Ghost Whisperers in Canada

Chapitre 7 : L'enquête des Neely

8001 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 01/08/2023 02:05



Le 2 mai 2007, 90 Summit Circle, Westmount.


Carl Neely, par la belle journée ensoleillée, est dans le salon de son manoir, en conversation avec son frère. Il lui explique sa prochaine mission d'espionnage, tout en regardant distraitement Mademoiselle Anna White faire les travaux ménagers. Après avoir raccroché le téléphone, il se lève de son siège et file dans la cuisine. Depuis quelques mois, le sous-chef des renseignements du SCRS a un sentiment de déjà-vu, comme si quelque chose se cache derrière cette apparence de bonheur... Peut-être cache-t-il un malheur imminent ? Carl soupire et se verse un verre de šljivovica. Anna le regarde du coin de l'œil et pense : « Bidan Gospodine [Pauvre Monsieur] Carl Neely ! On dirait qu'il a perdu le goût de l'eau... » Elle soupire discrètement, mais Carl se retourne vers elle. Anna, depuis qu'elle le côtoie à tous les jours, remarque bien qu'il ne boit que de l'alcool sans nécessairement être ivre (et très rarement de l'eau ou du jus de fruits).

Elle lui dit, en s'approchant de lui : – Gospodine [Monsieur], voulez-vous un verre d'eau ?

Influencé par ses sordides ancêtres qui l'encadrent, il refuse d'un ton sec. Après avoir vidé d'un trait son verre, il s'en verse un autre, mais tient son verre dans sa main gauche. Carl regarde la bonne; excité, il croise ses jambes. La seule chose qui l'attriste est son impossibilité à chasser l'impression de déjà-vu, comme s'il a connu un château, comme s'il était... Il trouve ceci très oppressant, mais il se refuse à être pessimiste. Il se console : « Au moins, » pense-t-il avec nostalgie, « avec mon revenu en tant que sergent au poste de quartier vingt-deux, celui de sous-chef des renseignements et avec le pourcentage garanti des Marino, ma femme, euh... ma ex-femme, a une pension alimentaire convenable. Et moi, je suis content, très content, dans ma maison. Il ne manque plus qu'une femme et des enfants, mais je sais bien qu'aucune ne me veux, à l'exception de mes connaissances... » Il soupire à la pensée des orgies bisexuelles qu'il connaît, surtout lorsqu'il doit satisfaire les hommes. Lorsque les effets d'euphorie des drogues cessent, il n'est que plus déprimé, dépression qui s'accentue avec ses récents sentiments de déjà-vu... Mais comme il craint une dépendance aux drogues, il décide de contrôler ses consommations (et donc de moins fréquenter ses amis bisexuels), car il a bien remarqué que la cocaïne (que lui fournit Rafael Marino avec le dix pour cent de l'argent à blanchir) ne fait pas partir l'atmosphère oppressante de son joli château, ce qui l'inquiète beaucoup. Il ne faut pas oublier que Francesco Marino, le frère de Rafael, est en communication avec un réseau de trafiquants de stupéfiants.

Carl Neely continue sa pensée : « Au moins, vieux pervers, tes yeux se réjouissent à voir Anna... Elle est tellement mignonne... » Là, l'alcool commence à lui monter à la tête; il boit machinalement verre après verre. Devenu alcoolique, il doit en boire plus pour être ivre. Ses ancêtres et les autres mauvais esprits autour de lui attendent qu'il prend un verre de plus pour le posséder... Mais Anna, voyant qu'il est ivre, préfère se tenir loin de lui, car il devient incontrôlable et méchant. Elle s'éclipse dans une chambre voisine, pour y ôter la poussière. Carl Neely, possédé par Stjepan Knežević, le fils de son grand-oncle maternel, regarde autour de lui puis se lève de son siège. Il prend une autre bouteille de šljivovica, qu'il vide tranquillement. Après quelques minutes, ainsi possédé, il dit : « Anna, ma biche, où es-tu ? Ne te caches pas de moi... » La jeune femme préfère monter à pas de loup à l'étage. L'ayant entendu, il la suit. Son âme est en panique, mais elle ne fait que regarder les événements. Heureusement, Anna tient la poignée de la porte de l'étage. Il essaie de forcer la porte. Enragé, il crie : « Otvorite me odma vrata [Ouvrez-moi maintenant la porte] ! » La bonne lâche violemment la poignée, qui frappe Carl Neely à la figure, lui occasionnant une chute dans les escaliers lorsqu'il recule. Heureusement, il s'accroche fermement à la rampe, ce qui lui évite une chute fatale. Sonné, le corps possédé descend les escaliers et marmonne pour lui-même : « Kurva jedna [Salope] ! » Il s'allonge sur l'un des canapés du salon. Son âme, à côté de son corps, pense tristement : « Ce corps se comporte comme l'aîné de Ces gens-là, à boire du vin jusqu'à en être ivre, à la différence qu'il est sec et qu'il se saoule avec du bon vin... » (Cf. Jacques Brel, Ces gens-là, « D’abord, d’abord, y a l’aîné / Lui qui est comme un melon / Lui qui a un gros nez / Lui qui sait plus son nom / Monsieur tellement qu’y boit / Tellement qu’il a bu / Qui fait rien de ses dix doigts / Mais lui qui n’en peut plus / Lui qui est complètement cuit / Et qui s’prend pour le roi / Qui se saoule toutes les nuits / Avec du mauvais vin / Mais qu’on retrouve matin / Dans l’église qui roupille / Raide comme une saillie / Blanc comme un cierge de Pâques / Et puis qui balbutie / Et qui a l’œil qui divague »).


