Le cycle de la lune bleue

Chapitre 16 : La marque

5080 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 18/04/2024 00:47

    Annily émergea douloureusement de sa narcose, gémissante et bien mal en point. Son corps entier exprimait une souffrance aiguë, le moindre mouvement lui arrachant une plainte grinçante. Malgré les premières tentatives de soins administrés quelques heures plus tôt, sa respiration demeurait périlleuse et les stries profondes qui ravageaient sa chair lui causaient un supplice paralysant rarement éprouvé. Immuable dans son insoutenable assaut, la douleur semblait avoir atteint son paroxysme, générant des troubles spastiques incontrôlables ponctués de violentes nausées. Annily avait l’impression d’endurer les effets cuisants d’un broyage de sa dépouille expirante sous la mécanique d’un rouleau compacteur hérissé de pointes. Les sens dilués dans un magma de tortures nociceptives multiples qui l’agressaient de toutes parts sans lui laisser le moindre répit, la jeune femme peinait à recouvrer ses esprits, ses pensées confuses ne parvenant pas à se détourner de cette abominable souffrance qui la submergeait.

    Un rayon de soleil filtra à travers la fenêtre, inondant de lumière le lit sur lequel elle se trouvait. Laissant échapper un gémissement guttural digne d’un félin agonisant, Annily referma compulsivement les paupières et tourna péniblement la tête en plissant le front sous l’effet des assauts cuisants de ses muscles. Les traits crispés par la douleur, la jeune femme affichait un teint livide avoisinant la défaillance. Un store fut abaissé et une pénombre striée l’enveloppa aussitôt. Une main se posa sur son front, puis un doigt exerça d’autorité une pression sur sa lèvre inférieure, qui s’entrouvrit légèrement. Un liquide lui fut alors administré, frais et amer, se déversant dans sa gorge comme un raz de marée. L’effet ne tarda pas à liquéfier le bloc de souffrance qui la submergeait, lui accordant un maigre répit salutaire. Ses tourments physiques refluaient lentement de ses chairs meurtries, rendant son agonie émergente plus supportable, lui évitant de peu la crise d’hystérie.

    Annily rouvrit les yeux. La douleur qui monopolisait ses sens se dissipait ; la jeune femme percevait des voix indistinctes qui planaient au-dessus d’elle et bourdonnaient à ses oreilles. Madame Pomfresh se tenait auprès d’elle, lui prodiguant des soins systémiques et locaux spécifiquement adaptés à sa condition selon les recommandations de ce professeur spécialisé dans l’enseignement des Moldus. Annily ne put retenir un soupir d’aise tandis que son supplice s’amenuisait davantage. Elle était cependant bien loin de se trouver tirée d’affaire. Son corps mutilé demeurait à vif et ses blessures, à l’instar du traumatisme engendré, seraient longues à cicatriser. Ses plaies avaient néanmoins cessé de saigner, désinfectées puis suturées brièvement à la main durant sa narcose, laissant place à des traces rouge vif profondément ancrées dans la peau. Outre le sang coagulé qui maculait en grande partie son épiderme ravagé, ses cheveux, ses ongles et sa chair ensanglantée avaient été débarrassés de la terre, des épines et autres débris amassés dans la Forêt. Sa peau avait ensuite été lavée, puis soigneusement désinfectée à l’aide du produit iodé moldu conjugué à un onguent spécifiquement préparé par le professeur Nightingale. Ses membres et son visage restaient néanmoins tuméfiés, durement écorchés et marbrés de mauve, preuve de sa récente lutte désespérée pour sa survie.

