L'Exécuteur

Chapitre 17

5600 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 04:28

- Alors les gamins, ça veut faire mumuse ?

Merde, Levi. Il était juste là, à sa gauche, fixant les trois individus face à lui en une posture dont le côté décontracté serait presque insolent. Encore une fois le gérant de Titania était vêtu d'un costume, chemise vert sapin très sombre – dont les manches avaient été retroussées jusqu'aux coudes – sur pantalon noir simple. Il laissa tomber son mégot de cigarette à ses pieds, l'écrasant du bout de sa chaussure, mains dans les poches, sans pour autant quitter pas les imprudents des yeux, les regardant derrière ses lunettes par-dessous ses quelques mèches noires qui pendaient sur son front. Eren ne tarda pas à sortir de sa torpeur et se redressa prestement, reportant son attention sur les saligauds qui ne cessaient d'afficher un sourire à donner des claques.

- Quel est le connard qui m'a fait m'étaler par terre comme un couillon ? grinça-t-il d'une voix éraillée.

L'alcool avait fait son effet. Notre protagoniste était bien imbibé, et il n'avait à présent plus qu'un seul objectif en tête. Celui de rétamer ces brutes épaisses.

- Pourquoi tu viendrais pas le demander à ma barre de fer ? ricana celui du milieu, posant le dit objet en un large geste sur son épaule, et ses deux acolytes se mirent à rire.

Ah. Sans doute pour cela qu'il avait si mal à son omoplate. Ces enfoirés n'y étaient pas allés de main morte. Comment pouvait-on être aussi hilare face à de la violence gratuite ? C'était totalement insensé, ce monde était devenu fou. Le brun sentit des picotements courir le long de ses bras, puis sa poitrine se comprimer brutalement. Il serra son tee-shirt à l'endroit de son cœur avec force. L'alcool n'aidait pas. Il lui faisait tourner la tête, attisait sa rage, son mépris. Mais il devait se retenir, car dans son état actuel il ne ferait que devenir pire que les trois hommes face à lui. Et puis il y avait Levi. S'il le voyait perdre ainsi son sang-froid et exploser ces types, il prendrait sans nul doute conscience de sa force. Et qui sait, peut-être découvrirait-il son identité d'Exécuteur. Ces pensées ne tardèrent pas à s'envoler. Il voulait simplement se battre, montrer sa colère, faire ressentir à ces imbéciles à quel point ils se gouraient en agissant de la sorte.

Se trouvant légèrement en arrière de Levi, l'infirmier fit un pas en avant dans l'intention de fermer le caquet des trois types. Un bras vint stopper sa progression, appuyant contre son abdomen. Le noiraud. Et son regard lui intimait clairement de reculer. Mais Eren ne voulait pas. Ce qu'il voulait était abattre ses poings contre des mâchoires, entendre des craquements d'os, voir du sang couler. Ouais, décidément, l'abus d'alcool ne lui réussissait clairement pas. Il devenait dangereux. Et il en avait conscience, même maintenant, dans son pitoyable état. C'était juste qu'il s'en foutait. Son cerveau s'était déconnecté pour laisser le corps être dirigé uniquement par les pulsions du cœur. Et c'était mauvais, il devait reculer. Mais il n'y arrivait pas, tout simplement, et il se détestait en ce moment-même pour cela. C'est alors que la solution à ses soucis apparut subitement.

- Tu titubes idiot, soupira le gérant. Laisse-moi m'occuper de ça.

Le brun aurait voulu lui signaler que ce n'était pas seulement à cause de l'alcool qu'il avait du mal à marcher droit, que le coup qu'il avait reçu jouait également en sa défaveur. Mais il n'en eut pas le temps. D'autant plus que ça aurait été un vilain mensonge. Le gérant s'était approché d'un pas, se trouvant maintenant à une longueur de bras du mec du milieu. Et la différence de taille était marquante, bien que l'autre homme ne soit pas si grand. Mais Eren savait de quoi le noiraud était capable.