Quelques heures plus tard, lorsque l'esprit errant sort de son corps et que son âme le regagne, Carl Neely se lève. Anna White est alors dans la cuisine, en train de préparer un čizkejk (un gâteau au fromage). Lorsqu'elle entend le bruit de ses pas, elle se retourne. Rassurée de son air normal (puisqu'il n'est plus possédé), elle continue son travail. Carl s'assied sur l'une des chaises autour de la grande table dans la cuisine et la regarde. Le reste de la journée, aucun autre incident à signaler. Le soir, comme à toutes les nuits, Carl Neely fait un cauchemar. Cette fois, il se trouve au milieu d'une bataille au cours de laquelle il perd trois doigts (l'auriculaire, l'annulaire et le majeur) de sa main droite. Il se réveille en sueur et avec la sensation d'une douleur sourde aux trois doigts. C'est pourquoi il exige qu'Anna soit à ses côtés, question de lui serrer la main lorsqu'il se réveille. Il fait des efforts pour ne pas la tripoter (il est vraiment sérieux), en raison de leur écart d'âge, mais surtout lorsqu'il comprend que la jeune femme ne le trouve du tout charmant.




3 mai 2007, Ville-Marie, cabinet du Maître Kenneth Neely, 11h.

Kenneth Neely, lui, est à son bureau, penché au-dessus d'un cas de succession sans testament d'un certain Mathieu Tremblay. Tout à coup, quelqu'un frappe à sa porte. L'avocat dit, en levant la tête de ses papiers : – Qui est-ce ?

Une voix familière répond : – Paul Eastman.

– Entre !

L'avocat pense : « Dans tous les cas, je prends maintenant ma pause ». Il range en vitesse le dossier puis désigne au policier une chaise en face de la sienne.

Paul sourit lorsqu'il voit les esprits qui encadrent son ami avocat. Vuk Branković et Hildegaire de Rochechouart, les deux esprits qui ont amené le policier vers l'avocat, sont à la droite de ce dernier; d'autres esprits silencieux l'encadrent, à savoir ses tantes et oncles décédés (Breda Neely, Brian Neely, Edbert Neely et Darina Neely), mais aussi Ana Vidović-Bogdanović et Bérénice de Bonnechose-De Frontenac.

Paul Eastman, une fois assis sur la chaise, dit : – Mon ami, c'est à la demande de deux esprits errants du Moyen Âge, Messieurs Vuk Branković et Hildegaire de Rochechouart...

Vuk, d'un air faussement vexé, commente : « Pff ! Personne aujourd'hui ne me témoigne de respect ! Quelle malpolitesse ! Monsieur, il est important de mentionner nos titres de noblesse. »

Paul Eastman réplique : – Désolé, je ne me souviens pas des titres... Mais ne vous vexez pas !

Vuk, d'un air sérieux : – Comme vous êtes sympathique, je vous pardonne. Je comprends très bien que personne n'a aucun titre de noblesse ! Dieu que les temps ont changé !

L'esprit errant se signe.

Paul, à l'adresse de Kenneth Neely, qui lui jette un regard interrogateur (puisqu'il n'a entendu que les répliques de son ami, mais pas les propos de l'esprit errant) : – Simplement, Monsieur Vuk Branković feint de se vexer de mon oubli de son titre de noblesse, mais comme il me trouve sympathique et qu'il comprend que personne aujourd'hui ne porte de tel titre, il me pardonne mon erreur.

Kenneth Neely intervient : – Au moins, ils ont un sens de l'humour, tes esprits !

Paul : – D'abord, je te corrige: ils ne sont pas mes esprits, mais les tiens.

– Alors là, c'est sérieux ! Et, que me veulent-ils ?

– Que tu mènes une enquête pour savoir ton rapport avec eux. Vuk Branković te recommande de débuter en recherchant sur lui et sa famille. Une fois les faits historiques sur Monsieur Branković, ses fils et petits-fils seront trouvés, fies-toi à tes rêves et à ton intuition pour comprendre ton rapport avec lui. De même pour Monsieur Hildegaire de Rochechouart (et dans ce cas, une recherche sur les autres nobles français du Limousin). Mais ton fils... Carl... aussi devra mener l'enquête en parallèle... Et elle s'annonce difficile, mais bonne chance à vous deux !

Lorsque l'avocat entend le nom de son fils aîné, sa mine se renfrogne pendant quelques secondes. Il se ressaisit et dit : – Merci Paul, d'être venu ! Passes une bonne journée !

– De même pour toi !

Les deux esprits errants du Moyen Âge, contents, confirment d'un hochement de tête les propos des deux vivants, se signent puis disparaissent de la vue de Paul Eastman. Et le policier sort discrètement du cabinet de l'avocat. Ce dernier file après son quart de travail au bureau du policier-enquêteur David Rosenthal pour lui soumettre les recherches sur Vuk Branković et sur Hildegaire de Rochechouart. Celui-ci lui promet de lui rapporter les résultats de ses recherches. Il débute alors une recherche sur son ordinateur de bureau pour identifier des informations pertinentes, et surtout pour repérer quelques livres d'histoire et documents d'archives qui pourront être pertinents.


Évidemment, la scène n'a pas échappé à Carl Neely, qui l'a vu dans une vision à distance, alors qu'il est perdu dans ses pensées mégalomanes. Ceci a l'effet d'une douche froide. Au moins, il comprend qu'il doit mener cette enquête au plus vite. « Peut-être que je comprendrai mes cauchemars et ce sentiment d'insécurité » pense-t-il en sirotant un verre de vin. Carl repousse loin de lui la bouteille. Il cherche la bonne. Étonnée, elle lui demande ce qui est arrivé. Il lui explique sa vision à distance. Puis il ajoute en serbe : « Mademoiselle Anna White, je débute mon enquête, et vous serez ma confidente. Je décide donc de demeurer sobre tant que durera cette enquête. Et vous contrôleriez mes consommations d'alcool. Je veux être présent âme et corps pour cette enquête, car elle s'annonce difficile et je ne veux surtout pas faillir à la tâche... Si je vous agace, libre à vous de m'attacher à une chaise et de me mettre les menottes aux mains. Je suis très sérieux. Vous me comprenez bien ? » Anna White hoche de la tête et lui adresse un sourire innocent pour toute réponse.

Les mauvais esprits autour de lui sourient méchamment et disent « Tu nous as pas résisté, et tu nous résisteras pas! » Et ils éclatent à l'unisson d'un rire diabolique. Carl Neely sort des menottes de la poche gauche de son pantalon et montre à sa bonne comment les utiliser. Quand il est sérieux, il est sérieux !



