Doctor Who Alternative: Saison 9

Chapitre 2 : L'Ombre d'un Doute [Partie 2]

9772 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 08:12

Les feux éclairaient la place, et au milieu de celle-ci, une dizaine de jeunes dansaient, sautillant en rythme, formant une sorte de farandole qui se resserrait sous les airs joyeux lancés par quelques musiciens qui jouaient des instruments à cordes sur l'estrade. Les bancs avaient tous été déplacés, et formaient comme une barrière autour de la place. On avait installé quelques tables devant eux, et les gens finissaient d'y manger de délicieuses viandes d'animaux tués parfois dans la matinée. Derrière eux, de grandes torches faisaient comme des lanternes et illuminaient toute la piste de danse. Sur l'estrade, les musiciens finirent leur "morceau", et annoncèrent la "Danse des Mariés".

En entendant cela, plusieurs personnes se levèrent des bancs, dont les nouveaux époux, tandis que les danseurs reprenaient leur place au festin. La "Danse des Célibataires" venait de s'achever: elle concernait les plus de 15 ans n'étant pas mariés (bien que même si la "loi" permettait le mariage à cet âge, il n'avait souvent lieu qu'après avoir passé les 20 ans, comme c'était le cas pour celui-ci). Ainsi, Mahieu et Rokoy, les deux frères, vinrent s'asseoir sur un des bancs, face aux restes d'une sorte de poulet, par la forme en tout cas. Le plus jeune, légèrement épuisé par la farandole, arracha un morceau de viande blanche, et le mastiqua en regardant la bonne vingtaine de couples mariés... Il n'y avait que six jeunes parmi tout ces gens, dont Léo et Aurore, qui venait d'ouvrir la danse sur les pas lents d'une sorte de valse, jouée doucement par les musiciens.

 

« Y chont rigicules... remarqua-t-il, la viande encore dans la bouche.

- Roh, tu pourrais arrêter de tout critiquer? soupira Mahieu.

- Non mais regarde les... Ils sont tous main dans la main, à danser tout doucement, à se trémousser timidement.

- Ils ne se trémoussent pas!

- Oui, c'est vrai. Ils secouent leurs derrières...

 

Le plus vieux des frères serra les poings en entendant l'autre se plaindre... Qu'il était énervant, celui-là.

 

- Mais quand vas-tu donc arrêter de te moquer de tout ce qui passe devant toi!?

- C'est juste mon avis... continua Rokoy en prenant un verre d'eau.

- Dis-moi, tu as eu une relation avec une fille du village, dont je n'aurais pas été au courant, et qui t'as déçue? Une fille qui t'aurais quitté? Parce qu'à voir autant de frustration et de remarques acerbes, je ne vois pas beaucoup d'autres explications.

 

Rokoy pouffa, s'étouffant à moitié avec sa boisson, par ailleurs. Il essuya les gouttes sur son visage avec sa manche, et fixa son frère. Il n'avait pas les yeux bleus de celui-ci, mais des yeux couleur ambre, presque miel. Au-dessus de ceux-ci, ses cheveux châtains tirant sur le blond étaient coiffés de telle façon qu'ils formaient comme une sorte de "pointe" vers l'avant, dépassant son front sur une bonne dizaine de centimètres. L'absence de gel coiffant révélait que pour pouvoir garder sa coiffure dans cet état, il se devait d'avoir une hygiène capillaire à la régularité et à l'efficacité (voire même à l'existence) douteuses... Son visage extrêmement ovale se terminait sur une petite bouche qui semblait avoir été peinte pour les rictus et autres expressions méprisantes, et sur un menton pointu qui en 20 années d'existence semblait s'être stérilisé à toute pilosité. Il avait d'ailleurs un léger complexe sur cette peau de bébé, la barbe étant un symbole de maturité, un symbole de l'adulte, bien qu'ici on ne devenait "adulte" aux yeux des autres qu'une fois avoir dépassé les 30 ans, ou bien après avoir eu son premier enfant...

Mahieu était quelqu'un de très patient, gentil et sympathique par nature, très peu violent, que ce soit dans les mots ou dans les actes. Même ses pensées étaient ainsi faîtes. Cela ne voulait pas dire qu'il était forcément innocent, naïf et enfantin. Il était responsable, mature, et conscient des choses de la vie, sauf qu'il voyait le verre à moitié plein. Mais en cet instant précis, il voyait son frère, et il le trouvait laid comme tout, parce que sa patience était limitée, surtout ce jour là. Il ne voulait pas que cet espèce de "râleur" de Rokoy ne lui gâche la soirée, et lorsqu'il le fixait comme ça, c'était toujours pour dire quelque chose de "déplaisant", dans tout les sens possibles du terme.

 

- Moi, frustré? s'étouffa-t-il. Celui qui a vu une fille lui passer entre les doigts, c'est toi!

- Pardon?

- Aurore. Tout le monde sait bien que tu voulais l'épouser, toi! Mais tu l'as laissée dans les mains de cet étranger.

- Premièrement, Léo n'est plus un étranger pour moi. C'est un ami, un frère. Probablement plus que toi!

- Arrête de...

- Et deuxièmement, je t'interdis de parler d'Aurore comme ça, tu m'entends, continuait Mahieu, à voix basse mais passablement énervé et enragé. On dirait un bout de chiffon ou un morceau de viande. Elle n'a jamais été "entre mes doigts" et elle n'est pas "dans les mains" de Léo.

- Regarde-les danser et tu verras qu'à ce niveau là, si, elle est entre ses mains.

- Ne joues pas sur les mots. Je ne sais pas pourquoi, mais tu veux absolument que je sois fou amoureux d'elle. Désolé de te décevoir, mais c'est juste une grande amie.

 

Le jeune homme se retourna pour fixer la piste de danse et admirer les nouveaux mariés valser avec hésitation, sans forcément connaître les pas. Il prit un verre d'un jus de fruits des lacs, et alors qu'il commençait à le boire, son frère se rapprocha de lui.

