La Présidente

Chapitre 20 : L'enfant

1393 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 03/02/2017 18:56

Alexander entra dans la salle de classe en poussant violemment la porte. Arthur sursauta, ainsi que les autres élèves autour de lui. La maîtresse était pétrifiée par la surprise, et parvint difficilement à bégayer:

  • Mais… mais...

L’adolescent l’ignora superbement. Des enfants dans le fond de la classe pouffèrent.

  • Arthur.

Celui-ci se figea. Des murmures s’élevèrent tout autour. Son grand frère se dirigea vers son pupitre, se pencha vers lui et lui chuchota à l’oreille:

  • Je veux te montrer quelque chose. Viens.
  • Mais, je n’ai pas le droit de me lever, répondit Arthur, incrédule. La maîtresse l’a interdit.

Alexander se redressa, l’air assuré. Puis lança plus fort, pour que tout le monde l’entende.

  • La maîtresse t’a interdit de te lever? Tu sais, Arthur, la maîtresse, on l’emmerde.

Tous les élèves se turent. Arthur, pourtant habitué au tempérament volcanique de son frère, se tendit encore plus.

  • Mais, Alex, c’est la maîtresse…
  • Et alors? demanda ce dernier, indifférent.
  • Bah, la maîtresse on l’insulte pas…
  • Mais  je ne l’ai pas insultée, mon petit Arthur. Je l’ai envoyée se faire foutre.
  • C’est la même chose.

La classe entière était focalisée sur la conversation en cours. Arthur s’en rendit compte, jauga brièvement la professeur toujours muette, et son visage se durcit.

  • Bon, Arthur, viens, on s’en va. C’est important.
  • Mais…

Arthur se trouvait face à un dilemme énorme pour un enfant de six ans. Suivre son frère, ou rester dans la salle pour faire plaisir à sa maîtresse?

Tiraillé entre ces deux options, il hésita. Cinq secondes. Dix secondes.

  • Arthur… tu vas aimer.

Son frère lui tendit la main. Arthur la prit.

Après être sortis en trombe de la classe, Alexander lui fit passer plusieurs portes. Ils longèrent des murs, coururent dans des tunnels plongés dans le noir, et parvinrent au bout de dix minutes de trajet devant une fenêtre au niveau du toit de l’école. Alexander passa en premier, ouvrit d’un tour de clé trouvée il ne savait où, et sauta sur le toit.

  • Arthur. Viens!

Sa voix était mi-insistante, mi-impatiente. Arthur hésita une seconde sur le rebord de la fenêtre, puis sa curiosité l’emporta. Il rejoignit Alexander à deux mètres de la petite barrière de métal symbolisant la fin du toit. Des cris s’élevaient peu à peu en dessous, dans la rue.

Ils avaient une vue quasi-totale du District Quatre depuis leur poste d’observation improvisé. Aux premiers plans, les petites maisonnettes des habitants s’étendaient par milliers à perte de vue sur toute la plaine. Derrière elles, des usines de traitement de poisson grimpaient les pentes vertigineuses de la Grande Barrière, autrefois appelées les “Rocheuses”.

Les cris en bas se firent de plus en plus fréquents. Des gens hurlèrent des ordres, d’autres couraient. Puis soudain, plus rien. Tout s’était tu.

Alexander se rapprocha en trottinant du bord du toit, puis se pencha pour regarder. Arthur fit mine de le rejoindre.

  • Non! Arthur, c’est pas bien! Reste là où tu es.
  • Mais… je peux voir?
  • Quand je serais sûr que tu ne risque rien.

Soudain, un coup de feu retentit. Trois étages sous eux, un corps s’affala dans la poussière sablonneuse qui couvrait en permanence les rues du Quatre.

Arthur frissonna violemment. Même son frère, malgré son audace, fit un pas en arrière.

D’autres coups de feu retentirent en contrebas. Des hurlements s’élevèrent. Les corps tombaient, mais les armes se vidaient trop vite.

Le petit garçon voyait clairement la scène, sans pourtant en être un spectateur direct.

D’autres gens vinrent en renfort pour remplacer ceux qui étaient touchés. Les hurlements et l’explosion d’adrénaline de la rue continuèrent pendant plusieurs minutes. Arthur flottait dans son monde intérieur, bercé et maintenu éveillé à la fois par les bruits d’en bas. Il savait que tout ce qui le condamnait à mener cette vie sans libertés allait être supprimé. Il savait que le calvaire était terminé.

