L'obsession n'est jamais bien loin de la passion

Chapitre 2 : Partie II.

9142 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 08:43

II  

— Bonjour, la salua froidement une voix masculine.

Cet homme…

Juvia, restée plantée à l’entrée du café, porta immédiatement son attention à sa gauche, sur le propriétaire de la voix familière. Son cœur rata un battement. Les mots restèrent coincés dans sa gorge alors qu’il lui tournait le dos, comme s’il l’incitait à le suivre.

Elle lui emboîta le pas, slalomant entre les meubles identiques jusqu’à l’endroit où elle avait l’habitude de s’installer. C’était une petite table pour deux personnes que Juvia avait adoptée dès la première seconde où elle l’avait aperçue. Son emplacement, près de la grande vitre à gauche, permettait de garder un œil sur le reste de la pièce ainsi que sur l’extérieur. La table parfaite pour la bleue.

Le serveur tira une chaise pour l’inviter à s’asseoir, mais la jeune photographe ignora son geste et prit place de l’autre côté. Ses mains posèrent presque religieusement son album sur un coin de la surface en bois teinté de noir.

Elle ne décrocha pas une seule seconde ses yeux de l’homme qui s’était serviablement mis à installer devant elle un sucrier, ainsi qu’une serviette à carreaux d’un profond bordeaux. Ses yeux suivirent ses mouvements lorsqu’il positionna l’objet en tissu sur la table, les doigts masculins s’approchant dangereusement dans la direction de sa poitrine tandis que son cœur s’affolait dedans.

Le brun capta son regard, obnubilé par sa face parfaite, alors qu’il lui présentait le menu du matin. La cliente cilla, s’échappa de la mer noire l’attirant dans ses profondeurs, et s’empressa de porter son attention sur les mots qui s’étalaient devant elle.

Le serveur devait certainement se demander quel genre de folledingue le dévisageait ainsi. A cette pensée, les doigts de la bleue se crispèrent aussitôt autour du menu.

Il s’apprêtait déjà à repartir pour lui laisser le temps de choisir.

— Un Earl… Earl Grey s’il ... s’il vous plaît, bafouilla-t-elle soudainement, en sentant ses joues chauffer.

La jeune cliente baissa pitoyablement la tête et reposa le menu sur la table. Elle distingua les mains viriles – grandes, hâlées, parfaites – du serveur lorsqu’il le reprit. Puis, il s’éloigna d’elle et partit vers le bar pour préparer le breuvage.

Juvia ne connaissait pas son nom, elle ne lui avait jamais parlé en dehors de ses commandes. D’ailleurs, elle prenait souvent le même thé. Elle était passée au café le matin, avant d’aller en cours, mais fut déçue de ne trouver ni son ami, ni ce serveur.

Être cliente était une bonne excuse d’adresser la parole à cet homme, et ces simples moments égayaient grandement ses journées.

Juvia prit une profonde inspiration pour calmer les battements frénétiques de son cœur. Si sa mère avait eu vent de son comportement… la jeune femme eut un demi-sourire empli d’amertume. Elle aurait certainement ri, oui. D’un rire gras, moqueur, hautain. Parce que c’était un minable serveur, aurait-elle dit. Sa mère la répugnait avec ses idées arrêtées, et combien de fois la bleue avait eu envie de lui cracher sa hargne au visage ?

Juvia chassa ses sombres pensées, parce qu’elle n’avait nullement envie de cogiter au sujet d'une telle personne lorsqu’elle essayait simplement de profiter de la vue.

Et quelle vue ! Son regard suivit chaque mouvement du jeune serveur brun. Ses muscles jouaient sensuellement sous sa chemise au col déboutonné, alors qu’il cherchait une tasse de thé dans les armoires situées en hauteur. Elle pouvait distinguer ses délicieuses clavicules que sa langue désirait flatter. La bleue soupira de plaisir tandis que ses yeux se régalaient du spectacle qui se déroulait devant elle.

Elle repensa à la photographie qui ornait son album, et elle se sourit intérieurement. Fière. Naturellement, pas un seul instant il n’avait été conscient que la bleutée le prenait en photo, elle avait été très habile sur ce coup-là.

Gajeel l’aurait certainement grondée parce qu’elle n’avait aucunement le droit de prendre un tel cliché sans le consentement de son modèle. Surtout à l’intérieur de son café-bar.

Elle déglutit péniblement et referma sa bouche restée stupidement entrouverte. Il était difficile de rester fidèle au comportement aristocratique qu’on lui avait inculpé. La jeune bourgeoise redressa les épaules en soupirant. Elle détestait agir ainsi, se sentait complètement décalée par rapport aux lieux. De plus, ça faisait inutilement ressortir sa poitrine.

Toutefois, elle ne pouvait rester tranquille.

Cette fichue manie ne la quitterait jamais et elle ne pouvait simplement adopter une attitude décontractée. Elle aurait sûrement eu l’air encore plus stupide.

La bleue s’empara de la serviette en tissu qu’elle déplia sur ses genoux, et dans un geste orné d’une grâce infinie, elle en lissa délicatement les plis. La tête et le dos bien droits, elle attendit dignement son thé, tout en évitant de mettre ses coudes à table.

