L'Exécuteur

Chapitre 9

7015 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 26/05/2016 21:44

Un grand merci à aki159 pour le commentaire, c'est très gentiiill ! *-* J'ai des étoiles dans les yeux d'en avoir un sur ce site, tu vois ça ? XD Je t'ai mis 4 chapitres d'un coup, profite bien cocotte !

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Le même rêve qu'il avait appris à connaître par cœur, les mêmes sensations d'effroi et d'impuissance. Mais cette fois-ci c'était différent. Cette fois-ci, alors qu'il tombait à travers le verre brisé, quelqu'un l'avait suivi dans sa chute. Cet homme qu'il avait tué, ce vigile dont il ne connaissait rien, ce grand brun qui l'avait espionné et dont il n'avait toujours pas compris le but. Il n'avait pas pu l'interroger hélas, ça avait une fois de plus été une histoire de « c'était lui ou moi ».

Notre protagoniste tombait dans le vide, encore et toujours plus vite, et il ne tenta même pas d'activer son pouvoir, celui-ci ne fonctionnant jamais dans ce cauchemar. Il regarda l'homme en costume se rapprocher de lui sans qu'il ne puisse rien faire, ses membres refusant de se mouvoir correctement, avec une lenteur extrême. Le vigile tendit le bras et l'attrapa par le poignet. Les traits de son visage étaient déformés par la douleur et la rancœur, et des larmes coulaient à flot sur ses joues grisâtres à l'aspect dur et froid. Lorsqu'il ouvrit la bouche, Eren put apercevoir sa langue violacée presque noire.

« Tu es cruel. Je te hais.

Le son de sa voix était étrange, comme rouillé, à la fois grinçant et tremblotant. L'infirmier ne put répondre, ses cordes vocales restant obstinément muettes. L'autre se rapprocha un peu plus de lui, l'empoignant par le col, son visage à une poignée de centimètres seulement du sien, lui soufflant son haleine fétide. Une haleine de mort.

- Tu es stupide. Je te hais, je te hais, je te hais.

Finalement, il vint se placer dans son dos, ses bras et ses jambes enserrant son torse et ses cuisses, et son menton se posa sur son épaule, ses lèvres glacées chuchotant contre son oreille. Notre brun ne pouvait toujours pas esquisser le moindre geste, et ses yeux étaient écarquillés, dans l'attente de ce qui allait suivre.

- Tu es un lâche. Et plus tu tueras, plus cela précipitera ta mort. Je te hais, je te hais, je te hais. Tu es détestable. Inhumain.

Des doigts froids enserrèrent tel un étau le cou du jeune adulte, mais sans appuyer trop fort.

- Tu es maudit. Je te hais.

Et le vigile resserra son emprise subitement, l'étranglant de toutes ses forces. Les yeux de l'infirmier se révulsèrent, et sa bouche s'ouvrit en un cri silencieux.

- Je te hais ! hurlait maintenant l'autre, alors que le sol se rapprochait à une vitesse extraordinaire. Je te hais ! Je te hais ! JE TE HAIS ! »

Eren ouvrit les yeux, la respiration sifflante. Encore une fois la sueur ruisselait sur sa peau, et il se sentit étouffer dans ses vêtements. Autour de lui le calme était complet, étourdissant. Son corps baignait dans le noir, insistant, et il se souvint de là où il se trouvait, ainsi que de la manière dont il avait pu atterrir ici. Et heureusement, il y était encore. Une lumière provenait de droit devant lui, un mince filet passant de sous la porte menant au toit. Il faisait donc jour… L'Exécuteur ne pouvait pas sortir, habillé de la sorte. Mais il était de toute manière trop faible, et toujours aussi exténué, donc cela ne changeait rien au final. Il devrait se terrer ici pour au moins quelques heures. Cette putain de drogue était puissante, tant l'organisme avait du mal à la digérer. Et cela confirma ses dires intérieurs lorsqu'il sentit de nouveau ses paupières s'alourdirent, et son esprit se faire envahir de ténèbres. Merde.

.

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Elément du passé d'Eren, huit années en arrière, il avait donc quatorze ans :

Le brun triturait ses petits pois dans son assiette avec sa fourchette, les faisant rouler, les écrasant. Face à lui se tenait Kitz, père d'une fille de vingt-quatre ans, divorcé. Il avait également été la personne qui gardait Eren quand il était petit.