    La jeune femme n’était pas encore en mesure de déterminer l’ampleur des dégâts. Son esprit sillonnait toujours dangereusement les berges de la semi-conscience, à mi-chemin entre la marée de souffrances et les ténèbres engloutis, le corps et l’âme anesthésiés par les traitements analgésiques que l’infirmière venait de lui administrer. Annily se força néanmoins à arrimer ses sens à son environnement, se refusant à sombrer dans une narcose vulnérable. Tournant lentement la tête du côté opposé, elle perçut l’ombre noire du Maître des Potion penché au-dessus d’elle. Véritable contraste parmi les traits cireux rigoureusement inexpressifs de son visage, ses prunelles de charbon paraissaient détailler les blessures du corps exposé avec une attention soutenue. Annily le considéra quelques secondes d’un air absent, reprenant peu à peu corps avec la réalité, quand une onde d’effroi parcourut sa cage thoracique, entrainant un brusque échappement de son cœur. Refaisant complètement surface, elle réalisa avec effarement qu’elle n’avait plus sa robe sur le dos. Un bandeau de tissu enserrant sa poitrine, une culotte en coton ceignant son intimité, elle était allongée sur un des lits de l’infirmerie, sans drap ni couverture, le corps livré au champ visuel des professeurs présents à son chevet. Un paravent lui dissimulait le reste de la salle de soin.

    Le regard inquisiteur du Maître des Potions mit la jeune femme profondément mal à l’aise. Sa vulnérabilité, mêlée au mépris qu’elle inspirait obstinément – bien malgré elle – à ce professeur si antipathique, la fit rougir jusqu’à la racine des cheveux, tandis que les prunelles noires s’attardaient sur la pâle fragilité de son corps. Pourquoi donc Rogue la détaillait-il ainsi ? Annily voulut ramener ses bras autour de ses épaules comme pour protéger un minimum de sa pudeur, mais Rogue lui saisit les mains et obligea la jeune femme à garder les bras le long du corps, comme la veille. Surprise, elle ouvrit la bouche pour protester, mais seul un son atrocement rauque parvint à franchir ses lèvres, en même temps qu’une douleur atroce s’emparait de sa gorge, irradiant jusqu’à son diaphragme. C’était comme si des milliers de lames chauffées à blanc la transperçaient à l’unisson de l’intérieur, le long de ses voies respiratoires. La panique la fit blêmir ; elle tenta de prononcer un mot, forçant sur sa gorge malgré la souffrance décuplée, mais le son éraillé persista, tandis qu’une sensation de brûlure intense embrasait sa paroi laryngée. Ce second échec ne fit qu’augmenter son agitation, la douleur électrisant ses muscles à chaque inspiration en dépit de la potion ingurgitée.

    - Il est inutile de tenter d’émettre le moindre son, Mademoiselle, intervint Rogue. Restez silencieuse et immobile, c’est tout ce qui vous sera demandé pour l’instant.

    Annily lui lança un regard surpris et effrayé.

    - Votre gorge a été endommagée par l’une des griffes de la créature, répondit-il à sa question muette. De même que diverses parties de votre corps. Il vous est défendu de faire le moindre mouvement durant les heures qui vont suivre – et cela inclut les vibrations de vos cordes vocales. La douleur que vous ressentez actuellement, ne serait-ce que lorsque vous respirez, ainsi que la perte de votre voix, sont dues à un poison contenu dans les griffes qui ont entaillé votre peau.

    - … p …oi…zzz… ? réussit à prononcer la jeune femme affolée, dans un murmure guttural.

    - Le poison de Laädehn, expliqua tranquillement le Maître des Potions. Son action délétère, largement amplifiée par votre agitation, s’est initiée dès son infiltration dans votre sang. En ce moment, il se propage dans tout votre corps via votre circulation sanguine, envahissant vos organes à la vitesse de vos pulsations cardiaques. Il agit de manière simultanée, destructrice et irréversible dans tout votre organisme, paralysant votre diaphragme, curarisant vos muscles, infestant d’ici peu vos cellules cérébrales pour en interrompre une à une les liaisons neuronales… Dans quelques instants, ce poison va affecter votre structure moléculaire et altérer vos fonctions vitales de manière irrévocable.

    - N…oo n ! crailla-t-elle de sa voix rocailleuse.