 

- Si ce n'est pas d'Aurore, dont tu rêves, tu vas pas me dire que c'est de Léo? Quoique ça expliquerait pourquoi tu voulais absolument l'aider à s'habiller. »

 

C'était la pique de trop. Mahieu serra son verre en terre cuite entre ses doigts, et jeta le contenu sur le visage de son frère. Celui-ci resta hébété, couvert de ce jus orangé, puis finit par jeter un regard enragé en direction de son "agresseur", prêt à se jeter sur lui pour venger cet affront. Mais avant même qu'il n'ait eut le temps de le faire, la musique se cassa brusquement et des dizaines de cris retentirent au milieu de la place. Les deux frères tournèrent leur regard vers la piste, et alors la peur les attrapa à la gorge.

 

Au fond de la pièce, l'estrade avait avalé les musiciens. Et elle était devenue noire, d'un noir pur, sombre et vibrant, que l'on distinguait à peine dans la nuit, que les torches ne pouvaient éclairer. Il n'y avait plus une trace de bois, juste cette forme d'estrade, faîte comme d'un liquide qui tiendrait seul dans les airs. L'une des "colonnes" soutenant les poutres auxquelles étaient attachés des décorations se plia soudainement, et ce tentacule obscur frappa une jeune femme qui dansait au bras de son jeune époux. Elle cria brusquement, sous la douleur, mais son cri s'étouffa vite alors que tout son corps prenait cette couleur noire, ainsi que ses vêtements. L'instant d'après elle n'était plus qu'une forme grossièrement humaine et grandement ténébreuse, qui semblait être faite de la même matière que l'estrade. Qui semblait être désormais une partie de cette estrade. De cette forme jaillirent trois autres tentacules qui transpercèrent l'amant choqué, sans qu'une quelconque goutte de sang ne coule. Les tentacules dépassaient dans le dos, et en l'espace d'une dizaine de secondes, tout le corps de cet homme s'était transformé telle que l'avait fait sa défunte épouse.

Une autre colonne se jeta brusquement vers la piste, avec une flexibilité que même les Arbres Souples ne possédaient pas, et transforma un couple d'un coup, transperçant brutalement deux personnes âgées s'étant serrées l'une contre l'autre sous l'effet de la peur.

 

« COUREZ! hurla Léo en se précipitant à l'opposée de l'estrade en tirant Aurore par la main.

 

La place était fermée par les installations, et on ne pouvaient en sortir que par les espaces laissés entre les tables, installées en une sorte de demi-cercle, et l'estrade. Hors, d'autres tentacules sortaient de l'estrade et commençaient à transformer les tables. Deux hommes tentèrent de sauter au-dessus de ces maigres bras, mais ils furent happés en pleins vols par de nouveaux tentacules qui sortaient de l'ancienne plateforme, qui les immobilisèrent en l'air et les transformèrent en une dizaine de secondes.

 

- Sautez au-dessus des tables! cria Protos, le chef du village!

 

Tout les danseurs se précipitèrent vers les tables, qui commençaient à se transformer elles aussi. Ils sautèrent dessus, ou passèrent en dessous, et tous réussirent à s'échapper. Sigmalion, assis sur un banc vers le centre, s'était précipité vers Aurore et Léo.

 

- Vous allez bien? s'inquiéta-t-il, affolé.

- Il faut fuir! criait Mahieu, qui les rejoignait. Cette chose est en train de transformer les tables!

- Mais où?? demanda Aurore.

- Chez moi! répondit son père, qui les avait entendu. Écoutez-moi tous! Vous devez vous rendre dans ma maison! »

 

L'Ombre d'un Doute

PARTIE 2

 

Malgré le chaos qui régnait dans la foule des 70 habitants restants, l'ordre du chef du village semblait avoir été compris par tous. Le flot d'humains commença à courir vers l'ouest, et arriva en une vingtaine de secondes devant la porte à double battant qui fermait la chaumière des Glimm.

Protos, le père d'Aurore, se faufila, et utilisa sa clef pour déverrouiller la serrure. Tout le monde où presque était affolé, mais lui savait rester calme.

 

« Amenez les enfants dans la pièce du fond, au rez-de-chaussé! Léana, tu t'occuperas d'eux. Je compte sur certaines mères pour l'aider. Je veux que l'on allume les cheminées, il faut que l'on reste au chaud! Et je veux que tout les adultes et les jeunes valides prennent des armes dans nos armureries. Les filles aussi!

 

Une fois qu'il eut terminé de donner ses ordres, il ouvrit les portes, et le flot rentra dans la grande maison. La plupart des villageois connaissaient l'intérieur, ou du moins les parties publiques. Chacun pouvait venir manger dans la grande salle à manger du rez-de-chaussé, Protos accueillait les invités avec joie, tandis qu'une autre salle à manger au premier étage était réservée aux repas passés avec les invités "diplomatiques" du chef. Enfin, une troisième au deuxième étage, plus petite, était celle utilisée pour les repas privés. Tout le deuxième étage, ainsi qu'une partie du premier et du rez-de-chaussé étaient les quartiers de la famille Glimm. Le reste consistaient en des chambres d'amis pour dignitaires ou voyageurs (la maison étant en quelque sorte l'hôtel du village, car le peu de voyageurs qui passaient par ici ne justifiait pas la construction d'une véritable auberge), quelques réserve d'armes, ainsi que des gardes-manger.

Après quelques minutes, la maison était allumée, chauffée et verrouillée. Protos attendait à l'étage, dans la grande salle à manger diplomatique, et regardait la place centrale à travers les fenêtres, avec Léo, Aurore, Sigmalion et Rokoy.

 

- Bon... lança nerveusement le frère de Mahieu. Que fais-t-on?

- C'est là le problème, Rokoy. Je n'en sais rien... avoua le chef du village.

