Les chroniques d'Arkanie T.1 : Cybard

Chapitre 10 : Épilogue : Le choix de Cybard

Chapitre final

2168 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 12/10/2017 22:36

Alpaïde peinait à nouer la cape de Freya autour de ses épaules, car sa maîtresse remontait d'un bon pas l'un des couloirs de l'aile ouest. Elle devait presque courir pour se maintenir à sa hauteur et, à cause de ses gestes saccadés, elle ne parvenait pas à joindre les deux attaches.

La servante réussit, presque par miracle, juste avant que Freya ralentisse l'allure aux abords des appartements de Cybard. Elle s'arrêta totalement devant la porte, à laquelle elle frappa d'une façon précipitée. Comme elle n'obtint pas de réponse, elle recommença avec plus d'insistance.

- Mon frère, je vous en conjure, sortez donc ! Vous savez que personne ne compatit plus que moi à vos tourments, mais le duc de Véronas et sa famille auront quitté le château d'ici l'heure à venir. Oseriez-vous les laisser partir sans avoir daigné les saluer une dernière fois ? Rustic ne comprendrait pas une telle attitude et Brunehaut en serait extrêmement peinée. Quant à Judicaël... Il s'agit de notre confident, notre meilleur ami. Vous ne pouvez pas rester enfermé ici alors qu'ils sont sur le point de rentre chez eux.

Freya toqua une nouvelle fois, en vain. Cybard était déterminé à ignorer ses appels. Désappointée, elle secoua la tête de gauche à droite, avant de s'éloigner. Elle ne lui tenait pas vraiment rigueur de sa réaction, mais elle aurait souhaité qu'il fasse un effort pour le départ des Véroniens.

Elle avait presque atteint l'extrémité du corridor, sa domestique dans son sillage, lorsqu'elle entendit le grincement caractéristique des gonds qui pivotent. Freya se retourna et constata avec un large sourire que son frère se tenait dans l'encadrement de sa chambre.

Il était apprêté et son front était orné de la couronne argentée que le protocole lui imposait de porter en public, mais dont il oubliait le plus souvent de se coiffer. Il voulut rendre à la princesse son expression aimable, mais il en fut incapable. Ses traits étaient las.

Freya s'abstint de faire un commentaire à ce sujet. S'il désirait lui parler, il le ferait. Elle n'avait aucune envie d'aborder un sujet auquel il avait soigneusement tenté d'échapper la veille en fuyant la société sitôt le tournoi d'épée terminé.

Ce fut dans un silence complet qu'ils traversèrent la partie du château dans laquelle ils se trouvaient, puis descendirent les escaliers jusqu'au rez-de-chaussée. De là, ils gagnèrent la cour, où deux carrosses attendaient, déjà attelés. La famille ducale de Véronas ne serait pas la seule à quitter Maarmé si tôt. De nombreux invités, à présent que les festivités étaient terminées, étaient désireux de rentrer chez eux, où leurs affaires les attendaient.

- Freya, ma bien-aimée, le temps va me paraître si long loin de vous ! s'exclama une voix enthousiaste.

La jeune femme éclata d'un petit rire tandis que Judicaël se faufilait sous l'encolure de son étalon noir, dont un écuyer tenait les rênes. Il semblait cacher quelque chose dans son dos. Quand il se trouva devant elle, il dévoila ce dont il s'agissait.

- Pour vous dire au revoir, très chère, affirma-t-il en lui remettant une rose noire, identique à celle qui ornait le blason du duché. Elle est presque aussi magnifique que vous.

Freya le remercia d'un sourire flatté pendant que Judicaël étendait son autre main vers Alpaïde. Elle contenait une fleur identique, mais dont le parfum était plus prononcé. La domestique devint écarlate sitôt qu'elle prit conscience de son geste et se mit à bredouiller des paroles incompréhensibles.

- Un refus de ta part me vexerait infiniment, insista le Véronien. Et je suppose que tu n'y tiens pas, n'est-ce pas ? Alors prends-la.

Les doigts de la suivante tremblaient lorsqu'ils se refermèrent sur la longue tige végétale et, au moment d'exprimer sa reconnaissance, ce ne fut qu'un énième bégaiement qui franchit ses lèvres. Elle baissa la tête, gênée.

- Je crois que j'ai troublé votre adorable domestique, Freya. J'ose espérer qu'elle s'en remettra.

