La Présidente

Chapitre 21 : Le corps

979 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 09/03/2017 19:43

Le garçon, tremblant de froid dans la nuit, était accroupi devant un corps. Un corps de femme, déchiqueté au niveau du bassin par une rafale de balles grosses comme des balles de golf. Les yeux du cadavre fixait le ciel sans étoiles, taché ici et là de volutes de fumée noire éclairés par la scène de guérilla en contrebas. Le garçon gémissait doucement, des larmes chaudes et piquantes lui roulaient sur le visage, laissant une traînée humide sur ses joues couvertes de poussière. Secoué de spasme, perdu dans un immense océan de corps inanimés, Arthur se détacha de la femme et s’affala lourdement à son côté, à demi inconscient.

Son père était parti en premier. Arthur n’avait rien pût faire, et avait été condamné, effaré, à contempler à travers la fenêtre crasseuse de sa cuisine le spectacle silencieux des dix tourelles de stockage du complexe de traitement des récoltes qui s’effondraient méthodiquement sur elles-même dans une gigantesque explosion d’éclats de métal. De multiples jets de flammes jaillissant d’orifices percés dans l’une d’elles par une force invisible agrémentait la scène d’un macabre feu d’artifice. La radio posée sur la table en bois à côté de lui crachotait péniblement des informations horriblement déprimantes sur la situation. Le Geai Moqueur était mort, et les Pacificateurs avaient pour ordre de raser tous les terrains industriels et agricoles de Panem. Son père avait disparu de la même façon que son usine, vaporisé dans un nuage toxique de produit désinfectant. Il avait subi le même sort que les poissons. Arthur ne le regrettait pas, pas encore. Mais, comme toutes les horreurs qu’il vivrait plus tard, cela viendrait.

Alexander avait été le second. Là non plus, Arthur n’avait pas vu la scène. Son frère avait été mobilisé comme le reste des membres de BLACKFOUR pour tenter d’entraver l’avancée des Pacificateurs le long de l’avenue principale. La plupart des rebelles s’étaient réfugiés dans les bâtiments, sur les toits. C’avait été un carnage. Les troupes du Capitole, bien plus nombreuses et mieux équipées, avaient pulvérisé les rebelles imprudents qui étaient restés sur leur chemin, tandis que les réfugiés des toits balançaient des objets lourds de toutes sortes, de la tringle de rideaux à la masse de bricolage.  Pour avoir eu l’idée de rester au sol, Alexander avait sûrement cru avoir trouvé une planque stratégique, où même tout simplement voulu défendre farouchement son honneur. Qu’en savait-il? De toute façon, les pistolets solaires du Capitole ne pardonnaient pas, et dans la pluie de cailloux et d’objets divers qui s’abattaient sur eux depuis le toit des maisons, parfois situé à cinq étages de haut leurs utilisateurs ne s’attardaient pas à distinguer civils de rebelles, enfants d’adultes. Tout ce qui bougeait devenait une cible jusqu’à ne plus bouger du tout. Son frère reposait désormais sous d’autres corps entassés à la hâte sur le côté de la rue pour laisser passer les camions blindés chargés de renforts.


  • Arthur, il faut partir. Maintenant.
  • Maman… Ils ont eu Papa.
  • Je sais…
  • Et Alex, il va bien?
  • Ton frère nous rejoindra… Il… Il me l’a promis.
  • Mais…
  • Arthur. Maintenant.


Maintenant, Arthur comprenait son erreur de ne pas avoir tout de suite obéi à sa mère. Dix secondes de décalage avaient peut-être coûté la vie de celle-ci. Si ils avaient quitté la maison dix secondes plus tôt, le quartier n’aurait explosé que bien après leur départ. La foule de Pacificateurs chargés de nettoyer les décombres n’auraient pas aperçu les couleurs vives du manteau d’hiver de sa mère, et l’un d’eux n’aurait pas levé son arme et tiré une balle mortelle dans l’abdomen de celle-ci, la tuant sur le coup. Arthur n’aurait pas perdu de temps à la traîner jusqu’à la colline en amont de la ville. Et ensuite…

Ensuite? Tu plaisantes? Elle est morte, mec. Les Pacificateurs sont à ta recherche, tu leur a laissé un superbe filet de sang frais qui descend jusqu’à la maison. Donne-toi cinq petites minutes avant qu’ils ne te retrouvent et qu’ils te fassent payer ta connerie. Et ensuite? Vas-y, cherche! Tu n’es pour rien dans ce qui s’est produit aujourd’hui, mais tu peux pas te laisser faire! Si? Qu’est-ce qu’il aurait fait, Alex, hein? Qu’est-ce qu’il aurait fait?

Il aurait abandonné Maman. Et il aurait buté tous ces connards.

Déglutissant difficilement, Arthur se sépara du cadavre de sa mère et, refoulant tant bien que mal ses sanglots, se releva. Là, derrière ces buissons, il y avait la barrière des Rocheuses, qui isolait très efficacement le Quatre des autres districts. Cependant, Alexander lui avait appris qu’il existait quelques passages dans la roche, d’anciens conduits de mine, apparemment. Il emprunterait l’un de ces tunnels, il irait voir le reste de Panem. Il ferait honneur à son frère, à son père et à sa mère. Il deviendrait un vrai rebelle. Le Geai Moqueur n’était qu’un leader. La cause, elle, ne meurt jamais.

Arthur se mit à marcher. Il s’interdit de jeter un regard en arrière, pour contempler une dernière fois le district Quatre, baignant dans le sang et le feu. Il se mit même à courir quand il entendit, au loin, les échanges de paroles et les bruits de pas des Pacificateurs.

Il allait buter tous ces connards.

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