Chacun des policiers sa méthode pour parvenir aux informations : David Rosenthal lit des livres d'histoire et commande des copies des documents d'archives de la Serbie et de la France (pour les documents en serbe, il contacte un traducteur qualifié) ; Carl Neely, entre des livres d'histoire, ses rêves qui sont plus oppressants et les documents d'archives qu'il lut lui-même (le serbe est sa langue maternelle) – car il craint que les copies peuvent s'égarer lors du transport; il préfère alors se déplacer, Anna White et lui, en Serbie puis en France, pour aussi, chemin faisant, visiter les châteaux qui appartenaient aux Branković et aux de Lastours. Et l'avocat, qui comprend certains détails de ses vies passées grâce à certains rêves, attend avec impatience l'appel du policier-enquêteur pour pouvoir trouver la bonne conclusion.

Carl Neely, au cours de son voyage, s'abstient sérieusement de prendre un seul verre d'alcool, malgré la grande tentation lorsqu'il passe près des magasins (car ses ancêtres alcooliques veulent leur dose et l'influencent à boire). Dans ce cas, il ressent les symptômes de sevrage, à savoir un état de manque, une irritation, des troubles de sommeil (qui aggrave encore plus ses nuits agitées par ses cauchemars), en plus d'hallucinations avec lesquelles se jouent les mauvais esprits qui l'entourent de manière à augmenter sa crise mégalomaniaque et à le rendre méfiant (une sorte de début de crise paranoïaque). Heureusement qu'Anna s'est montrée vigilante, et lorsqu'il se fait gentil pour prendre un verre de vin au restaurant au cours du midi, elle le lui interdit et le foudroie du regard.


Cependant, au cours du voyage, son frère, Pierre, s'inquiète beaucoup pour son aîné, surtout depuis qu'il a vu dans une vision à distance, la journée même où Carl est parti pour son voyage en Serbie, très tard le soir, six hommes en noir réunis autour d'une photographie de Carl Neely, visiblement concentrés à lui faire un rituel pour le manipuler à distance... Le pauvre benjamin, terrorisé, serre sa femme, Marie-Josette Bonaparte-Neely, entre ses bras, pour se rassurer. Il lui partage sa vision à distance. Son seul problème : comment le dire à son frère avant qu'il ne soit trop tard... Mais il le dit à Dmitri Mikhaïlovitch Dragomirov/Carl Neely, en pensant que Carl Neely est revenu plus tôt de son enquête.


Carl Neely, à mesure que son enquête avance, est déprimé. Il se surprend à avoir des vers de la chanson de Jacques Brel La ville s'endormait qui lui trottait dans la tête lorsqu'il visite les différents châteaux : « Et je fais celui-là / Qui est son souverain / On m'attend quelque part / Comme on attend le roi / Mais on ne m'attend point / Je sais depuis déjà / Que l'on meurt de hasard / En allongeant les pas » Il est encore plus frappé par le sentiment de déjà-vu des endroits qu'il visite. Au moins, il tient parole et fait de très grands efforts pour ne pas boire une seule goutte d'alcool. Parfois, Anna White doit même l'attacher au lit ou lui passer les menottes aux mains et aux pieds lorsqu'ils sont dans leurs appartements le temps de leur enquête pour être certaine qu'il ne court pas au prochain magasin acheter une bouteille d'alcool. Sauf une fois, où, profitant du fait que la jeune femme fait des commissions pour le souper, Carl Neely, poussé par ses ancêtres, file dans le café-bar le plus près pour boire plusieurs verres d'alcool... Lorsque la bonne revient dans leurs appartements, elle s'inquiète de ne pas le trouver et pense bien qu'il est parti boire, car elle sait très bien qu'il a des problèmes avec l'alcool; c'est pourquoi elle se réjouit qu'il se prend en main. Mais lorsqu'elle le trouva dans le café-bar, Carl est alors possédé par l'esprit errant qu'est le docteur Sidney Gottlieb, qui est, rappelons-le, un très adroit manipulateur (il n'était quand même pas psychiatre pour le compte de la CIA pour rien)... Et il ne faut pas oublier le rituel à distance de ses collègues et supérieurs... Ainsi possédé, imbu de sa mégalomanie et euphorique de l'alcool qu'il a absorbé, le corps de Carl se lève et salue Anna White lorsqu'elle entre dans le café-bar. En venant un plus près, elle comprend qu'il est possédé, ce qui l'exaspère beaucoup.

Elle lui dit : « Monsieur, au lieu de traîner ici, venez avec moi visiter Belgrade... Nous n'avons pas encore terminé de flâner... Nous avons encore la forteresse et le parc Kalegmedan à voir... »

Il lui réplique, un sourire faux aux lèvres : – Mademoiselle, vous pouvez visiter sans moi cet endroit ! J'ai rien à cirer de la forteresse, surtout que je sais que je méritais bien de gouverner sur des gueux de votre espèce ! Assez parlé, femme !