« Mange, ou ça va être froid, lui signala-t-il.

L'adolescent soupira :

- Papa devrait normalement être rentré depuis bientôt quatre heures…

- En effet, mais tu sais bien qu'il a beaucoup de travail, répliqua le blond avec une moue embêtée.

Cela faisait maintenant un an que Carla était morte, et depuis Grisha n'avait pas cessé de rechercher le meurtrier. Pas un seul jour ne s'était écoulé sans qu'il n'aille questionner des personnes sur le terrain, et parfois ne fouille dans des dossiers de la Police Spéciale. Il avait beau être le Capitaine de l'Unité Spéciale, il avait été relevé de l'enquête, y étant trop impliqué. Mais ça ne l'avait en rien arrêté. Sauf que cela n'était au bout d'un moment pas passé inaperçu, et il avait reçu trois avertissements. Mais il n'avait cessé de continuer, et il était de plus dans un état pitoyable. Fatigué, mangeant trop peu, commençant à perdre la boule.

Pour finir, il y a trois mois et demi de cela, il fut suspendu pour une durée indéterminée, et il eut le malheur d'aller s'en prendre personnellement au Chef. De manière plutôt violente, qui avait même été définie comme « sauvage » dans le rapport. En bref il avait été viré, et se trouvait maintenant au chômage, piochant sur l'argent qu'il avait depuis si longtemps économisé avec sa défunte femme pour arrondir leurs fins de mois lorsqu'ils seraient à la retraite, et pour se payer quelques voyages. Eren savait tout ça, il avait cherché et trouvé les réponses qu'il voulait. Son père dont il était auparavant si fier n'était plus qu'un simple déchet. Alors quand Kitz lui disait que Grisha « travaillait », il avait tout simplement envie d'envoyer valser son assiette de bouffe à travers la pièce. A la place de quoi il répondit avec un faux sourire :

- Oui tu as raison.

Et le blond n'y vit que du feu.

- Il ne devrait pas trop tarder maintenant.

Mon cul.

- J'espère.

- Si ce n'est pas le cas il ira te dire bonne nuit quand tu dormiras.

Tu ne sais pas à quel point tu te goures.

- C'est vrai. »

Kitz partit à vingt-trois heures, après avoir dit bonne nuit à Eren qui allait se coucher. En réalité, après avoir entendu la porte d'entrée claquer, le garçon redescendit les marches à pas de loup. Il savait que son père n'allait pas revenir avant au moins deux bonnes heures. Il stoppa devant la cheminée du salon, et, s'étendant de tout son long, il attrapa le Chisa Katana qui reposait un peu plus haut contre le mur, pour ensuite descendre dans la cave. Elle était particulièrement spacieuse par chance, et avait été autrefois utilisée en tant que second salon et salle de jeux, voire de fête. Ils recevaient du monde avant, lorsqu'ils étaient encore une petite famille unie. Mais Carla était morte, et maintenant Grisha était absent, cherchant par tous les moyens une façon de la venger, quitte à laisser son fils de côté. Il n'avait pas oublié Eren bien sûr, et il l'aimait de tout son cœur, mais disons qu'il était simplement… Ailleurs. Au début le jeune brun appréciait cela, parce qu'on lui fichait la paix et qu'il pouvait faire ce qu'il voulait, mais ça n'avait pas duré longtemps.

Il avait besoin de son père, besoin de son affection, de sa surveillance. Eren ne pouvait se résoudre à lui en vouloir cependant. Mais un enfant laissé seul trop longtemps, sans barrière lui étant imposée, ça peut tourner mal. Et l'adolescent ressentait plusieurs fois l'envie de se défouler, de cogner plus précisément. Encore et encore. Que ce soit ses poings qui souffrent à la place de son cœur en peine. Alors, sans demander l'avis de son paternel, il avait aménagé la cave. La salle de jeu était devenue une salle de combat. Il y avait mis des obstacles, des tapis de gym, trois punching-ball, et des coussins ainsi que quelques chaises avaient été éparpillés ici et là.

