Le cycle de la lune bleue

Chapitre 15 : Une étrange menace

5461 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 22/03/2024 23:15

    - Par Merlin ! s’écria Madame Pomfresh lorsqu’elle vit entrer Rogue, soutenant Annily qui avançait difficilement et dont le visage écorché était d’une extrême pâleur. Vous l’avez donc retrouvée ? Mais elle est blessée ?!? Que lui est-il donc arrivé ?

    - Une douzaine d’heures passées dans la Forêt Interdite lui auront permis de faire de charmantes rencontres, dont elle semble avoir conservé des souvenirs cuisants, argua Rogue avec son habituel sarcasme.

    - Et vous l’avez laissée marcher jusqu’ici dans cet état ? s’indigna l’infirmière, tout en aidant la jeune femme à s’allonger sur l’un des lits.

    - Le simple fait d’accepter mon aide paraissait être au-dessus de ses forces, répondit-il d’une voix cynique. C’est à peine si elle m’a permis d’approcher son bras pour la soutenir.

    - Tout de même, vous auriez pu la contraindre à s’allonger sur un brancard ; il ne vous restait plus qu’à me l’amener jusqu’ici d’un coup de baguette.

    - Dois-je vous rappeler l’irréalisme d’une telle chimère ? L’idée même de concevoir le transport physique de cette personne, improvisé de quelque manière que ce soit par le biais d’un simple « coup de baguette », demeure purement illusoire. Il n’existe à notre connaissance aucun recours sorcier susceptible de déplacer magiquement un objet quel qu’il soit lorsque celui-ci est utilisé par cette fille, qu’elle l’emploie comme une assise ou simplement quand elle le touche.

    - C’est vrai, admit Madame Pomfresh, je l’avais presque oublié. Il va donc falloir que je soigne cette jeune personne sans avoir recours à mes potions curatives habituelles…

    - Ce qui va sans conteste prolonger sa convalescence, générant inéluctablement une dolence d’une accablante ténacité, termina Rogue, qui paraissait se délecter de la situation.

    Madame Pomfresh leva les yeux au ciel mais ne répondit pas. Elle se pencha sur Annily qui respirait difficilement. Les draps prenaient déjà une teinte carmin le long de son corps.

    - Elle n’a toujours pas cessé de saigner, réalisa-t-elle, les sourcils froncés. Ses lésions semblent plus profondes que je ne l’ai primairement évalué. Malheureusement, je ne possède pas suffisamment de matériel adapté pour panser convenablement de telles blessures… Quant à son état général… Sa peau est glacée, ses fonctions vitales semblent fonctionner au ralenti ; elle souffre d’hypothermie et ses hémorragies multiples ont entrainé une anémie sévère !

    - Dans ce cas, et si comme je le présume, vos potions de régénération sanguine n’engendrent pas davantage d’effets que l’usage de vos compétences magiques sur la réparation des tissus organiques, je vous suggère de promptement réviser vos connaissances moldues dans ces domaines.

    Madame Pomfresh posa sur Annily un regard empli de commisération, d’incertitude et de regrets. Elle n’était cependant pas femme à tergiverser des lunes.

    - Professeur Rogue, veillez sur elle ! décida-t-elle soudain. Les couvertures se trouvent dans l’armoire qui avoisine celle contenant les potions de soin. Je vais immédiatement chercher des linges propres imprégnés de lotions désinfectantes élémentaires. Je demanderai également à Albus de mandater l’un des professeurs pour aller quérir des antibiotiques et des antalgiques dans une officine moldue. Comme vous l’avez suggéré, il va me falloir envisager de gérer ces plaies à la manière de mes confrères dénués de pouvoirs, puisque mes élixirs et ma baguette ne seront d’aucune efficacité sur l’organisme de cette jeune femme.

    Sans attendre de réponse, l’infirmière se dirigea vers la porte, qu’elle prit soin de refermer derrière elle, laissant Rogue seul avec la jeune femme. Par chance l’infirmerie était déserte, temporairement épargnée par les incidents magiques divers et variés communément endurés par les élèves tout au long de d’année. Sans perdre de temps, Rogue se dirigea vers les armoires du fond pour y rassembler quelques fioles, un drap de lit et une courtepointe. Revenant vers sa patiente, il découpa le drap en de multiples fragments qu’il plia successivement puis assembla pour en faire des bandes épaisses. Sans retirer les hardes qui les recouvraient, il appliqua les bandages improvisés imbibés de lotions apaisantes sur le ventre et les membres de la jeune femme afin d’en comprimer sommairement les plaies. Dépliant la courtepointe, il enveloppa ensuite le corps glacé d’Annily puis il conjura un linge chaud qu’il posa sur le front blême. L’infirmière ne tarderait pas à compléter ces premiers soins rudimentaires.