- Partez et je passe l'éponge. Je ne veux plus vous revoir traîner ici dorénavant. Jamais.

Sans nul doute qu'il devait avoir une expression terrifiante fichée sur le visage.

- Des menaces ? s'étrangla presque celui de droite. C'est du foutage de gueule ? Eh mec, réveille-toi, t'es pas en position d'exiger quoi que ce soit.

Celui du centre se mit à rire, se tenant le ventre. Puis subitement, un air sérieux apparut sur ses traits grossiers et il balança sa barre de fer droit sur Levi, la tenant fermement des deux mains. Ce dernier, visé au niveau de l'épaule, se baissa souplement en avant et frappa l'homme à l'estomac d'un coup de genou. Les yeux écarquillés, celui-ci relâcha sa prise sur la barre de fer, permettant au noiraud de s'en emparer d'un mouvement leste, bras tendu vers l'arrière. Puis, toujours en position abaissée, il fit un tour sur lui-même vers l'extérieur et vint claquer l'objet dur contre les côtes du type de gauche, qui s'effondra en geignant. Notre brun regardait la scène avec surprise, sa clope retournant se coincer entre ses lèvres sèches. Il crachota un long filet de fumée, bras croisés, sans prendre la peine de retirer le filtre de sa bouche, trop obnubilé par la scène qui se déroulait sous ses yeux. Il ne restait maintenant au gérant plus qu'à s'occuper du petit dernier, qui semblait tétanisé par la peur, l'empêchant littéralement d'esquisser le moindre geste. Il se pisserait dessus que ça n'aurait pas étonné notre brun.

- Qu'est-ce que t'attends, fit Levi qui s'était redressé, son visage à moitié éclairé par la lune blafarde, lui conférant ainsi un air effrayant. Viens te battre.

Il reporta son attention sur le dernier homme, qui glapit presque, avant de prendre ses jambes à son cou. Ce qu'il ne vit pas cependant, c'est le type qui possédait en premier lieu la barre de fer - et se trouvait maintenant ventre au sol - porter la main à sa poche arrière pour en sortir un canif. Eren savait que le noiraud ne risquait rien, mais il désirait tout de même sa vengeance. Alors, décroisant ses bras, il s'avança et marcha sur la main du connard, l'écrasant de son talon, puis s'assied sur son postérieur. Levi se tourna vers lui, interrogatif, mais comprit rapidement la situation.

- Nique ta mère, salopard, grogna l'agresseur.

Avec un soupir, l'infirmier tira une longue latte de sa clope, puis la retira d'entre ses lèvres. La tenant bien entre son pouce et son index, il l'écrasa sur l'avant-bras du sale type, la tournant vers la droite, puis vers la gauche, afin d'être certain qu'elle soit bien éteinte. L'homme se mit à crier. Eren ne s'attarda pas et jeta le mégot au loin d'une pichenette.

- Va te faire foutre, dit-il simplement avant de se relever.

En attendant Levi réajustait son col, puis le lissa avec précision.

- Bon, je crois que le message est passé, fit-il remarquer.

Le brun opina du menton. Ouais, aucun doute là-dessus. Ne sachant pas trop quoi ajouter, il se dandina sur place. Mais c'était à lui de prendre la parole, c'était lui le bavard, celui qui s'était absenté durant une grosse semaine. Non qu'il soit redevable envers le noiraud, mais…

- Vais-je pouvoir entrer légalement pour une fois ? demanda notre protagoniste, un sourire moqueur plaqué sur le visage.

- Parce que tu comptais entrer ? répliqua l'autre immédiatement.

- Eh bien, heu… Je suppose, bredouilla-t-il. Si le maître des lieux m'accepte évidemment.

Il fit une petite révérence pour accompagner sa dernière phrase. Puis il releva les yeux sur le noiraud, taquin.

- Et si, bien entendu, continua-t-il, il veut bien se donner la peine de m'accorder quelques maigres minutes de son précieux temps.

Le gérant secoua la tête avec exaspération.

- Langage, gamin. Tu vas trop loin.

