La ville éternelle

Chapitre 14 : La ville éternelle

Chapitre final

646 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 25/10/2023 09:06

La ville éternelle

永遠市


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Je me penche sur ma feuille blanche, et me pose un instant. Que vais-je bien pouvoir lui raconter aujourd’hui ? Mon plume à l’encre bleue se penche au-dessus de la feuille épaisse aux belles lignes dessinées. Mes doigts restent en suspens au-dessus de mon clavier, prêts à glisser pour faire naître ces mots qui ne me viennent pas.

Quelle mélodie pourrai-je composer, tandis qu’autour de moi le monde change, seconde après seconde ? Quels textes pourrai-je narrer sans qu’ils ne perdent de leur sens et de leur superbe tôt ou tard ? Ces questions sans réponse m’assaillent, et me paralysent. Mon poignet refuse de bouger. L’inspiration, absente, m’abandonne.

Qu’avons-nous de commun, lui et moi ? Quelles choses peuvent nous rassembler, nous réunir, au point que j’en vienne à écrire tout cela ?  

Nous n’appartenons pas au même monde. Nous ne partageons pas le même quotidien. Nos activités n’ont rien en commun. Et pourtant, il m’inspire, il m’emmène. Je voyage grâce à lui, j’écris et je compose grâce à lui.

Ce vaste univers où nous évoluons se métamorphose à tout instant. Il change, il se trouble et s’éclaircit, il s’accroît et se réduit. Quelques lignes sur une feuille, qui se changent en des pages noircies. Un jour, qui se change en dix ans accomplis. Si le premier ne suffit pas, qu’en sera-t-il du suivant ? Si l’esquisse est imparfaite, le tracé sera-t-il admirable ?

Je scrute ma feuille blanche, ma page vierge, et m’interroge. Qu’ai-je appris, depuis tout ce temps à leurs côtés ? Tomber sept fois, se relever huit, malgré la douleur lancinante dans les genoux, et le sang qui coule des plaies autant que les larmes ruissellent. 

Je ferme les yeux, un instant, et respire. Le parfum d’une journée d’automne, pluvieuse, commune. Octobre s’achève, novembre approche. Un jour en somme tout banal, où la mélodie, étrangère comme familière, vient à moi.

Aujourd’hui, la ville éternelle, celle où errent nos pensées à chacun, m’ouvre ses portes. Véritable forteresse composée de mots et de signes de toutes les langues, insondable tour de Babel qui jamais ne s’effondrera, où jamais quiconque ne se perdra, elle s’offre à ma vue. Symphonie de lettres, roman de mélodies, ses accords et ses métaphores me transportent, me guident vers des rêves que je ne saurai narrer.

J’ai toujours cru qu’il était de mon devoir de mettre des mots sur les sentiments indicibles. Les monologues étaient vains et creux, je n’atteindrai jamais la perfection. Les dialogues ne pouvaient remplir leur fonction, tant je ne peux comprendre autrui. Le sens que je porte à mes mots diffère de celui de mon interlocuteur – malgré cela, pourra-t-il comprendre la puissance de ces sentiments qui me traversent ?

Aujourd’hui, la ville éternelle me chante son histoire. D’une voix puissante que je ne lui connaissais pas, d’une musique qui m’était jusqu’alors inconnue, elle me transporte. Les mots défilent, les paroles et les gammes, les rythmes changeants et les refrains versatiles – j’irai là où le vent me portera.

Nous tentons de vivre de nouveau, de reprendre le cours de nos existences. Le temps s’est comme arrêté – il n’est plus qu’une vague sensation tandis que nous évoluons dans cette cité qui jamais ne se fanera. Lorsque cessera la mélodie, nous retournerons à nos quotidiens aphones.

Le champ d’automne entonne son chant. Le fleuve fertile fleurit de son souffle fluet. Exposée à la pluie, j’expose ma poésie.

Ensemble, nous découvrons ce qu’ils appellent « la ville éternelle ». 

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