La pauvre Anna, effrayée, préfère sortir du café-bar. Mais avant de sortir, elle lui dit : « Mais, s'il vous plaît, vous n'avez quand même pas oublié que vous êtes venu pour une enquête et non pour boire ! Si c'était pour ça, vous auriez pu rester chez vous ! » Il la foudroie du regard pour toute réponse. Elle sort du café-bar, très triste... En revenant dans leurs appartements, elle se signe, tout en pensant « Da Bog ga pomaže ! [Que Dieu l'aide] » L'âme de Carl Neely, elle, brisée et désespérée comme elle est, n'est que le triste spectatrice des actions de son corps, comme toujours lorsque son corps est possédé; elle ne trouve plus ni le courage ni la force de s'opposer à l'esprit-hôte. « Tant pis pour les conséquences de ses actes », pense son âme, « mais j'espère que je parviendrai à comprendre mes rapports avec Vuk Branković... Puisqu'il est quand même un seigneur médiéval, ça ne serait que folie que de me comparer à lui... » Ainsi possédé, son corps se rend aux Archives de Belgrade, pour y lire les documents qui l'intéressent au sujet de Vuk Branković et de ses enfants. Lorsqu'il termine sa consultation, il dit d'un ton sérieux et sévère au conservateur en chef de ne pas accorder ses documents à David Rosenthal, car il ment au sujet de son enquête en fourrant son nez dans des choses qui ne le concernent point. Le pauvre homme, n'ayant aucun moyen de vérifier la véracité des propos, le croit sur parole, surtout lorsqu'il le menace de l'étrangler s'il le contrarie. Le conservateur en chef lui demande de quel droit il se permet d'agir ainsi: lorsqu'il lui montra sa carte d'identité en tant que sergent et qu'il lui fait comprendre qu'il est plus important que ce qu'il le paraît (mais sans lui révéler qu'il est sous-chef des renseignements du SCRS), le Serbe fait comme il le lui a dit, effrayé par sa démonstration de force lorsqu'il le saisit par le collet et le plaqua contre le mur. Il comprend que son interlocuteur est sérieux... Ainsi, lorsque David Rosenthal demande les copies des documents en question, le conservateur en chef lui en refusa l'accès, sous prétexte que les documents sont en mauvais état, d'un état tellement lamentable qu'ils ne peuvent point être numérisés. Le policier-enquêteur, méfiant, essaya une autre fois d'en faire la demande quelques mois plus tard, mais il obtient la même réponse. Rosenthal contacta alors Kenneth Neely pour lui suggérer qu'il fasse la commande des documents; c'est ainsi qu'il obtient une photocopie des documents désirés.


Carl Neely, lui, ainsi possédé, revient dans les appartements, où Anna l'attendait, les menottes à la main...

Il éclate d'un rire démentiel et lui dit : « Vous pensez me faire peur avec ça !? »

Elle lui réplique : – Monsieur Carl Neely, je dois vous rappeler que c'est vous qui m'aviez dit de contrôler vos consommations, parce que vous voulez être sobre pour mener à bien votre enquête.

Sidney Gottlieb, d'un ton arrogant, réplique par la bouche de Carl Neely : – J'ai le droit de changer d'idée et ce n'est pas à vous de dicter ma conduite ! C'est moi qui commande, compris ?

La pauvre Anna n'ose rien ajouter, de peur qu'il lui propose de le satisfaire... Pour le reste de la journée, ils n'échangent point un seul mot. Le soir, au moins, il dort d'un sommeil profond. L'âme de Carl Neely ne regagnera son corps propre que deux jours plus tard, alors que son corps, ainsi possédé, a terminé son travail, à savoir empêcher au policier-enquêteur David Rosenthal de mettre la main sur des documents importants de son enquête sur les Branković... Or, il se permettait d'employer tous les moyens possibles, à savoir les menaces, les satisfactions des plus pervers et des contacts très personnels avec des espions serbes afin de s'assurer de leur collaboration... Après, ce n'est qu'un détail sur ce qui s'est passé entre le sous-chef des renseignements du SCRS et les sous-chefs et chefs des renseignements de la Безбедносно Информативна Агенција (BIA; l'Agence d'information de la sécurité, le service de renseignements de la République de Serbie); ceci sous-entend qu'il a consommé un peu de drogue... En France, Philippe Pinel l'influence beaucoup, car déprimé, Carl Neely est plus réceptif à leurs idées, il se lia d'amitié avec deux sous-chefs de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE, le service de renseignements de la République française)... Ceci ralentit un peu la cadence de Rosenthal, qui se voit l'accès à certains documents refusé. Heureusement, le policier-enquêteur parvient à se les procurer, en demandant soit à Kenneth Neely (sur lequel agit Vuk Branković), soit à Paul Eastman, de faire les demandes de consultation des copies des documents.