 

Celui-ci se retourna, et fixa le petit groupe de ses yeux vert-gris. Son visage carré se crispait en une expression ferme. Sa barbe complète d'un châtain-blond grisâtre et vieillissant, rasée quelques jours auparavant, semblait accentuer son regard presque froid. Après un demi-siècle de vie, il avait vu bien des choses. Longtemps avant, dans sa jeunesse, il avait bataillé, auprès des autres villages, face aux envahisseurs venant de par-delà les montagnes. Il se souvenait que lorsque cette guerre était sur le point de s'achever, et que les principales ouvertures dans la chaîne de pics rocheux, les principaux cols, avaient été repris par les forces amies, empêchant tout passage de la part des envahisseurs, ceux-ci avaient tenté une dernière percée, passant par les sommets, escaladant les montagnes, et étaient redescendus par une pente ardue un peu au nord du village. Sur cette place de Greyhom il avait combattu, et avait participé à la grande victoire... La bataille qui commençaient en ce jour, celle qu'il appelait déjà dans son esprit la seconde bataille de Greyhom, semblait perdue d'avance. Mais il ne pouvait pas accepter un tel défaitisme.

 

- Si seulement nous savions ce qu'est cette horrible monstre... remarqua Aurore.

- C'est une Ombre, répondit Léo.

 

Protos se tourna vers son gendre, le fixant d'un œil suspicieux.

 

- Comment peux-tu savoir ce que c'est?

- Avant d'arriver ici, mon père et moi sommes passés par de nombreux autres villages. Dans l'un d'entre eux nous avions entendu la légende des Ombres. Elle parlait de créatures qui ressemblent grandement à cela.

- Et que disait-elle d'autre cette légende?

- Que les Ombres touchent les choses, et s'attaque aux plus petits éléments qui les constituent, si petits que lorsqu'on change l'organisation de ces éléments, la cible change de matière. Les Ombres réorganisent la matière en leur propres chairs, et ça leur permet de grandir.

- C'est difficile à croire... nota Rokoy.

- Mais cela correspond grandement à ce que nous voyons, intervint Sigmalion. Il y a peu de chances qu'il s'agisse d'une erreur. Autant donc se dire que nous avons affaire à... une Ombre.

- Bon, nous voilà bien avancé! grogna le chef du village. Ce que je veux savoir, c'est comment tuer cette chose.

- Cela nous avance, Protos. Nous connaissons le nom de notre ennemi. C'est toujours plus utile que de dire "la chose", ou "la créature".

- Mais ce n'est pas forcément son vrai nom... hésita Aurore. Je veux dire... Elle ne s'appelle peut-être pas comme ça "en vrai". Pour elle, si vous préférez. Peut-être qu'elle pense à elle-même sous un autre nom.

- C'est vrai, répondit Adrian. Mais que ce soit le vrai nom ou non, c'est un nom que nous avons désormais en commun. Si on est d'accord sur la signification qu'il a pour nous, alors...

- Il n'empêche qu'il faut tuer cette chose! coupa Protos.

- Ou la faire fuir, ajouta Sigmalion. Dans les deux cas, il faudrait savoir comment on fait?

- Utiliser des armes? proposa Rokoy. Quelques flèches et lames, c'est une combinaison gagnante, la plupart du temps.

- Mais nous n'avons pas beaucoup d'armes ici... soupira Aurore. Enfin, je crois. Nous ne possédons qu'une petite partie de la réserve, non?

- Oui. Le gros est chez Periklos... murmura Protos. Il suffirait que deux ou trois personnes aillent les chercher pour que l'on s'organise d'ici.

 

La porte à la gauche du groupe s'ouvrit légèrement, et Mahieu entra, tirant par la main un jeune adolescent, son frère Timo.

 

- Ben... Qu'est-ce que tu faisais? demanda le troisième frère.

- Je suis allé le chercher, répondit le plus vieux. Je crois qu'il a quelque chose d'important à nous révéler. Timo, explique-leur ce que tu as vu dans la forêt.

 

Et alors le petit fit le récit de sa rencontre matinale, des "ténèbres" qu'il avait vues, des arbres qui avaient disparu et de la lumière cachée par les feuilles. Au fur et à mesure des paroles de l'enfant, les visages de Sigmalion et de Protos s'assombrissaient.

 

- Tu penses que ce que tu as vu, c'était la créature qu'il y a dehors? demanda Rokoy.

- Oui... répondit timidement le petit. Je... Je peux partir maintenant...?

- Je vais le raccompagner, proposa Aurore. Et puis ensuite j'irais me changer dans ma chambre. Je serais bien plus utile dans une tenue moins chargée que cette robe de mariage.

- Bien, fait donc! approuva son père. De notre coté, nous devons absolument discuter de la situation.

 

La jeune femme prit donc l'adolescent par la main, et le ramena jusqu'à une autre porte, pour le faire descendre jusqu'au rez-de-chaussé, où l'on avait laissé les autres enfants.

Dès qu'elle eut quitté la pièce, Protos s'empressa de se tourner vers les deux frères, et de leur infliger un regard dur et plein de reproches, qui les fit presque frissonner.

 

- Votre frère semble être en partie responsable de ce qui est arrivé... L'Ombre a du le suivre.

- Je crois que tu vas un peu vite en besogne, coupa Sigmalion. Tout les animaux à vingt lieues à la ronde ont du ressentir l'agitation du village. Je pense que c'est cela qui l'a attirée.

- Certes. Mais peu importe ce qui l'a amenée. Maintenant, il faut qu'elle parte, et de préférence qu'elle ne revienne jamais.

 

Sigmalion balança sa tête en arrière, dubitatif, tout en fixant le chef du village.

 

- Oui... Bien sûr.

- On pourrait aussi la détruire, ça serait plus simple... proposa Mahieu.

- On en discutait avant que tu n'arrives, répondit son frère. Il n'y a pas assez d'armes pour tout le monde, ici. On doit être une soixantaine d'adultes et de jeunes ici.

- Cinquante-six je crois, précisa Protos. Et quatorze enfants, mais il est hors de question de leur donner une arme d'adulte.

- Onze morts... murmura le père de Léo. Presque 15% du village...

- Que dis-tu? s'étonna l'autre adulte.