Il y a quelques jours il avait acheté du matériel neuf pour s'entraîner au Katana : du bambou épais et des cordes. Il s'était mis à faire son petit bricolage, plaçant les obstacles, les réparant… Il avait pris des cours par internet pour apprendre à magner la lame, mais ce n'était qu'assez récent, et il avait encore beaucoup de mal à retenir les mouvements et les enchaîner. Sa séance débuta par des assouplissements, puis par de l'endurance. Finalement il leva ses poings devant son visage, frappa le punching-ball avec rage. Une fois, deux fois… dix fois… vingt fois… Le brun s'arrêta quand les larmes obstruant ses yeux l'empêchèrent vraiment de voir correctement. Pourquoi ça ne marchait pas ? Pourquoi est-ce que ses pensées de torturé lui faisaient encore si mal ? Il fallait frapper plus fort. Et c'est ce qu'il fit, jusqu'à ce qu'il ne sente pratiquement plus ses mains et que ses ongles aient creusé de profonds sillons dans ses paumes, faisant se percer ses cloques – qui étaient apparues à force d'entraînements.

Ne pouvant plus utiliser ses poings, il fit avec ses jambes. Ses prédispositions à la douleur le faisaient progresser assez rapidement, cependant les impacts sur son corps d'adolescent en pleine croissance n'étaient pas forcément positifs. Sans vraiment s'en rendre compte il agissait de manière similaire à son père : il ne se nourrissait pas suffisamment et pas correctement, dormait peu, et lui aussi à sa manière il faisait s'éloigner cette peine qui le rongeait de l'intérieur. Ses mains se révélèrent finalement trop mal en point pour qu'il puisse manier le katana, et il dut se résoudre à arrêter l'entraînement. Cinquante petites minutes s'étaient écoulées. Il remonta d'un pas lourd les marches de la cave, qui menaient à son entrée, sans prendre la peine de ramener le katana. De toute façon son père ne descendait plus ici, et il ne remarquerait pas que l'arme était manquante au-dessus de la cheminée. En fait il ne remarquait plus rien du tout.

Irrité, le brun se rendit d'un pas raide dans la salle de bain, afin d'entourer ses mains dans de fines bandes blanches. Il croisa l'espace de deux minuscules secondes son reflet dans le miroir, mais ne s'y attarda pas. Il savait qu'il devait avoir une mine horrible, avec des cernes et de la sueur, et il pouvait pratiquement attacher en une petite queue de cheval ses longues mèches qui pendaient de part et d'autre de son visage fin. Prendre soin de soi était une notion s'étant éclipsée sur un plan bien, bien à l'arrière. Ses pas le menèrent dans la cuisine. Il voulut se servir un verre d'eau, quand il remarqua quelque chose d'inhabituel. Le petit placard du bas interdit était entrouvert, clé dans la serrure. N'hésitant pas une seconde de plus à satisfaire sa curiosité, il regarda à l'intérieur. Ce qu'il y vit ne le surprit nullement : des bouteilles à gogo de whisky et de vin rouge, ainsi que quelques-unes de bières qu'il ne connaissait pas. Il savait que son père buvait, trop, aux horaires où la nuit était tombée depuis bien trop longtemps et qu'il croyait que son fils dormait à poings fermés.

« Désolé mon vieux, mais je vais t'emprunter ça. »

Et il s'empara d'une bouteille de vin. Eren n'était absolument pas du genre à boire, et il avait seulement quatorze ans, mais il avait tout de même déjà goûté aux joies de l'alcool et connaissait ses effets anesthésiants. Pas très étonnant que son père se soit perdu dedans. Après l'avoir débouchonnée, l'adolescent remonta la bouteille dans sa chambre.

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Il avait bu un tiers du vin. Maintenant il rageait contre sa condition de terre-à-terre, qui l'empêchait d'user de son pouvoir comme bon lui semblait. L'alcool avait agi sur sa colère, attisant son mépris des règles. Il se leva de son tapis et ouvrit la fenêtre de sa chambre en grand. Le brun se positionna sur le rebord, pieds et torse nus, et bras écartés, attrapant le vent qui frappait la ville et emmêlait ses cheveux. Depuis ses onze ans Eren sortait seul afin d'améliorer son don. S'entraîner sur une surface plus grande que la cave de sa maison. Il voulait sentir la liberté courir contre sa peau en des ailes immenses, le faisant flotter dans cet espace vide qui tranchait entre la Terre et les nuages. Il se laissa tomber de sa fenêtre, bras tendus vers l'avant pour attraper une barre d'air, puis il atterrit deux mètres plus bas sur une plateforme invisible. Mais…

« Ça n'est pas suffisant. » déclara-t-il.