    - Je vous ai dit de vous taire ! ordonna-t-il durement. Vous ne faites qu’empirer l’état de vos cordes vocales. Si vous persistez dans votre entêtement, vous ne ferez que briser davantage le son de votre voix, jusqu’à perdre irrémédiablement l’usage de la parole – ce qui ne serait certes pas pour me déplaire…

    Rogue l’observa un instant, le visage indéchiffrable. Remarquant les soubresauts qui secouaient la poitrine de la jeune femme, il ajouta de sa voix doucereuse :

    - Rassurez-vous Mademoiselle, un antidote vous a été administré durant votre sommeil, une seconde dose quelques heures plus tard à votre réveil. Le poison a été neutralisé avant d’avoir atteint votre zone cérébrale et causé en parallèle des dommages irréversibles au niveau de vos organes vitaux. Le venin a cependant eu tout le temps de s’insinuer dans chacune de vos cellules musculaires, ce qui explique votre difficulté à respirer ainsi que la douleur lancinante que vous ressentez dans tout le corps. L’ensemble de vos muscles régulés par votre système nerveux autonome a fort heureusement été épargné, sans quoi vos derniers instants auraient été d’une atrocité fort peu enviable. Si vous ne tenez pas à connaître une telle agonie, je vous exhorte à garder le silence le plus absolu et une immobilité totale durant les jours à venir, si cela vous est toutefois possible.

    - Professeur, regardez ! interrompit Madame Pomfresh qui revenait avec des pansements propres. Là, sur le bas de la hanche, une marque…

    Le sourcil perplexe de Rogue grimpa au sommet de son front de cire.

    - Montrez-la-moi ! intima-t-il.

    L’infirmière pointa le doigt sur une petite parcelle de peau au niveau de la hanche ; à demi masquée par l’élastique du sous-vêtement, l’esquisse d’un tatouage minuscule émergeait furtivement, encré dans l’ombre de la courbure iliaque. Sans laisser à Annily le temps de réagir, Rogue glissa insidieusement son index sous l’élastique et abaissa le sous-vêtement de quelques centimètres, dévoilant un symbole noir à peine plus gros qu’un doryphore. Hoquetant de stupeur, Annily ne put réprimer un mouvement de recul tandis que Madame Pomfresh, la bouche grande ouverte, s’apprêtait à crier au scandale. Mais la curiosité l’emportant sur l’indignation, l’infirmière empêcha la jeune femme de remonter le tissu, se penchant davantage sur le dessin épidermique qui se distinguait par sa complexité et sa singularité. Rogue reconnut aussitôt le tracé artistique minutieusement calligraphié qu’il avait observé au dos de la gourmette, ce même symbole en tout point identique à celui projeté par le pendentif à la forme si particulière. Ainsi donc le bijou égyptien lui appartenait bel et bien, comme l’avait laissé entrevoir la chainette ornée de son prénom... Que signifiait donc l’emblème qu’il réfractait, et à quel peuple était-il lié ? Son étrange pouvoir avait-il un lien avec la réapparition soudaine de la Créature dans la Forêt Interdite ? Etait-ce ce que sa commanditaire était venue chercher ? Le Maître des Potions lâcha Annily et enfouit machinalement sa main dans la poche de sa robe, emprisonnant fébrilement le pendentif entre ses doigts. La Bête ne devait jamais s’emparer de ce bijou.

A aucun prix !

    - …eah…e…, émit la voix quasiment aphone de la jeune femme.

    - Silence ! tonna Rogue, émergeant instantanément de ses réflexions. Ou bien préféreriez-vous que je vous bâillonne et vous attache jusqu’à ce que vous ne soyez entièrement rétablie ?!

    - Professeur, intervint Madame Pomfresh d’un ton sévère, ce qu’il faut à cette jeune personne, c’est du calme avant tout, car toute agitation risque fort de prolonger sa convalescence.

    - Il est capital qu’elle recouvre sa voix, répliqua-t-il d’un ton glacial, et cela ne se peut si elle persiste à contraindre obtusément ses cordes vocales. Cette fille détient des informations capitales que nous devons entendre au plus vite. Sa description précise de la créature reste primordiale ; elle-seule est en mesure de confirmer l’identité de ses assaillants. Il y va de la sécurité de toutes les personnes vivant au sein de cette Ecole.

