Les Souffleurs de Lumière

Chapitre 28 : Sept ans après

Chapitre final

8980 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 10/11/2016 03:08

SEPT ANS APRES

 

 

Lorsqu'il revenait d'Antarctique, une fois par an, Scorpius Malefoy commençait toujours par aller faire son rapport au Ministère de la Magie. Puis il rendait visite à sa famille et en profitait pour renouveler sa garde-robe, faire les achats de ce qu'il aurait besoin de ramener à la Base d'Inlandsis et aller chez le coiffeur.

Enfin, il expédiait ses bagages par bateau et montait lui-même dans un train en direction du Nord de l'Angleterre. Il y avait bien longtemps qu'il avait perdu l'habitude – et la capacité – de transplaner, à force de vivre dans un endroit où la magie ne le permettait pas.

Quant à voyager par voie de cheminée, c'était extrêmement salissant et Scorpius voulait arriver à destination tiré à quatre épingles.

- En voiture ! En voiture !

La locomotive lança son coup de sifflet retentissant et les lourdes bielles s'élancèrent en cliquetant, dans un torrent de vapeur et de grincements de pistons, de soupirs et de gémissements de la machine. Scorpius se cala contre le dossier rouge de la banquette et ferma les yeux, appuyant son front contre la vitre fraîche.

Dans son estomac s'agitait un essaim de papillons nerveux, comme avant un premier rendez-vous.

Ce soir, ce serait le début du compte-à-rebours.

Vingt-et-un jours, pas un de plus.

Le prix à payer pour chaque heure dépassée était bien trop élevé pour essayer de tricher, ils s'en étaient vite aperçus. Le cœur d'Albus s'accélérait, trébuchait et se contractait, le laissant pantelant, les narines pincées et les lèvres bleues. Scorpius, lui, se mettait à avoir des sueurs froides, ses muscles perdaient toute force et des mouches noires dansaient devant ses yeux.

Tout cela prenait fin dès que l'agent du gouvernement était de nouveau en route pour l'Antarctique, mais ils restaient tous les deux faibles et fébriles comme au sortir d'une mauvaise grippe pendant plusieurs semaines.

Avec le temps, ils avaient appris à se contenter de la grâce offerte par les Souffleurs de Lumière.

Vingt-et-un jours, pas un de plus.

C'était bien assez pour pouvoir se toucher, sentir la chaleur vivante, réelle, de l'autre. Le reste de l'année, ils restaient connectés par le lien invisible tissé entre eux par la fleur des neiges.

Scorpius rêvait d'Albus et Albus ressentait les émotions de Scorpius.

Ils savaient l'un de l'autre les doutes, les joies, les frustrations, les victoires, les moments de solitude et ceux d'émerveillement.

Ils pleuraient ou riaient au même moment et souvent s'attardaient à contempler l'horizon rougeoyant, comme si la lumière dorée qui plongeait le soir d'un côté de la Terre allait se lever au matin en portant leurs pensées de l'autre côté.

Il y avait aussi le système de communication créé par l'agent du gouvernement. Des relais avaient été érigés en mer par le mari de Vivienne, en suivant les instructions de la B.A.T.S et de Wendy. De boules de cristal en flèches d'or, les ondes magiques traversaient la moitié du monde, filant à la crête des vagues des océans atlantiques jusqu'à la banquise où elles crépitaient de pôle en pôle en affrontant le blizzard, pour porter de l'espoir.

On pouvait se parler, se voir, partager les nouvelles de la journée, même à des centaines de miles de distance, même depuis un tout petit pays au Nord jusqu'à un immense continent au Sud.

C'était mieux que l'éphémère message transmis par un Patronus ou que les conversations crachotantes qu'on pouvait avoir par cheminée.

Scorpius avait été décoré de l'Ordre de Merlin pour cela. Ses parents étaient extrêmement fiers de lui.

Parfois, Albus venait au Manoir Malefoy et passait l'après-midi dans le salon tendu de velours vert et argent. Astoria ne se lassait pas de poser des questions sur les Souffleurs de Lumière et Drago écoutait en silence, ses yeux pâles posés sur le jeune homme.

Albus riait ou expliquait en faisant de grands gestes et le père de Scorpius retrouvait son enfant dans certaines expressions fugitives, dans la manière de repousser en arrière une mèche de cheveux ou la préférence pour un thé amer, dans le sourire tendre adressé à sa femme.

Son cœur se serrait, à la fois de tristesse et de reconnaissance.

Les choses avaient changé. Vraiment changé.

Jamais il n'aurait imaginé qu'un jour viendrait où il attendrait sur le perron, impatient, l'arrivée du fils d'Harry Potter.

Le monde, cependant, continuait de tourner lentement et le temps passait.

Sept ans s'étaient écoulés, déjà, depuis la nuit où Scorpius Malefoy avait donné son cœur à Albus Potter.

C'était l'hiver de nouveau et le train à vapeur roulait en ahanant à travers la campagne anglaise recouverte d'un épais manteau blanc.

Le menton dans la main, le jeune homme contemplait son reflet dans la vitre. Ses jambes étaient croisées l'une sur l'autre et le bout d'un de ses souliers tapotait impatiemment contre les lambris cirés du compartiment. Ses cheveux au blond si pâle étaient toujours lissés en arrière, faisant ressortir la délicatesse de ses traits, la moue pensive de ses lèvres, le nez hérité de son père, ses fins sourcils noirs toujours un peu froncés.