Alors il grimpa en haut du toit comme s'il montait le long d'une échelle. Parvenu au somment il se créa un long chemin vers les cieux, et il se mit à trottiner. La nuit était particulièrement sombre, les nuages bouchant la vue aux étoiles et à la lune. Ça l'arrangeait bien.

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Le brun marchait maintenant sur les toits de la banlieue sud, essoufflé. C'était pratique ces hauts immeubles qui se chevauchaient, cela formait une route toute tracée. Il eut un bref sursaut et s'arrêta, jurant d'avoir entendu quelqu'un s'exclamer. Il fixa le bâtiment recouvert de fenêtres qui surplombait le sien, mais aucune lumière ne signalait la présence de qui que ce soit. Personne ne pouvait le voir, et au pire des cas il s'en fichait, ne se trouvant pas dans la zone sécurisée. Alors il se retourna afin de continuer son chemin, et ne put retenir une exclamation de surprise. Face à lui se trouvait un jeune garçon ayant à peu près son âge. Il mâchait un chewing-gum, appuyé nonchalamment contre le rebord du toit, ses cheveux blonds ébouriffés dans tous les sens. Il portait un jogging gris clair un peu large et des baskets blanches usées, ainsi qu'un tee-shirt noir et un anorak de la même couleur qui avait été attaché autour de sa taille. Ses yeux marron vif le fixaient avec une attention particulière.

« Salut, dit-il simplement en éclatant une bulle de chewing-gum.

- Salut, répondit Eren de la même manière, en se rapprochant lentement de lui.

- T'habites dans le coin ?

- Pas vraiment. Et toi ?

- Ouaip, l'immeuble juste en face.

Le garçon s'assit en tailleur sur le muret, un sourire aux lèvres. Ce qui incita le brun à s'avancer à sa hauteur. Il se planta face à lui et tendit la main.

- Je suis Eren, se présenta-t-il

- Moi c'est Jean, fit l'autre en empoignant sa main.

Quand il la lâcha, il détailla notre protagoniste d'un peu plus près.

- Alors, qu'est-ce que tu fais ici tout seul si t'habites pas par là ?

- J'avais besoin de me balader un peu, soupira le brun.

Se balader sur des toits. Jean se pencha subitement un peu plus vers lui et le renifla, puis il s'éloigna tout aussi rapidement.

- Pouah ! s'exclama-t-il en se bouchant le nez avec une mine dégoûtée et en agitant la main. Tu pues la vinasse !

- Ah… Ouais, désolé.

- Faut pas boire à ton âge, et surtout pas des trucs aussi dégueu !

Se braquant par le ton qu'avait employé le blond, il répliqua :

- Parce que tu t'y connais toi, peut-être ?

Jean se mit à ses dandiner, semblant gêné.

- Ma mère boit pas mal, alors…

Eren comprit immédiatement la fin de la phrase laissée en suspens.

- Mh. Mon père aussi.

Ils ne dirent rien de plus durant quelques secondes, jusqu'à ce que le jeune blond ne se mette brusquement debout sur le muret.

- Fais attention, c'est dangereux, s'inquiéta le brun.

Mais l'autre ne prit pas compte de sa remarque.

- Dis-moi Eren, tu viens souvent dans le coin ?

- C'est la première fois, réfléchit celui-ci. Mais je pense revenir à partir de maintenant.

Et il lui fit un grand sourire.

- Tu veux voir un truc cool ? lui demanda Jean avec malice.

- Ouais bien sûr, répondit immédiatement Eren, enthousiaste.

- Ok, alors lève-toi et mets-toi face à moi.

Il s'exécuta donc. Dos au vide, le blond ferma les yeux et écarta les bras en croix. Puis il inspira profondément et rouvrit les paupières, afin de lui faire un clin d'œil avant de se laisser tomber en arrière. Le brun retint un cri et se précipita sur le muret. Il retrouva l'autre sain et sauf cinq mètres plus bas, plié en deux à force de rire.

- Hahaha ! Si t'avais vu ta tête ! Géant !

- Comment t'as fait ça ? s'écria le brun, des étoiles dans les yeux. Avec un pouvoir ?

- Nope ! fit le blond en agitant son index face à lui. Ça s'appelle du Parkour. Tout le monde en est capable avec un peu d'entraînement.

- Trop cool ! Et pour remonter tu fais comment ?