L’étudiante ne put s’empêcher de reporter son attention sur le serveur, debout près du comptoir. Ses yeux caressèrent chacun de ses gestes emplis d’une précision remarquable. Il fronçait machinalement les sourcils alors qu’il versait une eau brûlante dans la tasse de thé. Pendant ce temps, son autre main se chargeait de remuer lascivement le liquide à l’aide d’une petite cuillère, libérant ainsi les effluves de la bergamote.

Bientôt, l’odeur aromatisée du thé noir chassa quelque peu celle du café précédemment préparé. Le breuvage brûlant était enfin prêt. L’employé le déposa sur un plateau rond, ajouta un grand verre d’eau en guise d’accompagnement avant de porter le tout jusqu’à la demoiselle en bleu.

Il ne lui accorda aucun regard, lui servit simplement son thé et une soudaine envie de le retenir s’empara de Juvia. Elle toussota pour s’éclaircir la gorge, et se maudit tout de suite de son comportement lorsqu’elle rencontra son regard moqueur. La cliente pinça les lèvres. Il la toisait de toute sa hauteur et sa présence l'intimidait.

Instinctivement, elle redressa davantage les épaules, releva le menton, puis se permit une brève inspiration avant d’ouvrir courageusement la bouche :

— Gajeel-kun sera-t-il absent, aujourd’hui ?

Il arqua un sourcil. Son plateau noir, vide, tenu en parfait équilibre sur sa main droite. Ses yeux se posèrent juste au niveau de sa poitrine, là où son appareil photo reposait. Puis ses prunelles glissèrent plus bas, caressèrent ses cuisses avec insistance. La cliente, mal à l'aise, gigota sur sa chaise, cherchant un confort introuvable. Il planta de nouveau son regard acéré dans le sien.

— Je ne puis vous informer, commença-t-il d’une voix railleuse. Votre Majesté a-t-elle besoin d’autre chose ?

Juvia serra les dents, puis lui offrit un petit sourire forcé. Elle détestait quand il agissait ainsi avec elle, sous prétexte qu’elle venait d’une riche famille et qu’elle avait des airs de nobles. Un noble ne serait jamais venu dans pareil endroit, premièrement. Elle n’était pas ainsi, pas comme eux. Elle aurait voulu le lui faire comprendre, mais les mots restèrent coincés dans sa gorge.

Face à son manque de réponse, l’expression du serveur changea. La moquerie fit place à un profond ennui. Il se retourna, et s’apprêta à partir. C’était le moment ou jamais. Tandis que les notes de Jazz se faisaient plus langoureuses, les battements de son cœur firent échos dans les tympans de la bleutée. Elle redressa la tête, essaya de calmer sa respiration, de ne pas se laisser engloutir par ses vives émotions.

— Attendez ! le pria-t-elle. S’il vous plaît.

Dans un geste las, il se tourna de nouveau vers elle et la questionna du regard. Son courage fondit comme neige.

— Je… J’aimerais vous dire qu… quelque chose, balbutia-t-elle à voix basse.

Juvia cacha ses mains tremblantes sous la table. Ses yeux cherchèrent nerveusement son album photo – pourtant posé sagement à proximité – comme pour y trouver du réconfort, ou du courage. Elle ne sut si le jeune homme avait tout de même réussi à l’entendre, parce qu’au même moment, un vacarme insoutenable rompit le confort du café.

Dehors, le ciel mécontent gronda. Une, deux puis trois gouttes s’échappèrent de la voûte nuageuse qui se mit à déverser son courroux sur l’allée.

— Il pleut encore ! l'entendit-elle grogner. C'est déprimant.

Déprimant.

La cliente déglutit douloureusement. Elle ne put détourner son regard de la scène qui se déroulait devant elle. Le jeune serveur lorgnait le mauvais temps à travers les grandes vitres du café, les sourcils froncés de mécontentement. Sa voix, accusatrice, résonnait toujours aux oreilles de Juvia. Elle voulut lui assurer que ce n'était pas de sa faute, qu'elle n'y était absolument pour rien. Quitte à passer pour une folle, si elle n'en était pas déjà une à ses yeux.

La surnommée Femme Pluie capta un mouvement du coin de l’œil. Dehors, les passants pressaient le pas sous l’averse qui s’intensifiait. Les quelques clients installés à l’extérieur avaient déjà quitté les lieux. Elle eut soudainement envie de faire pareil, de s’enfuir loin du café, du jeune serveur et de tout ce petit monde allergique à la pluie.

A elle.

Furieuse, elle l’était. Que lui était-il passé par la tête ? Quoi de plus stupide que de se confesser à un inconnu ? Elle n’avait même pas eu le temps d’aborder ses sentiments. Il était comme eux au final, il l’accusait et la prenait de haut. La jeune femme crispa les poings, et reporta un regard effervescent sur le concerné.

— Ce n'est pas la faute de Juvia ! s'écria-t-elle.

Les mots s'étaient échappés de sa gorge avant qu'elle ne pût les retenir. Le regard sombre de son interlocuteur se porta aussitôt sur elle, l’incrédulité déformait clairement ses traits. Une curieuse lueur brilla au fond de ses prunelles, son sourcil s'arqua alors qu'un sourire en coin, fébrile et indécis, étirait ses lèvres.

Il la jaugea pendant un moment, hésitant entre la stupeur ou l’hilarité. Perplexe, ses sourcils se froncèrent. Le brun la dévisageait comme s’il n’avait aucune idée de ce dont elle parlait, comme si elle était démente.