Hormis ces petits incidents, l'enquête s'étire sur un an, soit du 3 mai 2007 au 3 mai 2008, le temps de s'assurer de l'accès aux documents, de les lire, de les traduire, de les vérifier et contre-vérifier. Mais nous rapporterons les informations les plus pertinentes auxquelles les enquêtes de David Rosenthal et Carl Neely aboutissent. En ce qui concerne Vuk Branković (Вук Бранковић), il était un seigneur médiéval serbe, né en 1345 en Kosovo i Metohija (Kosovo et Métochie) et mort le 6 novembre 1397, tué par les Ottomans. Il était le fils de Branko Mladenović et de Jelena Obrenović. Vuk Branković était le seigneur du Kosovo, de Priština, de Vučitrn, de Zvečan et de Skoplje, gouverneur du Ohrid et conseiller de Stefan Uroš V (1336/1337-1371; le dernier roi de la dynastie des Nemanjić). Il était un allié du Knez (Prince) Lazar Hrebeljanović (Лазар Хребељановић) (1329-1389), dont il épousa la fille aînée, Mara, en 1371. La mère de Mara est Milica Nemanjić. Le couple de Vuk Branković et Mara avait quatre enfants, à savoir Grgur (mort le 13 mars 1408), Lazar (mort dans une bataille en 1410), Đurađ (1377-1456) et Mara (mariée à Dan 1er de Valachie (1354-1386)). Par ailleurs, Vuk Branković participa à la Bataille de Kosovo Polje (la bataille la plus importante de la Serbie et de l'Europe médiévale) en 1389, aux côtés de son beau-père, qui meurt tué par décapitation par les Turcs le 15 juin. Les chevaliers serbes les plus importants y trouvèrent la mort, à l'exception de Vuk Branković, qui refusa de sacrifier ses hommes ; il était pour cela considéré comme un traître, alors qu'il faisait tout pour que la Serbie ne tombe pas entre les mains des Turcs. À cette époque-là, celui qui ne meurt pas pour son prince était considéré comme un traître. Les Serbes étaient alors au nombre de soixante-dix mille hommes, dirigés par Lazar Hrebeljanović, Vuk Branković et Vlatko Vuković, contre cent quarante mille soldats ottomans, dirigés par Mourad, Bajazet et Jabuk. Vuk Branković meurt tué par les Ottomans au cours de la bataille. À sa mort, Stefan Branković (Стефан Бранковић) (1377-1427) prend le pouvoir en tant que seigneur des Serbes. Même les Hongrois et les Turcs le reconnaissent comme tel. Cependant, il a un opposant sérieux au trône : son neveu Đurađ Branković, depuis 1395. Les deux seigneurs se sont même battus le 11 novembre 1402; Đurađ s'allia alors avec les Turcs, mais Stefan Branković était vainqueur et il se retira à Zeta. À la mort de Stefan Branković en 1427, Đurađ Branković prend le pouvoir à la tête de la Serbie, en ayant au préalable passé un accord avec les Hongrois, auxquels il cède Belgrade et Kruševac, mais reçut Zemun, Slankamen, entre autres territoires. Il connu deux mariages : le premier avec une certaine princesse Ana ; le second avec Jerina (Irène Cantacuzène (1400-1457); Ειρήνη Καντακουζηνή, fille de Theodore Kantakouzenos et d'Euphrosyne Palaiologina), qu'il maria en décembre 1414. De ses premières noces, deux enfants étaient nés, mais morts en bas âge. Avec sa seconde épouse, il avait plusieurs enfants, à savoir Todor Branković (1415-1428), Grgur Branković (1415-1459), Maria Branković (1416-1487), Stefan Branković (1417-1476), Katarina Branković (1418-1491) et Lazar Branković (1421-1458). Irène, son épouse, avait une mauvaise réputation : elle était capricieuse et forçait les hommes à construire de nombreuses forteresses, dont celle de Maglič et d'Užice. Elle était aussi décrite comme une mère cruelle, qui se préoccupait de rester au pouvoir et de conserver la richesse acquise plutôt que du bonheur de ses enfants. C'est pourquoi la poésie populaire la surnomme « Prokleta Jerina » (Jerina la Maudite). On dit que son fils Lazar l'aurait empoisonné. Lorsque le nouveau despote arriva au pouvoir, il fit construire une nouvelle ville, Smederevo, qui était aussi riche que Constantinople. D'ailleurs, Đurađ Branković s'y installe. Il était considéré comme le souverain le plus riche de son époque, avec un revenu annuel évalué à 200 000 ducats vénitiens (approximativement 1 112 000 dollars canadiens). De plus, il exploitait des mines d'or et d'argent au Kosovo (à Novo Brdo). Sinon, il combattait avec ardeur les Turcs. Un an avant sa mort, en 1455, il perdit trois doigts de la main droite au cours d'un combat contre le chef militaire de Belgrade Mihail Silađija. Il se retira alors à Bečkerek (aujourd'hui Zrenjanin). Comme sa blessure ne guérissait pas tout à fait, il en meurt. Il est inhumé à Kriva Reka avec un sac de pierres précieuses sous la tête. Đurađ Branković était conscient d'être un homme malheureux, comme le mentionne le franciscain Jovan Kaspitran, qui essaya de le convaincre de se convertir au catholicisme; le despote refusa. Il ne voulait aucunement trahir sa foi orthodoxe. D'ailleurs, il était cultivé, puisqu'il possédait une grande bibliothèque qui contenait des livres en latin, en serbe, en grec et en russe. Par ailleurs, une légende dit qu'il se trouve en enfer, au centre de la terre. Parmi ses enfants, Grgur et Stefan ont combattu avec courage les Ottomans, jusqu'à ce qu'ils soient prisonniers, qu'ils eurent les yeux crevés le 8 mai 1441, puis ils furent renvoyés chez leur père. Ni les richesses qu'envoyaient Đurađ ni la lettre de Maria Branković (qui est arrivée trop tard, car interceptée puisque le messager ne se dépêcha point pour la transmettre) n'a pas fléchi le sultan Mourad II. Ceci fait en sorte que le seul héritier au trône et seul titulaire du titre de Despote des Serbes était son benjamin, Lazar Branković. Grgur s'est retiré ensuite dans un monastère. Il est le père d'un fils illégitime, prénommé Vuk (dit aussi Vuk Grgurević, surnommé « Zmaj Ognjeni », qui signifie « Dragon ardent »), né en 1471 et mort en avril 1485. Ce fils succèdera à son oncle Lazar Branković, mais il meurt au cours d'une bataille. Vuk Grgurević épousa la comtesse Barbara Frankopan. Stefan Branković, même aveugle, conduit les armées de son père. Il épousa en 1461 Angjelina Arianit Komneni, fille de Gjergj Arianit Komneni, dynaste albanais de Shkodër et de Durrës. Le couple avait eu des enfants, à savoir Jovan (qui épousa Jelena Jakšić, mort en 1502), Đorđe (devenu moine puis métropolite de Belgrade sous le nom de Maxime, mort en 1516), Irène (morte jeune), Marija (qui épousa Boniface III, Marquis de Montferrat, décédée en 1495) et Milica (qui épousa Neagoe Basarab V, prince de Valachie, décédée en 1554). Souvent malade, Stefan Branković passa la fin de sa vie en Italie, à Venise, où il meurt, piégé par le seigneur de la région. Maria Branković, elle, fait partie des femmes du harem du sultan Mourad II, morte sans descendance. Néanmoins, elle avait une influence sur la cour ottomane. Sa sœur, Katarina, était l'épouse d'Ulrik Celjski, comte princier de Celje. De cette union était issue trois enfants, à savoir Herman (mort en 1451), Georg (mort en 1441) et Elizabeth (1441-1455). Elle était connue pour avoir écrit le Вараждински апостол (Varaždinski apostol) (un livre de liturgie orthodoxe) en 1454. Le fils benjamin de Đurađ Branković et d'Irène Cantacuzène, Lazar, ne règnera que pendant deux ans. Il épousa en 1446 Hélène Paléologue (1431-1473), fille du despote de Morée Thomas Paléologue et de Catherine Zaccaria. Le couple aura trois filles, à savoir Marija, Milica et Jerina, qui seront mariées respectivement au roi de Bosnie Stjepan Tomašević, à Léonard III Tocco et à Jean Castriote.