Jean fit la moue et se dirigea vers une échelle installée exprès juste à côté.

- Ça c'est pas encore trop au point, mais je vais y arriver un jour.

Quand il fut de retour en haut du bâtiment aux côtés d'Eren, ce dernier le supplia :

- Tu me montrerais encore ?

Le blond parut réfléchir, avant que son visage ne s'éclaire.

- On va se dire un truc. Si tu reviens bientôt, alors je te montrerai… Et peut-être t'apprendrai.

Il tendit la main.

- Marché conclu ?

Le brun la serra avec précipitation.

- Marché conclu ! »

Jean avait dû rentrer chez lui assez vite, ne pouvant rester à cause d'un certain travail l'attendant le lendemain matin. Eren, lui, s'était assis à l'endroit même où il avait trouvé le blond, l'âme guillerette. Il venait de se faire un nouvel ami.

En vérité il pratiquait déjà le Parkour depuis près de trois ans, sans le savoir. Il n'étant pas un Runner à proprement parler, usant souvent de son pouvoir, mais cela lui permettait de faire des choses assez exceptionnelles. Si en plus de cela Jean lui apprenait comment se déplacer sans utiliser son don, alors il parviendrait à se dépasser complètement.

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Cela faisait maintenant trois semaines qu'il fréquentait Jean, Ymir et Connie. Il avait dû les voir six ou sept fois, mais ils s'étaient très vite bien entendus, surtout avec le blond, avec qui il avait débuté un semblant de compétition. Mais ça ne les empêchait pas de bien se marrer. Alors que Jean était un lunaire pouvant commander aux courants d'airs, Eren jouait le terre-à-terre avec conviction, par habitude. Il n'avait pas hésité une seule seconde à suivre les ordres de son père et de sa défunte mère, sachant le danger qu'il encourrait si on venait à le dénoncer comme étant lunaire. Mais en fin de compte, il le faisait principalement pour respecter la volonté de Carla. Et il tiendrait parole.

Il avait pu en découvrir un peu plus sur Jean, et il avait été fort étonné. Comme il le savait sa mère était alcoolique, mais également immobilisée dans un fauteuil roulant. Et son père, quant à lui… et bien il trempait dans des affaires pas nettes pour survivre, et le pire était que son rejeton – Jean – l'aidait, bien que cela soit contre son gré. Le blond voulait participer, apporter du soutien à son paternel, et il y parvenait en faisant la même chose que lui. Magouiller. Le père avait été à un moment forcé de faire un emprunt d'argent, mais il l'avait fait auprès de la mauvaise personne. Ses dettes avaient donc augmenté, et il se ruinait pour les rembourser. Et chaque mois, le pourri qui exigeait autant d'argent se ramenait en bas de l'immeuble afin que lui soit remise une copieuse enveloppe.

« Eh Eren, lui dit Jean à un moment, alors qu'ils étaient assis sur un bâtiment en face de l'immeuble du blond.

- Mmh ?

- Tu crois que ça va s'arrêter à un moment ?

Le brun comprit immédiatement de quoi il parlait.

- Je ne sais pas. Mais je pense oui, ça va forcément s'arrêter.

- J'espère.

- Moi aussi.

Eren n'avait pas pensé un seul de ses mots. « Non, ça ne s'arrêtera pas, aurait-il voulu dire. Ça ne s'arrête jamais. Ça va seulement être encore et toujours pire. Et vous allez crever dans votre misère, vous ruiner jusqu'aux os. » Mais à la place de ça il avait lâchement menti, pour préserver son ami. Tout d'un coup il sentit Jean se tendre à ses côté, puis le vit se pencher vers l'avant afin de regarder vers le bas.

- Qu'est-ce qui se passe ?

- C'est ce sale type.

Le blond s'était assis dos contre le petit muret, ses lèvres pincées tremblotant légèrement.

- Celui qui nous ponce tout notre argent, continua-t-il en détournant la tête.

- Jean.

- Ce salaud de première…

- Jean.

- Je te jure que si un jour il –

- Jean !

- Quoi !

Le brun inspira profondément, les poings serrés. Il fallait qu'il lui demande...

- Qui est-ce qui t'as fait ça ? C'est lui ?

- Non, grogna l'autre.

- Dis-moi qui c'est ! haussa-t-il le ton.