S’était-elle trompée ? Non, impossible. Finalement, il soupira. Elle vit l’exact moment où il perdit tout intérêt pour sa personne, levant les yeux au plafond en secouant la tête de lassitude. Il s’éloigna sans dire un mot pendant que Juvia le fusillait de son regard blessé.

C’était officiel. Il la prenait pour une dingue.

Posée devant elle, sa tasse de thé refroidissait. Elle n’avait même plus goût à boire le breuvage, pourtant adoré. Que lui avait-il pris d’ouvrir la bouche ? Elle aurait dû se taire, comme toujours, le laisser penser ce qu’il voulait. Il était comme eux, exactement comme eux… Quelle amère déception, elle qui voyait en lui tout ce qu’elle avait toujours recherché.

A quoi bon, au final ?

Il ne s’intéresserait jamais à elle, et elle n’était même plus certaine qu’elle le voulait encore. Il devait penser qu’elle était folle et que son supérieur avait de drôles de fréquentations.

Il l’avait toujours pensé, de toute façon.

Juvia tendit sa main avec réticence vers son thé noir, elle porta la tasse à hauteur de sa bouche, puis y trempa ses lèvres. C’était encore brûlant, après tout ce temps. L’arôme imprégna rapidement son palais et l’agressa, elle rajouta trois petits sucres au liquide. Ses doigts cherchèrent la petite cuillère posée juste à côté de sa tasse, et s’en emparèrent pour ensuite commencer à remuer le thé.

Cette action l’avait toujours détendue. Elle mélangea la boisson trois fois dans le sens de l’aiguille, puis deux fois dans l’inverse. Remuer lentement, éviter au maximum que la cuillère tinte contre la porcelaine, observer le liquide tournoyer, l’auriculaire tendu vers les cieux. La pluie, le jazz, l’odeur du thé. Elle aimait cette sensation de confort, et en oubliait presque le brun.

Presque.

Un rire rapidement étouffé parvint à ses oreilles.

Une ombre enveloppa la jeune femme, et un parfum métallique emplit son champ olfactif. Elle reconnaitrait cette odeur masculine parmi mille. Le propriétaire du café était finalement arrivé, et n’avait pas tardé à la rejoindre. Elle jeta un rapide coup d’œil vers le visage dur. Elle ne savait depuis combien de temps il était là, elle avait été trop absorbée par ses gestes et sa manie. La bleutée abaissa piteusement son petit doigt.

Son ami la toisait du regard, elle pinça les lèvres en reposant dignement sa cuillère sur le bord de la petite assiette blanche, presque sans bruit.

— T’attends là d’puis longtemps ? lâcha-t-il finalement de sa voix rauque, en tirant la chaise en face d’elle.

Il se laissa lourdement tomber dessus, prenant ses aises. Sa longue tunique noire sans manches dévoilait ses muscles, sa peau bronzée et ses mains gantées jusqu’aux coudes. Ses longues mèches noires se dressaient hasardeusement sur son crâne, flirtaient avec sa nuque et s’étendaient jusqu’au milieu de son dos. Un pelage humide d’hérisson, sombre et désordonné. La photographe suivit des yeux le parcours d’une perle d’eau qui s’écrasa sur la joue de l’homme devant elle. Il aimait les piercings et en avait de nombreux sur son visage, ce qu’elle avait toujours trouvé effrayant et inconvenant pour son statut de supérieur. Pourtant, personne ne semblait s’en soucier dans ce milieu, et son apparence ne ruinait pas le succès de son café-bar pour autant.

— Non, répondit la photographe en herbe. Je viens d’arriver.

— T’as encore séché les cours ? demanda-t-il en fronçant les sourcils.

Juvia haussa les épaules. Il passa une main dans ses cheveux humides avant de regarder autour de lui à la recherche de quelque chose, ou quelqu’un. La jeune femme tendit une main jusqu’à sa tasse de thé, et la porta à ses lèvres. L’arôme rendu sucré se diffusa aussitôt dans sa bouche, lui caressa la langue et chatouilla son palais. Elle affectionnait particulièrement ce chaud breuvage qui lui réchauffait la gorge.

Pendant sa dégustation, Gajeel s’était tourné et faisait des signes incompréhensibles à quelqu’un loin d’eux. Un serveur parmi d’autres, dont elle ne connaissait même pas le nom, mais qu’elle voyait souvent en compagnie de son ami. Elle haussa les épaules, ça ne la regardait pas.

Les yeux de la jeune photographe s’illuminèrent soudainement, elle reposa prestement sa tasse qui cogna le couvercle dans un bruit de porcelaine. Ses mains partirent à la recherche de son album photo, reportant automatiquement l’attention du patron brun sur elle. L’homme la dévisagea tandis qu’elle enfouissait une main dans l’une des grandes pochettes en plastique. La bleue en retira un morceau de papier plié hasardeusement, et le lui tendit.

— Qu’est-ce qu…, commença-t-il en dépliant la feuille.

Ses sourcils se haussèrent tandis qu’il lisait les mots sous ses yeux.

— Tu t’es faite des copains à l’école ?

Il leva les yeux vers elle, un sourire moqueur plaqué sur les lèvres.

— Une seule, répondit la bleue en soupirant. Je veux dire… Je ne sais pas.

— Tu n’sais pas ?

Elle hésita.

— En fait, je ne lui ai pas encore parlée.