Il enfonça ses mains dans ses poches.

- Je commençais à me demander si tu n'avais pas disparu de la circulation, ajouta-t-il, mine de rien.

La lèvre supérieure de notre brun se retroussa sur sa gencive, dévoilant ses dents du haut en un large sourire. Il se permit un pas en direction de Levi.

- Mais dis-moi, serait-ce…, débuta-t-il, d'un faux air hésitant. Serait-ce de l'inquiétude ?

La réaction du gérant ne se fit pas attendre.

- Ferme-là tu veux, grinça-t-il, et suis-moi au lieu de raconter de conneries. Mon temps est précieux, comme tu l'as si bien fait remarquer.

L'infirmier laissa échapper un rire, puis plaqua bien vite une main devant sa bouche face à l'aura menaçant de son hôte. Il fit mine de sceller ses lèvres à clé, puis de jeter cette dernière au loin.

- Idiot, laissa échapper le noiraud avant de lui passer devant puis de toquer trois coups fermes à la porte.

Quelqu'un vint leur ouvrir, un vigile qu'Eren ne connaissait pas, et qui d'ailleurs le considéra avec suspicion.

- Il est avec moi. » lui indiqua Levi, qui s'empressa de saisir le poignet de notre brun et de l'entraîner à sa suite.

Un étroit couloir bordeaux leur faisait face, et ils le longèrent rapidement jusqu'à s'arrêter devant une double porte noire. Le gérant tapa un code et la poussa. Ils étaient parvenus dans la salle principale de la boîte, celle du bas. Des dizaines et des dizaines de clients dansaient, serrés. On ne pouvait savoir si c'était par choix ou non, puisque le lieu était dans tous les cas bondé. Plaçant son bras en un geste protecteur dans le dos du jeune brun, le gérant l'entraîna à sa suite vers les escaliers en colimaçon. Ce premier ne put s'empêcher de frémir en sentant des doigts fins passer sur le bas de son omoplate douloureuse. Il se fit ensuite rentrer dedans par un mec un peu – complètement – allumé, son dos rencontrant une épaule un peu trop violemment. Un choc électrique vint le secouer le long de la colonne. Mais alors qu'il allait repousser l'homme, celui-ci semblant d'ailleurs vouloir danser avec lui, il disparut de son champ de vision subitement. Son cerveau embrumé ralentissant le temps de connexion entre ses synapses, il ne comprit que lorsqu'ils parvinrent aux escaliers que Levi l'avait protégé, repoussant brusquement l'inconnu.

Alors qu'ils grimpaient les marches à vive allure, se faufilant entre les corps éméchés, Eren fixait le noiraud, dos à lui. Finalement… Finalement, et contrairement à ce que l'image du Chien donne de lui, Levi est quelqu'un qui fait particulièrement attention à son entourage. Le brun avait vraiment face à lui deux personnalités totalement différentes. Laquelle se rapprochait-elle plus du « vrai » lui ? Il eut un petit sourire en coin légèrement amer, bataillant intérieurement au sujet du gérant. Il a bon cœur. Et sans le savoir, le plus vieux haïssait Eren Jaeger et ce qu'il représentait. L'Exécuteur. Ce dernier avait royalement merdé. Mais en ce qui concernait l'infirmier sans son masque, qu'est-ce que Levi trouverait à dire s'il apprenait la vérité ? Qu'il avait été, une fois de plus, dupé ? Le brun ne donnerait pas cher de sa peau. Malgré tout, et cela n'étant pas causé par l'alcool qu'il avait ingurgité, il voulait prendre le risque. Il voulait connaître le noiraud, en apprendre plus sur lui. Parce qu'il était quelqu'un de bien. Et qu'inconsciemment, il voulait lui prouver que lui aussi pouvait aider, pouvait se montrer utile. Il ne comptait plus être en reste.