Il n'avait pas beaucoup changé, depuis l'époque où il remplissait quotidiennement des rapports pour le gouvernement. Un carnet de cuir brun était posé à côté de lui sur la banquette et une élégante plume de cygne à pointe d'or attendait dans l'encrier qu'il termine sa lettre pour le Ministre des Affaires Polaires, le seul à qui il répondait, maintenant.

Sur tous les membres de l'équipe descendue dans l'Axe, ils n'étaient plus que deux à vivre encore à la Tour d'Observation.

Matilda Musaraigne faisait à présent des recherches au fin fond de l'Afrique.

Gunter Von Wartbach avait pris sa retraite, sept ans auparavant. Il était revenu en Angleterre et gérait la fortune léguée par Poivre aux Elfes Libres. Il vivait chez son fils.

Christopher Cadwallader travaillait toujours à la Base d'Inlandsis. Il était reconnu pour ses travaux dans le monde minéral et avait même acquis une certaine renommée, mais ses démêlés avec l'effronté mini-monstre Koff faisaient toujours rire à ses dépens.

Vivienne Drake était retournée sur le bateau de son mari. Elle avait eu une petite fille et envoyait régulièrement des photos à ses anciens collègues. Aucun d'entre eux n'était parvenu encore à identifier exactement l'espèce à laquelle appartenait le Capitaine Nero qu'on apercevait parfois à l'arrière-plan.

L'Antarctique, fidèle à lui-même, se laissait bercer par la mer profonde. La banquise soupirait et craquait dans la nuit boréale, les blizzards balayaient la plaine puis laissaient place à la lumière rose vaporeuse du soleil du bout du monde.

Les flocons, là-bas, avaient un goût légèrement sucré, comme s'ils n'avaient pas oublié qu'ils étaient tombés sous la forme d'une pluie de pétales de cerisier le jour où la Porte s'était refermée…

Le train ralentit et la locomotive s'arrêta avec une secousse qui se répercuta à travers les wagons, faisant dégringoler les bagages des filets.

- Bibury, Cotswolds ! Bibury ! Bibury ! annonça le contrôleur d'une voix claironnante. "Deux minutes d'arrêt !"

Scorpius sursauta. Il rassembla ses affaires à la hâte, se fraya un passage dans le flot de voyageurs et sauta sur le quai juste à temps. Il frissonna en quittant la quiétude bienheureuse du train, remontant le col de son long manteau noir et enfonçant son chapeau sur sa tête. Il n'avait qu'une légère valise, mais il était encombré par la grosse boîte enturbannée qu'il tenait sous son bras.

Il sortit de la gare par le portillon et traversa la place après avoir laissé passer une guimbarde jaune qui tressautait en crachotant de petits nuages de fumée.

Le ciel était bleu pâle au-dessus des arbres gris dentelés de givre. Une neige épaisse était tombée sur le village et les alentours. Les toits inclinés des maisons, le bord des fenêtres et le petit pont de pierre étaient revêtus de blancheur moelleuse. Des traces de pas s'y creusaient dans tous les sens. Les empreintes d'un chien trottinaient le long de la rivière et un épagneul était au bout de la piste, en train d'aboyer après un chat qui faisait sa toilette d'un air supérieur, bien à l'abri derrière une fenêtre.

La porte de la boulangerie s'ouvrit. Une chaude odeur de pain et d'amandes s'échappa avec une bouffée de voix joyeuses quand une dame en sortit, chargée de boîtes en papier glacé. Scorpius eut envie de s'arrêter, puis il pensa au gâteau qu'avait sûrement préparé Wendy et il accéléra, impatient d'arriver.

A travers les vitres à croisillons d'une boutique de modiste chatoyait la chaleur dorée de bougies juchées sur des chandeliers de cuivre. Une enseigne en forme de botte se balançait sous un toit pointu. Une cabine téléphonique était à moitié enfouie dans un tas de neige. Des tourterelles roucoulaient dans un pigeonnier ancien, blotties les unes contre les autres. Le long de la rue, des couronnes de houx et de boules rouges brillantes ornaient les portes.

Les maisons moldues alternaient avec les maisons magiques et toutes se ressemblaient. Des angelots de fer forgé étaient perchés au sommet des sapins dans certains salons et d'autres virevoltaient autour des lustres en tintinnabulant joyeusement. Un nain de jardin en poterie à l'air grognon criait bonjour ! d'une voix d'automate quand on passait devant lui et, plus loin, un elfe un peu éméché, avachi dans un potager, souhaitait de bonnes fêtes aux promeneurs.

En sortant du village en direction de la forêt de bouleaux, le jeune homme croisa un groupe de vieillards qui chantaient des cantiques de Noël. Certains étaient vêtus de houppelandes et d'autres de robes de sorciers, mais tous portaient la même écharpe de laine écarlate.

Peut-être le rêve d'Harry Potter de réunir les deux communautés se réaliserait plus tôt que la Gazette de ce matin ne le laissait entendre…

Au panneau en bois gonflé qui indiquait Rack Isle, Scorpius pressa le pas. Ses souliers vernis crissaient dans la neige et son haleine se condensait, un léger petit nuage fringant dans la lumière de fin d'après-midi.

Il suivit le bord de la rivière aux berges frangées de glace. L'eau d'un bleu sombre clapotait avec un bref éclat argenté au soleil d'hiver. De temps à autre, un paquet de neige tombait d'une branche avec un bruit étouffé. Le jeune homme inspira profondément, comme pour remplir ses poumons de la paix qui régnait sur la campagne anglaise.

Il avait perdu depuis longtemps le sentiment d'être "à la maison" lorsqu'il rentrait au Manoir Malefoy et, bien que la vie en Antarctique ne soit pas aussi dure qu'il se l'était imaginé, il aspirait au moment où son cœur se dilatait, heureux, enfin arrivé au port.

