Ses yeux verts

La fin de l'année arrive à grand pas et les sombres événements dont Rogue lui a parlé n'ont toujours pas eu lieu, si bien qu'Ingrid se lève chaque matin désormais, l'estomac obstrué par une espèce de boule, de mal-être. Chaque jour au réveil, la Serdaigle craignait que le jour ne soit arrivé, que l'inévitable se produise, qu'elle soit impuissante face à ce qui devait arriver, qu'elle passe à côté de quelque chose. Et pourtant, dans un même temps, la sorcière sait très bien que même si elle assiste à la chose, elle sera tout autant inutile qu'en restant ignorante. Mais la jeune femme voudrait y être, comme pour soutenir Rogue. C'est en ce but qu'elle s'est exercée au sortilège de dissimulation, qu'elle maîtrise désormais alors qu'il y a un mois encore, ce sortilège lui donnait toujours du fil à retordre.

«- Je pars à la mer finalement, en France !» s'exclame Mandy ce matin du 30 Juin, alors que les filles s'installent à la table du petit déjeuner.

Déjà, Ingrid n'écoute plus les bavardages de ses amies, le regard rivé en direction de la table des professeurs où Rogue lit le journal, la mine sombre. Rien qui ne sorte vraiment de l'ordinaire mais dans les circonstances actuelles, la jeune femme se fait une montagne de tout et l'air arboré par le sombre maître des potions ne lui dit rien qui vaille. Si bien qu'elle sursaute après quelques minutes, quand elle réalise que ses amies lui parlent.

«- Hein, quoi ?»

«- Mais que tu es donc dans la lune en ce moment Ingrid ! Mandy demandait où tu passais tes vacances?»

Les vacances ? La sorcière n'y a pas trop pensé. Probablement verra-t-elle Harry et la bande, elle passera peut-être une semaine au Terrier ou au Square Grimaud. Et puis le reste du temps elle sera avec ses parents. Ont-ils prévu un voyage ? La rouquine l'ignore. Et puis, elle voudrait voir Rogue aussi. Deux mois sans lui, elle ne parvient pas à l'envisager. Mais parviendront-ils à se voir ? A mesure que l'échéance approche pour Dumbledore, la demoiselle en est de moins en moins certaine. La fin de l'année arrive et avec elle, Drago n'a plus guère de temps pour accomplir sa mission. Alors... comment envisager l'été en sachant ce qui se trame ? Et puis il l'a dit, il devra certainement rejoindre Voldemort. Ce dernier, trop heureux d'être débarrassé du sorcier blanc, aura certainement moult projets fous, des missions à confier... Le cristal risque d'être noir tout l'été, Rogue risque d'être recherché. Cette inconnue ajoute à l'inquiétude de la sorcière.

«- Je ne sais pas si mes parents pensent à faire quelque chose en particulier. Et je verrai sûrement Harry, je pense.» se contente de déclarer la sorcière en retournant à son jus de citrouille. Pour donner le change elle prend une petite brioche qu'elle mâchouille sans grand intérêt.

***

«- Tu devrais être un peu plus concentrée. Tes amies vont vraiment finir par se poser des questions, je suis même surpris qu'elles n'aient encore rien remarqué de ce qui se passe entre nous. Tu n'es pas très discrète ces derniers temps et tu semble bien trop préoccupée pour être honnête...» fait remarquer le professeur Rogue sévèrement à sa compagne lorsque celle-ci rejoint ses appartements, entre midi et deux.

«- Oui je sais, mais en même temps, l'échéance approche, j'ai conscience de ce qui va se passer, de ce que tu dois faire. Et ça me fait peur c'est normal. J'ai peur de la suite, de ce que Voldemort peut faire ou peut te demander. Quelle compagne ne serait pas inquiète pour son compagnon, si elle était à ma place ?» objecte l'étudiante en réponse aux propos de l'homme, l'air passablement agacé par sa remarque.

Si la situation est compliquée pour l'homme en noir, elle l'est tout autant pour la rouquine qui ne sait trop comment se tenir prête, trop comment se sentir, trop comment réagir. Ce n'est pas de sa faute si tout cela la dépasse au point de la submerger presque totalement. Ce n'est pas de son fait si les événements qui s'annoncent sont bien trop sombres pour laisser place à la gaîté, pour la laisser être heureuse.

«- Ne sois pas faible !» assène-t-il pour toute réponse avant de quitter les lieux comme il doit préparer son cours en ce dernier lundi de l'année.