La véritable guerre qui s’était déroulée devant l’école s’arrêtait aussi vite qu’elle avait commencé.

Pendant une dizaine de seconde, un silence pesant tomba sur la rue, et sur ses environs.

  • Arthur.

Alexander arborait un sourire radieux.

  • Oui? C’est fini? Pourquoi y a plus de bruit?
  • C’est le calme après la tempête. Viens voir là.

Arthur obéit. Il courut vers les bras protecteurs de son frère et s’y blottit. Celui-ci lâcha un petit rire.

  • Par contre, Arthur, je vais te demander de ne pas regarder directement le sol.
  • D’accord.
  • Tu dois me le promettre.
  • Promis, juré.
  • D’accord, petit frère. Regarde.

Dans la rue, des tas éparses de vêtements rouges et blancs jonchaient le trottoir. Arthur savait que le blanc était la couleur réglementaire des ouvriers du Grand Port, et celle des Pacificateurs, mais il ne connaissait pas la signification du rouge. Il s’en fichait, et de tout façon, il ne devait pas regarder le sol. Il poina donc son regard curieux vers le bout de la rue, cinq cent mètres plus loin. Une foule compacte de personnes couraient vers eux, en dévalant la rue. Ils devaient être des milliers. Au fur et à mesure qu’ils se rapprochaient, l’enfant constata que leurs lèvres bougeaient de façon simultanée. Puis une légère mélodie vint à ses oreilles. Les gens chantaient.

Ils n’étaient plus loin, à présent. Arthur put vite distinguer tous les mots de la chanson. C’était impossible à oublier.


Veux-tu, veux-tu

Au grand arbre me trouver

Là où ils ont lynché leur fameux meurtrier

Des choses étranges s'y sont vues

Moi j'aurais aimé

À minuit, te revoir, à l'arbre du pendu.


Veux-tu, veux-tu

Au grand arbre me trouver

Là où la mort a hurlé à sa belle de filer

Des choses étranges s'y sont vues

Moi j'aurais aimé

À minuit, te revoir, à l'arbre du pendu.


Au bout du deuxième couplet, deux hommes défoncèrent la porte de service permettant d’accéder au toit.

Ils se précipitèrent vers Arthur et Alexander, et les plaquèrent au mur le plus proche avec une violence inouïe. Par chance, aucun des deux ne fut blessé. Arthur se mit à pleurer. Un des hommes lança, d’une voix grave et éraillée:

  • Z’êtes qui, les mioches? Devriez pas être en classe à cette heure?

Alors, Alexander lâcha, agacé:

  • Franchement? Vous m’avez pas reconnu?
  • Hein?
  • Je ne vous dis vraiment rien?
  • Ben, ricana le deuxième homme, à part un gamin fauché ordinaire, non, désolé.
  • Alexander Brooks. Co-fondateur du réseau BLACKFOUR.

Le visage du premier homme pâlit. Arthur s’arrêta net de pleurer, stupéfait.

  • Merde! Joe, c’est lui.
  • Sûr?
  • Ouaip. Sa photo est dans la salle de réunion. A titre posthume.
  • Tiens donc. Comment aurais-tu, juste comme ça, sans détours, pu revenir à la vie.
  • Je ne suis même pas mort, répliqua froidement Alexander. On est tombé en embuscade alors qu’on essayait de faire sauter leur réserve d’essence, mais ces cons n’avaient pas prévu qu’on puisse faire exploser le bidule en leur présence. On s’est tiré avant qu’ils ne se rendent compte de leur bourde.
  • Ce… C’était vous, ça?
  • Ouaip, répondit Alexander en souriant.
  • Lâche-les, Joe. J’veux pas d’ennuis avec BLACKFOUR.

Cinq minutes plus tard, Arthur et son grand frère s’engagèrent dans la rue et se mêlèrent à la foule. Arthur était toujours sous le choc.

  • Alex?
  • Oui?
  • C’est vrai, tout ça? T’as vraiment fait exploser des camions?
  • Ouaip.

Arthur, en guise d’explication, leva un doigt vers la bouche, tout sourire.

N’en parle pas à maman.


Tu vas voir, Arthur. Tout est fini. Notre vie va changer. Katniss Everdeen va changer la donne. Il n’y aura plus de danger. Pas pour toi, petit frère.

Laisser un commentaire ?