    - J’en suis parfaitement consciente Severus, mais votre comportement ne conforte en rien vos attentes. N’oubliez pas que les renseignements attendus ont été durement acquis cette nuit ; le traumatisme engendré est encore bien trop présent, à l’instar de ses douleurs physiques. Aussi je vais vous demander de quitter les lieux ; vous ne serez autorisé à revenir que lorsque vous serez davantage disposé à la patience.

    Rogue ne répondit pas. Il abaissa sur Annily un regard irrité, puis fit volte-face et quitta l’infirmerie dans un claquement de cape.

 

    Annily ne dormit pas du reste de la journée. Bien que légèrement apaisé par les soins prodigués, son corps demeurait extrêmement sensible, la moindre petite contraction musculaire engendrant une douleur quasi insoutenable. Mais son esprit demeurait autrement tourmenté, la jeune femme n’ayant eu de cesse de ressasser en boucle son épopée traumatisante dans la Forêt. Une créature monstrueuse, commanditée par un être humanoïde démoniaque hautement puissant, avait tenté de l’assassiner, orchestrant son crime abominable dans la plus glaciale des profondeurs nocturnes. Bien que miraculeusement avortée, cette tentative avait assurément ancré des séquelles psychiques obsessionnelles dans l’âme tourmentée de la jeune femme – à l’instar de son corps à jamais scarifié et meurtri. Comment était-elle parvenue à se sortir relativement indemne de ce traquenard mortel ? Ses souvenirs à ce sujet demeuraient vaguement confus. Mais elle était à présent certaine d’une chose, et cet état de fait horrifiant l’obsédait bien plus que tout le reste : cette puissante ennemie et sa bête récidiveraient, la harcelant sans relâche, n’ayant de cesse de la pourchasser où qu’elle pût se dissimuler, poursuivant sans faiblir leur traque mortelle jusqu’à atteindre leur but macabre.

Annily n’était désormais plus à l’abri.

Nulle part…

A son agitation s’ajoutait le souvenir pénible du comportement glacial et incompréhensible de Rogue. Investi d’une impassibilité inébranlable couplée d’une impitoyable austérité qui le caractérisaient en toutes circonstances, ce professeur hautement antipathique n’avait eu cure des souffrances physiques ou morales de la jeune femme, préférant alimenter ses lésions intérieures, accroissant sa solitude et sa détresse – s’en réjouissant même ouvertement. Annily serra les dents de frustration. Les paroles insensibles et provocantes de cet homme, le mépris qu’il affichait en permanence à son égard, l’attitude abjecte et la rudesse qu’il s’évertuait à conserver envers elle, cet acharnement prononcé dont il usait gratuitement pour la rabaisser à la moindre occasion, tout ce qui émanait de cet homme arrogant et cruel lorsqu’elle croisait son regard sombre dénué de la moindre once de compassion aggravaient son tourment et entretenaient son mal. Comment pouvait-elle espérer obtenir le moindre soutien de sa part ? Annily n’était pas naïve ; envisager de se tirer d’affaire par elle-même était illusoire. Elle avait désespérément besoin de l’aide de ces Sorciers.

Mais elle était seule.

Isolée au sein d’un peuple théoriquement inexistant, et abjectement méprisée…

    Ce ne fut qu’en fin d’après-midi qu’Annily trouva enfin le sommeil. Allongée sur l’un des lits de l’infirmerie, unique patiente en début de convalescence dans cette grande pièce austère, et dans l’incapacité quasi-totale de bouger ni même de parler sans en ressentir une vive douleur, la jeune femme finit par laisser échapper ses pensées oppressantes, qui s’engouffrèrent rapidement dans des rêves encore troublés par les événements de la veille. Madame Pomfresh demeura auprès d’elle, désinfectant précautionneusement les plaies qui parcheminaient son épiderme, contrôlant leur drainage, vérifiant leurs sutures, changeant avec soin et patience les bandages qui recouvraient en grande partie son corps mutilé. Les divers lotions cutanées et onguents apaisants, apprêtés sur les conseils du professeur Nightingale, s’étaient rapidement distingués par leur efficacité, permettant la maîtrise de l’hémorragie et la désinfection des plaies, empêchant ainsi toute infection de se propager, tout en anesthésiant localement les chairs déhiscentes. L’élixir antipoison de la veille avait été particulièrement efficace, neutralisant la douleur en même temps que les toxines de manière significative. Grâce à la perspicacité de Rogue, qui avait rapidement détecté la présence du poison de Laädehn dans l’organisme au travers des coups de griffes, un antidote avait été préparé à temps afin d’empêcher la substance toxique d’atteindre les organes vitaux, sauvant la vie d’Annily de justesse. La jeune femme ignorait encore l’implication du Maître des Potions dans sa guérison.