Parvenus à l'étage, le gérant poussa l'épaisse porte bordeaux et s'engouffra dans l'espace longiligne qui s'offrait à eux, traînant toujours le brun un peu titubant derrière lui. Ce premier se dirigea prestement vers le bar, où juste à côté, dans un mince renfoncement, se trouvait une autre porte, codée celle-ci, noire. Levi agit vite, et bientôt un nouvel escalier s'étendait devant eux deux en un espace étroit. Ne s'attardant pas, il entra, tirant l'infirmier par le bras. Ce dernier se crapahuta tant bien que mal en haut des marches, trébuchant à moitié et se tenant parfois au mur à sa gauche afin d'être à peu près certain de pouvoir se rattraper en cas d'une mauvaise chute. Mais le noiraud était là aussi, le maintenant d'une poigne ferme qui le ferait presque mal, ses beaux doigts pâles crispés dont les jointures s'étaient particulièrement blanchies. A quoi pouvait-il donc bien penser ?

Il y avait de nouveau un couloir, petit et en béton, sans aucune peinture ajoutée. Le brun put compter quatre portes. Ils entrèrent dans la première. La lumière était déjà allumée, assez vive, ne laissant aucun recoin sombre, et Eren put contempler la pièce qui lui faisait face. Il s'agissait d'un… bureau salon cuisine. Assez spacieux, tout en restant de taille modeste.

« Voici donc ton antre. » murmura-t-il pensivement.

L'autre hocha la tête, ses yeux papillonnant enfin dans sa direction. Il guettait sa réaction, comme si cela avait au fond une quelconque importance. Le regard de l'infirmier glissa sur la pièce dont les styles modernes et anciens avaient été habilement mêlés. A gauche, et sur une bonne moitié du mur, se trouvait une cuisine blanche impeccable, surmontée au niveau du centre par une hotte métallique. Au fond, une porte discrète, qu'il soupçonna être la salle de bain. A côté s'étendait une large fenêtre dont les stores avaient été soigneusement rabattus, puis, juste devant, un grand bureau en bois sombre ressortait de toute sa splendeur. Sans nul doute une reproduction de la mode du milieu du seizième siècle, avec ses formes arrondies gracieuses et finement taillées. Ce qui attira cependant le plus l'attention de l'infirmier fut ce qui se trouvait sur le dessus, à savoir une montagne de paperasse dont il ne pût constater l'origine de là où il était. En dépit de la luminosité déjà bien présente, s'ajoutait à cela celle d'une lampe vieillotte de chevet d'un rouge pâlot émettant un faible éclairage, rendu ici inutile. Sur une partie non négligeable du mur droit, deux étagères noires approchant dangereusement le plafond étaient emplies de bouquins, et ce tant et si bien que le brun ne pût trouver aucun espace libre pour le moindre livre en plus. D'autres bibliothèques devaient se trouver quelque part… Mais que pouvait donc bien lire le noiraud ?

Se situait ensuite, juste à droite de l'entrée, un coin salon doté d'un canapé et d'un fauteuil en cuir brun encadrant une table de verre. Et, juste en face, une évidente télévision de grandeur modeste. Un parquet de petites lattes de bois clair faisait office de sol sur la surface entière de la pièce. Le tout offrait ainsi un aspect chaleureux, propre et frais. Ah. Et il manquait quelque chose.

« Tu n'as pas de lit ? fit remarquer l'infirmier, de but en blanc.

Levi laissa échapper un soupir et entra, lui intimant d'un mouvement de tête de le suivre.

- Toi on peut dire que tu es direct morveux. Allez, va poser ton cul sur le canap.

Le brun obtempéra en grognant pour la forme.

- Que de délicatesse, rouspéta-t-il.

- Ma chambre se trouve derrière la porte entre les deux étagères de livres, dit simplement Levi.

L'infirmier n'avait pas remarqué qu'il y avait suffisamment d'espace entre les deux meubles pour qu'une porte puisse s'y cacher. Petit effet d'optique. Ou alors il était vraiment en mauvaise condition mentale. L'abus d'alcool est mauvais… pour... la santé.

- Ton canapé est confortable, fit-il remarquer.

Le noiraud contourna la table basse afin de s'asseoir sur le second coussin.

