Catharsis

Chapitre 1 : Catharsis

Chapitre final

Catégorie: K+

Dernière mise à jour 08/11/2016 22:29

Le rideau s’ouvre sur une piste de danse bordée à sa gauche par un comptoir de bar. A l’arrière plan, une fenêtre s’ouvre sur un carré de ciel, laissant voir la Lune à son premier croissant. Un homme seul, assis au comptoir du bar. Autour de lui, des chaises vides, tandis que sur la piste de danse, les couples virevoltent doucement, au gré du slow joué par l’orchestre. D’une main tremblante, l’homme porte son verre à sa bouche, dans un geste un peu distrait. Son regard se perd dans une goutte d’alcool sur le comptoir.



Remus


« J’ai l’impression de me noyer. Si seulement les souvenirs persistaient… Mais ils s’effacent inexorablement. Parfois, je ne me souviens même plus de ton visage. Aujourd’hui, ma seule pensine, c’est cette goutte de bourbon. »

L’homme aspire péniblement l’air par sa bouche, comme s’il était en train de s’étouffer. Aux coins de ses yeux, des larmes se forment. On voit le barman lui jeter un œil et saisir une bouteille de bourbon, avant de s’approcher d’un pas assuré.



Le barman


« Je vous ressers, monsieur ? »

Remus hoche la tête d’un air absent, sans quitter la goutte d’alcool des yeux. Le barman s’éloigne pour aller servir un autre client.



Remus


« Le temps a passé et pourtant je ne t’ai jamais oublié. Si seulement j’avais pu te le dire avant… Je t’aimais tant. »

Il passe une main tremblante dans ses cheveux, avant de laisser échapper un soupir d’exaspération. Il a l’air hâve et affaibli. Un couple tourne de plus en plus vite, sans suivre le tempo lent du slow, et se déportent vers le bar. Ils heurtent accidentellement Remus qui laisse tomber son verre. L’homme s’excuse en riant ; la femme lui chuchote quelques mots à l’oreille en regardant Remus, puis rit à son tour. Remus ne réagit pas. Il regarde à présent les éclats de verre à ses pieds.



Le barman


« J’appelle quelqu’un pour nettoyer. Je vous sers un autre verre, en attendant ? »

Nouvel hochement de tête de la part de Remus. Une femme de ménage arrive, et balaie les éclats de verre.



Remus


« Parfois, je me dis que tout ça n’est qu’un horrible cauchemar, et que je vais me réveiller. Tu seras là, Lily et James seront là, et aussi Peter, et tu ne l’auras pas tué. Nous serons heureux, et tu danseras avec toutes les filles de la salle, tandis que moi, je te regarderai, et je ne danserai pas. »

La musique change, et l’orchestre joue à présent un rock endiablé. Remus lève enfin les yeux et parcourt la pièce du regard, évaluant des yeux chaque couple qui danse, comme s’il cherchait quelqu’un.



Remus


« Regarde tous ces couples. Ils ont tous un point commun : ils se sont tous déclaré leur amour, et aujourd’hui, ils célèbrent ce qui a rapproché leurs deux destinées. Aujourd’hui, le jour de la fête des amoureux. Mais peut être faut-il que les deux partenaires le soient pour avoir le droit de la fêter. Moi, on me l’a toujours refusé. »

On se rapproche doucement du visage de Remus. On voit son visage entier, puis seulement le côté gauche, puis on se rapproche encore, jusqu’à son œil. La paupière se ferme, une larme coule doucement le long d’une ride, à la jonction des cils.



Remus


« Je t’ai tellement parlé, ces dernières années. Parfois j’ai l’impression que tu m’entends. Puis je me souviens que tu es à Azkaban, et que tu as dû devenir fou à côtoyer les détraqueurs au quotidien. Tu me trouverais bête si tu savais. »

Le barman pose un nouveau verre devant lui, et Remus le regarde sans comprendre.



Le barman


« Vous m’avez bien commandé un autre verre, n’est-ce pas ? »



Remus, incertain (à haute voix)


« Surement. »



Le barman


« Vous vous sentez bien, monsieur ? Peut être devriez-vous arrêter de boire pour ce soir. »

Remus le dévisage de nouveau, et serre les poings derrière le comptoir.



Remus (à haute voix)


« Non, je ne me sens pas bien. Ca fait dix ans que je ne me sens plus bien. »

Le barman se penche vers lui, les sourcils froncés.



Le barman


« Pardon ? Je n’ai pas compris, qu’avez-vous dit ? »

Remus hoche difficilement la tête, et désigne son verre de bourbon.



Remus (à haute voix)


« Rien. Ce sera mon dernier verre. »

Remus lève son verre comme s’il portait un toast, puis avale le liquide ambré en une seule gorgée. L’amertume du liquide le fait grimacer.



Remus


« Les regrets ont toujours le même goût, tu ne trouves pas ? Ils s’imposent sans qu’on ne puisse les chasser, et leur amertume revient à intervalles réguliers, sans qu’on ne puisse les en empêcher. Je lève un toast à nos échecs. »

Le barman griffonne quelques chiffres sur un bout de parchemin tâché, évalue du regard son client, avise sa robe rapiécée. Il ne pourra pas profiter de son ivresse pour lui faire payer plus que sa note.



Le barman


« Ça vous fera dix gallions et 6 noises. »

Remus fouille ses poches, les vide sur le comptoir. Beaucoup plus de mornilles et de noises que de gallions. Le barman l’aide à compter jusqu’à atteindre le compte, puis subtilise discrètement quelques mornilles le temps que Remus remette le reste dans ses poches.