L’expression de Gajeel changea brusquement. Son sourire s’affaissa et ses sourcils se froncèrent de mécontentement.

— T’attends qu’il pleuve ou quoi ?!

Juvia haussa ses frêles épaules, puis récupéra rapidement le morceau de papier entre les grandes mains calleuses de son ami. Elle n’avait pas envie qu’il le froisse.

— Il pleut déjà, rétorqua-t-elle avec un petit sourire taquin.

Il lui jeta un regard entendu.

Elle déplia ensuite la note de Levy sur la table, et s’appliqua à l’aplatir comme pour la défroisser. Ses yeux caressèrent de nouveau l’encre noire séchée, un sourire étira ses lèvres. Elle sursauta lorsque Gajeel grogna soudainement. Il repoussa aisément sa chaise en arrière, la faisant crisser contre le sol alors que ses yeux fixaient un point à travers la vitre.

Perdue, elle l’interrogea de ses yeux bleus océaniques pendant que ses mains étaient occupées à ranger le papier dans son album. Un crissement de pneus rompit bruyamment le silence, Juvia sursauta et faillit froisser la feuille entre ses doigts.

Une voiture rouge, sortie de nulle part, freina brusquement devant le café. Elle faillit renverser un passant qui s’empressait de se mettre à l’abri du temps pluvieux.

Le gérant grogna de nouveau, et la bleue en comprit parfaitement la raison. Ce n’était pas la première fois qu’elle voyait cette voiture, ni les jeunes gens qui en sortirent un instant après que le conducteur fou se soit volontairement garé n’importe comment sur le trottoir.

— J’espère qu’ils vont pas foutre le bordel, cette fois, ronchonna Gajeel. J’en ai marre de nettoyer après eux.

Juvia réprima son sourire, elle continua d’observer l’extérieur.

Une grande femme à la chevelure écarlate et interminable émergea du côté conducteur. La silhouette élancée ouvrit ensuite une des porte-arrières, enfourna sa main à l’intérieur, pour en ressortir un corps étrangement replié sur lui-même.

Le bout d’une écharpe, blanche à carreaux, frôla le sol humide et un geignement se fit vaguement entendre.

L’accessoire maintenant mouillé était enroulé autour du cou d’un jeune homme au teint maladif et verdâtre. Il semblait sur le point de vomir, tandis que la rousse ne semblait pas en prendre vigueur. Elle l’empoigna par le col de sa veste noire et le tira hors du véhicule, sans nulle délicatesse.

Il ne tarda pas à perdre l’équilibre sous cet agressif traitement, et faillit tomber à la renverse. La femme à l’expression implacable le suréleva comme s’il ne pesait rien, à peine le poids d’une plume, et le remit sur ses pieds comme un soldat.

Quelques secondes passèrent avant qu’une autre jeune femme ne jaillît du côté passager de la voiture. Sa lisse chevelure blonde lui tombait naturellement sur les épaules, tandis qu’une unique couette se distinguait sur le côté droit de son crâne. Une petite broche rouge décorait ses cheveux. Ces derniers étaient secs, protégés par un parapluie pourpre. La jeune blonde s’était empressée de l’ouvrir, en quittant le toit de la voiture qui lui servait d’abri au préalable.

A travers la vitre, Juvia observait le tableau que formait ce trio. La rousse, à l’apparence la plus âgée, habillée d’un tailleur aux couleurs sobres, se tenait droite et attendait fermement que le malade devant elle ait retrouvé ses esprits. Ce dernier respirait difficilement, il passa une main fatiguée dans ses cheveux aux reflets roses – ou violets, la photographe n’était pas certaine – tandis que près d’eux, la blonde en uniforme d’étudiante se tenait à l’abri de la pluie. Elle jetait un regard craintif à la deuxième femme.

L’artiste plissa les yeux. Un mouvement attira son attention, et une quatrième personne se glissa hors du véhicule. Elle était de petite taille, et la bleue ne tarda pas à deviner qu’il s’agissait de l’habituelle jeune fille qui venait parfois avec les trois autres. Deux longues couettes pendaient de chaque côté de son visage enfantin sur lequel se dessinait un sourire hésitant. Elle semblait mal à l’aise pendant qu’elle regardait le jeune homme qui essayait de reprendre contenance.

Ce qui ne tarda pas à arriver.

Comme par magie, le malade se revigora soudainement, heureux d’avoir échappé à la fureur de la grande rousse. Cela faisait déjà de nombreuses fois – plus d’une centaine, selon le compte qu’elle avait perdu au fil des années – que Juvia observait ces gens, mais elle ne savait pas ce qui rendait malade le jeune homme à l’écharpe. Cet accessoire ne le quittait jamais.

La bleue avait formulé quelques hypothèses, et la plus plausible était le mal de transport. Peut-être aussi qu’il s’agissait d’un homme maltraité par sa petite amie, bien plus âgée que lui, qui avait plutôt des airs de guerrière vu sa démarche et son caractère.

Juvia ne se faisait pas d’illusions, c’était une stupide théorie. L’étudiante l’avait déjà vue à quelques reprises agir différemment lorsque ses amis lui parlaient. Elle voulait simplement se montrer forte face aux hommes, ce qu’elle réussissait plutôt bien parce que la bleue l’avait déjà aperçue mettre une raclée à un imprudent qui avait eu l’audace de l’énerver. La guerrière restait au fond d’elle-même une femme fragile, la bleutée avait même surpris ses larmes une fois. Certainement à cause d’un chagrin d’amour.