- Tourne-toi, ordonna-t-il.

Une fois de plus, Eren obéit.

- Enlève ton débardeur.

Ébahis, le brun fit volte-face les yeux grands ouverts.

- Et c'est qui qui est direct maintenant ?! s'exclama-t-il.

- Baisse d'un ton, claqua la voix du gérant, grimaçant. Je veux constater l'ampleur des dégâts.

Notre protagoniste se raidit et s'éloigna du noiraud autant que le faible espace du canapé le lui permettait. Il avait l'impression que son euphorie due à l'alcool venait de redescendre en flèche. Car il n'était tout simplement pas question que son hôte retire le mince bout de tissu qui protégeait la peau de son buste. Et surtout, ô grand Dieu non, qu'il découvre les quelques cicatrices qui barraient son dos et son ventre.

- Je n'aime pas être à découvert.

Justification foireuse. Mais peu importe. Sauf qu'à la place que Levi ne soit surpris, ce fut lui.

- Très bien, laisse-moi juste baisser ton tee-shirt.

- Ce n'est pas grand-chose, répliqua Eren en levant les mains, déjà un poil plus rassuré.

Quand le noiraud soupira en abaissant les épaules, il se détendit. Mais ce jusqu'à ce qu'il se retrouve soudainement plaqué la tête dans le canapé, un bras maintenu dans le dos avec le gérant à moitié sur lui, baissant son débardeur trop large de son autre main. Celui-ci se retira aussi vite qu'il était venu.

- Tu vas avoir un putain d'hématome ducon. Mais à part ça ça à l'air d'aller.

Le brun se redressa avec raideur et pivota vers son homologue.

- Ne. Refais. Plus. Jamais. Ça.

Il avait vu le noiraud se jeter sur lui, mais le temps que l'information ne remonte au cerveau et que celui-ci ne communique les mouvements réflexes à adopter… C'était trop tard. Putain d'alcools trop forts. Putain de Bertolt et putain de Reiner. Et putain de cœur qui tambourinait un poil trop fort dans sa poitrine.

- Attends, rétorqua l'autre immédiatement, c'est qui qui m'a dit que les patients les plus chiants étaient ceux qui refusaient de se faire soigner ?

- Qu – mais ! C-ce n'est pas la même chose, bégaya-t-il, pris au dépourvu. Je ne suis pas ton patient !

Une minute plus tard il était allongé de tout son long sur le ventre sur le canapé, un sachet de petits pois précautionneusement emballé dans un torchon posé sur son omoplate mal en point. Son menton reposait sur l'accoudoir, son cou formant ainsi un arc assez souple, mais il s'en fichait. Il était bien mieux, il fallait l'avouer, avec du froid sur sa blessure. Un soupir d'aise lui échappa, et il remarqua immédiatement l'imperceptible sourire en coin du noiraud, qui était assis dans le fauteuil de cuir à pas un mètre de lui, tenant un verre de vin dans une main et la bouteille dans l'autre, en pleine réflexion sur la jolie étiquette.

- Tu t'y connais en vin ? demanda le brun.

- Pas trop, répondit le gérant au bout de quelques courtes secondes. Et toi ? fit-il après un temps.

Notre protagoniste ferma les yeux.

- Absolument pas.

- Ah ? fit le noiraud, comme étant ailleurs.

- J'ai beau boire parfois un peu de rouge, je ne prends pas de la haute qualité et je ne m'y intéresse pas vraiment. J'aime seulement cette sensation particulière de chaleur… Quand ça coule dans ma gorge, que ça gratte, que ça embaume la bouche et me prend à plein nez…

Il rouvrit ses paupières, lui-même ennuyé de son monologue. Mais il tomba nez à nez avec le noiraud, dont le visage était tourné vers le sien.

- Que… Qu'est-ce qu'il y a ? fit-il, subitement intimidé.

Merde, quand on est éméché on est censé être plus effronté que ça non ?

- La couleur de tes yeux est… intéressante, dit le gérant d'un ton bas, presque gêné.