- Euh... Je ne sais pas, j'ai dit quelque chose de bizarre... Je devais penser à autre chose. Peu importe, continuons. Il nous faut donc trouver assez d'armes, et de différents types.

- Des armes de longue portée comme les lances, les arcs et les arbalètes seraient tout de même plus utiles que des épées, remarqua le jeune marié. Il ne faudrait pas que d'autre se fassent absorber ou transformer ou je-ne-sais-quoi. Pour cela, vous aviez raison Protos, il faudrait aller dans la réserve de Periklos. Je me porte volon...

- Hors de question! coupèrent ensemble les deux adultes.

- Aujourd'hui c'est ton mariage, Léo! continua Sigmalion. Cette journée est déjà bien assez gâchée par... par ce qui se passe, alors n'essaye pas de prendre un risque idiot...

 

Le silence régna quelques secondes dans la pièce, sous les regards gênés de tous. L'étranger avait dit quelque chose de terrible... Cette journée avait été gâchée. C'était le beau mariage d'amour entre celui qui venait de loin et la fille du chef du village. C'était une journée qui aurait du être mémorable. Et malheureusement elle l'était déjà... Tout le monde était effrayé. Tout le monde était apeuré. Les enfants, en-bas, pleuraient, et les traces de larmes qui avaient glissé sur le visage de Timo n'étaient pas passés inaperçue, bien que Mahieu ait essayé de les essuyer de ses manches. Les hommes et femmes de Greyhom devaient rester fier et droit dans le danger. Les amours, les douleurs, les déceptions s'affichaient sans problème en temps normal, mais pas lorsque tout risquait de s'effondrer. Pas lorsque onze villageois étaient morts en l'espace d'une minute... Pas lorsque les ténèbres rongeaient tout de l'intérieur. C'était faire honte aux ancêtres, aux héros des anciens temps. C'était baisser les bras face aux plus grandes épreuves que Nature pouvait envoyer. Le serment de mariage le rappelait bien: "Et même face aux grandes colères contre lesquelles on ne peux rien faire, je serais toujours à tes cotés, à jamais je te soutiendrais"... Sigmalion avait eu la "faiblesse" de dévoiler ses sentiments, son ressenti, et cela commençait à atteindre les autres dans le leur.

Mais se silence et ce malaise furent coupés court par Mahieu.

 

- J'irais, annonça-t-il.

- Alors j'y vais aussi! enchaîna immédiatement Rokoy.

 

Le plus âgé des Asmara se tourna vers son frère, à la fois surpris et agacé. Pourquoi donc voulait-il venir? Il n'était pas du genre à prendre trop de risques, d'habitude. Était-ce pour "la gloire"? Pour briller et faire mieux que lui? Ou bien pour tenter de renouer cette fraternité qui avait fané à travers les âges?

Mahieu soupira, mais acquiesça finalement d'un signe de tête.

 

- Attendez un peu... murmura Sigmalion, perdu dans ses pensées. Si cette Ombre vivait dans les profondeurs de la forêt, et qu'elle n'est venue nous attaquer que le soir... Sans compter qu'elle a vite détruit les torches....

- Et bien?

- Elle ne doit pas apprécier la lumière. Et peut-être même la chaleur... Il faudrait utiliser des armes chauffées, cela pourrait être efficace.

- On ne peux pas vraiment chauffer des armes, nous... rappela Rokoy.

- Non, mais certains peuvent aller cherche de l'eau dans notre puits! expliqua Protos. Et j'ai ordonné que l'on allume les feux. On pourra donc chauffer les lames dans les cheminée, et tremper les flèches dans de l'eau bouillante.

- Je vais prendre quelques personnes avec moi, et on se relayera pour l'eau, expliqua Léo.

- On se relayera aussi pour les armes, même si le chemin jusque chez Periklos n'est pas très long, ordonna Mahieu à son frère.

- Bien, dans ce cas je vais de ce pas sortir toutes celles de la maison. Nous nous défendrons, croyez-moi! assura le chef du village. »

 

ΘΣ-ΘΣ-ΘΣ-ΘΣ-ΘΣ-ΘΣ

 

Mahieu s'arrêta devant une porte trouée d'une petite fenêtre, et repris sa respiration. La maison devant laquelle il se trouvait était à peu près au milieu de "l'itinéraire" qui permettait d'aller de chez Periklos jusqu'à la plus grande chaumière du village. Devant lui arrivait son frère, qui courait avec trois arbalètes dans les bras, et une poignée de carreaux entre les doigts (les carreaux étant les munitions utilisées dans les arbalètes), deux deux arcs qu'il avait enfilés sur ses bras et qui reposaient sur ses épaules. Il s'arrêta, essoufflé, et Mahieu lui prit immédiatement les carreaux des mains pour les fourrer dans ses poches. Rokoy posa les arbalètes, puis donna les arcs à son frère, qui les enfila lui aussi avant de prendre les autres armes et de courir comme il le pouvait, dans l'autre direction.

Après avoir déposé tout son attirail derrière la maison des Glimm, Mahieu se redirigea vers le point de relai. Mais alors qu'il se précipitait sur le chemin de terre, une bosse se forma au sol juste sous son pied. Il trébucha, sautilla deux ou trois fois pour tenter de reprendre l'équilibre, mais finit par s'écraser face contre terre. Il prit quelques secondes pour reprendre ses esprits, et se retourna sur le dos, sentant une présence derrière lui.

Il vit alors, près de ses pieds, une sorte de pic de terre, comme un énorme cône de presque deux mètres de haut.

 

« Quoi? hoqueta-t-il.

 

Il commença à se relever, mais ce qu'il vit alors lui fit perdre l'équilibre. Le cône entier se noircit d'un coup, comme nécrosé, pour devenir comme un énorme tentacule de l'Ombre.

