L'Exécuteur

Chapitre 22

7787 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 24/01/2017 21:24

J'ai remarqué que la touche "entrée" ne fait pas un saut à la ligne suffisamment conséquent ici, et vue que c'est du copier-coller je vous avoue que ça m'embête pas mal de reprendre presque chaque ligne en appuyant sur "entrée"... donc désolée, s'il y a un manque de lisibilité...


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Le réveil sonna à exactement cinq heures trente. Le son, strident, sortit immédiatement Eren de son sommeil, qu'il avait léger. Ça devrait être interdit de réveiller les gens aussi désagréablement franchement. Il resta quelques secondes à fixer le plafond, jusqu'à ce que ses paupières lourdes ne clignent plus trois fois par seconde, la sonnerie envahissant toujours terriblement le silence de son petit appartement. Peut-être tentait-il de s'habituer au son criard, sans réellement croire que c'était au fond possible que qui que ce soit puisse assimiler quelque chose d'aussi casse-pied. Soupirant, il s'extirpa difficilement du lit. Ses pieds nus se posèrent sur le parquet glacé et il frémit. Au moins le froid l'aidait à s'activer, il était son fidèle compagnon chaque matin, qu'il soit en forme ou non. A poil dans son boxer bordeaux légèrement trop large pour lui, le jeune brun se dirigea vers la salle de bain. Une bonne douche brûlante s'imposait.

Quand il eut terminé, il sécha doucement son corps meurtri. Il avait mis son réveil dix minutes plus tôt intentionnellement. Lorsque l'on est dans le feu de l'action on ne se rend pas toujours compte des impacts sur nous-même. On les ignore, on les oublie, on ne les sent pas. Eren ne s'était rendu compte de l'étendue de ses blessures qu'une fois parvenu à sa planque à vêtements de l'Exécuteur, lorsqu'il avait dû retirer ces derniers. Divers endroits sur sa peau l'avaient alors tiraillé en force à peine avait-il enlevé son manteau et il avait immédiatement compris que le port de manches longues allait s'imposer durant quelques jours. Des bleus du périmètre d'une pêche recouvraient tout le haut de son bras gauche à partir du coude. D'autres ornaient joliment ses deux omoplates, celles-ci ayant particulièrement pris, comme si le coup de la dernière fois à l'arrière de Titania avec la barre de fer n'avait pas suffi à réveiller la douleur. S'ajoutaient à ses bleus deux belles entailles sur le haut de l'épaule droite et le flanc du même côté. Il s'agissait d'éraflures de balles, cependant Eren n'avait pas réalisé qu'elles avaient particulièrement déchiré sa peau, jusqu'à frotter à vif contre sa chaire. Les bleus avaient beau être plus sensibles au moindre effleurement, si ces premières entraient en contact un poil trop fort avec une surface extérieure, c'était l'apocalypse. Non, il exagérait un peu, mais ça faisait tout de même un mal de chien.


Il changea ses pansements, les anciens étant assez rougis puisqu'ils avaient été apposés sur les blessures sanguinolentes. Le sang avait cessé de couler maintenant, le brun pouvait mieux constater l'ampleur des dégâts. C'était potable, enfin au moins c'était propre et les points de sutures pouvaient être évités. Il recouvrit les deux entailles d'épais pansements. Celui à l'épaule fut aisé à placer, mais ce fut plus douloureux pour celui du flanc, quand une décharge électrique lui remonta jusqu'à l'aisselle et qu'une chair de poule chemina tout le long de sa colonne vertébrale. Elle fut suivit de frémissements un peu trop violents, qui immédiatement se répercutèrent sur les bleus, le faisant grincer des dents. Il fit fi de la douleur, plaqua le pansement et sortit de la salle de bain en vitesse.

Quatre minutes plus tard il était habillé et assis dans la cuisine, la radio le tenant éloigné du silence mortel de son réveil matinal. Il piqua du nez devant ses tartines à la confiture de fraise alors qu'il en portait une à sa bouche, se l'étalant à la place du menton aux narines. Son portable posé sur la table se mit alors à pousser une exclamation, lui signalant qu'il avait un message et le faisant du même coup sursauter, la malheureuse tartine lui glissant des mains pour venir s'étaler sur son jean tout propre.


« Merde…, ronchonna-t-il en regardant son écran qui s'était allumé tout en retirant le bout de pain poisseux, de manière à voir qui pouvait bien lui écrire à cette heure.

Il manqua de faire tomber une nouvelle fois sa tartine quand il vit qui était l'expéditeur du message. Tapant rapidement son code, il se mit sur la conversation, qui comportait maintenant deux messages. Le brun s'empressa de lire le dernier, sans faire attention à son pantalon qu'il valait mieux rincer immédiatement.

De Levi : Je me vois dans l'obligation de récompenser un tel exploit et au plus tôt, je te prends au mot. Après manger, vingt-deux heures au Titania ? Ça te laissera le temps de passer la frontière de sécu avant sa fermeture.