    Rogue se mit à faire les cent pas, sa cape battant la cadence contre ses talons. Il ne pouvait croire en une telle aubaine : la jeune fugitive n’avait pas disparu vingt-quatre heures, qu’elle était déjà de retour entre les murs sécurisés du Château, plus ou moins saine et sauve. Son état néanmoins préoccupant laissait présumer une rencontre hautement regrettable dans la Forêt, dont le professeur attendait impatiemment le récit détaillé.

    Une plainte gutturale ramena son attention sur le seul lit occupé. Bien que toujours consciente, Annily demeurait étendue dans des linges imbibés de sang, les paupières étroitement closes et le souffle court. En dépit de la couverture et des premiers soins, son corps supplicié était envahi de spasmes et ses mains agrippaient le matelas avec fébrilité. Après quelques instants, la jeune femme rouvrit les yeux et posa sur Rogue un regard empli de souffrance.

    - J’ai… mal… gémit-t-elle dans un murmure.

    Une nouvelle vague de douleur électrisa violemment ses muscles, éjectant la courtepointe qui glissa sur le sol. Délaissant le grabat tinté de rouge, ses mains écorchées s’étaient posées sur son ventre, cramponnant rudement le tissu malmené de sa robe au milieu des bandages écarlates. Rogue se pencha au-dessus de la jeune femme et, lui saisissant délicatement les avant-bras, les éloigna quelque peu de son corps, la contraignant doucement à lâcher prise. Figée dans la douleur, Annily n’opposa aucune résistance. Le professeur détailla les multiples contusions ancrées dans la chair de ses membres, avant de se pencher plus attentivement sur les déchirures du vêtement ; l’étoffe, entaillée de manière nette et précise, était lacérée par trois fois au niveau de l’abdomen sur toute la diagonale.

    - Un coup de griffes, songea-t-il aussitôt. Qui avez-vous rencontré cette nuit-là ? lui demanda-t-il gravement.

    - Je ne… sais pas… articula Annily avec difficulté.

    - Vous devez certainement avoir une idée quant à ce qui vous a infligé de telles blessures, rétorqua le professeur sans se départir de son calme. Etait-ce un loup, ou son homologue hybride ? s’agissait-il d’un animal démoniaque, une créature sanguinaire ? un vampire peut être ?

    - Pas… un vampire… ni un loup-garou… C’était une… une créature…

    - Mais encore ? insista-t-il. Dans votre situation, j’aurais tendance à déplorer cette parcimonie de détails…

    Annily ferma un instant les yeux, puis les rouvrit et inspira douloureusement.

    - Elle était… monstrueuse… et terrifiante… Elle m’a débusquée… et violemment attaquée… Je… je n’ai rien pu faire ! Ses membres étaient… pourvus de griffes… tranchantes… interminables… Je n’ai pas pu les éviter… je ne pouvais pas… je n’ai pas réussi à… à me défendre contre… ce monstre… ! Il… il ne cessait de lever… ses membres acérés… sur moi… Il me lacérait, il ne s’arrêtait pas ! Il voulait… il essayait de…

    Sa voix se brisa dans une lamentable quinte de toux. C’est à cet instant précis que Madame Pomfresh entra en trombe, suivie par Dumbledore, qui s’approcha vivement de Rogue.

    - Severus, que s’est-il passé ? Vous a-t-elle dit quelque chose ?

    - C’est précisément ce qu’elle s’apprêtait à développer. Mais avant que vous ne receviez ses révélations relatant sa passionnante virée forestière, vous devriez examiner les blessures qu’elle porte sur tout le corps. Certaines n’ont pas été provoquées par les buissons d’épines ; elles semblent assez graves.

