Ses yeux verts

Installé dans un fauteuil en cuir, les yeux clos, un verre de whisky pur feu à la main, le professeur Rogue se délasse comme Ingrid Potter vient tout juste de quitter son bureau. C'est la mi-octobre et depuis quelques semaines maintenant, la jeune femme rejoint son professeur le mardi soir, pour prendre des leçons particulières de potions. Et bien que la sorcière ai un certain talent pour cette matière, et qu'il devrait s'en féliciter, le professeur est surtout... agacé. Poussant un soupir, ouvrant ses paupières, Severus fixe un point invisible sur son plafond, avant de se passer une main sur le visage. Ingrid est bonne en potion. Trop à son goût, justement. Elle est trop... comme Lily. En meilleure. Elle a une bonne intuition. Comme lui à son âge, elle évite quelques pièges des potions. Pas tous. Mais elle est sur la bonne voix. En vérité, elle est surprenante. Et cela l'insupporte. Et puis ses cheveux, son nez, ses yeux... Tout en elle lui rappelle Lily. Et c'est insupportable. Une torture de chaque instant.

Nouveau soupir de la part du professeur Rogue qui, après avoir posé son verre sur la table basse noire face à son fauteuil, se lève et fait quelques pas. Même dans l'austère sécurité de son salon, le professeur se sent pourchassé, même ici, par les yeux verts détestables d'Ingrid Potter qui, comme ceux d'Harry, lui rappellent trop ceux de Lily. Croisant son regard dans un miroir qui lui renvoie son reflet, le professeur constate la pâleur de son visage, les cernes sous ses yeux, son état de fatigue avancé, à force de trop tergiverser le soir sans trouver le sommeil... Tout cela à cause des Potter. Surtout, à cause d'elle. Toujours là, tout le temps, jusque dans ses pensées les plus reculées. Troublé, il se laisse tomber dans son fauteuil de nouveau, fixant son regard sur le mur qui lui fait face.Le professeur revoie devant ses yeux, toutes les fois où Ingrid Potter, par sa présence, l'a torturé. Ce soir de la rentré, ces cours de Défense Contre les Forces du Mal qu'il lui dispense chaque Lundi et chaque Jeudi, ces soirs de retenues, ces autres soirs où elle est venue toquer à la porte de son bureau pour lui demander des souvenirs au sujet de sa mère, et ceux où elle est venue le retrouver pour suivre des cours de potions. Et ces fois où, à son grand damne, il est tombé sur elle au détour d'un couloir, où il l'a entendu rire, comme sa mère l'avait fait dans ces même couloirs avant elle. Tant de souvenirs, qui ravivent en lui une haine féroce et désespérée envers ce qu'il est, ce qu'il a fait à Lily qu'il pense avoir tué lui-même en servant Lord Voldemord, envers James Potter son ennemi de toujours et auquel il ne peut que penser par enchainement logique puisque Ingrid lui rappelle Harry qui lui-même lui rappelle l'époux de Lily.