 

    Le soleil parachevait son déclin monocorde derrière la cime des arbres lorsqu’Annily s’extirpa du sommeil, le corps enferré dans un inconfort algique au demeurant plus supportable. La douleur qui galvanisait ses muscles et sa chair ne lui avait néanmoins pas permis de sommeiller plus de deux heures. Lavé de son sang, désinfecté puis suturé à la manière des Moldus, son corps se trouvait à présent enveloppé dans une grande serviette humidifiée et tiède, préalablement trempée dans une lotion spécifiquement apprêtée d’après les conseils du professeur Nightingale. Le linge ne pouvant être réchauffé magiquement une fois sur le derme de sa patiente, l’infirmière devait le changer toutes les vingt minutes, afin d’éviter à la jeune femme de prendre froid et aggraver son mal. Sa gorge était enduite d’une mixture pâteuse qui maintenait la zone fragilisée dans un cocon de chaleur. Les marques sanglantes de son épaule, sa cuisse et son avant-bras étaient soigneusement recouvertes d’un onguent moldu verdâtre, qui picotait désagréablement jusqu’en profondeur de la peau. Chacune des zones cutanées lésées était protégée par un bandage qui renforçait les propriétés antiseptiques du baume. Pour finaliser l’enrubannage de sa dépouille balafrée digne d’une momification, la paume de sa main se trouvait enveloppée dans un pansement simple, la lésion n’ayant pas été engendrée par la Créature.

    Dumbledore s’approcha du lit dès que la jeune femme ouvrit les yeux.

    - Annily, lui sourit-il, visiblement soulagé de la voir émerger à un degré de moindres tourments. Comment vous sentez-vous ? J’imagine que votre cours repos n’a pas été des plus sereins, néanmoins je suppose que les jours prochains apporteront un mieux progressif à votre souffrance. N’ayez aucune crainte, tout danger est écarté ; vous pouvez de nouveau vous exprimer, sans trop contraindre votre larynx toutefois. Contentez-vous de chuchoter.

    La jeune femme s’éclaircit précautionneusement la voix, qui lui parut affreusement rauque mais minimalement exploitable.

    - Professeur… souffla-t-elle. Vous êtes là… Je vous retrouve toujours à mon chevet, préoccupé de mon état, alors que je ne sais apporter que des ennuis…

    Dumbledore étira davantage les coins de ses lèvres et posa une main rassurante sur son épaule bandée, le regard pétillant d’une indulgence qui le caractérisait en toutes circonstances.

    - Je suis heureux de vous revoir parmi nous, saine et sauve, lui assura-t-il, sincère. La souffrance que vous avez endurée semble déjà plus tolérable, même si je regrette profondément ne pas pouvoir vous soulager davantage. Elle devrait néanmoins s’amoindrir de jour en jour, grâce aux bons soins de notre formidable infirmière. Vos nombreuses plaies sont déjà en bonne voie de cicatrisation, il n’y a plus de danger d’empoisonnement du sang ni de dommages métaboliques sévères. Les lésions les plus graves ont certes nécessité quelques points de suture, et vous en conserverez certainement des cicatrices, mais je suis certain que les excellents soins de notre infirmière atténueront leurs traces écarlates avec le temps…

    Annily ne répondit pas, profondément affectée et moralement marquée par les circonstances en concordance avec ses mutilations et sa souffrance. Dumbledore l’observa un instant, l’air grave et le regard songeur derrière ses lunettes en demi-lune. Jusqu’à quel point pouvait-il minimiser l’impact psychologique d’une telle expérience sur la santé mentale de la jeune femme ? Comment pourrait-elle espérer sortir indemne d’une telle épreuve, sans compter que cette terrible chasse à l’homme était loin d’être terminée ? S’en doutait-elle seulement… ?