Il y était presque.

Pendant vingt-et-un jours, il serait chez lui.

Ses yeux tombèrent sur une série d'empreintes et il sourit. La prothèse d'Albus laissait une marque plus nette et un peu plus profonde que les autres traces de pas et il l'aurait reconnue entre mille.

Il se remit à marcher, cherchant du regard les silhouettes familières qui ne devaient pas être très loin dans le bois.

Comme à chaque fois, lorsqu'il était sur le point de revoir ses deux amis d'enfance, les souvenirs des années passées refluaient dans son esprit comme des vagues sur une plage.

A leur mariage, il avait été le témoin d'Albus et s'était retrouvé assis à côté d'Harry Potter qui l'avait serré gravement dans ses bras en disant "merci d'avoir ramené mon fils d'Antarctique". Ça avait été très embarrassant.

Il se rappelait de Molly et Moira en train d'ergoter au-dessus du buffet de fruits de mer, d'un pâtissier français au bord de la crise de nerfs qui réparait les décorations en sucre de la pièce montée à grands coups de sortilèges saccadés, du vieil Arthur qui essayait de concilier tout le monde, du bras cassé d'un des jumeaux Philips qui avait bien failli tout gâcher : un des cousins Weasley avait eu la bonne idée d'initier les deux gamins moldus au vol sur balai juste avant la cérémonie.

Il sentait le parfum des roses de thé et il entendait bruisser la brise dans les entrelacs de lierre et les voilages, le pétillement joyeux des bulles de champagne et la musique nostalgique des gramophones. Des assiettes blanches s'empilaient à côté des coupes scintillantes sur les nappes damassées. Des globes de verre dans lesquels valsaient des carpes dorées flottaient dans les airs au-dessus des chaises de fer forgé et il révisait son discours avec un peu d'anxiété.

Il revoyait Wendy dans une robe de mousseline ivoirine qui cascadait sur les dalles de la cuisine du Terrier. Elle était belle et elle riait en pleurant à moitié. Hermione lui glissait une fleur d'ange dans les cheveux en murmurant des mots tendres.

Il n'oublierait jamais qu'Albus avait serré sa main, brièvement, comme pour se rassurer, avant de s'avancer sur le devant pour accueillir sa fiancée, tripotant nerveusement la cravate que Scorpius avait soigneusement nouée.

Le père de Wendy n'avait pas trouvé de temps entre deux rendez-vous pour assister au mariage de sa fille, alors c'était le vieux majordome Barrie dans son uniforme rutilant, le torse bombé et la moustache émue, qui avait accompagné la jeune femme au bout de l'allée sous les chapiteaux dressés dans le champ.

Scorpius avait retenu son souffle pendant toute la cérémonie. Il avait distribué des mouchoirs à droite et à gauche et applaudi à en avoir mal aux mains. Puis il s'était assuré que les admirateurs de Lily ne prenaient pas de photos en douce, que James ne buvait pas excessivement et qu'Albus mangeait une bouchée de temps en temps. Il avait surveillé les enfants du coin de l'œil, bavardé politique avec quelques ministres qui s'ennuyaient, empêché de justesse une catastrophe quand quelqu'un s'était aperçu que le Ronflak Cornu de compagnie de Luna grignotait les toilettes des invités, consolé Ginny qui se désolait que son "petit garçon avait trop grandi", retrouvé les boucles d'oreilles d'une vieille dame de la Haute Société et écopé d'un baiser poilu sur la joue qui lui avait donné des frissons. Il n'avait pas dansé, mais il s'était bien amusé.

A la fin, il avait les pieds tellement endoloris qu'il tenait à peine debout et il s'était écroulé de fatigue sur une chaise dès que le dernier invité avait quitté la noce.

Il faisait frais dans la pénombre bleutée de fin de nuit. Les criquets chantaient doucement dans le grand champ. Les roses embaumaient d'une odeur suave un peu surannée et, quelque part, un phonographe jouait encore, oublié.

- Le Tour de France… à diligence… vaut toutes les fééries…

Albus et Wendy étaient partis depuis longtemps, dans une voiture choisie par les Philips mais modifiée magiquement par les Potter-Weasley.

Tout était paisible. Des bougies flottaient autour de lui, presque entièrement consumées. Les nappes étaient couvertes de miettes et de confettis. Au-dessus du chapiteau blanc crème, la voûte sombre se nuançait de cobalt et d'indigo, parsemée d'étoiles et de trainées de lumière argentée.

- ça va ? avait demandé quelqu'un.

Scorpius avait eu un rire épuisé, un peu comme un éternuement, et c'était là qu'il s'était – enfin – mis à pleurer.

On lui avait passé un bras autour des épaules, un peu gauchement, et il avait sangloté contre cette personne, sans savoir de qui il s'agissait, pendant un moment indéfini.

Peut-être qu'il s'était endormi, il n'était plus très sûr. Ce dont il se souvenait ensuite, c'était d'avoir essuyé son visage rouge et gonflé avec un mouchoir en dentelle qui sentait la naphtaline et d'avoir levé les yeux pour découvrir qu'il était pelotonné contre le grand militaire balafré qui avait mené la mariée à l'autel.

- ça va mieux ? avait demandé l'homme doucement, en souriant sous ses sourcils blonds broussailleux qui n'avaient rien à envier à ceux d'un elfe de maison.

- Hum, avait dit Scorpius en s'écartant, gêné. "Désolé. La fatigue, le stress… voilà."