***

En cours de défense contre les forces du mal, l'après-midi s'écoule lentement au goût d'Ingrid alors qu'elle tente de se ressaisir pour ne pas agacer davantage Severus, déjà bien préoccupé par la perspective des événements à venir. La demoiselle sent comme un froid, entre eux, tout au long de la leçon et quand cette dernière s'achève, elle rejoint le bureau professoral, disant à ses amies de ne pas l'attendre car elle a une question à poser. Astuce qui marche plus ou moins et qui lui permet de se défaire de la présence des filles. Enfin seule avec l'homme, la rouquine lui fait part de ses craintes, de ses impressions, de ce froid qu'elle sent entre eux depuis le midi. Et Rogue la rassure, lui assurant être seulement à cran et n'avoir rien contre elle. Soulagée, Ingrid prend le risque de déposer un baiser sur les lèvres de son compagnon avant de sortir. Le petit groupe prend alors la direction de la salle commune, n'ayant plus franchement de devoirs en cette période de l'année.

Réunies dans leur chambre, Mandy, Luna et Cho bavardent, tandis qu'Ingrid tente plus ou moins de s'intéresser à la conversation, tout en mangeant des dragées surprises de Bertie crochu. Il faut vraiment qu'elle se change les idées, ou elle va devenir folle. Converser avec ses amis lui semble être une bonne idée. Sauf que ces dernières parlent de garçons, une conversation dans laquelle la rouquine ne souhaite guère se mouiller. Apparemment, Luna tente toujours de rapprocher Cho et Drago, en vain. Comme si Drago en ce moment n'avait pas d'autres problèmes. Un sourire triste se dessine un instant sur les lèvres de la Serdaigle comme elle pense à la menace qui plane sur la tête du blondinet. Ce ne doit pas être facile à son âge de sentir un poids comme celui-ci sur ses épaules. Cela ne doit pas être plus léger que le poids porté par Harry et la compassion s'insinue dans le cœur de la jeune femme.

Les filles descendent manger et se trouvent parmi les premières à prendre place dans la grande salle. Peu à peu, le monde arrive mais plus le repas passe, plus Ingrid remarque l'absence de son frère, anormale puisque Ron et Hermione sont présents, et celle de Dumbledore. Elle y pense encore en quittant les lieux, se demandant où peu bien se trouver son frère, ce qu'il peut bien faire. A ses côtés, les filles bavardent toujours de tout et de rien en rejoignant la salle commune et ne tardent pas, une fois arrivées, à prendre place dans les canapés devant le feu de cheminée qui crépite. Ce n'est que tardivement que Luna, baillant, propose aux trois autres d'aller se coucher, ce que toutes acceptent sans grande difficultés.

Dans son lit, Ingrid bouquine la légende des frères Peverell, comme pour s'imprégner encore un peu de cette histoire, dont un détail lui échappe toujours. Un détail crucial. Sans qu'elle ne comprenne quoi. Severus le trouverait-il lui ? Peut-être, elle hésite de fait à aller le retrouver. Elles ne sont couchées que depuis une vingtaine de minutes quand les rideaux du lit d'Ingrid s'écartent, laissant place au visage de Luna qui l'observe sans rien dire. La rouquine remarque néanmoins l'air paniqué de la blondinette. Se redressant dans son lit, Ingrid quitte ses draps alors qu'elle comprend que quelque chose de grave se passe, ou va se passer. A voir la tête de Luna, Ingrid songe qu'elle a peut-être vu quelque chose concernant la mort de Dumbledore.

«- Où seront-ils Luna ?»

«- Dans... dans la tour... d'astronomie...» balbutie la Serdaigle.

«- Dans longtemps ?»

«- Je... Je ne sais pas...»

«- Ce soir ?» interroge encore Ingrid en enfilant sa robe de sorcière, prête à brûler le couvre-feu.

«- Je... je ne sais pas...»

«- Comment était la lune ?»

«- ...»

«- Luna ! Comment était la lune ?»

«- En... en croissant... la fin...»

