Le cycle de la lune bleue

Chapitre 14 : La circonspection du Centaure

4774 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 28/01/2024 22:38

    Le soleil entamait sa lente ascension, émergeant de derrière la cime des arbres tel un disque safran dans un champ d’ivraie, lorsque les professeurs se regroupèrent à leur point de départ, fatigués et l’œil morne. Ils avaient patrouillé toute la nuit, fouillé bon nombre de recoins funestes de la Forêt, en vain. Pas la moindre trace de la jeune fille en fuite ! Emmitouflés dans leur longue cape imbibée de gouttes de rosée, la mine déconfite, les professeurs reprirent en silence le chemin du Château, échangeant de temps à autre un regard désappointé ou maussade. Dumbledore, rentré quelques instants plus tôt pour s’entretenir avec la professeure McGonagall, se précipita à leur rencontre.

    - Je ne puis que constater l’insuccès de cette reconnaissance nocturne… nota le Directeur comme s’il s’agissait d’une banale conclusion analytique. L’absence de notre jeune invitée au sein de votre groupe de recherche présage assurément une investigation méticuleuse et intensive, incessamment étendue à l’ensemble du pays dans la plus scrupuleuse des circonspections, ajouta-t-il le plus naturellement du monde. Auriez-vous néanmoins récolté un quelconque indice qui rendrait compte de son passage et engagerait la direction à suivre ?

    - Rien ! enragea Maugrey. Absolument RIEN ! Pas la moindre trace de cette gamine !

    - Nous sommes pourtant allés jusqu’au repère d’Aragog, ajouta Hagrid, faisant référence à une araignée gigantesque qu’il avait recueillie et soignée dans sa jeunesse. Lui et ses filles n’ont vu ni mangé aucun humain cette nuit…

    - Les Centaures eux-mêmes n’ont pas aperçu l’ombre d’une jeune femme, renchérit Flitwick, qui s’était joint au groupe de cette exploration nocturne. A la demande insistante de leur ami Hagrid, ils ont accepté de parcourir l’ensemble de leur territoire ; deux d’entre eux ont mené leur quête jusqu’aux frontières du Vallon des Munschkeen…

    - Par Merlin ! interrompit McGonagall, horrifiée. Pensez-vous qu’elle ait pu avoir l’imprudence de s’aventurer aux abords de cet endroit scabreux ? Les Munschkeen sont réputés pour ne laisser aucune chance aux Sorciers ou Moldus égarés qui ont eu l’audace de franchir leurs frontières ! Ils les lacèrent et les déchiquètent avec cruauté, puis les dévorent pour n’en laisser que les cheveux et les ongles…

    - Rassurez-vous Minerva, intervint calmement Dumbledore. Le Vallon des Munschkeen est bien trop éloigné de Hogwarts pour permettre à Annily de l’atteindre en une seule nuit d’une marche épuisante et hasardeuse. Il est plus probable qu’elle ait réussi à trouver un abri pour n’en plus bouger, attendant que le jour se lève…

    - Vous semblez délibérément négliger une tout autre option, avança soudain Rogue qui, jusque-là, n’avait pas prononcé un seul mot. La Forêt Interdite regorge de portes sur le Monde des Ténèbres. Outre les sombres créatures qui la peuplent depuis les millénaires, vous n’êtes pas sans admettre la possibilité de regroupements des Forces du Mal au-delà de nos frontières. Vous ne pouvez donc sous-estimer l’hypothèse avisée que cette fille, retranchée derrière ce masque dégoulinant d’innocence et de candeur, ait pu insidieusement orienter sa fuite vers un groupe de Mangemorts qui patientaient dans les profondeurs de la Forêt !

    - Je vois mal notre jeune invitée, pieds nus qui plus est, s’enfoncer si loin dans les bois en si peu de temps, durant une nuit d’encre, sans carte ni lanterne pour s’orienter et sans s’accorder le moindre repos.

    - Nos vaines recherches prouvent pourtant qu’elle n’est plus dans la zone forestière de l’Ecole. Au-delà de ces frontières, le Mal rôde partout, et les possibilités des Ténèbres sont infinies. Êtes-vous toujours aussi convaincus de l’intégrité de cette fille, Albus ? Est-il donc si inconcevable d’envisager le fait qu’elle ait tout simplement pu trouver un moyen de transplaner hors de cette partie sécurisée la Forêt pour regagner ses pairs ?