- Ya pas de mal, avait souri Barrie. "Après tout, un mariage, c'est un commencement, mais c'est aussi une fin."

Ses yeux brillaient dans l'obscurité et le jeune homme avait deviné que c'était à cause de larmes bravement retenues.

- Ma petite demoiselle n'a plus besoin de moi, et ton ami se lance dans une aventure où tu n'as plus ta place. Mais tout ira bien. Tu verras. C'est parce que nous les aimons, que nous les laissons partir quand vient le moment, n'est-ce pas ?

Scorpius avait hoché la tête.

- Oui, avait-il murmuré.

Dans la forêt encapuchonnée de neige, le silence était toujours chargé des mêmes mots.

"Nous les aimons."

Sept ans s'étaient écoulés, mais le jeune homme ne regrettait pas sa décision.

Les bribes d'une conversation joyeuse lui parvinrent. Il cligna des yeux, un peu ébloui par le givre qui miroitait en gouttes translucides le long des branches des arbres, tourna la tête.

- Scooooo'pius ! cria une petite voix débordante de joie.

Le jeune homme lâcha tout ce qu'il tenait pour s'accroupir et tendre les mains, offrant un grand sourire au petit garçon en anorak rouge qui courait vers lui de toute la force de ses petites jambes, les pompons de son bonnet de lutin à rayures vertes dansant derrière lui.

- Arthur ! Tu m'as manqué ! souffla-t-il en cueillant dans ses bras l'enfant qui venait de lui sauter au cou et l'étranglait à moitié.

- Tu m'as manqué aussi ! gazouilla le fils d'Albus et Wendy. "C'était bien, dans la monclofière? T'avais pas peur ?"

- J'ai pris le bateau et ensuite le train, gloussa Scorpius. "Fais voir que je te regarde… comme tu as grandi ! Mais dis donc, qu'est-ce qui est arrivé à cette dent ?"

- Suis tombé çez Mamie. T'as vu mes bottes ? Elles sont rouzes !

- Et elles éclaboussent bien dans les flaques, compléta une voix amusée.

Le jeune homme se redressa sans lâcher le bambin et sourit à Wendy qui les contemplait, les mains dans les poches de sa pelisse, sa longue tresse châtaine sur l'épaule.

- Me voilà, dit Scorpius.

Puis son cœur bondit dans sa poitrine avec un battement sourd et profond, et la chaleur que l'on ressent seulement sur le seuil d'un foyer se répandit dans tout son corps.

- Yo, dit Albus.

Ses yeux verts souriaient avec tendresse sous la masse de ses boucles sombres.

Le petit garçon se laissa glisser à terre et alla rejoindre sa mère dont il prit la main, comme s'il sentait obscurément l'émotion ambiante.

Scorpius haussa un sourcil et voulut trouver quelque chose de spirituel et de léger à dire, mais comme à chaque fois, son esprit se vida. Il hoqueta un petit rire et enfouit son visage dans l'épaule de son ami, agrippant le manteau qui sentait le savon au chèvrefeuille et le parchemin, submergé de reconnaissance.

Les bras d'Albus se refermèrent sur le dos mince du jeune homme et il ferma les yeux un instant pour calmer son cœur qui cognait douloureusement sous ses côtes.

- Bienvenue à la maison, chuchota-t-il.

Et pendant un moment ils restèrent simplement comme ça, sans bouger, leurs souffles jumeaux embuant l'air froid de la forêt, alors que trois cent quarante-quatre jours de séparation s'effaçaient dans le silence lumineux.

Wendy souriait et essuyait ses yeux furtivement, tout en serrant très fort la main de l'enfant qui penchait la tête de côté, étonné.

Arthur avait quatre ans, un corps potelé en pleine santé et de mignonnes oreilles un peu décollées. Ses grands yeux innocents s'habillaient d'un gris-vert soyeux aux nuances mordorées, comme un reflet de pluie sur le jardin. Il avait hérité de la tignasse sombre des Potter, des joues rondes des Weasley, des longs cils et du nez en trompette de son père, du fin menton et de la bouche-cerise de sa mère. Quand il riait, on aurait dit que toutes les étoiles riaient avec lui. Ses petits doigts étaient sans cesse occupés et ses petons couraient très vite pour échapper au bain du soir.

Il était gourmand, coquin, câlin, charmant. Intrépide comme Wendy, sensible comme Albus, intrigué par le monde autour de lui, toujours désireux de comprendre, jamais lassé de découvrir.

Quand il venait en vacances à Loutry Ste-Chaspoule avec ses parents, on le trouvait dans la cuisine du Terrier en train de lécher les casseroles de chocolat fondu, jetant des graines aux poules à pleines poignées, gribouillant des dessins devant la cheminée avec les crayons magiques qui se cachaient sous le canapé. Ou alors il était perché dans l'arbre-cabane en face de la maison des Potter, enroulait le fil d'un cerf-volant avec Harry, faisait la course avec Ginny sur son minuscule balai. Il trottinait dans le potager derrière Molly en babillant et la distrayait de ses soupirs au sujet des fiançailles de Lily avec un célèbre joueur de Quidditch ou de l'énième remariage de Ron et Hermione. Après la sieste, Grand Arthur et Petit Arthur disparaissaient dans l'atelier pour farfouiller dans des caisses de vieux objets ensorcelés et n'en ressortaient qu'à l'heure du goûter, couverts de cambouis et de colle magique. La main parcheminée de l'arrière-grand-père serrait tendrement la menotte de l'enfant et Mr. Weasley ne cessait de s'émerveiller devant le miracle de la vie.