Elle devinait tout cela, toutefois sans être certaine d’avoir raison, mais elle se plaisait à le penser et à leur imaginer un semblant de vie. Comme si elle les connaissait. Comme si elle était leur amie.

La paria les avait longuement observés en cachette, elle connaissait certaines de leurs habitudes. Après avoir attendu un moment dehors que le détenteur de l’écharpe se sentît mieux, ils allaient maintenant débarquer bruyamment dans le café et s’installer à la quatrième table en partant du fond, juste près de la cuisine.

Elle pouvait les espionner de là où elle était, malgré que son ouïe ne fût pas assez fine pour les entendre, mais ce n’était pas bien grave parce qu’il leur arrivait souvent de parler à voix très haute, sans aucune retenue. Après tout, ici, il n’était pas question d’un quelconque salon de thé que sa mère la forçait à fréquenter quand elle en avait encore la possibilité.

La jeune photographe détestait ces salons-là plus que tout. Chacun devait rester digne face à l’autre, comme des animaux en cage où le premier faux pas vous menait directement à la mort. La mort de sa réputation dans la haute société, comme si c’était la fin du monde. Il y avait des choses plus graves que ces gens-là décidaient d’ignorer en fermant les yeux, buvant leurs stupides thés, l’auriculaire levé dans une manie parfaitement aristocratique.

La bleue se sourit à elle-même devant sa mauvaise foi. Elle gardait encore des traces de son éducation qui la rattrapaient parfois, mais elle aurait aimé s’en débarrasser. Ce qui importait, c’était de voir le vrai monde de ses propres yeux et de découvrir à quel point la vie était goûteuse. Pas d’artifices, pas de verres en cristal emplis d’alcool prestigieux, et surtout, pas de vêtements hideux et luxueux.

Elle ne voulait pas être catégorisée dans le même sac que ces gens fous et obnubilés par l’argent.

C’était ce qu’elle aurait voulu prouver au serveur brun, mais elle n’y arrivait pas. Il la jugeait du premier regard, et ne lui laissait pas l’occasion de se présenter. C’était l’impression qu’elle avait lorsque parfois, il ne lui adressait même pas des salutations, ou pire, qu’il léguait la tâche de la servir à quelqu’un d’autre dès qu’elle mettait un pas dans le café-bar.

Bien sûr, elle ne pouvait rien y faire, ici elle était une cliente comme une autre. Être l’amie du patron ne lui donnerait aucun avantage, et Gajeel y veillait parfaitement. Elle ne pouvait l’obliger à la servir, et il n’était pas son esclave pour se plier à ses envies.

La bleutée aurait tout de même voulu éviter d’être ainsi vue par ces yeux qu’elle admirait tant. Elle aimait lorsqu’il posait brièvement son regard sur elle. Pourtant, et à chaque fois, un violent frisson parcourait son bas ventre, son estomac se contractait et sa bouche s’asséchait. Et son cœur… son cœur tambourinait dans sa poitrine comme jamais. Elle était entièrement sous son charme, envoûtée par sa personne, et il ne s’en doutait même pas une seule seconde.

Elle aurait voulu le lui dire aujourd’hui. Cependant, il pleuvait, sa robe porte-bonheur était déchirée, et maintenant, le groupe d’amis s’était déjà installé à leur table habituelle. Le serveur viendrait bientôt les saluer. C’était trop tard, le moment était passé.

Juvia avait facilement deviné qu’il s’agissait de ses amis, parce qu’il était toujours à l’aise avec eux. Il rechignait parfois de les voir empiéter sur son espace de travail mais ne tardait à se joindre à leurs conversations. Parfois, il se disputait – plutôt violemment – avec celui-à-l’écharpe, et la guerrière-aux-cheveux-flamboyants les remettaient tous les deux en place sous les regards mi-consternés et mi-effrayés des deux autres jeunes filles.

— T’vas pas leur parler cette fois non plus ? la ramena à la réalité la singulière voix enrouée de Gajeel.

Juvia reporta son attention sur son ami. Elle avait presque oublié sa présence, croyant qu’il était déjà parti. Il semblait en effet sur le point de le faire, mais il avait assisté à la scène tout comme elle, tandis qu’il remettait en place la chaise qu’il occupait quelques minutes plus tôt. Son regard se planta dans celui de la bleutée à la recherche d’une réponse, et elle lui fit un petit sourire réservé en retour.

— Pourquoi le ferais-je ? Ils ne me connaissent même pas.

— Et bah va t’présenter ! lui suggéra-t-il comme si c’était la chose la plus évidente au monde. Ils vont pas t’mordre, t’sais ?

La jeune étudiante rougissait rien que d’y penser. Elle crispa sa main devenue moite autour de sa tasse. Après avoir repris une gorgée de son thé, comme pour prendre le temps de calmer ses pensées, elle soupira.

— Tu sais bien que ce n’est pas facile pour moi…

A vrai dire, elle pourrait considérer qu’elle connaissait quelque peu l’élu de son cœur, mais elle se voyait mal s’installer à leur table avec un simple « Salut ! Moi, c’est Juvia Lockser, je suis née dans une famille de riches. Ce que je fais là ? Je suis venue observer le monde des pauvres ! » … Ridicule.