    - Voyons Severus, répondit McGonagall surprise, vous savez pertinemment qu’il est impossible de transplaner dans l’enceinte de Hogwarts – et la partie attenante de la Forêt Interdite en fait partie. Dumbledore s’en est chargé personnellement.

    - Justement, souligna-il de sa voix doucereuse, vous semblez oublier le fait que les sortilèges n’ont aucun impact sur cette fille ; il était donc aisé pour elle de contourner celui-ci, aussi puissant soit-il. Le fait que nous ayons perdu toute trace d’elle dans ce périmètre de sécurité nous oblige à reconnaître le fait qu’elle ait pu utiliser un sort – certainement de la Magie Noire – pour se volatiliser.

    - Mais je croyais Annily incapable de pratiquer une quelconque magie ? intervint Flitwick.

    - Quant à ceci, répliqua sèchement Rogue, nous ne pouvons pas encore l’affirmer.

    - Allons chers collègues, tempéra Dumbledore, il n’est plus temps de débattre sur cette affaire de Magie et cette étrange immunité. De toute évidence, et sans que je ne puisse y apporter une quelconque explication, Annily ne se trouve plus dans la zone boisée attenante à Hogwarts et sous couvert de nos défenses magiques.

    - S’aventurer dans l’autre partie de la Forêt Interdite, hors des limites de Hogwarts, n’est pas sans réel danger Albus, souligna McGonagall avec sérieux. D’autant plus que le périmètre à couvrir est immense ! En admettant qu’elle n’ait pu transplaner, comment savoir dans quelle direction elle s’est dirigée ? Chaque heure qui passe amoindrit nos chances de pouvoir la retrouver.

    Les Sorciers étaient parvenus jusqu’à l’entrée du Château, dont les résidents sortaient un à un de leur sommeil paisible, insouciants des événements de cette nuit.

    - Nous poursuivrons nos recherches après nous être accordé quelques heures de repos, se résolut Dumbledore. Annily a certainement trouvé le moyen de s’abriter pour le reste de la nuit, réduisant ainsi nos capacités de repérage. Elle doit impérativement quitter son refuge et se remettre en marche si nous voulons pouvoir appréhender les traces de son passage. Malheureusement, si nous ne la retrouvons pas avant ce soir, je me verrai une fois de plus contraint de faire appel au Ministère de la Magie. Je ne pourrai taire ces derniers événements plus longtemps.

    - Je vous croyais fermement opposé à mêler le Ministère à cette histoire, s’étonna McGonagall, et sur ce point je partageais votre décision. Auriez-vous donc changé d’avis ?

    - Je pense toujours qu’il est inutile de mettre le Ministre de la Magie en personne dans la confidence. Je songeais seulement à avertir l’Auror Guilighan Hawk ainsi que quelques-uns de ses collègues de confiance afin de renforcer la sphère de recherche ; leur haute expérience professionnelle doublée de dispositifs magiques renforcés nous permettraient d’optimiser nos chances de réussite dans les plus brefs délais. Il serait davantage avisé de les intégrer de manière définitive dans la gestion de toute cette affaire.

    - Sur ce point je suis d’accord, renchérit Maugrey. Une fois les agents spéciaux du Ministère sur le coup, ils seront plus à même d’enclencher une procédure nationale dans la plus stricte confidentialité afin de poursuivre les investigations au-delà de l’enceinte de l’Ecole.

    - D’autant plus que j’ignore si les Centaures accepteraient d’entamer une nouvelle exploration pour nous, ajouta Hagrid en se grattant le poil. Même si je le leur demande le plus gentiment du monde, ils seraient capables de se cabrer et m’envoyer des mottes de terre en me tournant le dos ! Si nous devons avoir recours à une aide extérieure, ce ne sera pas celle des créatures de la Forêt.

    - C’est donc entendu, conclut Dumbledore. Guilighan Hawk sera associé à notre quête d’ici quelques heures. Merci à vous, termina-t-il d’un air las, d’avoir consacré votre nuit entière à la recherche d’Annily. Je pense qu’il est temps chacun de vous de prendre un peu de repos. Minerva se chargera d’annuler vos cours de la matinée.

    Les professeurs acquiescèrent et reprirent lentement la direction de leurs appartements respectifs. Hagrid rejoignit sa cabane bâtie non loin de l’entrée de la Forêt Interdite, suivi de son fidèle Crockdur. Seul Rogue demeurait statique dans la pâle lueur du soleil levant, les bras croisés, le regard braqué vers les premiers arbres de la Forêt.