Mahieu cria de toute ses forces alors que la forme obscure se cabrait comme pour l'écraser, l'absorber entièrement d'une frappe sur le sol. Mais un sifflement trancha l'air, et la forme s'immobilisa brutalement alors qu'un carreau la traversait en tournoyant, avant de rebondir entre les jambes du jeune homme. C'était un vireton, un carreau construit de telle manière qu'il tournait autour de son axe pour frapper plus fort avec plus de précision. Il retomba à coté du visage de Mahieu, qui sentit la chaleur que dégageait le projectile: il était tiré depuis la maison d'Aurore. Face à lui l'Ombre, ou du moins le tentacule géant, avait "soigné" la plaie, mais semblait vibrer légèrement, comme si elle était malade ou effrayée. Alors que le jeune Asmara se relevait pour courir en direction de son frère, qui avait lâché les quelques épées qu'il tenait dans sa main en voyant cet horrible spectacle, l'Ombre s'étendait, sortant encore de terre, et poursuivait Mahieu. Deux autres carreaux la frappèrent, ce qui l'immobilisa encore, et quelques "morceaux" de cette masse noire se détachèrent de celle-ci pour s'écraser au sol en une sorte de liquide presque invisible. Mais elle réussit quand même à continuer son chemin. Et face à lui, sur le sentier, Mahieu, qui courait pour sa vie, ne voyait toujours pas son frère.

 

- ROKOOOOOOY! hurla-t-il à pleins poumons.

 

Le cadet des Asmara apparut au coin d'une maison, une arbalète à la main, et s'agenouilla pour se mettre en position de tir, visant face à lui. Son frère se jeta sur le coté, alors que le vireton tranchait l'air. Mais avant même qu'il ne touche l'ombre, un très fin tentacule sortit de celle-ci et réussit à s'enrouler autour du projectile, le stoppant immédiatement, puis l'absorba en le transformant en sa "chair".

La créature s'arrêta, alors que Rokoy avait attrapé deux des épées qu'il avait laissées à terre, et qu'il se précipitait vers son frère pour venir le défendre. Les différents familiaux s'effaçaient vite face à la mort.

Mais face à lui, l'Ombre, qui avait gardé sa forme de tentacule, commençait à se renfler sur le coté, par le bas. Elle ressemblait de plus en plus à un serpent, une sorte de cobra, avec cette extrémité qui formait comme un T et qui s'étendait en un long tube jusqu'à l'endroit où elle avait attaqué Mahieu. Rokoy courait à toute vitesse vers cette horrible créature sans visage, et il pensait que cet espèce de resserrage était comme un signe de peur de la part de celle-ci. Mais il n'en était rien. Sans prévenir, de cette tête inexistante sortit un carreau d'arbalète tournoyant, qui frôla le visage du jeune homme. Celui-ci eut soudain très peur, et l'adrénaline s'empara de lui. Il courut encore plus vite, les deux épées en mains, en criant pour évacuer tant sa colère que sa peur. L'Ombre tira de son propre corps trois autres carreaux, et l'un d'entre eux transperça le bras gauche du jeune homme, alors qu'il n'était plus qu'à quelques mètres de la créature. Il lâcha l'épée qu'il portait de ce coté, mais malgré le choc, il abattit la deuxième sur la forme noire. La lame, tout d'abord, trancha la matière étrange qui formait le monstre avec facilité, mais soudainement, elle fut stoppée, et fut atteinte de secousses qui repoussèrent Rokoy à terre. Il cria de douleur lorsque son bras toucha le sol, sous le regard médusé de son frère, tandis que l'Ombre transformait l'épée et absorbait la forme noirâtre qui épousait grossièrement les contours de l'ancienne arme.

Le blessé réussit à tourner son visage vers celui de son fraternel, pour lui crier de fuir.

 

- Coure, idiot! Sauve ta peau!!

- Mais je...

- VA-T-EN! »

 

La forme noire s'était abattue sur les pieds de Rokoy, et celui-ci hurla de douleur alors que son corps tout entier commençait à se transformer, et que la créature le dévorait de l'intérieur. Face à une telle horreur, Mahieu se retourna, et courut sans demander son reste, fuyant le monstre et son frère qui mourait dans la douleur. Il courut aussi vite que possible, atteignit l'arrière de la maison de Protos et rentra par une petite porte dans une sorte de salon.

 

Le jeune Asmara s'arrêta au milieu de la pièce, désemparé, soufflant et haletant. Sa peau était d'une pâleur morbide, et des larmes glissaient sur ses joues... Il porta ses mains à son visage, et sanglota, presque avec honte. Honte parce qu'on ne pleurait pas face au danger, à Greyhom, honte parce qu'il avait laissé son frère mourir...

Sigmalion venait de descendre les escaliers, et fut surpris de le voir ainsi.

 

« Mahieu? Que... Que s'est-il passé?

 

Le jeune homme baissa ses mains, mélangeant ses larmes et la terre qu'il avait entre ses doigts sur ses joues et dans sa barbe. Qu'il était horrible, ce visage que voyait l'étranger. Creusé de larmes et de boues, avec ces yeux humides et tristes... Rokoy n'était pas avec lui. Il n'y avait qu'une seule explication possible.

Sigmalion s'avança et serra cette pauvre âme entre ses bras. Mahieu avait vu son frère se faire avaler, ravager, transformer, sous ses yeux. Il avait perdu l'un des êtres qu'il avait de plus cher au monde, alors que peu de temps auparavant ils avaient été sur le point d'en venir aux mains pour "régler leurs différents"... Il avait perdu un être cher qu'il n'appréciait plus autant. Et finir sur pareille note était plus horrible encore.

 

- L'Ombre... murmura la femme de Protos, qui regardait par la fenêtre.

- Au diable l'Ombre! grogna Sigmalion. Vous ne voyez pas qu'il est effondré?

- Mais elle a disparu!

- Comment?

 

Le père du marié desserra son étreinte et s'avança vers la fenêtre, alors que Léo rentrait dans la pièce. Tandis que le fils se précipitait vers son ami encore tout tremblant et sanglotant, dans l'intention de le faire s'asseoir quelque part, le père tentait de détailler, dans la nuit éclairée par les deux lunes, l'une jaunâtre et l'autre d'un gris-blanc, les possibles contours de l'Ombre. Ses problèmes de visions l'empêchaient de voir quoique cela soit, mais aux murmures qui commençaient à monter, elle avait en effet disparu.