En ce concerne Hildegaire de Rochechouart (875-943), est le premier de la Maison de Rochechouart à porter le titre de Vicomte des Limousins (Lemovicinorum vicecomes). Cette famille de noble avait bonne réputation : courage, foi et fidélité au Roi de France. Leur devise était « L'Esprit surpasse la Matière ». C'est pourquoi les autres familles leur déclaraient la guerre, afin de posséder le plus de terres possible. Hildegaire est le fils d'Hildebert de Rochechouart et d'Athénaïs de Belsunce. Sa famille possédait un château (le château de Rochechouart, aujourd'hui en Nouvelle-Aquitaine). Il épousa en 894 Agnès de Hautefort, avec laquelle il eut trois fils et une fille, prénommés respectivement Paulin, Theobald, Neven et Emma. Les ennemis héréditaires des Rochechouart sont les de Lastours, les Combron, les de Lévis, les Rohan, les de Beaufort et les Marquis d'Excideuil, entre autres. D'autres familles furent leurs alliés, à savoir le seigneur de Hautefort, les d'Aigneaux, les de Belsunce et les Dauger. La famille de Lastours était particulièrement acharnée contre les de Rochechouart, haine qui perdure jusqu'en 1210. Geofroy de Lastours (880-942), bien que courageux, était avide de conquêtes, et se permettait tous les moyens possibles pour parvenir à acquérir des territoires des seigneurs ennemis. Il épousa la comtesse Eustachie de Combron, avec laquelle il a un fils, Gelferius (899-960), et une fille, Marie (890-970). Gelferius de Lastours, épousa Adélaïde de Beaufort, avec laquelle il a deux fils, prénommés Guy et Boson. Gelferius se lia d'amitié avec Archambault Ier, second vicomte de Comborn. Ils étaient tellement proches que leurs prénoms s'intervertissaient. Mais quelques générations plus tard, les de Lastours s'entre-déchirent dans des guerres fratricides et des guerres contre leurs voisins. Ils parviennent ainsi à acquérir plusieurs châteaux de la région, à savoir celui de Rochechouart, celui de Hautefort (qui appartenait aux de Hautefort, vaincus par Guy de Lastours), celui de Pompadour (construit par Guy de Lastours en 1026), celui de Nexon, celui de Linars et celui de Terrasson. Tous ces châteaux sont transformés dans les temps modernes, en hôtels luxueux, en résidences pour personnes âgées ou en mairies.



Évidemment, au cours de l'année, Dmitri Mikhaïlovitch Dragomirov/Carl Neely est, comme toujours, à son bureau au poste de quartier vingt-deux. Sauf qu'il refuse de se présenter aux fameux cinq à sept; il trouve une excuse pour ne pas s'y rendre, car il doute que Carl Neely a bien satisfait ses collègues et supérieurs au cours de ces rencontres... Heureusement, il parvient à y échapper. Dmitri préfère revenir chez lui et passer le reste de la journée avec sa femme et leurs enfants; faire de nouvelles expériences ne l'intéressent point...





Dimanche le 4 mai 2008.


Devant les faits trouvés, le policier-enquêteur David Rosenthal remet tous les papiers à Kenneth Neely. Ce dernier, en lisant attentivement les documents et en les rattachant à certains de ses rêves, parvient à la conclusion suivante (sans passer par la possession d'un esprit, cette fois-ci) : sous les Branković, il était dans cette vie passée Nikola Grgurević (Никола Гргуревић) (1378-1459), un guslar du Kosovo qui connaissait les bugarštice, dont il en composa lui-même une grande partie. Il connaissait les bugarštice qui mentionnaient la « Prokleta Jerina » (Kad je Đurađ Branković stavio Janka vojevodu u tamnicu et Jerina žena Đurđa despota, njezina bratanica i Damjan Šajnović), sauf qu'il ne les appréciait point, les considérant comme porte-malheurs. Il avait rencontré Carl Neely, qui alors, était un homme dans la lignée des Branković; ils se rencontraient alors que le seigneur serbe était de retour d'une bataille contre ses ennemis. En France, Kenneth Neely était encore une fois un barde d'un petit village de la région de Limousin, un certain Gabriel de Galliffet (880-955). Il a rencontré tous les seigneurs de la région (puisqu'elle était partagée entre dix familles nobles, dont trois sont des poètes de père en fils, les autres sont des chevaliers plus ou moins fidèles au Roi de France).


Carl Neely, de plus en plus énervé par les sentiments de déjà-vu, ne sait pas que conclure. Il dit à voix haute : « Quel est le rapport entre moi, et ces deux seigneurs du Moyen Âge, l'un en France, l'autre en Serbie ? Pourtant, j'ai l'impression d'avoir des souvenirs de Đurađ Branković, mais ça doit être une folie... Mais ce n'est parce que je suis né à Zrenjanin, où il est mort, et que j'ai marié une Grecque, comme lui, que ça fait de moi sa réincarnation... » Il est revenu depuis un certain temps de son voyage, assis dans son bureau dans son manoir au Westmount. Depuis son retour, il s'occupe l'esprit avec les conclusions de son enquête. Évidemment, Anna White, assise en face de lui, l'écoute en silence, aussi tendue que lui, car son intuition féminine lui fait savoir que quelque chose de sinistre se prépare. Carl Neely, devant les feuilles de papier de ses notes (qu'il a pris soin, il ne sait pas pour quelle raison, d'écrire en serbe cyrillique), s'agite sur son siège, nerveux, en jouant avec son stylo. Vuk Branković, à sa droite, le regarde tristement et dit : « Allez-y ! Vous êtes capable de comprendre, mon fils ! Et surtout, ne faites pas la même erreur ! » Remarquant que Carl hésite devant la conclusion, l'esprit errant pense : « Voilà des siècles que je reste encore à errer parmi les vivants, et je ne sais pas ce que c'est que de posséder un autre corps que le sien propre... Si ces mauvais esprits, ces suppôts de Satan se permettent de le posséder, je me le permets ! ». Et l'esprit errant se signe puis le possède pour le forcer à écrire frénétiquement la conclusion. Une fois que son âme est revenue dans son corps, le policier lit, étonné, ce qu'il a écrit... « Bio sam Đurađ Branković, sina Vuka Brankovića [J'étais Đurađ Branković, le fils de Vuk Branković]. » Perplexe, il dit : « En tout cas, ça fait sens de l'oppressant sentiment de déjà-vu devant... mon manoir... Car je dois éviter de sombrer dans la mégalomanie, sauf que c'est trop tard... » Il soupire puis appuie sa tête entre ses deux mains, en fixant la table et poursuit son monologue : « Je le sais bien que je suis malheureux, c'est pourquoi je ne peux pas échapper à moi-même... Et dans ce cas... » D'un air triste : « ... ces salauds d'espions, dont je suis l'un d'eux, veulent répéter la même histoire... Pour moi, je m'en fous... Mais qu'ils ne touchent pas... à mes enfants... et à ma femme... Je ne voudrais surtout pas qu'ils les mutilent ou qu'ils les tuent... S'ils ont des couilles, qu'ils viennent s'en prendre à moi, et tant pis si je perds encore des doigts ! » Il frappe de rage sur la table.