    Rassemblant les bandages de fortune éparpillés sur le corps de la jeune femme, Madame Pomfresh s’empara d’une paire de ciseaux et entreprit de découper ce qui restait de la robe. Hoquetant de surprise, Annily tenta de s’opposer aux intentions de l’infirmière mais ne fit que récolter une entaille supplémentaire dans le creux de la paume. Dumbledore lui saisit aussitôt le poignet afin de lui épargner d’autres blessures. Ne pouvant retenir un gémissement de douleur, la jeune femme tenta de s’arracher à la poigne du vieil homme et commença à s’agiter violemment, accentuant les multiples saignements. Ce que voyant, Rogue lui saisit l’autre bras qu’il plaqua rudement contre le grabat, meurtrissant les chairs déjà endolories. Annily se débattit alors avec l’énergie du désespoir, terrifiée à l’idée d’être dévêtue de force puis exposée ainsi au regard de ces étrangers. Mais la puissante contrainte masculine qui lui était vigoureusement opposée eut raison de son organisme affaibli, annihilant rapidement sa résistance dérisoire. Vertement entravée par des poignes de fer, vaincue, blessée et effrayée, la jeune femme hurla de terreur à s’en briser la voix.

    - Par Merlin ! se fâcha l’infirmière. A-t-on idée de se mettre dans un état pareil ?! Jeune fille, je vous exhorte immédiatement au calme ou vous oblige de ce pas à ingurgiter une potion somnifère ! Professeurs, ajouta-t-elle d’un air sévère, et sans vouloir vous paraître discourtoise Albus, veuillez lâcher ses bras, je n’ai nullement besoin de votre aide pour prendre soin de mes patients ! Aussi je vous demanderai de vous retirer derrière ce paravent, le temps que je puisse apprêter décemment notre jeune invitée ; je comprends sa pudeur et ne souhaitais nullement la soumettre aussi abruptement au regard d’autrui.

    Observant avec attention la jeune femme en hyperventilation, les deux professeurs desserrèrent lentement leur étreinte, laissant une empreinte érubescente sur la peau blême. Soudainement allégée de ses entraves, Annily relâcha brutalement sa garde et ses dernières forces l’abandonnèrent simultanément, la plongeant dans un état de semi-conscience proche de l’évanouissement. Madame Pomfresh en profita pour lui retirer ses loques et ses sous-vêtements, qui ne valaient guère mieux que la robe. Parant au plus pressé, elle commença par désinfecter les plaies les plus sévères, s’efforçant d’enrayer les multiples hémorragies avec les moyens moldus du bord. Elle banda ensuite la poitrine de sa patiente et recouvrit son intimité d’une étoffe.

    Rogue et Dumbledore furent alors rappelés au chevet de la jeune femme afin de constater l’ampleur des dégâts. Les trois Sorciers se penchèrent au-dessus du corps meurtri d’Annily, observant en silence l’état de ses blessures. Un hématome violacé recouvrait la quasi-totalité de son front, marbrant l’une des tempes le long de laquelle sillonnait une plaie résultant d’un coup. Ses bras, ses jambes et le reste de son visage présentaient de nombreuses éraflures occasionnées par les ronces et les branchages, à l’instar de la plante de ses pieds, dont la peau entièrement ravagée laissait entrevoir de profondes coupures d’où suintaient du sang coagulé et de la terre. Son ventre en revanche dévoilait une tout autre atteinte lésionnelle ; un coup de griffes, d’une rare violence, avait ancré trois entailles sanglantes sur toute la longueur du corps, allant de l’épaule jusqu’au bassin en traversant l’abdomen dans sa diagonale. La gorge avait également été atteinte, ainsi que son avant-bras et l’une de ses cuisses. Les balafres les plus sévères entamaient la sangle musculaire abdominale, évitant de peu l’éventration.

    - Par Merlin ! répéta l’infirmière pour la troisième fois. Ces déchirures seraient-elles donc l’œuvre d’une créature des Ténèbres !?!

    - Oui, répondit Dumbledore, il n’y a aucun doute là-dessus. Severus, avez-vous une idée quant à l’identité de cette créature ?

    - Pas encore, Monsieur le Directeur. Quoique… A tout bien y songer, cette empreinte ressemble à s’y méprendre à celle dont la terrible bête a jadis décimé le peuple des Centaures, il y a de cela plusieurs siècles. Aucune autre espèce issue des Ténèbres ne possède à ma connaissance de tels appendices capables de générer des lésions semblables.