Une vie entière balayée de sa mémoire, la chair à jamais marquée, Annily courait un danger mortel et elle ignorait tout de cette intrigue dont elle semblait être l’enjeu majeur.

    Interrompant les réflexions du Directeur, Madame Pomfresh les rejoignit en silence, apportant un plateau-repas constitué d’un simple bol de soupe et d’une potion médicamenteuse à l’odeur incertaine. Elle autorisa sa patiente à rehausser son buste contre un oreiller afin de se sustenter, tout en lui interdisant vivement tout autre déplacement. Elle lui recommanda cependant de bouger avec précaution ses membres engourdis par cette longue immobilisation, lui expliquant quelques exercices simples à pratiquer plusieurs fois par jour afin de réhabiliter ses fonctions musculaires sans trop de souffrance. La jeune femme retrouva également la liberté d’utiliser sa voix, avec modération toutefois, car ses cordes vocales demeuraient momentanément fragilisées et produisaient un son éraillé fort désagréable, qui se briserait davantage si elle en abusait.

    - La Forêt Interdite n’est pas le meilleur endroit pour y trouver refuge, même pour vous qui ne craignez pas les effets de la Magie, reprit le Directeur.

    - Je l’avais remarqué… coassa piteusement Annily.

    - Le professeur Rogue vous a sauvé la vie, lui annonça-t-il comme s’il s’agissait d’une simple information sur la météorologie de demain.

    Annily lui retourna un regard médusé.

    - Quoi ? réagit-elle, totalement incrédule. Lui ?

    - Ma foi oui, répondit tranquillement le vieux Sorcier. Notre professeur de Potions n’a pas hésité un seul instant à vous protéger lorsque vous avez abruptement surgi de l’orée des bois pour aussitôt trouver refuge dans l’ombre de sa cape…

    - Mais… je ne me suis pas réfugiée sous sa cape ! s’offusqua la jeune femme. J’essayais désespérément de fuir mes poursuivants ! Je courais au hasard parmi les troncs lorsque j’ai aperçu les premiers arbres de cette interminable forêt, le parc puis les tourelles du Château – je ne sais pas comment j’ai réussi l’exploit de retourner sur mes pas… Le professeur Rogue venait tout juste de croiser mon chemin alors que je tentais de rejoindre votre Ecole pour demander de l’aide. Lui-même se trouvant également dans les parages tandis que le danger menaçait à quelques mètres, je n’ai pu faire autrement que de tirer profit de la protection de sa baguette magique, puisque la situation l’exigeait. Il n’avait pas le choix, le péril des sous-bois rôdait juste derrière nous ; il ne pouvait pas se défiler, risquant lui-même les représailles de mes poursuivants !

    Devant ce flot de paroles rocailleuses ponctuées d’une éminente mauvaise fois, le Directeur ne put s’empêcher de rire de bon cœur. Annily le regardait, l’air décontenancé et furieux. Elle ne supportait pas l’idée qu’il puisse envisager une telle chose. Comment ce sage Sorcier pouvait-il croire un seul instant qu’elle eût intentionnellement recherché la protection de ce professeur arrogant et odieux, lui qui la méprisait ouvertement, lui signifiant sans cesse sa haine et son dédain, jouissant allégrement de sa déveine sans la moindre vergogne ? Non, Rogue n’avait pu accepter si aisément de lui porter secours en lui sauvant la vie, c’était tout bonnement improbable. Il s’était simplement trouvé au bon endroit au bon moment, et avait certainement agi instinctivement pour sauver sa peau – et celle de la jeune femme par la même occasion. Comment Dumbledore pouvait-il si mal évaluer la situation à l’instar des intentions de son ténébreux collègue ? Il ne s’agissait nullement d’un acte héroïque, mais d’un simple concours de circonstances. Annily se refusait à envisager les choses autrement, entêtée dans sa fierté et sa répulsion pour cet homme.