    - Vous aussi Severus, insista doucement Dumbledore, vous devriez rentrer chez vous. Il n’y a plus rien que vous puissiez faire pour le moment. Nous devrons patienter quelques heures avant d‘entreprendre de nouvelles recherches.

    - Je regrette Albus, répondit sèchement Rogue, mais je me reposerai plus tard. Il me reste encore une petite chose à faire, et cela concerne Hagrid.

    - Très bien Severus, obtempéra le vieux Sorcier, nullement vexé par le ton habituellement austère du Maître des Potions. Ainsi je vous laisse à vos occupations, j’ai moi-même diverses dispositions à prendre…

    Rogue observa un court instant le Directeur s’éloigner, les bras croisés, puis il tourna les talons et se dirigea d’un pas vif vers la cabane de Hagrid, sa longue cape noire fouettant l’air matinal dans de petits claquements secs. Hagrid se montra à la porte dès que Rogue eut frappé.

    - Professeur Rogue, s’étonna le Demi-Géant derrière son imposante barbe noire. Que faites-vous encore ici ? Vous devriez aller dormir un peu…

    - Plusieurs de vos Centaures ont perçu quelque-chose d’inhabituel dans la Forêt, coupa le Maître des Potions sans préambule. Je ne sais pas encore de quoi il retourne, cependant je ne pense pas me méprendre en présumant que ces semi-équidés détiennent des informations pouvant être en lien avec la disparition de notre fugitive. Aussi j’aurais besoin de votre… obligeance, afin de requérir les quelques Centaures ayant participé aux recherches. Il me faut de toute urgence m’entretenir avec l’un d’eux.

    - Certainement professeur, répondit Hagrid en enfilant son immense manteau. Je vais de ce pas chercher Firenze ; lui seul acceptera de vous parler. Vous savez que ses congénères sont fort peu enclins à engager la discussion avec les Sorciers – mis à part moi – et encore moins à apporter des réponses à leurs interrogations, surtout depuis que…

    - Je me passerai de vos commentaires au sujet de cette affaire, coupa sèchement Rogue. Contentez-vous de m’amener ce Centaure.

    - Bien professeur, répondit Hagrid, qui ne s’offusquait jamais du ton revêche de son collègue. Je pars à sa recherche. A cette heure-ci, il doit probablement traîner du côté du Cercle des Ghombrosiers, en quête de graines d’Ankara ou de crins de Licorne…

    Rogue ne l’écoutait déjà plus et avait enfoui son regard parmi les troncs, perdu dans ses propres réflexions.

 

    Faisant les cent pas devant les premiers arbres, le front plissé, les lèvres serrées, Rogue attendait le retour de Hagrid avec une impatience à peine dissimulée. Les Centaures, que le garde-chasse était parti chercher, semblaient avoir d’importantes informations à divulguer, il en était intimement convaincu. Lors de son investigation dans la Forêt, le professeur avait surpris des échanges fugaces concernant la présence d’une créature qui rôdait depuis plusieurs jours sur leurs terres, générant parmi eux une inquiétude si vive qu’elle paraissait avoisiner la terreur – un trouble bien singulier chez ces êtres mythiques. Mais, trop pressé pour prêter une quelconque attention à leurs propos, Rogue avait poursuivi sa route. Il avait plus tard réalisé la corrélation entre la manifestation soudaine de la créature et l’apparition énigmatique d’Annily dans leur Monde. Le professeur espérait bien en apprendre davantage afin d’établir un lien entre ces deux faits – aussi infime fut-il.