Le dernier croissant avait débuté le 28 Juin et la nouvelle lune démarrait le 3 juillet. Le sang d'Ingrid ne fit qu'un tour à cette pensée. Les événements étaient de plus en plus proches. Devait-elle courir voir Rogue ? Ou rejoindre directement la tour d'astronomie ? Choisissant la seconde option, Ingrid quitte la chambre sans faire de bruit pour ne pas réveiller Mandy et Cho qui se sont heureusement endormies. Utilisant le sortilège de dissimulation, la jeune femme rejoint la tour d'astronomie au pas de course. Dumbledore est là, seul. Mais des bruits de pas se font rapidement entendre dans les escaliers. Malgré son invisibilité, Ingrid se colle contre le mur, son cœur battant la chamade. Son regard glisse alors sur le visage d'Harry, partiellement éclairé par la lune, un étage plus bas. Et le pouls de la jeune femme s'accélère. Non, non, non, il ne doit pas voir ça. Il ne doit pas voir Severus tuer Dumbledore. La rouquine inquiète songe aux ennuis que son compagnon aura, quand Harry parlera du meurtre. Alors elle glisse vers l'escalier, avec l'intention de descendre et l'assomer, pour ne le laisser témoin de rien. A peine a-t-elle quitté l'escalier que Bellatrix Lestrange arrive, accompagnée d'autres mangemorts que la demoiselle ne connaît pas. Retenant sa respiration, la serdaigle recule de nouveau, contre un pan de mur, derrière les hommes à la marque, quoiqu'un niveau en dessous.

Le cœur battant, elle n'écoute presque rien des propos qu'échangent Drago et Dumbledore, se demandant si Severus va arriver accomplir son serment inviolable. Si tout ne va pas s'achever ici ce soir, sur un échec de Drago, ou sur la déchirure de l'âme de ce dernier, sur la mort de Rogue de ne pas avoir tenu sa promesse de protéger le blondinet. De nouveaux bruits de pas résonnent, alors que Malefoy menace le directeur, sans paraître totalement sûr de lui. Dans un mouvement de cape sur sa gauche, Ingrid distingue Rogue qui paraît à l'étage supérieur, alors que les mangemorts s'écartent pour le laisser passer. Drago semble avoir un mouvement de recul. Ingrid déglutit, serrant sa main sur sa baguette, comme pour se rassurer.

Elle aurait voulu le voir avant tout ça. Lui dire combien elle l'aime, comme ce geste ne changera rien pour elle. Le rassurer avant qu'il n'accomplisse son devoir, la tâche que Dumbledore lui a confiée. Elle sait comme il a peur de la voir l'abandonner. Elle sait que c'est pour cela qu'il lui a parlé de cette mission. Pour qu'elle ne le voit pas comme un monstre, si elle apprenait qu'il a tué Dumbledore. Dans l'esprit de la demoiselle tout se bouscule. Harry témoin de la scène, Drago qui faiblit, Severus qui n'ose pas tendre la baguette.. Son cœur, sa tête, tout va exploser. Il lui semble qu'elle manque d'air à force de trop penser. Il lui semble qu'elle va s'écrouler, que ses jambes se dérobent sous ses pas. Et puis elle pense à la baguette. Si Voldemort en devient le maître, qu'il bat Harry. La mort de son frère, la mort de son amoureux... Ingrid s'imagine le pire. Tout se mélange dans sa tête, elle se sent vaciller.

Dumbledore remue les lèvres, comme pour murmurer quelque chose à Severus, que la demoiselle ne peut entendre. Peut-être l'encourage-t-il à faire ce qui a été décidé... La jeune femme aperçoit le mouvement de baguette de Rogue. La mort d'Harry, la mort de Severus... Les images se croisent de nouveau dans sa tête, s'y implantant comme des aiguilles. Et finalement, elle est plus rapide. Avant que Rogue n'ait pu finir son affaire, un éclat de lumière verte jaillit de la baguette de la jeune femme, sans que celle-ci n'ait envisagé de conséquences. Tout ce qui lui importe maintenant, c'est qu'elle est la maîtresse de la baguette, si on en croit la légende. Et qu'on ne devrait pas la soupçonner. Que Voldemort n'a donc pas le moyen de prendre le pouvoir de la baguette. Et qu'il n'a pas de raison de tuer Rogue, en théorie. A moins qu'il ne le fasse, par dépit, de ne pas savoir qui est le maître de la baguette.

Rapidement, Ingrid s'élance dans les escaliers à peine son geste achevé. Alors que le corps de Dumbledore tombe du haut de la fenêtre de la tour, ce sont les escaliers que la demoiselle dévale quatre à quatre, le cœur battant à l'idée de ce qu'elle vient de faire, craignant que les mangemorts ne la rattrapent. Mais ceux-ci, au sommet de la tour, sont encore trop surpris pour songer à retrouver qui que ce soit. Alors qu'ils ont bien vu que Rogue n'a pas eu le temps de tuer Dumbledore, aucun ne comprend ce qui a pu arriver. Aucun sauf l'homme au regard sombre, aux iris noirs, qui observe les escaliers d'un air livide et absent. Lui seul, en cet instant, comprend qui est intervenu ce soir. Qui savait suffisamment de choses sur cette affaire pour se dresser entre lui et sa mission. Qui tenait suffisamment à lui pour le priver d'un geste qui le rebutait. Qui l'aimait assez pour accomplir une telle folie. Et puis il semble réagir tout à coup et attrape Drago par le bras, l'entraînant à sa suite tandis que Bellatrix, hurlant de plaisir, dessine la marque des ténèbres dans le ciel.