Seulement, penser à ce qu'il y a de mauvais en la présence d'Ingrid au château, rappelle aussi au professeur ce qu'il a de bon, d'agréable à l'avoir ici. Pas grand chose, certes. Mais après avoir songé à tout cela, s'impose à son esprit cette soirée où, la surprenant dans les cachots en grande conversation avec Granger, il a entendu l'étudiante le complimenter quand à ses compétences en potion. Il n'en doute pas, évidemment, mais... Il s'est sentit curieusement bien d'entendre la sorcière le dire, le reconnaître. Pour la première fois depuis de nombreuses années, il avait été heureux, l'espace de quelques secondes. Et d'autre chose que de mettre une retenue exemplaire à des Gryffondor. Il savait, en prime, que son étudiante n'avait pas voulu le flatter, puisqu'il avait clairement lu la surprise dans son regard lorsque celle-ci s'était rendue compte de la présence de son professeur. Il avait alors accepté, quelques instants plus tard, de lui donner des cours de potions. Que lui était-il passé par la tête à ce moment là ? Il ne saurait pas le dire. Et il en payait maintenant le prix fort à chaque nouvelle heure qu'il s'infligeait lui-même en sa compagnie, comme ce soir. Chaque mardi soir, la même histoire, le même état pour lui. Le même piteux état. Cela l'insupporte.Quelques coups sont donnés sur le tableau gardant son antre, pour prévenir d'une arrivée. Ce n'est pas le moment pour lui. Et si c'est Potter en prime, le professeur craint d'exploser, littéralement. Aussi ne se lève-t-il pas, préférant clore ses yeux. Comme si le bruit allait disparaitre. Comme si son visiteur allait s'éclipser. Il y croit un instant. Et puis une voix âgée se fait entendre, prononçant le mot de passe. Ce qui veut dire évidemment qu'il ne s'agit pas de Potter - heureusement - mais cela ne présage pas forcément quelque chose de bon pour autant. Et Rogue se sent prit au piège d'une visite qu'il ne désire pas. Vidant d'un trait son verre de whisky, il s'en sert un autre. Dumbledore apparaît bientôt, naturellement. Derrière ses lunettes en demi-lune se cache un regard malicieux. Et un sourire espiègle est pendu à ses lèvres.

"- Bonsoir, Severus." le salut le vieil homme. "Nous ne vous avons pas vu au dîner... Avez-vous des soucis ?" questionne curieusement le directeur de Poudlard.

Un rictus se dessine sur les lèvres de Rogue. Comme si son supérieur ne savait pas exactement ce qu'il se passe. Comme s'il ne comprenait pas, devant le regard du professeur, la pâleur de son visage, les cernes sous ses yeux, le verre de whisky qu'il tient à la main. De fait, le professeur de défense contre les forces du mal ne prend même pas la peine de répondre.

"- Allons, Severus... Serait-ce... Ingrid ?"

Le professeur se souvient de leur dernière entrevue, où il a annoncé au professeur Rogue que ce dernier était celui qui devrait le tuer, à la place de Malfoy, pour mettre en place un plan devant guider à la mort de Voldemord. Au terme de cette entrevue, il avait réalisé comme son ancien maître des potions étaient toujours férocement attachée à Lily. Faire le lien entre cette femme et la fille de cette dernière était alors aisée, pour un sorcier comme Dumbledore.

"- C'est vrai. Elle lui ressemble énormément." reprend Dumbledore."- Taisez-vous, Albus !" le coupe sèchement le professeur Rogue posant sur lui un regard assassin, plus noir que noir.

Dumbledore se fend d'un sourire, sans rien répondre à son professeur. Il a sa réponse maintenant mais ne quitte pas les lieux pour autant. Rogue le déteste pour cela en cet instant même. Comment ose-t-il sourire de la sorte, tout en lui imposant - encore - de songer à la fille Potter. Rogue pousse un cri de rage en se détournant du directeur faisant virevolter derrière lui sa cape noire.

"- Elle a ses yeux. Comme Harry." reprend le directeur de Poudlard.

"- Pas seulement." le coupe d'un air furibond le professeur Rogue. "Elle a ses cheveux aussi. Et son nez. Son caractère également et comme elle, un certain don pour les potions." avoue-t-il avec un certain dégout en réalisant qu'il parle de la fille de James, en même temps.

"- Mais vous n'êtes pas son professeur de Potions." s'étonne le directeur.

"- Depuis la troisième semaine de cours, si, je le suis." répond Rogue d'un air sombre. "Elle me l'a demandé." explique-t-il devant l'air curieux de Dumbledore.

"- Oh." répond simplement l'homme aux lunettes en demi-lune.

"- Elle aurait dût rester en France. Au moins, j'aurais un peu de paix. Je n'aurai que son frère à supporter. Maintenant, sortez Albus. Je souhaite reste seul.... Sortez !" explose l'enseignant en fixant l'homme au sourire malicieux.