Elle allait très rapidement passer pour une ignorante de la vie, voire pire, une personne hautaine qui avait la condescendance de leur adresser la parole. Typiquement le comportement de sa mère, ça. En réalité, ils n’étaient pas aussi pauvres. Ils faisaient même partie de la classe moyenne mais aux yeux des fous pleins aux as, ça devait être exactement la même chose.

La bleutée soupira une nouvelle fois, sa place n’était nulle part mais elle aurait tellement aimé s’en faire une au sein de ce groupe d’amis. Ils semblaient si bien s’entendre, comme une vraie petite famille. Parfois, d’autres personnes venaient les rejoindre et l’ambiance familiale réchauffait le cœur de Juvia. Même si elle restait dans son coin à chaque fois.

De toute façon, même le jeune homme brun ne l’aimait pas. Pire, il n’en avait que faire. Il était serveur, et elle était cliente. Si parfois il lui parlait, c’était uniquement pour lui rappeler son statut social, avec son regard moqueur et elle s’en mordait encore les doigts d’avoir été aussi stupide, de s’être laissée séduire ainsi. Il était têtu, borné, et c’était maintenant trop tard pour lui enlever cette idée de la tête.

Au fond, Juvia doutait. Elle savait qu’elle se faisait des idées pour rien. Si ça se trouvait, il ne pensait pas une seule seconde à elle, il s’en fichait qu’elle soit riche, pauvre, laide, handicapée, belle ou même d’un sexe différent. Il n’en avait absolument rien à faire d’elle.

Cependant, et d’un autre côté… Peut-être était-il tout de même intéressé par elle… Peut-être qu’il avait posé ses yeux sur elle, mais ce qu’il y avait vu l’avait tout de suite dégoûté. Etait-ce peut-être la pluie ? A moins que ce ne fût la chevelure bleutée de Juvia ? Devrait-elle, peut-être, changer de coiffure ? Etait-ce le seul moyen pour elle d’attirer finalement son attention ? L’espoir naissait dans le creux de sa poitrine alors qu’elle réfléchissait déjà aux mille et une coiffures qu’elle pourrait se faire.

Non, c’était une idée ridicule. Elle n’allait tout de même pas faire couper ses longs cheveux, qu’elle laissait pousser depuis autant de temps, uniquement dans le but d’attirer l’attention d’un homme. C’était pathétique.

Mais… Et si c’était la seule solution ?

Quelle solution ? Regardez-le en train de parler avec vivacité à ses amis ! Il ne faisait même pas attention à elle. Il s’était même assis à leur table, oubliant son travail. La blonde riait à gorge déployée face à la tête de déterré de son ami allergique aux voitures et la rousse mangeait tranquillement une part de gâteau que le jeune serveur lui avait certainement servie personnellement. La jeune fille aux couettes échangeait quelques mots avec la plus âgée, et…

Le brun frôla la main de la blonde et le cœur de Juvia se tordit violemment.

Pourquoi touchait-il sa peau, et pas la sienne ? Etait-elle trop pâle et maladive pour lui ? Ce n’était pas de sa faute si sa peau était trop sensible au soleil, astre qu’elle chérissait pourtant. Ce n’était pas de sa faute s’il pleuvait aussi souvent, surtout quand elle était dans les parages – après tout, elle vivait ici, il n’y avait donc aucun rapport. Elle observa le léger bronzage doré de la blonde qui se mariait parfaitement à la peau du brun. Pourrait-elle un jour être aussi jolie ? Juvia n’y pouvait rien, elle était juste trop… blanche.

La bleutée ne fit même pas attention lorsqu’une main passa devant ses yeux. Ce n’était pas une urgence. L’urgence était qu’il touchait cette blonde au sourire chatoyant et aux pommettes rougies alors que Juvia était à quelques mètres d’eux. Soudain, l’attention de la photographe fut attirée par autre chose.

C’était le moment.

Elle retint sa respiration. Dans un instant, le jeune serveur allait déboutonner sa chemise. Il allait repousser le vêtement sur ses épaules. Il s’apprêtait à le retirer et exhiber sa musculature digne d’une sculpture grecque, et Juvia ne pourrait même plus détourner le regard de ce chef d’œuvre.

C’était jubilatoire.

Une main repassa devant ses yeux. Ça la dérangea une brève seconde. Qui osait perturber sa contemplation ainsi ? Les muscles roulèrent sous la peau. Suavement. L’exhibitionniste était le huitième péché personnifié, se pavanant sous ses yeux, la narguant et la séduisant. Les oreilles de la bleutée bourdonnèrent.

Au loin, à plusieurs années lumières de ce fruit interdit, quelque chose – quelqu’un – essayait d’attirer son attention. Elle cligna des yeux, son regard hypnotisé suivit la main qui passait et repassait lentement devant ses yeux. Finalement, un claquement de doigts la sortit d’un coup de sa torpeur.

— Hé ! Tu m’écoutes là ?!

Le regard bleu, troublé, se porta sur celui plus sombre et contrarié du gérant. Son ami grogna, comme pour lui signaler son mécontentement d’être ainsi ignoré. En réponse, Juvia haussa les épaules, souriant d’un air rêveur. Elle n’avait pas besoin de prononcer un mot de plus pour faire comprendre à Gajeel ce qui accaparait son attention. Il était parfaitement au courant de ses sentiments, et il ne lui en voudrait pas.