    - Je crains que vous ne soyez malheureusement dans le juste, admit le Directeur, pensif. Cette histoire demeure cependant tellement lointaine… comment pourrait-elle avoir un quelconque lien avec l’attaque de cette nuit…

    - Seriez-vous en train d’évoquer l’Ère Crépusculaire ? la Sombre Période qui a marqué la disparition de quasiment tous les Centaures, ainsi que de nombreux autres peuples ? demanda Madame Pomfresh tandis qu’elle bandait sommairement les plaies de la jeune femme. Je ne sais plus moi-même ce qui s’y est réellement passé. En quelle année est-ce arrivé, déjà ?

    - Cette période a été initiée en l’an 683, au travers d’un acte abominablement barbare et sanguinaire, répondit Dumbledore, se remémorant cette partie de l’Histoire qui avait marqué le Monde de la Magie. Une époque à jamais honnie et qui ancrera sa pierre mortuaire dans la mémoire des Centaures durant de nombreux siècles encore. Cette Ère pointa le déclin brutal de leurs ancêtres, qui furent en grande partie décimés, anéantis par une bête monstrueuse, une créature abominable issue tout droit des Ténèbres, et que nul ne parvenait à vaincre. La créature était à la recherche d’une chose que les Centaures détenaient. Farouchement résolue à l’obtenir, elle mit leur territoire à feu et à sang, plongeant le pays tout entier dans le chaos afin d’accomplir sa sinistre quête – en vain. Loyaux et fidèles envers leur parole donnée, les Centaures parvinrent à dissimuler et protéger ce que la bête convoitait si avidement. Ils accomplirent cette mission sacrée au détriment de la sécurité des leurs, y sacrifiant la postérité de leur communauté et mettant en péril la nation centaure lors de cet affrontement sanglant. Un petit nombre d’entre eux durent leur salut grâce à l’intervention providentielle d’un peuple voisin aujourd’hui disparu, les Elfes de Lynn. Pour parvenir à vaincre un tel monstre, sauvant de l’anéantissement les Centaures survivants qui luttaient vaillamment, ces Grands Êtres de la forêt utilisèrent leur Ultime Pouvoir contre la bête. Cet acte incommensurable plongea notre Monde dans les Ténèbres durant de nombreuses décennies, affaiblissant la flore sauvage des forêts du monde entier, condamnant ainsi bons nombres d’espèces. Des peuples mythiques dans leur intégralité virent à leur tour venir leur crépuscule. Quant aux Elfes de Lynn, l’utilisation d’une telle puissance magique engendra le déclin inéluctable de la quasi-totalité du peuple elfique, qui s’était délibérément sacrifié pour une raison que nous, Sorciers, ignorons encore aujourd’hui.

    Tandis que Dumbledore relatait succinctement le cours de cette effroyable – et d’autant plus inconcevable – histoire vieille de plus de mille trois cents ans, Annily avait recouvré ses esprits et happait quelques bribes d’information au milieu d’ondes de souffrance. La description de la bête correspondait parfaitement à la créature qui lui avait violemment fait face et infligé ces blessures. Malgré l’authenticité de l’existence du Monde Magique, elle ne parvenait toujours pas à croire qu’il pût exister un tel monstre dans les forêts d’Ecosse.

    - Je me souviens avoir eu un récit détaillé relatant cette terrible partie de l’Histoire de la Magie, lors d’un cours du professeur Binns, se remémora l’infirmière. Mais je reconnais ne pas m’être montrée très assidue, et de ce fait, ne pas y avoir retenu grand-chose… Il faut dire que cette leçon d’histoire date de quelques dizaines d’années, et avouer qu’elle était aussi passionnante que l’étude du cycle reproducteur d’une arapède sur son rocher. J’ai cependant retenu l’essentiel, à savoir les causes de la régression démographique de nos voisins centaures, et la disparition simultanée de tout un peuple mythique, les légendaires Elfes sylvains. La Sombre Période représente le plus grand trou noir de l’Histoire, corrélant l’état de notre Monde figé dans les Ténèbres, le déclin de nombreuses espèces magiques éphémères, trop fragiles pour survivre sans lumière, et l’amnésie humaine générale la plus « contagieuse » jamais répertoriée – les Sorciers de l’époque avaient eu fort à faire en usant du sort d’Oubliettes sur un si grand nombre…

