rien, comparée

À ce que j'appelle ta beauté.

 

Elle prit la main droite de Léo entre ses doigts, et glissa la bague à son annulaire, tout en tremblant. Le jeune homme grimaça en sentant l'anneau forcer pour passer sur la dernière phalange, mais resta souriant.

 

- Et notre union, par le bois je lie

Face à la mort... et à l'infini.

 

Plusieurs applaudissements parcoururent l'assemblé, mais on sentait bien que l'on se réservait pour la fin de la cérémonie. Quelque personne, cependant, arboraient un sourire mauvais, comme Rokoy, le frère de Mahieu, assit derrière lui, et dont le visage était plus marqué par une forme de dégoût ou de mépris face à un tel débordement de candeur...

 

Mais Léo avait déjà pris l'autre anneau, et fixait la jeune fille dans les yeux. Il se rapprocha d'elle, pour que son visage ne soit plus qu'à quelques centimètres du sien, et prit ses deux mains dans les siennes, pour les placer devant lui. Et alors, il prononça le serment.

 

- Face à Nature... je prête ce serment

Que l'on entendra jusqu'au Firmament.

Je te promets... amour, je... te promets protection,

J'élèverais tout les enfants naissant de notre union.

Et même face... aux grandes colères...

Contre lesquelles on ne peux rien faire

Je serais toujours à tes cotés

À jamais... je te soutiendrais

Car Nature n'est rien, comparée

À ce que j'appelle... ta beauté.

 

Le silence s'était fait sur la place. Sur le banc du coté de Léo, Sigmalion était presque subjugué par ce que venait de dire son fils. Cela avait beau être un serment récité à l'identique depuis des décennies en cet endroit, le jeune homme avait réussi à rendre tout cela tellement... vrai. Lorsque Aurore l'avait prononcé, on avait senti cet espèce d'automatisme, ou bien alors de candeur. Léo semblait presque avoir parlé naturellement... Et ce naturel arracha un sourire triste à Mahieu, dont la gorge se nouait peu à peu. Face à eux, l'étranger lâcha la main gauche de sa belle, et commença à faire glisser l'anneau de bois dans lequel était inscrit son propre nom, ou du moins celui qu'il portait, sur le majeur de l'autre main.

 

- Et notre union, par le bois je lie

Face à la mort et à l'infini.

- Et ceux aux doigts de bois cerclés

Qui à jamais se sont liés

Peuvent désormais s'embrasser! cria joyeusement le Lieur pour clôturer la cérémonie. »

 

Les deux jeunes ne se firent pas prier, et leurs lèvres se rencontrèrent sous les applaudissements qui venaient d'éclater, alors que l'officier enlevait leurs capuchons. Les mariés se séparèrent l'un l'autre, et tirèrent sur ce morceau de tissu devenu inutile. Mahieu avait parfaitement préparé ses nœuds, et la capuche de Léo se détacha sans problème, de même que pour celle d'Aurore. Et sous les applaudissements tumultueux de la foule qui s'était levée, ils jetèrent ces deux voiles sur la place, et s'embrassèrent à nouveau.

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