L’homme soupira de lassitude face à son comportement.

— J’disais que j’allais m’occuper du bar, répéta-t-il pour elle. Mira est partie avec son frangin pour se recueillir, aujourd’hui.

La bleutée hocha la tête, bien qu’il n’eût pas besoin de son accord. Il s’éloignait déjà et la photographe le suivit vaguement des yeux. L’instant qui suivit, ces derniers se reportèrent sur le serveur à moitié dénudé qui discutait toujours avec les autres. Il était nonchalamment assis sur une des chaises, sa chemise trainait certainement quelque part sur le sol, ou près de la blonde.

Juvia caressa une dernière fois du regard les épaules du brun.

Elle se leva naturellement, la serviette en tissu glissa de ses genoux et chuta sur le sol. Juvia l’ignora délibérément. Son album photo lui pesait sur la poitrine et une envie la démangeait affreusement de l’intérieur. Elle devait le faire avant que ce ne soit trop tard, avant que le moment ne soit passé. La jeune femme ne se soucia pas de payer le thé commandé, elle finirait par revenir et le faire. Tout ce qui importait était de quitter la pièce rapidement, et surtout, sans attirer l’attention de qui que ce soit.

Son album tenu contre sa poitrine, la cliente se dirigeait déjà vers la sortie. Ses pas se rapprochaient de la porte, elle avait envie de courir mais se forçait à rester calme. Agir placidement était la clé. Il lui suffisait maintenant de tendre le bras, de pousser le battant et de sortir dehors sous la pluie. Elle aurait dû penser à prendre son parapluie.

Trop tard. Elle était finalement dehors et les gouttelettes d’eau s’abattirent ardemment sur le haut de son crâne. L’air froid fouetta ses joues, gonfla ses poumons. L’odeur de la terre humide agressa ses sens, quelques mèches trempées se collèrent à son front. Son regard se porta à sa gauche, juste derrière les tables situées à l’extérieur.

Une petite allée menait à l’arrière du restaurant, ainsi qu’aux poubelles. Ses pieds s’y dirigèrent d’un pas décidé. A l’intérieur, un homme – âgé d’une quarantaine d’années en apparence – buvait tranquillement son café. Il la suivit curieusement du regard lorsqu’elle passa devant la vitre. La bleue l’ignora faussement et continua son chemin comme si de rien n’était.

Juvia s’arrêta quelques mètres plus loin du Redfox, attendit un petit moment pour être certaine de ne plus être l’attention de quiconque. Prudemment, elle rebroussa chemin, longea le mur de l’immeuble derrière elle et s’engagea discrètement dans la petite allée. L’odeur des détritus lui fila tout de suite la nausée, elle retint son souffle en grimaçant.

Soudain, un chat noir surgit de l’une des deux grandes poubelles vertes. Juvia dut retenir le petit cri de surprise qui faillit s’échapper de sa gorge. Les yeux écarquillés par la peur, elle le regarda s’éloigner en essayant de calmer son cœur affolé, les mains tremblantes.

Enfin, elle continua son chemin tout en rentrant son petit ventre lorsqu’elle passa près des ordures, l’étroit passage l’écrasa un peu. Quelques pas plus loin, l’objet de sa recherche était enfin à portée de vue. Une unique petite fenêtre était entrouverte, et le regard bleu distingua l’intérieur des vestiaires du café-bar.

Il était bientôt midi, bientôt l’heure de la pause de certains serveurs – et en particulier, du serveur brun. Les vestiaires étaient encore vides, ce qui rassura la jeune femme qui n’avait aucunement envie de voir d’autres hommes nus déambuler dans la salle.

La jeune photographe serra fortement son album entre ses mains. Elle devait trouver un endroit sec où le poser le temps de finir. Ses yeux cherchèrent une cachette à l’abri de la pluie, mais n’en trouvèrent aucune. Devant l’étendue des petites flaques d’eau sur le sol, elle soupira et se résigna à coincer l’objet entre ses cuisses. L’espionne en bleu jeta un coup d’œil à son poignet.

Plus que huit minutes.

Ses doigts caressèrent presque religieusement son appareil photo. Elle le porta à la hauteur de ses yeux, et décida de passer le temps en vérifiant les réglages. Les vestiaires n’étaient pas suffisamment éclairés, une lampe brillait faiblement au centre du plafond, et la fenêtre n’aidait en rien à éclairer la pièce. Elle augmenta quelque peu la sensibilité de son appareil, passa en mode noir et blanc, puis veilla à désactiver le flash pour ne pas se faire remarquer.

La quantité de lumière était basse et la photo serait certainement sous-exposée mais Juvia s’en fichait. Son cœur se remit à battre furieusement dans sa poitrine lorsqu’elle entendit des voix à travers l’épaisseur de la porte. Rapidement, elle s’accroupit sous la fenêtre. Elle discerna la porte s’ouvrir durant de brèves secondes, le bavardage du café parvint à ses oreilles avant de disparaitre de nouveau lorsque l’arrivant s’enferma à l’intérieur des vestiaires. Juvia risqua un coup d’œil à l’intérieur, ses cheveux bleus dépassèrent quelque peu de la fenêtre.

Ses yeux tombèrent directement sur des omoplates dénudées.