Après quelques minutes de silence lourd, dont on entendait le bruit discret des aiguilles des différentes horloges, Carl continue d'un air sûr : « Quant à ma vie passée en France, j'étais Godefroy de Lastours, la famille ennemie héréditaire de la famille d'Hildegaire de Rochechouart... C'est ma soif du pouvoir et mon ambition qui m'ont rendu malheureux... Et mes descendants, fils, petits-fils et arrières-petits-fils ont payé de mes fautes par des guerres intestines, en plus de se livrer à des guerres contre leurs voisins... » Il demeure silencieux, sidéré, confus. En bref, l'état d'âme de Carl Neely est comme dans le poème Tražim pomilovanje de Desanka Maksimović :


Za one koji imaju pozivnice

Za svaku povorku i panoramu

Za čoveka

Koga i u vozi, i na gozbi i u hramu

I u raju.


Numerisano mesto čeka

Za one koji još za veka

Grobnicu gde će leći znaju

Za ljude koje na svakoj vodi

Čekaju brodi

I kotva u svakom brodolomu.


Kojima su svi znani i neznani

Anđeli nebeski osigurani

Jer bit će za njih razočarenje

Kada usred velikog mraka

Gde sve se izmeša.


Ne mognu napipati nijedno dugme

Nijedno zvonce

Kojima se u pomoć zove.


Kad ne mognu naći nijednog broda

Ni da se vrate do svoje palate

Ni da produže do obećanog

Nebeskog svoda.



Voici la traduction :


Pour ceux qui ont des invitations

Pour chaque cortège et panorama

Pour l'homme

Quiconque qui conduit, qui va a une fête ou au temple

Et au paradis.


Une place numérotée vous attend

Pour ceux qui savent déjà

La tombe dans laquelle ils reposeront pour les siècles à venir

Pour les personnes qui sont sur toutes les eaux

Il y a des bateaux qui les attendent

Et une ancre dans chaque naufrage.


Pour tout le monde, connu et inconnu

pour les anges du ciel sont assurés

parce qu'ils seront déçus

quand au milieu d'une grande noirceur

Où tout se mélange.


Peu ne sens un bouton

Pas une cloche

De ceux qui appellent à l'aide.


Quand ils ne peuvent trouver aucun navire

Pas même pour retourner dans leurs palais

Ni pour aller jusqu'au

Ciel promis.




Le pauvre Carl Neely, lorsqu'il réalise le danger dans lequel se trouve sa famille, pleure à chaudes larmes et serre ses poings de rage, la tête appuyée contre la table. Il est simplement perdu, désemparé et désespéré... Anna White, émue, tente de le rassurer. Elle lui serre amicalement la main droite, mais il la retire rapidement, gêné de l'encouragement que le jeune femme lui témoigne. Carl lève ses yeux rougis de larmes vers elle. Il lui dit : « Maintenant que vous avez compris que vous vivez avec un trou de cul prétentieux, arrogant et mégalomane, je ne vous oblige plus à me tenir compagnie... Je vivrais seul avec ma folie et ma mégalomanie. Tant pis pour moi ! Au moins, ma ex-femme et mes enfants sont encore les seules personnes qui m'évitent de sombrer complètement... Ah ! Je les plains d'avoir un mari et un père si con ! Sinon, j'ai toujours des « amis » qui ne sont pas des amis, mais seulement des pédés qui veulent me réduire à rien, qui veulent bien profiter des services que je leurs rends, voire même qu'ils veulent me tuer ! Et bien, qu'ils me tuent, mais qu'ils laissent mes enfants en paix ! Ça me briserais le cœur de... » Il soupire de rage. Il songe avec tristesse aux rêves-souvenirs des fils de Đurađ Branković aveuglés... Carl ajoute après quelques minutes de silence : « Et je ne voudrais surtout pas que mes fautes retombent sur mes enfants, eux, qui sont innocents... C'était seulement à moi de ne pas être si salaud ! Et je paierais absolument tout ! Je rendrais tous mes comptes avec moi-même, avec mes salauds de collègues, avec Dieu et avec Satan, mais que mes enfants puissent vivre leur vie tranquilles ! » De rage et de tristesse, il frappe sa tête contre la table, faisant sursauter Anna White. Il murmure : « Désolé, je ne voulais pas vous faire peur. »

Vuk Branković se manifeste à la droite du policier, pris de pitié pour celui qui était son fils. Il le fixe pendant quelques minutes puis dit : « Que saint Martin vous protège, mon enfant ! » Pour information, saint Martin est le saint patron des policiers, des commissaires des armées et des soldats.