Après cette malicieuse remarque, Judicaël se tourna vers Cybard, qui continuait à se murer dans le silence. Son ami lui serra la main avec compassion, puis lui donna l'accolade. Ce ne fut qu'au moment où il le relâcha que le prince consentit à afficher un sourire crispé.

- Faites un bon retour jusqu'à Véronas, murmura-t-il sans entrain. Les routes sont sûres, mais le danger surgit toujours de nulle part.

- Nous aurions tort de nous plaindre. Notre trajet ne nous oblige pas à traverser la forêt de Terwen, contrairement à celui des Calvernois. Gravir quelques collines est une sinécure, par comparaison.

Le bois avait mauvaise réputation, à cause des nombreuses créatures surnaturelles qui s'y réfugiaient, et ce en dépit des fréquentes expéditions menées par les Chasseurs pour tenter de les occire. C'était également le chemin le plus rapide à emprunter pour rejoindre Encerran, la capitale du royaume de Lydéric.

- Je vous souhaite beaucoup de courage, Cybard, l'encouragea Judicaël. Puisse l'avenir vous être bienveillant.

Le prince accueillit les propos du Véronien avec un signe de tête, avant que ce dernier s'incline devant lui. Il baisa ensuite la main de Freya, sur laquelle il attarda ses lèvres plus que de raison, ce qui amusa la jeune femme. Il rejoignit ensuite sa monture et s'installa avec grâce sur son dos.

Puisque les hommes étaient venus à cheval depuis Véronas, seules Brunehaut et ses suivantes bénéficieraient du confort du carrosse pour le retour. La duchesse se présenta devant Cybard et Freya pour les saluer, et son époux ne tarda pas à l'imiter. Rustic asséna une tape si puissante par l'épaule du prince, en guise d'au revoir, que celui-ci en chancela.

- Ah, mon garçon ! Quel plaisir cela a été de te retrouver ! Et, s'il te plaît, tâche de convaincre ton vieux père de nous rendre plus souvent visite au château. Voilà bien deux bonnes années qu'il n'a pas dû mettre les pieds dans ma cité.

- Mon frère et moi venons régulièrement, rappela Freya. Nous adorons Véronas, c'est un peu notre deuxième maison.

- Et elle vous sera toujours ouverte, affirma Brunehaut. Votre compagnie est si plaisante que nous ne nous en lasserons jamais.

Elle prit les mains de la jeune femme entre les siennes et l'embrassa sur chaque joue, avant de monter à l'intérieur de son carrosse. Rustic rejoignit son cheval, qui patientait non loin de celui de son fils, et lui donna un léger coup de talons pour lui faire prendre le pas, tandis que le cortège se mettait en route.

Freya échangea une ultime oeillade avec Judicaël, qui fermait la marche en compagnie d'un garde et lui souriait par-dessus son épaule. Elle ne quitta pas son superbe étalon noir des yeux jusqu'à ce qu'il ait disparu de l'autre côté du pont-levis. Lorsque ce fut le cas, elle voulut ramener son attention sur son frère, mais elle constata qu'il n'était plus à côté d'elle.

- Cybard ? appela-t-elle. Cybard ?

- Il est là-bas, votre Altesse.

Alpaïde désigna d'un doigt l'entrée principale du château, vers laquelle le prince se dirigeait d'un bon pas. Freya pâlit lorsqu'elle constata que Lydéric et Gildas se tenaient juste devant la grande porte. Qu'avait-il prévu de faire ? Leur parler ? À cet instant ?

La jeune femme décida de se rapprocher. Quel que soit le choix de Cybard, et bien qu'il ne lui en ait pas fait part au préalable, elle se devait d'être auprès de lui. Elle était encore à mi-chemin lorsque son frère se présenta face aux deux souverains, interrompant leur discussion.

Freya s'arrêta au bas des marches qui séparaient la cour du hall. De là, elle pouvait les entendre, à condition qu'il n'y ait pas trop d'agitation autour d'elle, sans laisser paraître qu'elle épiait leur conversation.

- Roi Lydéric, commença Cybard. Je profite de vous voir ainsi réuni avec mon père pour vous faire une annonce. J'ai ouï dire que votre souhait le plus cher serait de m'offrir la main de votre fille. Est-ce exact ?

- En effet. Ce serait un excellent moyen de sceller non seulement l'alliance entre nos deux royaumes par l'encre, mais aussi par le sang.