    Indubitablement renommé pour sa patience légendaire des plus limitée, le Maître des Potions rongeait son frein depuis vingt bonnes minutes, lorsqu’il fut brusquement tiré de sa fulmination intérieure par un hurlement d’effroi qui venait de briser le silence de l’aube. Rogue darda aussitôt un regard acéré vers la Forêt, sa baguette magique dégainée en une fraction de seconde. Tous ses sens aux aguets, il percevait de plus en plus distinctement le craquement de brindilles piétinées et le bruissement désordonné du feuillage épineux que l’on écartait à la hâte. Le professeur fit face au mur végétal et engloutit en un battement de cape les quelques mètres qui le distançaient des premiers arbres ; ses yeux s’étaient réduits en deux fentes étroites et ses lèvres fines et pâles s’entrouvraient déjà pour lancer un sortilège offensif. L’extrémité de sa baguette étincela imperceptiblement, mais ce qu’il vit sortir des bois l’empêcha de faire le moindre geste. Le visage et les mains ensanglantés, les pieds nus et la robe en lambeaux, Annily émergea d’entre les troncs en titubant, les traits empreints de terreur. Relevant son visage tuméfié vers les tourelles du Château, elle rassembla ses dernières forces et amorça une ruée laborieuse dans la direction de l’édifice, sans apercevoir le professeur qui la considérait, interdit. Rogue se ressaisit promptement et pointa de nouveau sa baguette sur la jeune femme en vue d’une offensive. Comme prise d’une soudaine lucidité, Annily stoppa net sa progression et, levant des yeux effarés sur le Sorcier, sembla hésiter à poursuivre sa course effrénée dont le professeur entravait le passage ; mais un regard terrifié par-dessus son épaule lui fit bientôt reprendre sa ruée chaotique vers le Château. Surpris, Rogue eut tout juste le temps de réagir lorsqu’Annily, tentant d’éviter l’homme qui lui faisait face, trébucha contre une pierre et percuta lourdement le torse du professeur. Le professeur lui agrippa le bras tandis qu’elle vacillait dangereusement, ses dernières forces pulvérisées sous l’impact.

    - Que vous est-il arrivé ?! aboya-t-il en la tournant rudement face à lui et lui enserrant le bras à la faire crier.

    La respiration saccadée et tremblant de tous ses membres, Annily écarquillait les yeux sans toutefois chercher à se soustraire à cette poigne de fer. Son regard ricochait sans discontinuer de l’orée des bois au visage blême du professeur, une terreur grandissante imprégnant chaque fibre de son être.

    - Je… vous en… supplie, l’implora-t-elle d’une voix entrecoupée de sanglots. Ils arrivent… Ils sont juste… derrière moi !... Ils… veulent…

    Mais Annily ne termina pas sa phrase ; elle fut soudain prise d’un spasme incontrôlable, si violent que ses jambes se dérobèrent. Son corps basculant en arrière, elle aurait rudement percuté le sol si Rogue n’avait promptement réagi en empoignant les lambeaux de sa robe. Sentant le tissu se déchirer davantage, il ceintura fermement la jeune femme et l’accula contre lui, rétablissant son équilibre. D’un geste ample, il l’enveloppa dans l’ombre de sa cape et la plaça derrière lui, la masquant aux yeux de l’ennemi hypothétique qui se rapprochait ; de son autre main, il leva sa baguette sur l’orée de la Forêt redevenue silencieuse, prêt à affronter l’ennemi. Mais les sous-bois semblaient avoir retrouvé leur calme ; rien ne paraissait vouloir surgir de derrière les premiers bocages. Pourtant Rogue demeurait sur ses gardes, dissimulant Annily tout entière sous l’étoffe noire et la réchauffant de son corps. Il sentait les sanglots et les tremblements douloureux de la jeune femme s’amenuiser progressivement, bien que péniblement, figeant son être dans un état de torpeur au souffle rauque et irrégulier. Un gémissement lui échappait parfois, et sa main, dans un geste désespéré, s’était convulsivement crispée sur la robe de Sorcier du professeur.

    C’est à cet instant qu’Hagrid réapparut dans son champ de vision, accompagné de Firenze, l’unique Centaure qui avait accepté de le suivre jusqu’ici.

    - Ah professeur, dit le Demi-Géant, qui n’avait pas encore remarqué Annily dissimulée sous l’étoffe. Pardon d’avoir été si long, les Centaures sillonnaient la Forêt à l’opposé du lieu où je pensais les trouver…J’ai dû suivre leurs traces, avec l’aide de Crockdur – il a un sacré bon flair, ce chien ! – pendant une bonne demi-heure…

    Rogue réprima un geste d’impatience face au bavardage incessant du garde-chasse. Il fixait intensément le jeune Centaure, qui le toisait froidement en retour.

    - Professeur Rogue, poursuivit Hagrid, voici Firenze ; mais vous vous êtes déjà croisés je crois…

    - En effet, répondit brièvement Rogue.

    Sans plus de formalités, le Maître des Potions entra dans le vif du sujet :

    - Quelle est cette créature qui rôde dans la Forêt, générant une telle défiance parmi vos semblables ?