Le soir, Albus récupérait son fils recru de fatigue et le portait sur son épaule jusqu'au vieux lit en forme de barque. Wendy embrassait le garçonnet sur le front et allumait la veilleuse en lui souhaitant de bonnes aventures au Pays Imaginaire, puis ils s'en allaient en souriant.

Mais avant que ses parents n'aient pu refermer la porte, Arthur ouvrait un œil et, d'une voix qui n'était plus du tout ensommeillée, il réclamait une histoire.

Ses favorites étaient celles contenues dans les lettres de Scorpius. Il adorait les réentendre et sa chambre se remplissait de fééries à chaque fois : des baleines enchantées volaient gracieusement sur le plafond pailleté de constellations, une étoile facétieuse dansait autour de l'abat-jour avec une magicienne coiffée d'un chapeau de paille, des renards à queue de feu se roulaient sur la couette floconneuse en compagnie d'un mini-monstre en poil de yéti.

Ces récits mettaient en scène un aventurier au grand cœur, d'une intelligence redoutable et à l'humour décapant, appelé Terrence Swanson, qui arpentait l'Antarctique en compagnie d'un vieil elfe bougon et résolvait des mystères.

Arthur l'aimait d'autant plus que son deuxième prénom était le même que celui du héros.

Il ne faisait pas de lien avec l'une des photos de l'album d'école de ses parents, sur laquelle on voyait la salle commune de Gryffondor et un ado à lunettes qui venait de faire exploser un chaudron, un garçon blond assis à distance prudente d'un furet, une fille armée d'une batte de Quidditch, ainsi qu'un autre élève de deuxième année, tiré par surprise de son bouquin, dont les cheveux noirs emmêlés retombaient en désordre sur ses yeux verts.

- Papa ?

Les deux hommes se séparèrent et sourirent à l'enfant. Le bras d'Albus était toujours nonchalamment posé sur les épaules de Scorpius.

- Oui, criquet ?

- Il s'inquiète que tu ne veuilles pas lui rendre son parrain, dit Wendy gentiment. "C'est bon, Arthur, ils se sont retrouvés. Tu peux poser tes questions, maintenant."

Le visage du petit garçon s'illumina.

- Pas de question au sujet d'un cadeau, cependant, avertit encore sa maman.

Arthur eut une moue absolument adorable, jetant un regard d'envie vers la grosse boîte enturbannée tombée dans la neige, puis il secoua la tête et battit de ses longs cils soyeux.

- T'as vu des pirates ? demanda-t-il avec intérêt.

- Non, dit Scorpius, un peu étonné. "Il n'y a pas de pirates en Antarctique. Les trésors qui s'y trouvent appartiennent au domaine scientifique, ça ne les intéresse pas."

- Mais peut-être ils voudraient la poud'e qui fait voler les paplillons, suggéra l'enfant, un peu déçu.

- James est venu pendant les vacances de Noël et il lui a farci la tête de ses démêlés avec les contrebandiers siciliens, soupira Albus.

- Je vois, dit le jeune homme blond.

Il s'accroupit et ramassa la boîte ronde surmontée d'un gros nœud bleu, amusé par le regard fasciné qui suivait le moindre de ses mouvements.

- Ah. Je crois bien que c'est ton nom sur ce paquet, Arthur, dit-il.

Le petit garçon fit un bond de joie et battit des mains, avant de se hausser sur la pointe de ses bottes pour chuchoter à sa mère "tu vois, j'te l'avais dit !"

Celle-ci leva les yeux au ciel.

- Tu le gâtes trop, Malefoy, dit-elle d'un ton plein d'affection.

Albus hocha la tête, mais il avait l'air aussi content que son fils qui se dépêchait de tirer sur le ruban.

- Peut-être c'est un mamimal !

Arthur adorait les animaux, comme tous les enfants de son âge, mais on lui avait appris qu'il ne fallait pas les prendre pour des peluches vivantes. La jambe en bois de Papa, évidemment, était la preuve que les créatures magiques n'étaient pas toujours aussi sympathiques que dans les livres d'images. On ne courait pas au-devant d'un chien (ou d'un loup) sans d'abord s'assurer qu'il était bonne patte, sans quoi les conséquences pouvaient être graves, comme en témoignaient les marques de griffures sur le visage du grand-oncle Bill. La balafre du crâne chauve de Grand-père Barrie vous rappelait qu'il ne fallait pas s'approcher trop près des rivières : les crocodiles sont tatillons au sujet de leur territoire. Quant à la cicatrice au front de Papi Harry, à défaut de vous mettre en garde contre une bête à poil ou à plume, elle vous déconseillait de parler aux inconnus dans la rue – surtout ceux cachés sous un long manteau à capuche.

Comme tous les enfants de son âge, il était aussi tout à fait incapable de s'occuper d'un chiot ou d'un crapaud, malgré toutes les promesses qu'il pouvait faire. Pour le consoler, Albus l'emmenait souvent avec lui au travail et le laissait nourrir les porlocks ou brosser les Ethonans gardés en observation à l'Institut.

- Quand j'auras six ans, maman a dit que j'pourras avoir un Boursouf, expliqua Arthur avec un gloussement heureux, tout en plongeant les mains dans la boîte pour extirper son cadeau des plis du papier de soie froissé.

- J'y veillerai, dit Scorpius. "Mais sinon je peux aussi te ramener un toucan invisible ou un lézard-libellule, si tu veux, à moins que ta mère ne me menace d'un coup de batte."

Il s'était tourné vers Wendy en s'attendant à une tape ou à une riposte, mais la plaisanterie tomba à plat. La jeune femme venait d'hoqueter de surprise.