 

- Léana, comment les a-t-elle attaqués? demanda-t-il à la mère d'Aurore.

- Elle est sortie du sol, Sigmalion. D'abord c'était un énorme cône de terre, puis il s'est transformé en Ombre, et a attaqué Mahieu.

- Alors elle peux changer sa chair... Elle peux se créer une peau, une carapace de terre... Et peut-être même d'autre chose.

- Elle... Elle a tiré... des carreaux... sanglotait Mahieu, qui avait entendu l'homme parler. Après en avoir att... attrapé un.

- Des carreaux... chuchotait Sigmalion dans sa barbe. Si elle est sortie du sol c'est qu'elle a absorbé et transformé beaucoup de terre. Si elle a attendu d'absorber un carreau pour en tirer un... Oui... Elle peut reproduire ce qu'elle transforme. C'est cela! Elle ne transforme pas vraiment, elle absorbe! La légende disait qu'elle changeait l'organisation des atomes pour pouvoir transformer ce qu'elle touchait en sa propre "chair", mais elle doit pouvoir faire le contraire. Seulement elle doit sûrement l'apprendre en transformant une première fois la matière ou l'objet.

- Des arômes? s'étonna Léana.

- Des atomes, corrigeait l'étranger. Les plus petits éléments qui constituent toute matière.

- Mais comment peux-tu connaître ce nom que nous ne connaissons même pas?

- Euh... C'est une... grande question. Comment est-ce que...?

- Peu importe! coupa Léo. Il faudrait que l'on sache où est passé l'Ombre!

- C'est vrai... Mais dîtes-moi, les armes chaudes ont marché, non?

- Il semblerait que oui, répondit un homme qui tenait une arbalète sous son bras. Un vireton bien réchauffé immobilisait la créature. Je crois même qu'elle a perdu un peu de chair, à un moment, mais la vue n'est pas très bonne, d'ici.

- Elle... elle a perdu un peu de chair... affirma Mahieu, qui s'était assis par terre, le dos appuyé sur le mur. Le... le noir qui tombait c'est transformé en eau.

- Ah, voilà qui est intéressant, continuait Sigmalion. Peut-être que pour survivre à la chaleur elle a du abandonner une partie des atomes qui la constituait. Ou bien la chaleur a ravagé l'intérieur de l'Ombre, et elle a lâché une partie de sa chair dans la douleur. Mais ça ne semble pas être de la chair... C'est une matière étrange, une drôle d'organisation d'atomes, qui ne tient que lorsque le tout forme un seul bloc. Si une partie se détache, les atomes se désagrègent. Et de l'extérieur, on dirait de l'eau ou un liquide transparent...

 

Sigmalion arrêta de parler, et regarda les autres. Ils avaient tous un regard soit effrayé, soit interloqué devant ce qu'il disait. Ils ne comprenaient pas grand chose à ces explications, et ils ne comprenaient pas comment il pouvait en savoir autant. Certains étaient même suspicieux. Même Léo commençait à avoir peur en voyant son père ainsi.

 

- En tout cas... continuait le beau-père d'Aurore avec hésitation. L'Ombre a pu lancer les carreaux, donc lorsqu'elle crée de la vraie matière, elle peux s'en détacher sans problème. Il n'y a aucun trou dans le sol au milieu des chaumières, ce qui veux dire qu'elle a du passer dessous, et recouvrir le trou.

- Mais cela veux dire que...

- Qu'elle est potentiellement sous nos pieds, Léana.

 

Les cris d'enfants qui se déclenchèrent presque au même moment provoquèrent un frisson dans la salle, et la moitié de ses occupants se précipita vers la pièce au fond du rez-de-chaussé. Dans le couloir, plusieurs enfants couraient, effrayés. Et à travers l'encadrement de la porte de bois, on voyait parfaitement l'Ombre, en train d'émerger d'un trou dans le plancher.

 

- Tirez! ordonna un homme.

 

Deux autres hommes se placèrent l'un à coté de l'autre au milieu du couloir, bloquant involontairement les enfants horrifiés, et tirèrent chacun un vireton. Avant même que ceux-ci aient parcouru la moitié de la pièce, cinq autres carreaux volèrent dans la direction opposée, venant de la créature, et frappèrent les tireurs en pleine poitrine, tandis que leurs propres projectiles chauffés frappaient leur cible. Les gamins crièrent de terreur en voyant les cadavres s'effondrer devant eux, et coururent à toute vitesse vers les autres adultes, alors que derrière l'Ombre se résorbait et rentrait dans son trou.

Sigmalion et Protos se précipitèrent dans la pièce, mais le monstre difforme avait déjà disparu, et l'endroit était vide.

 

- Bon sang, combien...? s'étouffait le chef du village.

- De ce que j'ai pu compter dans le couloir... murmura l'autre homme. Sept...

- La moitié... La moitié des enfants de Greyhom... Et cette ordure a réussi à fuir.

 

Le père de Léo s'avança jusqu'au bord du trou, et vit qu'il s'enfonçait dans la terre et continuait vers le sud. L'Ombre ne l'avait pas bouché.

 

- Je ne pense pas qu'elle ait fui... s'inquiéta-t-il.

- Comment ça?

 

Sigmalion fit le tour du trou, pour se mettre au coté opposé, et s'agenouilla pour détailler le contour. Sous le plancher il y avait une sorte de planche de bois arrondie, qui bouchait l'espace entre le plancher et le sol, mais cette planche n'était présente que sur une petite partie de la brèche, du coté du mur intérieur et du reste de la maison. Au-même niveau et dans la majorité du trou, il n'y avait qu'un peu de paille et de terre.

 

- Elle est sous nos pieds!

- Pardon?