- Je suis plus que flatté de l'honneur que vous me faites et, en mon nom, ainsi qu'en celui de mon pays, je vous en remercie. Aujourd'hui, devant vous, ainsi que devant mon père, je vous informe que j'accepte cette entente. Je ne doute pas une seule seconde que la princesse Énimia fera une merveilleuse souveraine, de même que la plus parfaite des épouses.

Tout au long de sa tirade, les yeux de Gildas avaient manqué de rouler hors de leurs orbites. Lydéric affichait une expression surprise, car il ne s'attendait pas à une réponse aussi soudaine. Quant à Freya, après avoir retenu son souffle pour mieux écouter, elle avait tout simplement oublié de se remettre à respirer.

- Eh bien... murmura le roi de Calverne. Je dois avouer que tout ceci m'enchante. Vous n'auriez pu me faire plus plaisir, Cybard. Gildas, mon ami, vous pouvez être fier de votre fils. Quelle joie de savoir qu'un jour, un homme tel que lui montera sur le trône de l'Arkanie, et que ma fille unique sera à ses côtés !

Lydéric posa ses mains sur les épaules du prince et les pressa d'une façon paternelle, tandis que Gildas ne réagissait toujours pas. Il était si abasourdi par la reddition subite de Cybard qu'il peinait à croire que tout ceci était réel.

- Je vous prie de m'excuser, je dois m'empresser d'annoncer cette agréable nouvelle à Valdrade, indiqua Lydéric. Elle sera aussi ravie que moi de l'apprendre, si ce n'est davantage.

Le Calvernois s'éloigna, tout en continuant à parler pour lui-même avec enthousiasme, laissant Gildas et son fils seul à seul. Freya songea à franchir la distance qui les séparait d'eux, mais elle se ravisa. Ce n'était pas le moment de s'immiscer.

- Je suis heureux de voir que tu es revenu dans le droit chemin, Cybard, affirma son père d'un ton condescendant, une fois sa stupeur estompée. Je craignais que tu ne me causes maints tourments, mais il semblerait que tu aies enfin choisi de suivre la voix de la raison, et non celle de ton imagination.

- Je me plais à croire que cette union, de même que cette alliance, seront bénéfiques pour l'Arkanie. Vous m'avez affirmé qu'il s'agissait de mon devoir envers mon pays et, en tant que prince héritier, je m'incline. Je ne veux que le meilleur pour mon peuple, exactement comme vous.

- Cela signifie donc que j'ai admirablement joué mon rôle et que j'ai réussi à t'inculquer le sens des responsabilités. Tu ne peux pas savoir combien tout cela me réjouit, Cybard. Je crois que je vais imiter Lydéric et aller de ce pas mettre Auréa au courant de la situation.

Gildas amorça un mouvement pour tourner les talons, mais ne l'acheva pas. Il ramena son regard sur son fils, qui n'avait toujours pas bougé. Avec un large sourire, le roi reconnut :

- Lydéric a raison. Je peux vraiment être fier de toi.

Ce compliment aurait dû enchanter Cybard, mais il ne lui apportait qu'un piètre réconfort. Il garda la tête baissée pendant que son père disparaissait à l'intérieur du château. Lorsqu'il la releva, il prit conscience de la présence de Freya, ainsi que de ses yeux rivés sur lui.

Eux qui scintillaient d'ordinaire toujours comme les émeraudes dont ils avaient la couleur, ils étaient ternes. Ils exprimaient plus de tristesse qu'ils semblaient n'en avoir jamais éprouvée. Cette peine faisait écho à celle qui se lisait sur les traits de Cybard, bien qu'il s'efforce de la masquer autant qu'il le pouvait.

Freya fit un pas vers lui pour venir l'enlacer de ses bras. Elle ne prononça pas un mot, c'était inutile. Qu'aurait-elle pu dire, si ce n'était qu'à son humble avis, tout cela représentait un incommensurable gâchis ? Au lieu de cela, elle se contenta de l'étreindre de toutes ses forces.

Elle ignorait ce qui allait découler de ces fiançailles, mais elle était certaine d'une chose : elle serait présente. Pour rien au monde elle n'abandonnerait Cybard et elle était convaincue que, dans un avenir proche, il aurait plus besoin d'elle que jamais. Pour le meilleur ou pour le pire, une nouvelle page de l'histoire de l'Arkanie était sur le point de s'écrire.

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