- Oh. C'est un dragon, dit l'enfant, surpris, au même moment. Il leva ses grands yeux vers son père, un peu inquiet. "Mais c'est pas un dragon messant comme çui qu'ya manzé ta jambe, hein, papa ?"

A vrai dire, ce n'était pas vraiment un dragon. C'était plutôt un drôle de chat, noir et bourru, avec de petites ailes de chauve-souris et une queue en forme d'as de pique. Il avait une grosse tête ronde souriante et des yeux en verre étonnement expressifs, un collier rouge autour du cou auquel pendait une clochette d'argent et des coussinets de feutrine sous les pattes.

Albus pressa gentiment la main de sa femme, puis il s'accroupit dans la neige à côté de son fils et lui ébouriffa les cheveux.

- Non, je suis sûr que celui-ci est très gentil. Il a seulement besoin d'être apprivoisé. Un jour, quand tu seras plus grand, je te raconterai l'histoire d'un dragon qui était mon ami.

Arthur mordilla sa lèvre inférieure, comme le faisait sa mère quand elle réfléchissait.

- C'est quoi, "applivoisé" ?

Son père hésita, puis il pouffa de rire.

- C'est… demande à ton parrain.

- Eh, c'est toi, l'éthologue !

- Ouais, mais je suis sûr que tu connais une bonne histoire sur ce thème.

Scorpius hocha gravement la tête.

- Oui, en effet. Les Français m'en ont raconté une, cet été, quand on a fait le programme d'échange des Bases. Je suis certain qu'elle te plaira beaucoup, ajouta-t-il en souriant à l'enfant, soulagé de voir que ses deux amis semblaient plus détendus.

Le givre aux branches grêles des bouleaux scintillait doucement aux rayons du soleil.

- Y a un petit garçon comme moi, dedans ? demanda Arthur avec intérêt.

- En effet. Il y a aussi un renard, une étoile – enfin, un astéroïde, plutôt – et une rose.

- ça a l'air tout à fait adorable, dit Wendy d'une voix légèrement enrouée. "Est-ce qu'il y aussi de la baston ?"

- Non, soupira Scorpius en levant les yeux au ciel.

- Rassuré ? demanda Albus à son fils.

- Voui, répondit le garçonnet.

Il considéra de nouveau la peluche, puis colla un gros baiser sur la truffe en cuir noir.

- Je vas t'applivoiser, chuchota-t-il au petit dragon de fourrure qui le regardait.

- Qu'est-ce qu'on dit ? rappela Wendy.

- Merci, Sco'pius, claironna joyeusement l'enfant.

Et il se mit à courir tout autour de la clairière avec son nouveau cadeau, soulevant un poudroiement de neige scintillante.

- On dirait Crocmou, dit lentement Albus.

- C'était supposé être une panthère ailée, protesta Scorpius.

Il y eut un instant de silence.

- Tu as bien fait, sourit ensuite Wendy.

- ça vient vraiment d'Antarctique, cette peluche ? demanda son mari, les sourcils toujours froncés.

Scorpius secoua la tête.

- Mais non, benêt, dit-il avec ironie. "Je l'ai acheté sur le Chemin de Traverse avant de prendre le train, au Merveilleux Emporium de Mr. Magorium. C'est le magasin dans la rue qui fait l'angle avec la boutique de ton oncle. Ne me dis pas que vous n'y êtes jamais allés ! C'est le paradis, pour les gosses."

- On finit toujours par oublier Al à la librairie quand on va faire les courses, pouffa Wendy en jetant un coup d'œil malicieux au jeune homme qui passait une main dans ses boucles sombres en prétendant de pas être concerné.

- Papa, tu fais un bonhomme de neige, réclama l'enfant en revenant et en se pendant au bras de son père.

- Papa, tu fais un bonhomme de neige s'il te plaît, corrigea Wendy.

- Si te plaît. Pour montrer à Sco'pius !

- Les siens sont pas mal non plus, tu sais, dit Albus en se laissant entraîner, non sans adresser un clin d'œil moqueur à son ami. "Je me rappelle d'un quadrupède en flotte gelée qui avait flanqué une frousse pas possible à "Bobbie" Abbot..."

- Ne ressors pas d'aussi vieilles histoires, je pourrais me mettre à déterrer quelques souvenirs gênants, riposta l'agent du gouvernement avec ironie.

Wendy pouffa.

- Vous deux, franchement… c'est comme si on était de retour à Poudlard, dès que tu es là depuis cinq minutes !

Scorpius eut un sourire triste.

- Mais nous n'avons plus quatorze ans et Terrence est parti, murmura-t-il, presque malgré lui.

Wendy lui prit le bras et appuya sa tête contre l'épaule du jeune homme blond.

- C'était très long pour nous aussi, dit-elle doucement.

Il ne répondit pas. Son haleine s'élevait régulièrement dans l'air froid. Il suivait des yeux la paire qui courait derrière le bonhomme de neige en train de prendre la poudre d'escampette, trois branchettes lui poussant sur le crâne comme des épis mal coiffés.

Albus finit par s'affaler, à bout de souffle, et se laissa tomber dans la blancheur moelleuse de la forêt, les bras en croix. Arthur vint s'assurer qu'il allait bien et se débattit en criant de joie quand son père l'attrapa par surprise et se mit à le chatouiller.

Scorpius avait esquissé un geste, mais s'était ravisé en voyant que tout allait bien.

- Que disent les médicomages ? marmonna-t-il.

Wendy se détacha de lui.

- Qu'il pourrait vivre encore vingt ans.