    - Le professeur Rogue a mis tout son savoir afin d’élaborer très rapidement un contrepoison, assez puissant pour arrêter la progression du poison de Laädehn qui coulait dans vos veines, ajouta-t-il simplement. Il lui a fallu pour cela reconnaître la présence du venin, en déterminer la nature, apprêter un antidote spécifique et vous l’administrer en un temps record.

    Cette révélation coupa le souffle à la jeune femme. Elle regardait le vieux Sorcier, totalement incrédule. Si les dires du Directeur étaient vrais, elle devait son sauvetage nocturne mais également ses soins vitaux au seul homme qui la haïssait – et c’était réciproque. Cette idée lui était tout bonnement insupportable. Et pourtant elle était en vie, elle avait survécu à une attaque meurtrière d’une rare violence – et ceci en grande partie grâce à lui.

    - Monsieur de Directeur, interrompit l’infirmière en rallongeant Annily et la recouvrant de nouvelles lingettes humides. Je suis navrée, mais je vais devoir vous demander de laisser ma patiente se reposer ; sa voix commence à faiblir, et vos paroles semblent l’agiter. Plusieurs jours de soins intensifs seront nécessaires avant que les contusions et les douleurs musculaires ne s’amenuisent de manière significative. Je ne puis la guérir plus rapidement ; elle va devoir cicatriser à la manière des Moldus, sans remède magique.

    - Bien entendu Pompom, je comprends, acquiesça Dumbledore en se levant pour prendre congé. Ainsi chère Annily, je vous laisse aux bons soins de notre infirmière. Les prochains jours ne seront pas de tout repos, mais j’ai bon espoir de vous voir très prochainement sur pied.

    La jeune femme tourna sur le Directeur un regard gorgé d’une telle affliction, qu’il en fut profondément bouleversé. Dans un geste apaisant nimbé de bienveillance, il posa une main ridée sur l’épaule marbrée et transie qui paraissait avoir enduré tant d’épreuves ayant annihilé tout espoir.

    - J’ai conscience des scènes troublantes qui perturbent votre sommeil et affectent péniblement votre moral. Essayez néanmoins de mettre à profit le temps de votre convalescence pour reposer votre corps, apaiser durablement votre esprit et recouvrer votre énergie. Nous serons amenés à nous revoir aussitôt que vous serez en état de vous exprimer sans vous épuiser ; le récit détaillé de votre aventure est essentiel pour que nous puissions organiser un système de défense rapide et efficace contre cette nouvelle ennemie. Nous avons quant à nous quelques éléments inédits dont nous aimerions vous faire part.

    - Auriez-vous trouvé un moyen pour que je… entrevit la jeune femme, pleine d’espoir.

    - Non Annily, sur ce point nous sommes toujours ignorants des diverses possibilités existantes. Notre Monde reste actuellement votre seul refuge. Mon équipe magique et moi-même recherchons activement le moyen d’ouvrir une brèche dans le temps, à l’instar de celle que vous avez empruntée pour parvenir jusqu’ici. Bien que voyager dans le passé n’ait encore jamais pu être exploité sur une si longue période, rien n’est impossible avec la Magie. Ne perdez surtout pas espoir ! Chaque événement implique une justification, un motif certain qui parfois nous échappe. Votre présence ici n’est pas le fruit du hasard ; nous appréhenderons tôt ou tard la raison qui en découle, ce qui permettra une progression certaine dans nos investigations. Vous rentrerez un jour chez vous Annily, je vous en fais la promesse.

    Délaissant la frêle épaule blessée, Dumbledore serra la main de la jeune femme dans la sienne afin d’intensifier ses paroles et achever de la rassurer. Annily se tourna vers lui, acquiesçant du regard et d’un pâle sourire. Le Directeur prit enfin congé et se dirigea vers la porte, la mine soulagée ; il avait retrouvé sa confiance.

 

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