    - L’Ère Crépusculaire avait effectivement absorbé la moindre particule de lumière, renchérit Dumbledore, tandis qu’une nuit sans fin s’était abattue sur notre Monde, envahissant l’atmosphère à l’instar d’un feu noir sur une trainée de poudre. L’Humanité avait alors connu la plus sombre période de son Histoire, de même que toutes les espèces vivant sur cette planète. Puis la lumière est réapparue et la vie telle que nous la connaissons a fini par reprendre son cours. Grâce à l’intervention de la brigade sorcière de l’époque, les Moldus ont complètement et définitivement oublié cette terrible période. Mais le Monde Magique avait subi de lourdes pertes ; la paix avait un prix et il avait été chèrement payé… A l’instar du peuple salvateur, la créature avait été réduite à néant – du moins c’est ce que tous pensaient –, laissant derrière elle des ravages effroyables et irréversibles sur une échelle quasi mondiale. Les Centaures survivants se sont réfugiés dans la Forêt Interdite, scellant à jamais des secrets d’époque intentionnellement dissimulés au monde. C’est pourquoi nul n’a jamais découvert les sombres desseins ayant conduit la créature à perpétrer une destruction d’une telle ampleur. Nous savons uniquement que la bête obéissait à une démone extrêmement puissante, une Elfe cruelle et tyrannique dont nous ne connaissons finalement pas grand-chose, hormis son goût prononcé pour le pouvoir et ses tendances sanguinaires – des points somme toute semblables aux traits de caractère de Lord Voldemort –, et qui semblait avoir trépassé en même temps que sa créature. Le peuple Centaure se refuse encore aujourd’hui à évoquer cette terrible fraction de son histoire.

    - La puissance de cette démone surpassait-elle donc celle de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom ?

    - C’est fort possible, répondit-il. Je serais presque à même de penser que si cette créature a réitéré ses actes et méfaits cette nuit, obscurément extraite de sa tombe séculaire, sa commanditaire a également refait surface ! Ce qui nous plonge dans une situation aussi cataclysmique et déroutante que si Voldemort lui-même venait soudainement à ressusciter ! Aussi nous devons nous tenir sur nos gardes, et avertir dès à présent tous les professeurs, afin qu’ils entreprennent quelques recherches supplémentaires dans la Forêt et renforcent la sécurité dans l’enceinte de l’Ecole. Nous devons absolument savoir si une présence nouvelle, puissante et hostile a été décelée dans les environs ces derniers jours – corroborant ainsi les craintes du peuple Centaure.

    Madame Pomfresh invoqua aussitôt son Patronus qui, investi des paroles de Dumbledore, partit délivrer son message aux quatre coins du Château.

    - Severus, ajouta son ainé en se tournant vers le Maître des Potions figé dans la réflexion. Pensez-vous affirmer sans le moindre doute que cette terrible créature soit celle qui ait attaqué Annily ?

    - Je ne peux que sérieusement le conjecturer. Et bien que nous ne puissions pas encore affirmer un fait aussi grave, c’est une éventualité que nous ne pouvons écarter. Nous savons que cette créature ancestrale était pourvue de griffes meurtrières, d’une longueur redoutablement démesurée, aussi puissantes et destructrices que des dizaines de lames lacérant la chair. Leurs caractéristiques fort peu communes résidaient dans l’alliage de matières mi-métalliques mi-organiques capables de pourfendre l’ennemi en une fraction de seconde – même les plus redoutables monstres de nos forêts ne portent pas de tels ergots. Et cette fille semble aujourd’hui en arborer les marques sur tout le corps. Le fait unique qu’un Centaure – celui nommé Firenze – ait pu admettre la présence inquiétante d’une créature rôdant depuis plusieurs jours sur leur territoire, semble effectivement corroborer nos craintes. Sa terreur difficilement contenue, corrélée à une agitation grandissante générée depuis plusieurs jours dans la Forêt, me laissent à penser qu’il pourrait bien s’agir de cette même abomination responsable du massacre de leur peuple, comme il me l’a lui-même laissé entendre. Durant notre brève entrevue, j’ai également appris – avec une étrange facilité – ce que la créature convoitait à l’époque ; il se serait agi de sang de Licorne…

    - Du sang de Licorne ? répéta Dumbledore, perplexe. Êtes-vous certain de la véracité de cette information ?