Sa voix s'étrangla et elle détourna la tête.

- Mais quand tu repartiras, ils diront soudain qu'il s'est affaibli, qu'il… C'est tellement cruel ! Je voudrais tant que tu puisses venir ou rester ici sans… sans que…

Elle ne termina pas sa phrase et Scorpius ferma les yeux un instant.

Il savait très bien ce qu'elle n'osait pas formuler à haute voix. Ils avaient fini par comprendre que chaque fois que les vingt-un jours accordés par les Souffleurs s'écoulaient, une année était réduite sur le temps qu'il restait à Albus.

Mais Scorpius ne pouvait se résigner à ne plus jamais revenir.

- Et lui, qu'est-ce qu'il en dit ? murmura-t-il, parce que la réponse à cette question était ce qui l'aidait à ne pas se noyer dans sa culpabilité.

Wendy sourit, même si ses lèvres tremblaient. Elle rabattit en arrière une mèche châtaine qui lui frôlait le visage et prit une expression courageuse.

- Tu le connais. Il dit que chaque minute passée à s'inquiéter est une minute qui n'est pas passée à vivre. Alors il continue d'emmener ses élèves sur le terrain et ensuite il fait glousser Arthur de rire en lui racontant comment il s'est fait poursuivre par un Grapcorne enragé.

Elle eut un petit rire étranglé, puis leva ses yeux gris soyeux et rencontra le regard tourterelle du jeune homme, posé sur elle comme pour la supplier de pardonner.

-C'est grâce à toi, dit-elle fermement. "Je ne pourrais jamais assez te remercier. Alors arrête de te considérer comme un égoïste. Reviens toujours, Scorpius, chaque fois que les Souffleurs le permettent. Toutes ces années que nous avons obtenues… c'est grâce à toi. Ce serait injuste de ne pas les partager…"

Elle renifla, mais ça n'empêcha pas la larme qui venait de déborder de venir se perdre au coin de son sourire.

Scorpius hocha le menton, la gorge nouée. Il fit un mouvement, comme s'il allait parler, ou peut-être toucher la joue de la jeune femme, mais fut interrompu par le retour d'Arthur.

- Tu l'as vu ? pépia l'enfant surexcité, en sautillant autour de son parrain. "Il s'est sauvé, il a eu peur de mon dragon applivoisé !"

- Je l'ai vu, dit le jeune homme blond. "Je trouve qu'il ressemblait singulièrement à un certain bonhomme de neige qui hante la banquise..."

- Olaf ! cria Arthur, les yeux brillants. "Papa m'a dit qu'il l'a fait pour maman quand ils étaient avec toi à l'Antar-tique !"

- Ah, Olaf, c'était donc ça. Maintenant que je sais ça, on devrait pouvoir l'empêcher nous voler nos carottes.

- Des carottes qui poussent dans ton jardin, comme çé Grand-mère Weasley ?

Scorpius se mit à rire.

- Non, pas vraiment. Des glaçons qui ressemblent à des carottes. On les sort du sol pour pouvoir apprendre des choses sur la Terre. Mais Olaf n'a pas l'air de faire la différence.

Arthur réfléchit un instant.

- Tu devrais mett'e un épouvantail, comme le monsieur fou qui habite à côté de çé Mamie.

Albus faillit s'étouffer en essayant de retenir un éclat de rire.

- Je crois qu'on a déjà dit qu'il s'appelait M. Lovegood et qu'il était juste très vieux, c'est pour ça qu'il ne sait plus très bien ce qu'il dit, rectifia Wendy en lançant un coup d'œil d'avertissement à son mari.

Elle se pencha pour renouer l'écharpe du garçonnet et son manteau s'entrouvrit un peu. Scorpius leva un sourcil en apercevant la bosse sous son pull en cashmere rose.

- Hum, dit Albus en frottant sa nuque d'un air un peu embarrassé. "Euh, oui. On voulait te l'annoncer ce soir. C'est pour mai."

- C'est une petite sœur qui fait dodo dans le ventre de maman, expliqua fièrement Arthur avant de repartir en courant, sa peluche sous le bras, à la poursuite du bonhomme de neige qui avait commis l'erreur de revenir pointer sa tête en forme de navet entre deux arbres.

- Il est plein d'énergie, commenta platement son parrain.

- Il parait que ça ne va qu'en augmentant, et avec encore plus de bêtises, soupira comiquement Albus.

- Sa dernière lubie, c'est de se teindre les cheveux en bleu comme le petit Remus, ajouta Wendy en riant. "Je vais peut-être le laisser faire, mais seulement pour son anniversaire. Ah, en parlant de Remus, tu sais qu'il entre à Poudlard l'année prochaine ? Comme le temps passe vite !"

- On était encore à l'école quand Teddy s'est marié, il avait fallu une permission de sortie exceptionnelle…

Il y eut un instant de silence amusé et ému, dans lequel flotta le nom de Terrence.

Arthur et Olaf jouaient à cache-cache entre les arbres gris. Le petit dragon de fourrure noire était à moitié étranglé par le bras du petit garçon et ses pattes se balançaient dans le vide, frôlant parfois un monticule de neige. Malgré tout, la gueule de la peluche semblait sourire béatement.

Albus eut un petit rire de gorge, puis se tourna vers l'agent du gouvernement pour demander des nouvelles de la Tour d'Observation. Wendy voulut savoir qui s'occupait de la Citrouille et si les plans qu'elle avait envoyés étaient bien arrivés. Scorpius se fit un plaisir de répondre à leurs questions, tandis qu'ils marchaient tranquillement au bord de la rivière argentée, tout en gardant un œil sur le petit garçon farceur et son compagnon de jeu inattendu.