Jean se mit brusquement face à lui, donnant pleinement à Eren le luxe d'admirer le bleu violacé qui s'étalait sur sa pommette.

- Mon père. Il a pété un câble et il m'a frappé. On est vraiment à sec ce mois-ci, pire que d'habitude.

- Mais… Il fait ça souvent ? s'étonna le brun, sourcils froncés.

- Bien sûr que non ! s'indigna le blond. C'était la première fois.

- Bon, tant mieux.

Jean avait de nouveau détourné la tête, et il ne put pas voir la veine qui palpitait de fureur sur le front de son ami. Non mais comment pouvait-on faire amener un père à frapper son enfant aussi violemment ? Une fois de plus la phrase suivante tourna en boucle dans la tête d'Eren : cette ville était décidément pourrie jusqu'à la moelle. Lorsqu'il entendit un reniflement caché il remarqua les épaules tressautantes du blond, alors il les entoura de son bras. Merde. Tous ses nerfs semblèrent se gonfler à bloc, venant taper contre ses tempes douloureuses. De sa main valide, ses doigts vinrent agripper le sol, comme pour vérifier qu'il était toujours là. En fait il était pleinement conscient de ce qui l'entourait, mais il priait pour que cela ne soit sorti que de son imagination. Le bout de ses doigts râpa sur les graviers, déchirant sa peau fine, s'insérant dans ses chairs et faisant perler son sang. Surpris, il leva sa main devant son visage, fixant sans vraiment le voir son index – le doigt le plus abîmé – humide de ce liquide rougeâtre et épais.

- Je vais rentrer, annonça Jean.

- Ok, répondit le brun, l'air distrait.

Le premier se leva, s'essuyant discrètement les yeux.

- Allez à plus Eren.

- A plus Jean. »

Le brun avait froncé les sourcils, et regardait avec davantage d'attention ses doigts écorchés à vif. Pourquoi n'avait-il pas mal ? Mais il n'eut pas le temps de répondre à sa question, son esprit divaguant vers le problème de son ami. Comment était-ce possible qu'autant de fraudes et de violences passent sous le nez des autorités ? Ce n'était pas normal, il devait y avoir un souci dans le bon fonctionnement de notre société. Alors, sans que le blond ne le remarque, il le suivit. Jusqu'en bas de son immeuble. Quand Jean passa devant l'homme qui attendait son argent, il vit ce dernier lui taper l'arrière de la tête pas trop fort, et son ami baisser le menton en signe de soumission, poings serrés.

Eren ne fit rien, et il se détesta presque pour cela. Depuis que Carla était morte, des troubles comportementaux de plus en plus importants étaient apparus, et il eut cette fois-ci énormément de mal à se contenir. Quand il fut chez lui, il passa tout le reste de la soirée à cogner contre un punching-ball, et ce sans faire attention à la douleur. Lorsqu'il se réveilla le lendemain midi, il était allongé sur un de ses tapis de gym, trois de ses doigts ayant une entorse.

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L'événement déclencheur survint quinze jours après.

Alors que le brun passait chercher son ami pour qu'ils rejoignent Ymir et Connie, il vit des lumières rouges et bleues qui dansaient contre le mur de l'immeuble. Il ne les connaissait que trop bien. Un brancard. Une housse noire d'un plastique dur, où se dessinait la forme d'un corps humain. Les pleurs d'un homme. Et enfin ceux d'un plus jeune. Ceux de Jean. Eren se précipita vers l'ambulance. Le blond était aux côtés de celui qui lui sembla être son père, assis à l'arrière du véhicule. Ils étaient étroitement serrés, pressés l'un contre l'autre, se soutenant pour ne pas se noyer sous le chagrin. Face à eux se tenait deux policiers, bloc-notes en mains, leur demandant sûrement leur version des faits. Quand Jean aperçut le brun, il se leva lentement et se dirigea vers lui. Notre protagoniste lui fit une longue étreinte.

« Que s'est-il passé ? lui chuchota-t-il.

Le blond s'écarta et lui répondit, sans prendre la peine d'essuyer ses joues inondées de larmes et son nez qui coulait jusque sur sa lèvre inférieure.

- Nous n'avions plus d'argent, on ne pouvait plus payer… Mais… Notre dette est réglée maintenant.

- Explique.

- Ce bâtard, dit-il d'une voix tremblante. Ce bâtard a tué maman. Et le pire… Le pire c'est qu'ils ne le retrouveront jamais.