    Davantage surpris par la hardiesse de la question que par le ton acerbe du professeur, le Centaure hésita à répondre ; ces êtres mythiques demeuraient toujours foncièrement pudiques vis-à-vis des chroniques de leur vaste territoire sylvestre, dont ils conservaient précieusement les moindres secrets. A cela s’ajoutait leur réticence légendaire à apporter leur aide aux humains – qu’ils fussent ou non investis de l’essence magique. Mais par amitié pour Hagrid, le Centaure consentit finalement à répondre :

    - Il s’agit d’une créature redoutable, coupable de ravages meurtriers au-delà de toute description. Il y a de cela plusieurs siècles, elle a attaqué la tribu des Centaures qui vivaient par-delà les Monts d’Argas, entrainant mon peuple dans une lutte sanglante et exterminatrice.

    - Je connais l’histoire de vos semblables, répondit Rogue avec indifférence. Nous ignorons cependant les raisons d’une telle offensive ; il serait souhaitable de songer à combler cette lacune.

    Loin de s’offusquer du flegme imperturbable du professeur, le Centaure accepta de dévoiler cette information ignorée des Sorciers.

    - Son ambition destructrice visait à puiser le fluide vital et noble des Licorne qui vivaient libres parmi nous, afin de satisfaire les desseins cruels de son Maître, lui offrant ainsi l’Immortalité mais aussi la Malédiction de cet acte impardonnable. Cette créature maudite a finalement été terrassée, et nul n’a jamais plus entendu parler d’elle.

    - De toute évidence, sa disparition ne semble pas unanimement définitive, ironisa cyniquement Rogue. Savez-vous qui la commandait ?

    - Nous l’ignorons, répondit le Centaure.

    - Ben, intervint Hagrid, c’est peut-être… heu… un des descendants de Salazar Serpentard, quelqu’un comme Vous-Savez-Qui…

    - Non, infirma Rogue dans un murmure. Les Sorciers de guerre ne s’encombrent pas de ce genre de créature. Quant à vous, ajouta-t-il rudement en se tournant vers Firenze, l’omission volontaire de ce que vous affirmez ignorer m’oblige à considérer la présence de cette créature comme intimement corrélée avec ce qui nous concerne. La révélation de ce que vous dissimulez adviendra en son temps, je m’en porte garant. Vous et vos semblables serez amenés à recroiser ma route ; je vous accorde néanmoins un semblant de répit : Annily a été retrouvée, je dois de suite la mener auprès de Dumbledore.

    Sur ses mots, Rogue écarta sa cape, dévoilant la jeune femme sous les yeux ébahis de Hagrid. Pâle comme un cadavre, le corps infiltré de frémissements, Annily paraissait se trouver aux portes du Purgatoire après avoir traversé un lac de pointes acérées, attendant son jugement. La crinière étrangement figée dans la brise matinale, Firenze fixa intensément la jeune femme, une expression indescriptible sur son visage. Rogue le remarqua aussitôt, mais n’eut pas le temps d’émettre la moindre remarque, car le Centaure fit soudain volte-face et s’enfuit à travers la Forêt dans un bruit de galop effréné. Hagrid suivit des yeux la dérobade subite de son ami, ne comprenant rien à ce qui se passait.

    - Je ne sais pas qu’elle mouche l’a piqué, dit-il en se grattant la barbe hirsute. Hem… J’espère que ces premières informations vous suffiront, professeur, car je ne crois pas pouvoir le ramener aussi facilement cette fois. Mais ce qui compte, c’est que vous ayez retrouvé la jeune fille. Elle a l’air bien mal en point, ajouta-t-il en se rapprochant.

    - Une nuit entière dans la Forêt Interdite a certainement dû influer sur les ravages pathétiques de sa miséreuse apparence, suggéra Rogue d’un ton sarcastique tandis qu’il se dégageait, laissant Annily glisser doucement vers le sol.

    - Sa robe est entièrement déchirée et trempée, insista le garde-chasse, constatant l’ampleur des dégâts avec plus d’attention. Elle ne serait quand même pas tombée dans l’un des torrents qui sillonnent les limites du repère d’Aragog… ?!

    Assise dans l’herbe au milieu d’un tas d’étoffes suintantes, la respiration saccadée et le corps compressé dans un étau de souffrance, Annily reprenait douloureusement ses esprits, sans vraiment prêter attention à la discussion des deux Sorciers juste au-dessus de sa funeste posture. Rogue baissa les yeux vers la jeune femme et nota aussitôt la formation de multiples tâches carmin qui se répandaient lentement sur le sol, auréolant l’ombre de sa frêle silhouette, la teinte vermeille contrastant sur l’herbe verte.