- L'Ombre est sous le sol! Et il y a de grandes chances qu'elle soit en-train de se diffuser et de se répandre dans les murs! Il faut évacuer la maison!

- Avertis ceux du rez-de-chaussé, je m'occupe de l'étage. Et je dois aller prévenir Aurore! »

 

ΘΣ-ΘΣ-ΘΣ-ΘΣ-ΘΣ-ΘΣ

 

Il y avait des cris. Partout autour on criait. Mais les murs de la chambre étouffaient les terreurs. Aurore entendait quelqu'un qui ordonnait aux gens de sortir, de fuir. Son père, sûrement... Mais cela n'avait aucune importance. Parce qu'elle pleurait. Elle pleurait toutes les larmes de son corps, sans pudeur, sans retenue. C'était après s'être rhabillée d'une simple robe grise et avoir admiré son costume de mariage qu'elle avait éclaté en sanglot, seule, assise sur son lit.

C'était le pire jour de sa vie. Alors qu'elle épousait le garçon qu'elle aimait véritablement, une horreur arrivait, massacrait le village. Alors qu'elle aurait du fêter et célébrer un bel événement, elle subissait une bataille qui semblait perdue d'avance... Tout était gâché, et même son Léo n'était pas là pour la consoler.

 

La porte s'ouvrit brusquement, et Protos rentra avec précipitation dans la chambre, une épée brûlante à la main.

 

« Aurore, il faut absolument partir!

 

La mariée n'écoutait même pas son paternel. Elle l'avait vu rentrer, mais elle ne se souciait plus de ce qu'on lui disait ou de ce qui se passait autour d'elle.

 

- Père, pourquoi ça c'est passé comme ça?

- Mais... Je n'en sais rien, et peu importe! Il faut sortir de toute urgence! L'Ombre est en train d'absorber la maison, de prendre les murs. On l'a déjà vu dans les cuisines sortir du plancher!

- M'en fiche. L'Ombre ne viendra pas me chercher... Je ne lui ais rien fait, non?

- Voyons, reprends-toi ma fille! Je sais que c'est dur mais il faut absolument sortir!

- Je veux pas sortir. Je veux rester dans ma chambre. Je veux... Je...

 

Elle ne l'écoutait pas. Elle était dans un état totalement second, elle se protégeait ainsi de ces bouleversements qui la rendaient malade. Mais la réalité repris bien vite sa place lorsqu'un cri se fit entendre dans le couloir. Protos jeta un œil par la porte et vit qu'une femme se faisait absorber juste devant les escaliers, qui étaient déjà noir du néant que formait la chair de la créature.

 

- Elle est ici! On ne peut plus descendre!

- Tant pis... murmurait la jeune femme.

- Non! On passera par la fenêtre!

 

Le chef du village se précipita vers la vitre et l'ouvrit brusquement. Il vit, en-bas, Léo et Mahieu avec deux autres jeunes, et les interpella, leur criant qu'ils allaient devoir réceptionner sa fille. Il se tourna alors vers celle-ci, pour l'intimer à se sauver la vie...

 

- Viens, Aurore! Dépêche-toi!

- Non! Je veux pas sauter! Je... J'ai peur...

- On a tous peur, qu'est-ce que tu crois? Mais là ce n'est plus le moment! C'est soit l'Ombre, soit la fenêtre. Et crois-moi, tu ne rejoindra pas Nature le jour de ton mariage, jamais je ne le permettrais.

- Mais je...

- VIENS ICI! hurla son père, furieux.

 

Autour d'eux, les murs commençaient à se transformer, ainsi que le plafond, et le plancher était sur le point de subir le même sort. Ceci eut raison du désespoir d'Aurore, qui se releva avec précipitation pour se diriger jusqu'à la fenêtre.

En voyant la distance qui la séparait du sol, elle prit peur. Il y avait plus de 5 mètres.

 

- C'est trop haut! s'exclama-t-elle.

- Pas tant que ça, et puis tu n'as pas le choix! De toute façon, ils vont te réceptionner en-bas.

 

Et en effet, au sol, Léo, Mahieu et les deux autres jeunes étaient prêts à recevoir la jeune femme. Et derrière elle, l'Ombre se déployait déjà en tentacules, et avait absorbé presque tout les autres murs. Son père se défendait de son épée brulante, en frappant la créature en différents points, mais il ne restaient que quelques secondes avant que toute la pièce ne soit transformée. Il recula légèrement, et en frôlant le dos de sa fille, il la poussa un peu.

 

- SAUTE! hurla-t-il. Je te suivrais!

 

Cette dernière parole sembla la rassurer, et bien qu'elle était totalement effrayé à l'idée de chuter de si haut, elle se précipita dans l'ouverture, les pieds en avant et atterrit l'instant d'après dans les bras des jeunes, qui tombèrent à terre sous le poids et la force de la chute de la jeune femme.

Léo la serra immédiatement contre lui, tant pour la rassurer que pour se rassurer, puis se releva, aidé par Mahieu. Aurore fit de même, et en se retournant, elle vit son père sauter. Protos n'avait plus son épée, et toute la maison ou presque était noire. Les jeunes avaient reculé, ainsi ses pieds se précipitaient vers la terre ferme. Dans sa chute il criait, comme un animal, tant de peur que de colère face au sort de son visage, mais son cri s'étouffa en un instant. Alors qu'il n'était plus qu'à un mètre du sol, le mur noir de sa grande chaumière se déforma, formant comme une grossière mâchoire sans dents, et cette gueule grande ouverte se jeta en avant pour se refermer sur le chef du village, avant de se fondre à nouveau dans le mur. Protos avait été happé en un instant, sous les yeux de sa fille...

Aurore était blanche, ahurie, stupéfaite. Mais elle avait tant vu d'horreur en si peu de temps qu'elle ne s'effondra pas pour autant. La main chaude de son époux attrapa la sienne, et la tira en arrière.

 

- Coure! »

 

Et alors que le petit groupe fuyait, derrière eux, la grande maison, toute devenue noire, n'était plus. L'Ombre se recroquevilla, se resserra, pour reprendre une forme plus difforme, comme un abcès démoniaque au milieu du village...