- Mais si, j'en suis cer –

- Non ! s'exclama le blond.

Puis il continua plus doucement, dans un souffle :

- Non… Ce type fait ça à plein de monde, il a peut-être même payé les flics, qui sait. Il va juste recommencer ailleurs.

Eren était figé, horrifié.

- Faut que j'y retourne, ajouta Jean en se retournant. On se voit plus tard.

- Courage, murmura le brun, mais si faiblement que son ami ne l'entendit pas. Je suis désolé de ne pas avoir pu t'aider avant. »

Puis il fit volte-face, affichant une mine écœurée. Il n'avait pas aidé son ami. Il l'avait laissé tomber, et pour quoi ? Par peur de s'attaquer à plus grand que lui, à une chose incontrôlable. Mais s'il ne réglait pas toute cette histoire, alors d'autres personnes risqueraient de mourir. En fait non, elles ne le risquaient pas. Elles allaient mourir. Se faire tuer par des abrutis sans cervelle, des bons à rien malhonnêtes se traînant dans l'ombre. D'autres personnes se feraient tuer, des mères, comme celles de Jean et lui. Eren serra les poings, enfonçant profondément ses ongles dans sa peau. Mais ressentir ce genre de douleur ne lui faisait plus rien, ça ne lui permettait plus de rester les pieds sur terre, de garder toute sa tête. De ne pas faire une connerie qu'il pourrait regretter. Mais là sur le coup, il n'en avait rien à cirer. Il voulait juste faire payer le salaud qui avait tué la mère de son ami. Il voulait rendre justice.

Alors il se mit à courir, à arpenter les rues une à une, zieutant de tous côtés. Le brun se doutait que l'homme traînerait encore dans les parages, il avait compris à quel genre il appartenait. Ce meurtrier pensait ne rien risquer, être intouchable, invincible. Mais il se trompait lourdement. Car maintenant, Eren ne réfléchissait plus. Il en avait assez, il voulait simplement, et enfin, laisser parler ses pulsions contenues depuis bien trop longtemps. Et c'est là qu'il le vit. Épaulé de deux de ses acolytes. Il les avait repérés dans une ruelle, fumant leur clope, tandis que le chef patientait en bas d'un immeuble de la rue d'en face, son pied tapant sur le sol. Eren fut atterré, il eut envie de vomir. Comment avait-il le culot de continuer ses magouilles juste à côté ?! Il voulut frapper. Frapper, frapper, et encore frapper. Ces salopards ne méritaient pas de vivre. Non, ils ne le méritaient pas. Il fallait que leur jeu stupide s'arrête. Et ça allait cesser maintenant. Il n'était plus question d'attendre un ou deux jours de plus.

Le brun s'avança dans la ruelle, sortant dans le même coup le petit couteau de la poche arrière de son pantalon. Il en gardait constamment un sur lui depuis que Carla était morte. Il le cacha d'une main ferme dans son dos et se dirigea vers les deux acolytes.

« Qu'est-ce que tu veux petit, marmonna le premier en lui crachant la fumée de sa cigarette au visage.

L'autre s'esclaffa.

- Aidez-moi, je vous en prie, fit le jeune brun d'une mine suppliante en se positionnant derrière eux. Un monsieur bizarre me suit depuis tout à l'heure.

- Et qu'est-ce que ça peut nous foutre ? cracha le second. Allez, du vent !

- Eh ! Eh ! Eh ! C'est qu'un mioche, s'interposa le premier. Fais pas chier et va gerter le type qui l'emmerde, Jango.

- Quoi ?! T'es sérieux ?

- J'en ai pas l'air du con ? Va voir qui embête le petit, ça te défoulera.

- Peuh. Mouais t'as pas tort, admit-il.

Il s'en alla en traînant des pieds, écrasant sa clope contre le mur puis mettant ses mains dans ses poches. Quand il disparut à l'angle de la ruelle, Eren sortit pointa son couteau devant lui. L'homme ne pouvait le voir, étant dos à lui, surveillant avec attention son patron qui attendait dans l'immeuble d'en face, semblant discuter avec quelqu'un.

- Bon alors petit, t'as quel âge ? fit le type qui l'accompagnait en se retournant.