Un sourire fugace et malicieux traversa les lèvres du brun.

- Retire tes lunettes si tu veux pouvoir les contempler dans toute leur magnificence.

En réalité il avait vraiment envie de découvrir les iris du noiraud. En prenant en compte les caractéristiques de son physique, sans doute seraient-elles brune, couleur chaude et sombre. Mais au vue de la pâleur de sa peau, il y avait également une possibilité pour qu'elles tirent vers le bleu.

- Bien tenté gamin, ricana le plus vieux dont la bouche frémit en un sourire. Mais est-ce bien la question que tu devrais me poser ?

- Et laquelle cela devrait-il être ? le questionna-t-il en fronçant les sourcils, ne comprenant pas bien où il voulait en venir.

Le noiraud posa la bouteille de vin sur la table de verre et croisa les bras, buvant dans le geste une nouvelle gorgée de la boisson.

- Qu'en est-il de la correction que j'ai donnée à ces connards ?

Ah, oui. Quelqu'un qui n'était pas autant au courant des activités extérieures de Levi se serait sans doute empressé de lui demander où il avait bien pu puiser autant de force. Eren avait-il fait une bourde en oubliant ce détail ? A moins que le noiraud ne fasse qu'être intrigué par son absence de réaction, voire intéressé. Et en effet, son visage transpirait la curiosité.

- Tu veux parler de ces trois pauvres taches ? marmonna-t-il, un fond de colère resurgissant. Ils n'ont eu que ce qu'ils méritaient. J'aurai pu faire pareil si j'avais moins bu tu sais !

- Mais bien sûr, soupira le gérant.

Zut, il venait de prendre ça pour de la vanterie. Il n'eut pas le temps de se rattraper que déjà l'autre avait repris la parole, se soutenant sur l'accoudoir, deux doigts sur la tempe :

- Y a vraiment des cinglés sur cette putain de Terre.

Le brun écarquilla les yeux. Non pas par les mots lâchés par son hôte – il connaissait son vocabulaire familier – mais plutôt par le ton employé, si peu contrôlé, presque tremblant. Tremblant de rage. Sa bouche s'était pincée en un rictus amer, dégoûté, et sa main contre son visage s'était serrée en un poing incroyablement tendu, faisant particulièrement apparaître les veines sous sa peau blanche et fine. Il semblait avoir tellement de mal à se contenir… Et ce n'était pas la première fois. Le Chien transparaissait faiblement par-dessus son costume impeccable de gérant de la boîte Titania. D'un côté, ce manque de self-control lui renvoya sa propre image comme une claque en pleine figure. Lui aussi avait le sang chaud, était un rageur dans l'âme. La colère et la haine le prenaient aux tripes, il en faisait toujours une affaire personnelle. Et c'était mauvais. Ce fut à moitié volontairement qu'il tendit le bras vers le noiraud et émit une pression sur son genou.

- Eh, sourit-il avec douceur, les yeux plissés. Y a pas eu mort d'homme, je vais bien.

Ce qui sortit le gérant de sa torpeur. Puis il continua, sans vraiment comprendre ce qui le poussait à faire ça, et ramena sa main le long de son corps :

- Tu sais Levi, l'important c'est d'apprendre qu'il y a des gens comme toi qui ne se laissent pas avoir par la peur. Des battants. Qui vont remettre les petites frappes à leur place, qui vont aider leur entourage.

Le gérant sembla s'immobiliser complètement, à l'écoute totale de ce que déblatérait le brun.

- Alors merci pour ce soir, de m'avoir défendu. Et surtout, merci de m'avoir donné davantage de matière à croire qu'il est encore possible de remettre notre monde en état. Il y aura toujours des personnes pour foutre la merde. Mais si davantage de personnes comme toi apparaissent, ça ne pourra nous tirer que vers le progrès.