Carl Neely se frappe trois fois la tête contre la table. Un peu sonné, il commente ironiquement : « Peut-être que ça me remettrait les idées en place... Mais que je reviens à ce que je disais... Et bien, je peux toujours demander à... mon... ancien collègue Paul Eastman de protéger ma famille, car il connaît des moyens prophylactiques. Je n'ai rien à perdre... Au moins, toutes les chances seront de leurs côtés. Je contacte Dmitri et le tour est joué ! »

De joie, il se lève de sa chaise et téléphone à son double pour lui dire de venir maintenant chez lui. Vingt minutes plus tard, le Russe est devant la porte de sa maison. Carl l'accueille chaleureusement et lui donne deux feuilles de papier recouvertes de sa plus belle écriture : il s'agit des conclusions de son enquête, qu'il a pris soin de rédiger en français et que Dmitri Mikhaïlovitch Dragomirov aura à dire devant Paul Eastman demain après son quart de travail. Son double hoche de la tête, lui communique l'avertissement de Pierre Neely, puis, après l'avoir salué, revient chez lui, perplexe. Il lit attentivement le texte. L'ayant finalement appris par cœur tellement de fois qu'il l'a lu, il pense : « Monsieur Neely est franchement bizarre, pour s'imaginer être des individus aussi importants... Seul Dieu le jugera convenablement... Dans tous les cas, j'ai vraiment pitié de lui, mais surtout de sa femme et de ses enfants ! »


Le soir, Dmitri Mikhaïlovitch Dragomirov s'endort aux côtés de son épouse, Carl Neely dans son lit, avec Anna White, qui dort comme un ange dans son coin. Ne parvenant pas à dormir, il la regarde silencieusement. Les méchants esprits autour de lui lui soufflent toutes sortes de pensées sordides... Vaincu par leurs suggestions, le sous-chef des renseignements du SCRS se lève du lit et se promène à pas de loup, tel un somnambule, dans son manoir. Se promener dans le noir rend l'atmosphère oppressante. Il pense que cette nouvelle découverte l'a rendu fou. « Tant pis, plus rien n'est comme avant... » pense-t-il tristement en descendant les escaliers pour revenir dans la chambre.




Le 5 mai 2008, Dmitri Mikhaïlovitch Dragomirov/Carl Neely décide de quitter son bureau vers 15h. Vingt minutes plus tard, il frappe à la porte du bureau de Paul Eastman. Ce dernier, étonné de voir son ancien collègue en uniforme, l'invite à s'asseoir sur la chaise en face de lui. Cependant, il remarque qu'il est suivi par un esprit errant, un vieil homme blond, qui visiblement, peut être un proche... Paul soupçonne qu'il s'agit d'un double, mais feint de ne rien remarquer. Il pense : « Monsieur Carl Neely ne va pas bien si un double se présente à moi... Que le Miséricordieux le prend en pitié ! »

Paul dit : – Bonjour, Monsieur Carl Neely !

Dmitri Mikhaïlovitch Dragomirov/Carl Neely, d'un ton sérieux, le corrige : – Sergent Carl Neely.

– Désolé, je n'ai pas remarqué l'insigne... Et bien, quelle est la raison de votre visite ?

– Affaires personnelles... J'ai récemment (dans les faits, hier) terminé une enquête. Et je conclue que dans l'une de mes vies passées, j'étais Đurađ Branković, Despote de la Serbie au Moyen Âge. J'étais alors mégalomane et j'avais des réserves importantes d'or et d'argent, mais à quoi bon cette richesse lorsque... deux de mes fils ont été aveuglés par les Ottomans... et que j'avais terminé ma vie dans de cruelles souffrances pour avoir perdu trois doigts de la main droite... Au moins, j'étais alors conscient d'être malheureux... En France, je n'étais pas plus heureux, puisque j'étais le seigneur Godefroy de Lastours, et j'étais avide de pouvoir; je me battais contre la Maison de Rochechouart et leurs alliés, et je me permettais d'y employer tous les moyens loyaux et déloyaux. J'avais malheureusement dressé mes enfants contre cette noble famille... Et pour mes fautes, mes enfants et petits-enfants ont payé (mon fils était bisexuel), et beaucoup plus tard, la maison de Lastours était déchirée par des guerres intestines... Je conclue de là que des salauds d'espions du Service canadien du renseignement de sécurité veulent répéter la même histoire... Vous comprenez que je ne voudrais pas qu'ils touchent à mes enfants et à ma femme... S'il vous plaît, pouvez-vous faire quelque chose ?

Un silence lourd plane entre les deux hommes. Paul Eastman, après s'être éclaircit la voix, dit : – Bien sûr, Monsieur Carl Neely, il est possible de protéger votre famille. J'en informerai votre... ex-épouse des moyens de protection. Après, tout est entre les mains du Seigneur !

À nouveau, silence lourd. Dmitri Mikhaïlovitch Dragomirov/Carl Neely, ému, dit d'une voix altérée par l'émotion : – Merci d'avance, Monsieur Paul Eastman !

Les deux hommes se saluent respectueusement et le sergent sort discrètement du bureau du policier-patrouilleur.


Une fois son invité sorti, le policier, de retour de son travail, demande conseil à sa femme, Hélène, en lui résumant brièvement les propos de Dmitri Mikhaïlovitch Dragomirov/Carl Neely. Le lendemain, ils décident de rencontrer Daphné Papachristopoulos pour lui expliquer la situation. Le vieux couple la rencontre alors qu'elle se rend au travail (puisqu'elle travaille encore comme caissière dans la boutique La Vie en rose au Centre Eaton). La Grecque se montre intéressée par leurs propos. Elle suivra leurs recommandations, très inquiète pour ses enfants, et encore plus pour son ex-époux (de ce fait, elle le prend en pitié). Au moins, elle s'est assurée de prendre toutes les précautions possibles. Il ne lui reste qu'à prier les saints et le Très-Haut de leur être cléments.


Paul Eastman informe Dmitri Mikhaïlovitch Dragomirov/Carl Neely qu'il a averti sa ex-épouse des moyens prophylactiques ; le Russe en informe Carl Neely alors qu'il le rencontre chez lui quelques jours plus tard. Le sous-chef des renseignements du SCRS est rassuré, mais il se demande jusqu'à quand il est possible d'échapper à ce danger...

Lorsque Carl Neely revient de son enquête, il évite de se pointer aux cinq à sept des sergents du poste de quartier 22; il est trop inquiet pour sa famille pour penser à s'amuser avec eux. « Au moins », pense Anna White, « cette enquête l'a ramené un peu sur terre, au lieu d'être Dieu-sais-où après ses drogues et ses verres d'alcool. Les bouteilles de vin, de whisky et de šljivovica se reposent un peu dans la cave de la maison ! »




À suivre.


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