Pris d'adrénaline, Eren s'était jeté sur lui, la lame pointée droit sur son ventre. Il lui transperça l'abdomen, et alors que l'homme s'était écroulé au sol il lui planta le couteau à trois autres reprises, une lueur de haine frissonnante faisant briller sauvagement ses iris turquoise. Puis il se cacha derrière une poubelle, attendant le retour de l'autre acolyte, qui d'ailleurs ne tarda pas. Ses pas résonnèrent contre le goudron, puis se stoppèrent net, pour ensuite se précipiter vers le corps de son camarade.

- Putain, Grey ! se récria-t-il en le secouant avec vivacité. Merde ! Fait chier !

A ce moment-là le jeune brun sortit de sa cachette, son corps se découpant dans l'ombre. Il trancha l'arrière du cou de l'homme, celui-ci s'écroulant au sol sans faire le moindre bruit. Eren ne savait pas faire ce genre de chose, tuer quelqu'un, et sa main enserrait l'arme à lui en faire mal. Mais il n'avait ni regret ni peur, ni même aucune sensation déplaisante. Il était devenu une coque vide, malheureuse, les yeux aveugles s'empêchant eux-mêmes de voir. Le brun ne voulait pas faire face à ses actes barbares, il ne pouvait tout simplement pas. Il opéra de la même manière en attendant le retour du chef. Quand celui-ci trouva ses deux bras droit morts, il tomba en arrière sur le cul.

- Qu'est-ce qu –

Le brun posa sa lame contre son cou, et l'homme se tendit.

- Qu'est-ce que vous voulez ? trembla-t-il.

Eren aurait presque pu avoir pitié de lui. Mais ce ne fut pas le cas.

- Tu viens de tuer la mère d'un ami à moi.

Il y eut une petite seconde de pause.

- Tu es … un putain de gamin ? Qu'est-ce que tu crois que tu es en train de faire hein ?

- Ce qui est juste, répliqua immédiatement notre protagoniste.

- Ce qui est juste ? Laisse-moi rire. Retourne jouer aux billes si tu veux pas que je te crève les yeux pour que t'y vois mieux.

- Vous osez me menacer ? cracha le brun. Vous êtes un meurtrier. Un escroc. Et si personne ne fait rien, alors ça sera moi !

Il leva son couteau, mais ne s'attendit à ce qui survint ensuite. L'homme se tourna d'un demi-millimètre et le repoussa de son bras au niveau de son estomac. Se retrouvant à quatre pattes à cracher ses poumons, il s'accroupit le plus vite possible, pointant de nouveau sa lame sur l'homme. Cependant ce dernier prit la poudre d'escampette, le contournant pour s'en aller de la ruelle. Eren le fixa, interdit. Il partait ? Il osait s'enfuir ? Après tout le mal qu'il avait répandu il ne faisait toujours pas face à son destin ? Le brun se dit tout cela le temps d'un centième de seconde avant de se redresser et courir. Il put sentir une force exquise et dévastatrice brûler son organisme, l'obligeant à avancer et faire ce qui devait être fait. Son pied arrière, le droit, prit appui de tout son poids avant de catapulter son corps vers l'avant. Il empoigna le manche du couteau de ses deux mains.

- Crève, sale charogne ! » cria-t-il.

Parvenu juste derrière l'homme, il lui enfonça la lame dans le dos, à travers ses cotes. Atteignant son cœur. Le type s'écroula, mort. Tout paraissait beaucoup plus clair pour le brun maintenant. Une gangrène pullulait dans sa ville, se multipliant au moyen de meurtres. Eren venait de la trouver, cette faille qui fichait en l'air le bon déroulement du système. C'était la droiture. Les règles que se devaient de respecter la police, les juges, les avocats etc. Quand ils n'étaient eux-mêmes pas corrompus. Il y avait besoin de quelqu'un. Une personne qui pouvait se salir les mains. Un bourreau. Un exécuteur.

Eren parviendrait à porter ça sur ses épaules, n'est-ce pas ? Pour le bien de chacun.

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Retour au présent.

Le brun papillonna des paupières, se réveillant une nouvelle fois. Il se sentait encore affaibli, mais il allait tout de même beaucoup mieux. Suffisamment pour se lever et marcher en tout cas, voire courir si besoin était. Il sentit alors une présence, juste là. Quelqu'un qui le fixait avec une nonchalance presque insolente.

« Alors ça y est, enfin réveillé ? » demanda la personne.

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