- Si ce que disait Calcifer est vrai, alors la Porte s'ouvrira de nouveau dans trois ans, conclut le jeune homme blond en soufflant sur ses mains pour les réchauffer. "Je ferai partie de l'expédition, bien sûr. Vous voulez que je vous ramène quelque chose ?"

- Un peu de ces cailloux qui flottaient dans les airs, dit Wendy avec un claquement de doigts. "Ça me sera utile pour mon projet."

- Elle compte bien aller explorer la face cachée de la Lune. Je ne sais pas qui lui a fourré cette idée dans la tête, mais si je l'attrape…

Scorpius ignora superbement la menace. Il sortit sa baguette de la poche intérieure de son long manteau sombre et l'agita en direction de sa valise pour que le bagage les suive, en profitant pour attirer à lui son chapeau dont il se coiffa crânement.

- Et toi ? insista-t-il, levant son regard gris sous le rebord de feutre noir. "Qu'est-ce que tu aimerais que je te ramène de l'Axe ?"

Albus se contenta de sourire tranquillement.

- Reviens sain et sauf, ça suffira.

Wendy hocha gravement le menton.

Scorpius toussota pour cacher son émotion.

- Et que dit le Ministère de ce projet de véhicule lunaire ? s'enquit-il d'une voix un peu rauque.

Dans la forêt revêtue de blancheur, le bonhomme de neige faisait ses adieux à l'enfant coiffé d'un bonnet rouge à pompons.

- Oh, Papa est à fond, même si la paperasse l'ennuie d'avance. Et les vieux du Département des Mystères ne tiennent plus en place, ils échafaudent des théories encore plus abracadabrantes que le père de Luna, se plaignit Albus, même si un éclat amusé brillait dans ses yeux verts.

- Mais il n'est pas question de partir avant que les enfants ne soient en âge d'aller à Poudlard, ajouta Wendy en posant une main sur son ventre.

- Est-ce que vous av-

Scorpius s'interrompit avec une exclamation de surprise quand Arthur lui sauta dans le dos, s'accrochant comme un petit singe aux pans de son long manteau.

- Tu m'as trop manqué ! s'écria le petit garçon en frottant son nez rougi et reniflant sur l'épaule de son parrain qui grimaça devant l'air narquois d'Albus. "On va goûter ? J'ai faim !"

- Oui, rit Wendy. "Ça va te plaire, j'ai fait un gâteau, Scorpius."

- Ouf, grommela le jeune homme. "Pendant un instant j'ai cru que tu allais me proposer des toasts beurrés et des sardines."

- On peut ouvrir une boîte de conserve, si tu veux, proposa le père d'Arthur, tout en décrochant son fils de son perchoir et en le posant dans la neige.

- Non merci, dit Scorpius avec un frisson.

Son filleul lui prit la main et se mit à sautiller gaiment à côté de lui sur le chemin, babillant à tort et à travers sur les bonhommes de neige, Terrence Swanson, l'école et les créatures magiques, son sujet favori. Albus enlaça Wendy et ils les suivirent tranquillement.

A travers les bouleaux élancés, les premières maisons apparurent, nichées dans la neige. Les cheminées sur leurs toits pointus laissaient échapper de légères spirales de fumée bleutée et la clarté chaude aux fenêtres donnait envie d'aller se pelotonner au coin du feu avec une bonne tasse de thé.

L'air était craquant, il avait un goût de cannelle, d'orange et de clou de girofle.

- Un jour, moi, je vas aller à l'Antar-tique et je vas jouer avec les renards, dit Arthur très sérieux.

- J'en suis sûr, acquiesça Scorpius, tout aussi sérieusement.

- Mon dragon, il viendra aussi et il me plotégera si y'a des messants pirates.

Le jeune homme blond sourit et ébouriffa les boucles sombres du petit garçon.

- Avoir un dragon avec soi, c'est toujours une bonne idée, dit-il. "Alors, comment tu vas l'appeler ?"

La clochette d'argent au collier rouge tintinnabula joyeusement quand Arthur leva le doudou pour l'examiner de plus près, penchant la tête sur le côté. Il réfléchit quelques secondes, puis gloussa de plaisir.

- Je vas l'appeler Copain. Viens, Copain, on va à l'Antar-tique. On s'envole ! Deuxième étoile à d'oite et pis tout d'oit jusqu'au matin !

Il lança la peluche en l'air et celui-ci déploya ses ailes dans un son cristallin. L'enfant s'éloigna en courant vers le petit pont de pierre, les bras étendus, ses bottes crissant dans la neige, le dragon de fourrure noire virevoltant à ses côtés.

- C'est de la magie instinctive, n'est-ce pas ? souffla Albus, pétrifié.

- C'est de la magie instinctive, confirma doucement Wendy en glissant sa main dans celle de son mari.

La lumière de fin d'après-midi chatoyait au bord des toits perlés de givre. Au loin, un clocher sonnait. La nuit montait lentement sur l'horizon et le ciel se teintait de mauve et d'or derrière les silhouettes sombres des arbres. Des tourterelles picoraient en roucoulant sur la fontaine gelée.

Arthur et le dragon se confiaient des secrets au-dessus du ruisseau gelé.

Tout était paisible.

- C'est la première fois qu'il fait de la magie, dit Scorpius en enfonçant les mains dans les poches de son long manteau noir.

Et il savoura sans arrière-pensée le sentiment qui le remplissait tout entier à cet instant.

Il était parfaitement heureux.

 

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