    - Ce n’est pas l’eau qui a ainsi imprégné sa robe, déclara-t-il aussitôt. C’est du sang.

    Se penchant aussitôt sur Annily encore hagarde, il lui saisit délicatement les mains puis examina son visage ; ils étaient couverts de sang. De même que pour ses bras et ses jambes, les parcelles de sa peau visibles au travers des lacérations de sa robe révélaient des entailles ensanglantées plus ou moins profondes. Annily souffrait en silence, et des larmes coulaient doucement le long de ses joues mutilées.

    - Par Merlin et par ma barbe ! s’exclama Hagrid. Qui donc a pu la mettre dans un état pareil ?

    - Ce n’est pas à moi qu’il faut le demander, répondit Rogue, mais à elle. Je doute toutefois qu’elle soit présentement en état de le faire. Allez prévenir le professeur Dumbledore du retour inopiné de cette fugitive, ainsi que de la situation pitoyable dans laquelle elle se trouve du fait de son incroyable stupidité. Veillez également à ce que tous les élèves aient rejoint leur salle d’étude respective, je ne veux pas en voir un seul errer dans les couloirs. Au vu des blessures sérieuses que j’entrevois, j’emmène immédiatement cette fille à l’infirmerie auprès de Madame Pomfresh, aussi je ne saurais tolérer la seule éventualité de croiser quiconque ignorant sa présence ici.

    - Bien professeur, je vais de ce pas avertir Monsieur le Directeur et m’assurer que personne ne vous voie rentrer, acquiesça le demi-Géant en prenant d’un bon pas le chemin du Château.

    Bien qu’assez mal en point, Annily avait relevé la tête vers le Maître des Potions, observant ce visage au teint cireux dénué de toute expression. Elle ne comprenait pas comment, dans une situation aussi critique, elle pouvait encore s’attirer de telles paroles, cruelles, indolentes, sans la moindre once de compassion.

    - Vous êtes… abject… souffla-t-elle avec amertume. Laissez… moi…

    Tel un aigle amorçant une descente dangereusement ciblée vers sa proie, Rogue s’accroupit lentement face à la jeune femme, implantant un regard de braise dans les prunelles voilées de souffrance.

    - Vous n’êtes pas en position pour discuter, il me semble, trancha-t-il dans un murmure. Il serait grandement avisé de votre part, d’ignorer le crétinisme qui vous bâillonne l’intellect et corrompt votre esprit déjà fortement diminué, afin d’orienter votre soudaine témérité vers la résignation de votre condition inhérente à notre volonté. Aussi je vous conseille de me suivre bien sagement, si vous ne voulez pas vous vider entièrement de votre sang durant vos prochaines, longues et cuisantes minutes d’agonie.

    - Ce sera toujours… mieux… que de… passer… une minute… de plus avec… vous… ! s’emporta-t-elle d’une voix rauque, haletante et grimaçant sous la douleur.

    - Comme vous avez certainement dû le constater, répondit-il calmement, les alentours de la Forêt Interdite ne sont guère sûrs ces temps-ci… A moins que vous n’estimiez la présence de cette créature comme étant de compagnie davantage attrayante…

    Annily ne répondit pas ; chaque parole, chaque geste lui arrachait un gémissement douloureux. Se recroquevillant au milieu des étoffes en lambeaux, elle ne put retenir une œillade appréhensive vers sa nuit de cauchemar, puis battit en retraite. Elle avait pertinemment conscience de la situation précaire dans laquelle elle venait de basculer, une position bien délicate dont elle était l’unique responsable. La jeune femme ne saurait l’ignorer davantage : elle ne se sortirait pas de ce mauvais pas toute seule ; elle avait besoin d’aide, ne pouvant pas sciemment se passer plus longtemps de soins médicaux, sans quoi son pronostic vital allait être engagé dans l’heure. Elle allait devoir remettre son sort entre leurs mains, les siennes en particulier, une fois de plus. Annily baissa les yeux vers le sol, enfermant sa douleur dans ses poings serrés, résignée. Rogue triomphait ; un rictus suffisant s’afficha avec lenteur au coin de ses lèvres.

    - D’accord… murmura-t-elle.

 

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