En réalité il venait de le remercier pour une chose à bien plus grande échelle, mais ça son hôte ne s'en doutait pas. Ne sachant trop quoi ajouter d'autre, il se tut, attendant que Levi dise quelque chose. Mais rien ne vint. Non, ce dernier semblait simplement en pleine réflexion sur notre protagoniste, et ses traits crispés s'étaient entièrement détendus. Il était juste perdu au sein d'un million de pensées qui tourbillonnaient en une gigantesque tornade. Il ouvrit la bouche d'un demi-centimètre, mais rien ne sortit tout de suite.

- Tu es un gosse étonnant, finit-il par articuler d'une voix rauque.

Le sourire d'Eren s'agrandit, découvrant ses dents. Sur ce le gérant se leva brusquement et termina son verre d'un trait.

- Merci à toi, marmonna-t-il en pivotant vers notre protagoniste d'un millimètre, sans vraiment le regarder, puis il croisa de nouveau les bras. Alors, verre d'eau ou bien tu m'aides avec cette bouteille ?

Joyeusement surpris, notre brun se redressa, le visage éclairé.

- Je ne dirai pas non à un peu de vin rouge !

Avec un sourire entendu, Levi se glissa entre le fauteuil et le canapé pour se diriger vers la cuisine. Il savait pourtant que notre brun avait déjà un peu forcé sur la bouteille… Eren se dit qu'il allait sûrement amèrement regretter sa gueule de bois du lendemain, surtout qu'il avait déjà bien bu. L'alcool avait beau être sensiblement retombé, il ne doutait pas que quelques gorgées d'une boisson assez forte ferait tout remonter en masse. Et ça serait partie pour une journée de migraine à se taper la tête contre les murs… Il n'eut cependant pas le courage de revenir en arrière, et bientôt un verre rempli à moitié se trouva logé dans une de ses mains. Ils commencèrent à discuter calmement, l'infirmier de son côté étant soulagé que la fraîcheur du sachet surgelé – se retrouvant maintenant sur la table – ait atténué sa douleur.

- Qu'en est-il de l'insonorisation ? fit-il, impressionné. J'entends à peine les basses vibrer, c'est vraiment calme !

- Que veux-tu, je serais devenu dingue sinon, répliqua Levi, amusé. Titania aurait sûrement fermé quelques temps à cause de, je cite, « le gérant fou furieux qui a abattu de sang-froid des dizaines de clients avant de retourner s'enfermer dans sa chambre afin de dormir tranquillement. »

Le brun rit de bon cœur.

- Tu as oublié de préciser le sort réservé aux enceintes !

Le noiraud leva le doigt.

- « Enceintes poignardées à maintes reprises, signe d'une tendance à la violence trop longtemps contenue ». Nous avons notre une du journal déjà toute prête... » soupira-t-il.

Et ils continuèrent ainsi, bifurquant vers la musique, un peu, puis les livres. L'infirmier apprit ainsi que Levi était un grand amateur de romans policiers et de bande-dessinées fictives. De son côté, lui préférait les mangas remplis d'action restant dans le style traditionnel réaliste. Il se plaignit qu'il délaissait ses amis, et le noiraud lui fit remarquer que s'il le voulait vraiment, il semblait pourtant avoir le temps de leurs consacrer un moment. Eren lui confessa également sa passion sans borne pour le Parkour, et aussi surprenant que cela puisse paraître – notez l'ironie – le gérant lui avoua en avoir pratiqué longuement quand il avait son âge. Aussitôt, ils se mirent d'accord : ils en feraient, un jour ou l'autre, ensemble. Il avoisinait les cinq heures du matin quand le brun s'endormit mollement sur le canapé, le regard dans le vague sur un Levi assoupi paisiblement, la mine apaisée comme il ne la lui avait jamais vue. Et c'est avec un sourire flottant sur les lèvres que notre protagoniste ferma les yeux.

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Voici donc la fin de ce chapitre ! Il y a moins de suspense ici, comme vous pouvez le constater ;) En tout cas il semblerait qu'Eren et Levi comptent faire du Parkour ensemble… Alors, est-ce que ça fait des joyeux, hhmmm ?! HMMM ?! Je me fais pardonner parce que j'en ai pas mis assez o.o

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