C’était parfait. Il lui tournait le dos, sa chemise déjà retirée pendait lamentablement sur le banc qui longeait le mur près de l’entrée. Niché aux creux des plis sillonnant le tissu nacré, un bout de tissu noir qui servait certainement à former le nœud papillon. En face, des casiers propres à chacun pour garder leurs affaires. Le serveur brun ouvrit le sien en faisant tourner la molette du cadenas.

Cinq, neuf, sept, trois, neuf.

Juvia connaissait le code par cœur. Un grincement la fit frissonner. Envieuse, impatiente. La lumière orange de la lampe tombait délicatement sur la peau de l’homme, creusant sa chair de reliefs ombrés, marquant sa colonne vertébrale parfaitement tracée. Les faibles faisceaux se perdirent dans les méandres des mèches sombres, coulèrent le long de sa nuque, flattèrent ses épaules, embrassèrent sa chute de reins. L’adulatrice suivit des yeux chacun de ses gestes, retint son souffle lorsqu’il passa une main fatiguée dans ses cheveux de jais, se mordit la lèvre inférieure lorsqu’il retira son pantalon noir typique de la tenue exigée pour son travail.

L’épieuse resserra les cuisses autour de son album, et sans bruit, s’empara de son appareil photo. Maladroitement, elle essaya de faire dépasser l’objectif au-dessus du bord de la fenêtre sans attirer l’attention de l’espionné. Il était en train de prendre ses affaires.

La photographe tint fermement l’engin entre ses mains et, sans réfléchir un instant de plus, appuya plusieurs fois sur le bouton déclencheur à l’aide de son index. L’appareil trembla entre ses mains qui le protégeaient de la pluie, les photos devaient être floues et ratées.

De frustration, l’espionne en bleue mordilla sa lèvre inférieure pour s’empêcher de soupirer.

Elle devait en reprendre une autre. Son cœur s’affola et elle essaya de respirer aussi faiblement que possible. La pluie couvrait le peu de bruit qu’elle faisait, mais elle ne voulait prendre aucun risque.

Les genoux toujours fléchis, elle suréleva un peu la tête pour mieux voir. Son doigt toujours posé sur le bouton rond, elle regardait maintenant à travers le viseur le corps en caleçon juste devant elle. Les mains masculines sortirent du casier un jean noir et un chandail de couleur bleue marine. C’était sa dernière chance avant qu’il ne revête ses vêtements, avant qu’il ne soit trop tard.

Il se retourna.

Comme ça. Sans prévenir. Le monde s’arrêta soudainement de tourner à cet instant. Juvia déglutit difficilement. Les yeux bleus se posèrent brièvement sur le ventre musclé, juste là, au niveau du nombril du brun. L’alerte se déclencha dans son cerveau. Ni une, ni deux, la photographe plongea sous la fenêtre, emportant avec elle l’appareil qui cogna bruyamment contre la pierre froide du mur. Elle ferma fortement les yeux comme pour s’échapper de cette honteuse réalité.

L’avait-il réellement vue ?

La jeune femme, toujours accroupie, reprit entre ses mains l’album photo qui avait miraculeusement survécu à sa panique. Elle longea le mur et son cœur rata un battement lorsqu’un bruit de pas se rapprocha de la fenêtre.

La seconde qui suivit, Juvia enjambait déjà l’une des deux grandes poubelles dont le couvercle vert-bouteille était ouvert. L’odeur nauséabonde agressa son nez, mais peu importait. Elle se laissa tomber de tout son poids sur les détritus trempés, les yeux fermés. Elle refusait de voir sur quoi elle était assise et ce qui sentait aussi mauvais.

Dans quelle situation s’était-elle encore mise ? Son obsession lui faisait faire n’importe quoi. Ce n’était pas la première fois qu’elle l’espionnait ainsi, et d’ailleurs, elle avait toujours su qu’un jour ou l’autre, il aurait fini par la découvrir.

Mais pas maintenant.

L’odeur dégoûtante et la lourdeur de son cœur lui filaient la nausée. Pourquoi s’infligeait-elle ce calvaire ? Il devait certainement l’avoir vue. Ses affreux cheveux bleus et son énorme tête dépassaient allègrement de la fenêtre. Pire, l’appareil était posé sur le bord et il l’avait vu. Comment aurait-il pu rater ça ?

Au milieu de la poubelle, la photographe prise sur les faits avait étrangement envie de pleurer de honte. L’eau salée qu’elle empêcha de couler brûla ses cils.

Imperturbable, la pluie continuait à s’abattre sur elle.

Un bruit attira son attention, elle se redressa maladroitement sur ses genoux et jeta un craintif coup d’œil à la fenêtre. Elle était fermée. Il avait fermé la fenêtre… Tout prouvait qu’il était parfaitement au courant de sa présence. Elle n’oserait même plus se rendre au café maintenant – pourquoi était-elle partie sans payer ? Gajeel la tuerait à coup sûr si elle y retournait dans un tel état.

Elle était trempée de la tête aux pieds, et elle sentait horriblement mauvais.

Juvia éternua.

*

Note de l'auteur : Oui, c'est vrai que j'ai tendance à mettre mes personnages dans des situations embarrassantes, et j'adore ça. Il parait que j'ai une réputation de sadique, et je tiens fortement à l'entretenir et à la préserver. Pour les nouveaux lecteurs, s'il y en a, je vous prie de ne pas vous attendre à une bête histoire d'amour où tout est rose. Les nuances de gris s'étaleront sur la toile, doucement mais sûrement.

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