Alors qu'Ingrid s'apprête à glisser vers l'aile Ouest, pour gagner la tour de Serdaigle, elle se fige et se cache dans un renfoncement, en entendant des bruits de pas précipités et des piaillements. Son regard se dirige en direction de ce bruit, lui faisant voir Drago, la mine déconfite, qui trottine aux côtés de Severus arborant un visage fermé tandis que derrière eux, le reste de la troupe noire se félicite de la mort de Dumbledore, Bellatrix Lestrange plus particulièrement que les autres. Heureusement, Ingrid constate qu'Harry ne les suit pas. A croire qu'il est devenu raisonnable... Tout ceci en réalité ne lui dit rien qui vaille. Son frère n'est pas connu pour être quelqu'un de très réfléchit, il est plutôt impulsif. Alors elle décide de suivre le groupe, craignant que son frère sous la cape d'invisibilité ne tente un geste inconsidéré.

Quand elle parvient à la gauche de Rogue, qui sans la voir ressent néanmoins sur lui le calme apaisant dû à sa présence, la demoiselle remarque qu'ils sont arrivés dans le hall d'entrée. D'un mouvement de baguette, Severus assomme Rusard tandis que Bellatrix, parvenue dans la grande salle, fait exploser les assiettes et les chandelles, en hurlant de plaisir et de rire, d'un rire malsain qui fait serrer les dents de la sorcière.

Arrivés dehors, la jeune femme remarque au loin l'imposante silhouette d'Hagrid qui sort de sa cabane et qui se rue sur le petit groupe pour tenter de les arrêter. Là, tout se passe trop vite. Alors que les mangemorts s'attaquent à la cabane d'Hagrid, y mettant le feu et combattant le semi-géant, Ingrid remarque que Rogue a ralentit son allure et elle calque son pas sur le sien. Un instant, elle songe à lui parler, sans forcément se découvrir mais il doit avoir un tas d'interrogations en cet instant et probablement est-il en colère. Les cris d’Harry l’en empêche. Derrière elle, son frère, ordonne aux mangemorts de revenir, tout en jetant des sors sur Severus qui les contre. La serdaigle assiste à la scène, sans trop savoir que faire même si elle comprend aisément la détresse de son frère. Il avait toujours eu beaucoup d'estime pour le directeur de Poudlard, sa mort n'est pas simple à gérer. Mais pourquoi s'en prendre à Rogue ? La jeune femme est saisie d'un doute. Dumbledore avait parlé, peut-être qu'Harry le regardait lui lorsque l'éclair vert avait jaillit de la baguette de sa sœur. Peut-être n'avait-il pas vu que Severus n'avait rien fait.

Le corps d'Harry vole trois mètres en arrière comme Rogue contre le sectumsempra qui lui est lancé, en narguant Harry, l'accusant de l'attaquer avec ses propres armes, avant de révéler qu'il n'est autre que le fameux prince de Sang-mêlé, du livre de potion. Ingrid ne comprend pas bien pourquoi un tel surnom, ne sachant pas que Prince est le nom de famille de la mère de Rogue, qui déjà se détourne d'Harry pour rejoindre la trouve de Mangemort qui transplane.

«- Severus !» appelle la voix de la demoiselle dans la nuit, assez fort pour que le concerné l'entente, mais pas ceux qui les entourent.

«- Pas maintenant. Je t'enverrai une lettre.» annonce-t-il d'une voix grave et dure, avant de disparaître.

Seule au milieu du parc, le cœur lourd, Ingrid entreprend de rentrer au château, réapparaissant tout à coup comme le contre-coup de ses efforts nocturnes se fait sentir. Heureusement, Harry n'a rien vu. Pas plus que la troupe d'étudiants et de professeur qui s'est réuni au pied de la tour d'astronomie. Ingrid se joint à eux, les larmes aux yeux en songeant à l'homme étendu-là par sa faute. Parce qu'elle n'a pas voulu que Rogue le fasse. Levant le regard, la jeune femme aperçoit la marque menaçante au-dessus de leurs têtes, au-dessus du cadavre. Une marque que Minerva McGonagall entreprend d'effacer, baguette vers le ciel, bientôt rejointe par toute l'assemblée. Supprimer la marque, comme pour effacer cette nuit. Mais peut-on vraiment lutter, quand tout a changé ?