Dumbledore, comme le souhaite Rogue, prend congé de ce dernier et gagne le tableau pour quitter les appartements du professeur, laissant ce dernier seul au milieu de la pièce. Le laissant seul à lancer des regards meurtriers sur chacun des murs nus de la pièce. Comme s'ils étaient des ennemis. De rage, il attrape une pile de manuels de potions qu'il jette furieusement à terre. Sur sa tempe un tic est apparu. Deux fioles les rejoignent, vides heureusement, parsemant le sol de milles débris de verres. Le professeur se laisse tomber au milieu de la salle, s'écorchant les genoux. Il n'y fait pas attention. Cette fille, Ingrid, et cette conversation, le forcent à se souvenir de choses trop horrible. De Lily, évidemment. Du jour où Severus l'a vu dans la chambre de ses enfants, étendue sur le sol, morte. L'émotion le fouette, le percutant sans qu'il ne puisse s'en protéger. Portant ses mains à son visage, de rage il attrape ses cheveux comme pour se les arracher, comme un fou, tandis qu'une larme roule sur sa joue. Trop d'émotion, trop de contrariété. Trop pour un seul homme, même pour un mangemort. Se couchant sur le sol, prostré, l'homme reste là un long moment. Le temps qu'il faut pour se remettre, se calmer, retrouver son air digne, froid et détaché, comme d'habitude. Quand il va un peu mieux, il quitte sa position, se relève. Il va prendre un cadre, dans sa chambre et contemple le portrait. Lily Evans. Il ne l'appellera jamais Potter, jamais. S'y résoudre serait pour lui comme reconnaître la victoire de cet imbécile de James.

Les yeux de Rogue de nouveau s'embuent de larmes comme il contemple le sourire de la sorcière sur le papier glacé. D'une main, il prend le temps de caresser sur la photographie les cheveux roux de celle qu'il a tant aimé, qu'il aime encore.

"- Lily... Lily..." sa voix se brise. "Pourquoi ? Tu disais... On avait promis que nous serions toujours là pour l'autre."Promesse d'enfant, que le temps, les évènements, avaient détruits. A quinze ans, leur amitié avait prit fin. Plus tard, il l'avait perdu à jamais, parce qu'elle était morte. Mais en réalité, Severus avait perdu Lily le jour même où il l'avait traité de Sang-de-Bourbe. Et il regrette tant tout ce qu'il lui a fait. Le mal de ses propos qu'il n'a pas contrôlé. Il donnerait tant, il donnerait tout, pour revenir en arrière avant qu'il ne soit trop tard, avant que ces mots terribles ne franchissent ses lèvres, avant que Voldemord ne lui prenne la vie. Lily. Sa Lily.

"- Je suis toujours là, Severus." répond le portrait en souriant.

Réalité ou tour que lui joue son imagination ? Ce n'est pas la première fois que cela se produit mais l'homme ne sait jamais si Lily lui parle vraiment, comme une amie, ou si c'est lui qui se l'imagine. Tout a l'air parfait, comme autrefois, quand elle lui parle. Trop parfait, en réalité, pour que cela soit vrai.

"- Tu me le promet, Lily ?" demande-t-il tout de même, désireux de croire à ce qu'il entend, de croire qu'elle lui parle pour de bon.

"- Je te le promet." répond le portrait en souriant. "Mais fais moi une promesse à ton tour." demande-t-elle alors.

"- Lily... Tout ce que tu voudras..." lance-t-il d'une voix désespérée où se mêle la curiosité.

"- Il est temps que tu laisse le passé de côté. Il est temps que tu vive Severus."

"- Pas sans toi !" s'insurge l'homme.

"- Il le faut, Severus. Promet le moi..." insiste le portrait.

"- ..."

"- Promet le..."

"- Je te le promet, Lily..." déclare finalement Rogue, pressant le portrait contre lui. "Je te le promet."Un sourire sur papier glacé et le portrait de nouveau, n'est plus que la photographie silencieuse d'une jeune femme aux cheveux roux qui sourit à son ami comme si rien ne les avait séparé.