La Présidente

Chapitre 4 : Le choc

1174 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 11/12/2016 18:23

  • Aaaaah! je cris, affolé. Je me lève et je déambule dans la pièce, en proie à une colère et un confusion si grandes quand j’en ai mal au coeur.

Ce n’est qu’après une longue série de sanglots étouffés et de cris de fillette que je me calme, et que je commence à me rendre compte que Bill n’a pas bougé. Il est blanc, immobile sur sa chaise, et ses yeux me fixent avec une terreur marquée.

Je me sens irresponsable, je me maudis. C’est lui qui a le poids des risques sur ses épaules, et il n’a pas bronché. Pas encore. Puis je me souviens qu’il a treize ans et qu’il a un tempérament calme et fragile. Il me saute dans les bras en pleurant à grosses gouttes. Nous restons ainsi pendant de longues minutes. Peut-être une heure. J’en profite pour évaluer la situation d’un autre angle.

Dans le district 8, avec nos trente-deux millions d’habitants, nous sommes l’un des districts les plus peuplés au côté du 1, du 4 et du 11. Nos tributs sont moissonnés dans une population de six millions d’enfants éligibles. en réduisant aux individus de moins de quinze ans, on atteint seulement cinq-cent mille tributs potentiels pour ces 100e Hunger Games; pendant la Seconde Rébellion et les années qui la suivirent, beaucoup de jeunes moururent pour la Révolte ou succombèrent à des maladies très contagieuses comme la rougeole ou la grippe, le Capitole ayant cessé un long moment de nous approvisionner en médicaments (“comme par hasard”). Ce manque soudain de jeunes réduisit considérablement le nombre d’enfants de la génération suivante.

Ayant pris deux ans depuis qu’il est devenu éligible, Bill a donc deux chances sur cinq-cent mille d’être moissonné.

Le reste de la soirée se passa en silence. Dans tout Panem, les familles tremblaient.

Les jours s’écoulèrent. La nuit succédait au jour, le jour revenait à chaque fois, déterminé à éclairer en vain nos humeurs sombres. Puis vint le matin de la Moisson, sans qu’on ai eu le temps de le voir venir. Tout le monde est rassemblé sur l’immense place Snow.

Je regarde Bill se faire inscrire dans les registres du district. Pitié, pitié, pas lui, ne le choisissez pas, pas lui, pas mon frère…

Il va se placer dans le rang réservé aux I-13 (Individus âgés de 13 ans). Je détaille chaque parcelle de son visage. Je transpire, je tremble de partout.

  • Bienvenue à tous! Aujourd’hui, on est quel jour? cria notre hôtesse, Celia Frendsmith. On est le jour de la Moisson! Ce qu’on va s’amuser!
  • C’est sûr, on peut presque flairer la joie, dit quelqu’un dans la foule.

Quelques rires secs s’élevèrent. Nous haïssons Celia pour son habitude dérangeante de nous parler comme si nous avions tous cinq ans.

Frendsmith se renfrogne vite. D’une voix qu’elle tente de faire paraître enthousiaste, elle lance:

  • Comme toujours, les jeunes filles d’abord!

Celia se précipite vers la Boule de Moisson des filles, apparemment pressée d’en finir avec cette tâche ennuyeuse que d’envoyer deux gamins dans une arène où ils mourront sûrement.

  • Le tribut femelle du district 8 est… Ruth Swanson!

Un hurlement. Deux Pacificateurs se précipitent dans la foule et en sortent en traînant une adolescente en pleurs, qui se débat en vain.

  • Voilà pour les filles, crie Celia pour tenter de ramener l’attention des caméras sur elle. Elle a beau avoir un coeur de pierre envers les gens du 8, elle sait que cette réaction aura tôt fait de décourager les sponsors du Capitole d’aider la jeune Ruth. Au tour du tribut mâle.

Ma gorge se serre. Celia s’approche de la Boule de Moisson des garçons. Plonge la main dedans. en ressort un petit bout de papier.

  • Le tribut mâle du district 8 est… Jason Logan!

Ma gorge se desserre, je peux enfin respirer. Ce n’est pas Bill! Extraordinaire.

Puis je remarque la tête de mes voisins, stupéfaits et furieux. Puis je me rappelle. Jason est le petit garçon de la famille des Logan, dont le père est le seul boulanger de la ville, et un des hommes les plus justes et les plus gentils que je connaisse. Il est très aimé, et sa famille est toujours bien élevée. Le petit Jason a onze ans, et il est autiste. Je ressens une haine plus virulente que jamais envers le Capitole.

  • Non! hurle une voix dans la foule. Je me porte volontaire!

Mes battements de coeur s’accélèrent, mes oreilles se bouchent. Qui a dit ça?

Les gens se dressent sur la pointe des pieds pour apercevoir le volontaire.

Il est petit, sinon je le verrais fendre la foule. Je peux seulement constater que les gens s’écartent en chuchotant pour laisser passer le garçon.

Puis il se produit quelque chose d'inédit. Quelque chose que je n'avais jamais vu auparavant, sauf une fois, sur un graffiti sur un mur poussiéreux. Tous les gens présents sur la place lèvent les trois doigts du milieu de leur main gauche à leurs lèvres, puis le présentent en levant le bras. Un frémissement me parcourt. Je vois un vieillard lâcher un petit rire, puis mettre deux doigts dans sa bouche et siffler doucement, mais fort, un enchaînement de quatre notes, qui est repris peu à peu par les gens autour de lui. Je suis bouche bée; je ne suis pas sûr que le Capitole va aimer. Puis je vois le vieillard me pointer du doigt et sourire. Je le reconnais, maintenant, c'est Peeta Mellark, l'ancêtre d'en face. Les Pacificateurs l'ont certainement remarqué, car il a la tête pulvérisée par une balle de sniper. Le tireur a mis un silencieux, si bien que je suis le seul à le voir mourir. Mais je suis dans une période de stress trop intense pour m'en occuper tout de suite. De toute façon, il est déjà mort.

Finalement, le volontaire sort de la foule.

A cet instant, on peut observer une sorte de connexion entre ce jour-là et un autre matin, vingt-six ans auparavant, à des milliers de kilomètres de distance. Un autre matin où une jeune femme avait vu sa petite soeur être choisie. Une sensation d’écrasement, un effondrement intérieur, qu’aucun mot n’est capable de représenter. Tout un monde réduit à néant, broyé dans un mélange poisseux de sentiments, de douleur et de cadeaux piégés enveloppés dans de petites boîtes parachutées au milieu d’un foule d’innocents.

Bill s’avança sur la scène.

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