    - Ce sont les faits tels que l’Hybride me les a énoncés. Bien évidemment, ces dernières révélations sont un mensonge. Aucun Centaure, pas même ce Firenze, ne confessera l’enjeu réel de cette guerre à nous, Sorciers.

    - Je crains que ce ne soit d’autant plus justifié, étant donné la non-implication volontaire de nos ancêtres dans ce conflit… admit Dumbledore.

    - Êtes-vous en train de dire, Albus, que les Sorciers de l’époque ont fui une guerre qui menaçait gravement la survie de nos peuples voisins ?? s’offusqua l’infirmière, scandalisée. Se sentaient-ils donc si peu concernés par l’avenir magique du Monde ?

    - Je comprends votre étonnement Pompom. Disons qu’ils avaient fait le choix difficile de s’exclure du conflit, après un accord tacite avec les Elfes. Je me réserve le soin de vous en expliquer les raisons une fois prochaine. Severus, auriez-vous une idée, une intuition, une simple suggestion peut-être, nous permettant d’entrevoir ce que la créature recherchait à l’époque de l’Ère Crépusculaire ? un indice, aussi minime soit-il, légitimerait peut-être une quelconque corrélation entre ces deux affaires, nous orientant ainsi vers les raisons de sa récente attaque – en supposant qu’il s’agisse bien de la même présence démoniaque.

    - Non, pas la moindre. Je reconnais en revanche demeurer plutôt sceptique quant à l’issue de l’affrontement de cette nuit. Je suis en effet fort étonné de constater que l’ultime proie de la bête n’a pas succombé cette nuit dernière dans la Forêt, alors qu’elle n’avait pas la moindre chance de survivre à une telle rencontre…

    - Je suppose qu’elle voulait capturer Annily vivante, peu importe l’état de sa victime… suggéra Dumbledore. A moins qu’elle n’ait tenté d’accéder à une partie de son corps…

    - A quoi pensez-vous Albus ?

    - Son sang. Ou ses capacités mentales, dont nous ne pouvons plus nier l’hypothétique implication latente… Ce qui fait de notre hôte une personne d’autant plus importante et dont la responsabilité primordiale et absolue nous incombe dès à présent.

    - Pourquoi vous obstiner ainsi Albus ? rétorqua Rogue assez sèchement. Pourquoi vous encombrer d’un tel fardeau, alors que vous avez déjà tant de responsabilités tout aussi éminentes, si ce n’est davantage ? Il n’incombe pas toujours au plus puissant Sorcier de Hogwarts et du Magenmagot, de régenter les moindres situations dramatiquement défectueuses. Laissez-donc ce travail aux autorités compétentes affiliées à la gestion des crises de ce genre.

    - Je ne peux que rejoindre Severus sur ce point, renchérit Madame Pomfresh avec sérieux. Si cette invraisemblable situation telle que nous la conjecturons est réellement sur le point de se produire, les terribles conséquences qui en découleront risquent fort de surpasser l’ensemble de nos compétences magiques, quand bien même nous cumulerions les plus grands pouvoirs du pays… Nous devons faire appel aux plus grandes instances magiques avant que cette histoire dépasse nos aptitudes et notre entendement, mettant en péril la vie de nos jeunes élèves.

    - Non, réfuta catégoriquement Dumbledore. Je me refuse temporairement à mêler quiconque à cette histoire. Annily n’est pas arrivée à Hogwarts par hasard, j’en suis intimement convaincu ; elle a été envoyée parmi nous dans un but précis que je me chargerai personnellement de découvrir. Nous reparlerons de tout ceci dans mon bureau ; je vous y convie tous deux, ainsi que Filius, Alastor et Minerva, aussitôt après le diner. Notre priorité est d’apporter au plus vite les soins appropriés à Annily, qui doit endurer une très grande souffrance et dont la vie est menacée. Je crains que son pronostic vital ne soit incessamment engagé si nous tardons davantage à trouver une solution de soins efficace. Face à notre incompétence médicale pour le moins exceptionnelle, je ne vois qu’une seule personne susceptible de corréler connaissances moldues et dommages démoniaques : le professeur Nightingale. En tant qu’enseignant de la Vie des Moldus, excellant dans leurs pratiques, leurs cultures et leurs sciences, lui seul pourra nous apporter l’aide et le savoir moldus dont nous aurons besoin pour guérir convenablement de telles blessures.

