La ville éternelle

Chapitre 6 : Fuis vers la liberté

779 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 17/10/2023 20:05

Fuis vers la liberté

自由に向かって逃げろ

 

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La rumeur courait que n’importe qui pouvait disparaître du jour au lendemain, sans laisser la moindre trace, comme si de rien n’était. Changer d’identité, de ville et de vie, ne pouvait sembler aussi simple et, pourtant, des entreprises apportaient leur soutien logistique pour aider aux individus le souhaitant à s’évaporer comme les gouttes de pluie sur le goudron brûlant d’été. Évaporation. Jōhatsu. Un bien joli terme pour un acte aussi nécessaire et salvateur pour les personnes qui y avaient recours qu’il n’était personnel et égoïste pour leur entourage.

Akiko réajusta son tailleur avant de s’installer à son bureau, à l’accueil de son yonigeya, une boutique de fuite nocturne, comme on appelait ces entreprises aussi légales que moralement discutables, selon certains opposants à ces pratiques. Si, au premier abord, cela pouvait étonner, la quarantenaire aimait ce quotidien, et ce travail. C’était justement grâce à une entreprise de ce genre qu’elle avait fui sa vie précédente.

À l’approche de la délivrance de son diplôme, voilà de ça deux décennies, elle avait candidaté à bon nombre de postes, auprès de bon nombre d’entreprises, en vain. Elle avait été trop ci, trop cela, pas assez comme ils souhaitaient qu’elle fût. Son destin avait été de trouver un boulot à temps partiel dans une supérette qui ouvrait à toute heure du jour comme de la nuit, sept jours sur sept. Cela avait duré un temps, mais sa famille n’avait pas été dupe bien longtemps.

Elle avait toujours entendu parler de ces évaporés qui disparaissaient du jour au lendemain sans laisser de traces, sans se rendre compte que les cas étaient moins isolés qu’elle ne l’aurait cru. À partir de cela, elle s’était interrogée – qui des personnes qu’elle rencontrait au quotidien vivait sa première vie, et qui avait eu recours à l’évaporation auparavant ?

La jeune femme qu’elle était à l’époque avait longuement hésité, mais un livre trouvé en librairie l’avait convaincue de sauter le pas. Puis elle avait amassé toutes ses économies, avait retiré tout son argent de son compte en banque, et avait joué cartes sur table. Un matin de décembre, son sac de voyage sur le dos, elle avait quitté sa ville, son travail et sa famille, pour ne plus jamais revenir. Cela lui avait coûté un certain montant, mais elle était devenue Yamada Akiko, une femme tout à fait banale, et s’était noyée dans la masse de l’autre côté du pays, sans laisser de trace.

Elle était elle aussi une évaporée, et avait trouvé son salut dans une entreprise semblable à celle à laquelle elle avait autrefois fait appel. Elle comprenait mieux que quiconque les raisons qui pouvaient pousser un individu à fuir femme et enfants, travail et maison, pour se reconstruire ailleurs. L’espoir que les personnes qui faisaient appel à ses services pussent se reconstruire et s’offrir une vie meilleure la motivait ; une part d’elle savait combien elle se leurrait, mais elle préférait vivre dans le déni.

Son livret de famille indiquait Kudō Akiko, née Yamada, épouse de Kudō Jun’ya et mère de Sasaki. Tous deux ignoraient son passé, et c’était peut-être pour le mieux. Que penseraient-ils d’elle s’ils savaient qu’elle avait abandonné famille et adelphes par honte d’avoir échoué, et faute de mieux ? Tous n’étaient pas aussi ouverts d’esprit qu’elle.

La porte vitrée du bureau s’entrouvrit, et un homme d’âge moyen, en costume comme tout bon cadre ou employé qui se respectait, pénétra timidement dans la pièce. Les cernes creusaient ses yeux, et ses traits tirés témoignaient de ce rythme de vie intenable que voulaient tant fuir bon nombre des clients qu’Akiko avait suivis et accompagnés. Pour d’autres, c’était un mariage malheureux, duquel ils ne pouvaient s’échapper même avec un divorce. L’addiction aux jeux d’argent était une troisième raison qui menait à elle ces hommes et ces femmes de tout âge, prêts à tout abandonner pour mieux renaître. Le plus déchirant cas auquel elle s’était confrontée était celui d’une jeune femme victime de violences conjugales et qui souhaitait plus que tout que son compagnon ne la retrouvât jamais.

Mais pour chacune de ces personnes, Akiko s’était juré de leur prêter main-forte, pour que tous pussent fuir vers ce qu’ils considéraient être la liberté.

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