Remus essaie de se lever, mais ses jambes se dérobent sous lui, et il se rattrape au comptoir, avant de se hisser de nouveau sur la chaise qu’il vient de quitter. Le barman le jauge du regard, d’un air un peu blasé, tout en essuyant un verre.



Le barman


« Il n’y a pas beaucoup de clients, vous pouvez rester là, le temps d’être capable de transplaner. J’ai pas envie d’avoir le ministère sur le dos parce que vous auriez laissé un doigt derrière vous. »

Le barman éclate d’un rire gras. Remus ne répond pas mais lève la tête vers lui.



Remus (à haute voix)


« Un doigt. C’est tout ce qu’il est resté de Peter Pettigrow lorsque Sirius Black l’a tué, vous y croyez ? »

Le barman le dévisage, la bouche ouverte, avant de rire à nouveau, d’un rire un peu forcé cette fois-ci.



Le barman


« Ta copine t’a plaquée juste pour la Saint Valentin, c’est ça ? Alors tu noies ton chagrin dans l’alcool. Ecoute-moi bien, mon p’tit gars : ça n’arrangera rien, et surtout, ça la fera pas revenir. Alors c’est vraiment pas la peine… »

Mais Remus l’ignore, de nouveau plongé dans ses pensées. Il reporte son attention sur les couples qui dansent dans la salle. Il parcourt à présent des yeux les tables dans la pénombre, de l’autre côté de la piste de danse. Uniquement des couples, il est le seul célibataire à être venu à cette soirée.



Remus


« Sur ce point, je suis d’accord avec lui. Tu ne reviendras pas. Cela fait déjà dix ans… Harry doit entrer à Poudlard, cette année. Ton filleul. J’essayerai de garder un œil sur lui, puisque tu ne peux pas le faire. Pas pour toi. Non, pour James. Je ne veux plus rien faire pour toi.

Je t’en veux tellement, si tu savais. Ce soir-là, où tu m’as embrassé. Ce soir-là, j’ai cru que tu tenais à moi, et nous avons dansé longtemps, tous les deux. Ce fut la dernière fois que j’ai dansé. Car à l’heure de rentrer, quand j’ai voulu te rejoindre, je t’ai vu, emmener cette fille. Je t’ai vu l’installer sur ta moto volante. Je t’ai vu t’envoler loin de moi. J’ai alors compris. Compris que jamais, jamais tu ne m’aimerais. »

Remus se lève brusquement, faisant tomber la chaise devant lui. Il reste immobile, désorienté.



Remus


« Parfois, j’ai l’impression de jouer une pièce de théâtre. Un drame cornélien. Je suis là, je soliloque sur la scène, tandis que tu me regardes en souriant depuis le balcon. Tu es là, assis aux côtés de James, Lily, Peter, et vous riez tous en me regardant de haut. Et moi, plus je vous vois rire, plus je sens cet étaux se refermer sur mon cœur. Je suis si pitoyable. Comment ai-je pu y croire ? »

Remus appuie son poing devant sa bouche, comme s’il avait la nausée. Il plisse ses paupières, et les larmes s’écoulent désormais sans retenue. Puis, il ouvre tout à coup les yeux, et se redresse.



Remus


« Alors, si c’est une pièce de théâtre, autant jouer le script intégralement. Si je suis destiné à finir ainsi, pauvre loup-garou alcoolique qui vient honorer la mémoire d’un meurtrier dans un bar dansant chaque année à la Saint-Valentin, qu’il en soit ainsi. Mais je vais jouer jusqu’au bout, et tout le monde se souviendra de moi. Quand viendra la scène finale, ce ne sera pas moi qui m’inclinerai devant mon public. Ce sera mon public qui s’inclinera devant moi. »

Il se redresse, bombe le torse, et part à grands pas entre les chaises, titube sur les pieds, manque tomber. Tous les couples s’arrêtent pour le regarder. Remus se tourne vers eux, et leur fait face, depuis le côté gauche de la scène. Les musiciens arrêtent de jouer.



Remus (à haute voix)


« Dansez, dansez, pauvres fous ! Mais d’abord, regardez-moi tous ! En face de vous, vous avez un homme détruit par l’amour ! Et que vous le vouliez ou non, c’est comme ça que vous finirez tous, vous qui vous réjouissez en ce jour ! Contemplez votre avenir ! »

Remus ouvre les bras, le visage tendu vers le plafond. Ses jambes commencent à ployer, et il tombe doucement vers le sol, à genoux, les bras toujours ouverts aux cieux. Puis, il se laisse tomber en avant, et son visage s’écrase sur le sol. Un gémissement sort de sa bouche, et il éructe encore quelques mots.



Remus (à haute voix)



« Vous vous complaisez dans votre petit bonheur éphémère, mais au fond de vous, vous savez. Votre médiocrité ne vous empêche-t-elle pas de dormir la nuit ? Pauvres fous. Vous me trouvez pitoyable, mais vous… Vous tous qui me regardez de haut. Pourtant, je ne vous en veux pas. Je n’en veux qu’à une seule personne … A tous… Tous les médiocres du monde. Je vous absous. »

Remus perd connaissance dans un dernier râle.
Autour de lui, personne ne parle, se contentant d’observer la scène. Le barman, lui, essuie toujours son verre d’un air absent. Puis, le chef d’orchestre lève sa baguette, et les musiciens entament un nouveau slow. Dans chaque couple, l’homme et la femme se rapprochent, et recommencent à danser, sans plus se préoccuper de Remus au sol. La même femme de ménage que plus tôt arrive, et attrape Remus par le col de sa veste, le traine vers la sortie.

Lentement, le rideau se referme.

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