    Après un dernier regard chagriné et sincèrement inquiet pour Annily, Dumbledore partit retrouver ce professeur sensiblement compétent en matière de pratiques thérapeutiques moldues, laissant la jeune fugitive traumatisée et blessée aux bons soins de ses collègues.

    Madame Pomfresh venait de terminer la désinfection et le bandage pour le moins sommaires des plaies les plus graves, retardant ainsi l’inévitable sans pour autant soulager la souffrance profonde de la jeune femme. C’était malheureusement à peu près tout ce qu’il lui était non magiquement possible d’accomplir. Bien qu’elle se sentît tristement impuissante et profondément démunie sans potion ni baguette face à la douleur et la détresse de sa patiente, elle murait son désarroi derrière le masque du professionnel de santé qui conserve son calme en toutes circonstances. Ces soins primaires étaient malheureusement loin d’être suffisants. Constatant avec dépit que les premiers pansements étaient déjà imbibés de sang, l’infirmière repartit en maugréant vers sa réserve, refusant de capituler tant que sa patiente n’était pas hors de danger, même si pour cela elle devait employer l’intégralité des linges disponibles de l’infirmerie.

    Rogue demeura seul auprès de sa patiente, observant sans émotion apparente le liquide vital imprégner les bandages tandis que la respiration difficile de la jeune femme se faisait de plus en plus sibilante. Enferrée dans sa souffrance, Annily gardait les yeux mi-clos, sa poitrine se soulevant avec difficulté, des vagues de douleur déferlant dans son corps supplicié à chaque inspiration. Ne pouvant retenir un gémissement, elle tenta une nouvelle fois de couvrir les plaies de ses mains dans l’espoir – vain et démesuré – d’appréhender la douleur, avivant de surcroit les saignements. Rogue lui saisit alors les poignets et lui maintint fermement les bras le long du corps, passablement agacé.

    - Ne touchez pas vos blessures, Mademoiselle ! intima-t-il dans un murmure. Vous risqueriez de les aggraver.

    - Qu’est-ce que… ça… peut… vous faire ?! rétorqua-t-elle avec souffrance.

    Rogue ne répondit pas. Il la toisa longuement avant de relâcher la pression sur les bras, le visage indéchiffrable. Se détournant finalement du lit occupé, il avisa une bassine qui progressait lentement dans leur direction par la voie des airs, tandis que Madame Pomfresh s’activait à réunir tout un nécessaire de bandages et compresses. Le récipient se posa avec précaution sur une petite table à proximité, sans avoir versé une seule goutte de son contenu. Se penchant de nouveau au-dessus de sa patiente, Rogue commença par retirer un à un les pansements suintants qui lui ceinturaient l’abdomen. S’emparant ensuite d’un linge qui trempait dans une solution brunâtre – qu’il reconnut comme étant un produit iodé désinfectant, parfaitement désuet chez les Sorciers –, il l’essora d’un geste et entreprit de nettoyer délicatement les entailles sanguinolentes, qui mutilaient cruellement le ventre et les membres de la jeune femme. Annily le laissa faire ; le produit la soulageait.

Elle ferma les yeux…

Elle sentait la main de Rogue appliquer doucement l’étoffe humide dans le creux de son cou, abordant délicatement les plaies profondes de sa gorge.

Elle percevait le linge suave se presser contre son épaule, puis glisser le long de son bras dans un effleurement qui adoucissait légèrement son mal.

Ses pensées tourbillonnèrent un instant, son esprit immergea dans le brouillard de l’imaginaire, envoûté par une bienheureuse torpeur. Le liquide était frais, apaisant. Elle perçut vaguement la main de l’homme se poser sur son front, sa joue. Pourquoi montrait-il soudain tant de bienveillance ? Que signifiaient ces attentions subites et troublantes à son égard ? Annily renonça bientôt à comprendre ; enivrée par l’arôme suave qui émanait du produit brun, apaisée et engourdie par la caresse du linge tiède qui cheminait avec délicatesse le long de son corps endolori, la jeune femme laissa lentement glisser son esprit vagabond dans les abysses de l’inconscience.

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