 

ΘΣ-ΘΣ-ΘΣ-ΘΣ-ΘΣ-ΘΣ

 

Ils étaient quatre à courir sur la colline au sud du village. Sigmalion, Léo, Aurore et Mahieu. Le premier avait ordonné aux villageois de se disperser, de fuir, et plusieurs familles avaient fuit par le nord pour atteindre Kruciul, le village le plus proche. Malheureusement, on dénombrait bien des morts. La moitié des enfants avait péri lors de l'attaque de l'Ombre sur la chaumière des Glimm, et dans ces victimes, il y avait Timo. Son grand-frère était le dernier des Asmara, mais cela ne semblait pas l'atteindre tant que cela. Tout comme Aurore, il avait tant vu qu'il ne souffrait presque plus. Pour le moment en tout cas. À cela on pouvait ajouter la mort de Protos, de cette jeune femme au deuxième étage, ainsi que celle de quatre jeunes et de trois adultes, coincés dans la chaumière absorbée, en plus de ceux pris par la créature lors de sa première attaque... En moins d'une heure on décomptait trente morts.

 

Mais cela ne signifiait plus rien pour ces gens qui montaient la colline. Ils avaient vécu la violence la plus pure, sans rien y comprendre. Sans plus chercher à y comprendre quoique ce soit. À part pour l'un d'entre eux.

 

Sigmalion s'immobilisa et se retourna, voyant que la tache que formait l'Ombre dans son champ de vision restait immobile, à l'emplacement de l'ancienne maison d'Aurore, puis fit face à son fils.

 

« Elle n'est pas là par hasard... murmurait-il.

- Comment ça? interrogea Léo, interloqué.

- C'est nous qu'elle veut.

- Que... Vous devenez paranoïaque... laissa échapper Mahieu.

- Non. Je sais qu'elle est là pour nous! Pas pour vous, ne vous inquiétez pas. Mais pour nous. Pour moi.

- Tu divagues!

- Non Léo. Je ne divague pas, je le sens. Je le sais. Tout comme je sais qu'il existe des atomes, je sais de quoi il s'agit. Je sais à peu près comment marche cette chose, cette Ombre. Je ne peux le connaître que d'une seule manière. Nous devions les connaître là d'où nous venions.

- C'est une coïncidence. La science des atomes était connue chez nous, et tu as juste deviné par rapport à l...

- Non. Je déteste penser cela, mais tu me mens, mon fils. Cela viens de chez nous. Et maintenant c'est en train de détruire ce village. C'est forcément notre faute, notre responsabilité! Alors pour le bien de tous ces gens que tu aimes et qui nous ont accueilli, arrête de me mentir, et dis-moi ce qui c'est passé!

 

Le jeune homme recula en voyant son père si déterminé. Il ne fallait pas que cela se produise. Il ne fallait surtout pas.

 

- Dis-moi pourquoi nous sommes partis! Dis-moi ce que nous avions fait, ou ce que tu as fait, ou ce que j'ai fait! Je veux savoir. Je DOIS savoir! J'ai trahi nos amis, là-bas? Notre peuple? Est-ce que j'ai volé? Est-ce que j'ai commis un crime horrible?

- Je ne peux pas t'expliquer. Tout cela n'a rien à voir avec le passé!

- Bien sûr que si! cria Sigmalion, faisant frissonner Aurore et Mahieu. Je ne peux plus avoir confiance en toi, et pourtant j'aimerais tellement, crois-moi. Mais comment veux-tu, si tu me caches tout? Tout cela pourrait sauver des dizaines d'innocents! Dis-moi ce qu'il faut faire! Est-ce que je dois m'offrir à la créature? Est-ce que cela vous sauvera tous?

- Non, bien sûr que non. Elle est là et elle dévorera tout si on ne l'arrête pas.

- Mais alors comment l'arrête-t-on? Et pourquoi veux-t-elle nous détruire?

- Mais tu peux arrêter de poser des questions, oui? J'en ai marre de tes questions! Je ne sais pas tout!!

- Les questions, c'est tout ce que j'ai, tu vois. C'est la seule chose qui me raccroche à ce passé que j'ai oublié. Avec toi. Je rêve de ces questions, je fais des cauchemars de ces questions. Il y en a une qui s'acharne sur moi dans mes nuits, et à chaque fois je sens que tu ne voudras pas me répondre, et moi, moi j'en ai marre, parce que tu peux, mais tu ne veux pas.

 

Léo soupira en entendant son père raconter tout cela. Qu'avait-il fait? Mais qu'avait-il donc fait? Mais surtout, qu'allait-il se passer? Il y avait une éventualité horrible qui s'insinuait dans son esprit, qui sonnait comme une sorte d'engrenage inébranlable dans les futurs évènements...

 

- Pose-la.

- Pardon?

- Tu veux la réponse à une question en particulier. Si elle te taraude depuis toujours, alors pose-la. J'essayerais d'y répondre.

- Peut-être qu'il faudrait mieux s'intéresser à ce qui concerne l'Ombre... murmura Mahieu avec timidité.

- Reste en-dehors de tout cela, s'il-te-plaît. Et toi, père, demande-moi ce que tu veux.

- Je ne crois pas qu'il y ait un rapport, et...

- POSE-LA!

 

Le jeune homme s'était énervé. Il voulait savoir. Il devait savoir. Parce qu'il était possible que tout soit perdu pour lui. Que trois années s'effondrent en un instant. Et cela ne dépendait en aucun cas de la réponse qu'il allait donner, mais de la question qu'on lui poserait.

 

- Je ne sais même pas pourquoi je me demande ceci... murmurait Sigmalion.

- Père!

- D'accord, d'accord... Dis-moi... Docteur Qui? »

 

Une larme coula dans l'œil de Léo. La pire des éventualités, ou la meilleure, tout dépendait du point de vue, survenait. Le Docteur se souvenait. Le Docteur revenait. Le 13ème Docteur.

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