Ça restait assez formel, mais le jeune infirmier ne s'attendait pas à recevoir une réponse dès le matin et surtout pas une proposition si rapidement. Souriant de toutes ses dents, il s'empressa de pianoter sur son clavier :

A Levi : Ça fonctionne pour moi ! Je t'attendrai devant la porte arrière de la boîte.

Voir quelqu'un lui ferait du bien. Ça le maintenait un tant soit peu éloigné de sa profession d'Exécuteur. Sans doute pourrait-on penser qu'ainsi, le noiraud était le moins bien placé pour lui tenir compagnie, mais c'était justement tout l'inverse. Levi était le Chien, mais également le gérant de Titania. Et c'était ce dernier qu'il allait voir ce soir, plaçant du même coup une frontière bien distincte entre ces deux personnages. Il aidait inconsciemment Eren à conserver cette limite floue qui le séparait de son corps de jeune adulte infirmier et d'Exécuteur. Une fois son jean nettoyé et envoyé dans la corbeille à linge puis l'ajustage d'un autre pantalon, il retourna près de son portable qui contenait déjà un nouveau message.

De Levi : Ok. »

Le brun pinça les lèvres avec un petit sourire lui creusant les fossettes. Le noiraud était encore pire que Mikasa pour ce qui était de la communication. Un petit regard en coin à l'heure affichée sur son four lui apprit qu'il allait être à la bourre au boulot. Il se dépêcha d'enfiler son bomber marine sur le dos, chopa son sac dans le même mouvement et partit en claquant la porte, la fermant à clé d'un tour de main. Il fut bientôt dans sa petite Clio 3 d'occasion, qu'il démarra au quart de tour. Il avait à peine dormi cette nuit, mais terminant à quatorze heures il aurait largement le temps de piquer un petit somme avant de partir voir Levi.

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« Qu-Je t'ai dit non, triple buse !

- Roh allez 'Ren, ça fait longtemps… Et arrête avec tes insultes de vieux ! On en est aux temps modernes !

Le brun venait de sortir des vestiaires pour hommes de l'hôpital, un peu plus réveillé que ce matin mais toujours fatigué. Il longea tout le long du couloir en maugréant contre la personne à l'autre bout du fil. Parvenu aux portes principales en quelques secondes, celles-ci s'ouvrirent automatiquement à son arrivée. Une brise fraîche et agréable vint lui effleurer les joues et, quand il leva les yeux, il remarqua au loin une tignasse blonde familière.


- Jean, espèce de petit con, grinça-t-il au combiné avant de raccrocher.

Pour que son ami soit si insistant pour le voir jusqu'à se ramener à la sortie de son travail, il devait avoir besoin de se confier. Au moins il mangerait plus vite, il était quatorze heure vingt et notre brun avait la dalle. Il soupira doucement et se dirigea vers Jean d'un pas tranquille.

- Salut enfoiré.

- Salut connard, répliqua le blond avec un large sourire.

- T'es pas censé avoir cours à cette heure ? On est mardi non ?


L'autre détourna la tête avec une moue.

- J'avais amphi et pas trop la motiv' d'y aller, marmonna-t-il et, avant qu'Eren n'ait le temps de le morigéner, il passa un bras autour de ses épaules. Puis ça faisait longtemps que j'avais pas entendu tes conneries.

L'infirmier s'adoucit immédiatement, bien qu'une autre part de lui veuille le frapper en pleine poire puisqu'il avait posé son bras avec la plus belle nonchalance du monde sur une de ses deux entailles. Il afficha un beau sourire hypocrite permettant de cacher son spasme de douleur et se dégagea de l'emprise de son ami avec précaution.

- Allez viens, trou du cul. »


Le blond lui emboîta le pas avec entrain. Pas besoin de se dire où ils allaient, ils avaient leur petite habitude du repas de midi après leurs dures heures de labeur. C'est avec la faim au ventre que les deux comparses se mirent en route direction le bar de Christa, celui-ci se situant une rue plus loin, au bout de la grande place. Le brun ne repéra pas son amie blonde, peut-être ne travaillait-elle pas. Ils s'installèrent à une table extérieure, notre protagoniste exigeant de prendre l'air. Il pouvait bien se le permettre puisque Jean était venu diminuer sa sieste. Bon non, il était vache, son meilleur ami était suffisamment important pour qu'il ne le laisse pas en plan.

« Alors, qu'est-ce qui te tracasse tant monsieur l'envahisseur ? alla-t-il droit au but.

Jean croisa les bras et détourna la tête avec une belle duck face.

- On peut rien te cacher à toi, grommela-t-il.

- Toi ? Nan, impossible, ricana le brun.

- Peuh.


Le jeune infirmier attendit patiemment que son ami se décide à approfondir, ce dernier admirant ses ongles devenus subitement si intéressants. Dès les trente premières secondes il craqua en poussant un soupir bruyant :

- Aah ! Je sais pas si ça se passe bien avec Marco, voilà !

Évidemment c'était sur ce sujet, il aurait dû s'en douter.

- T'as fait une connerie hein ? s'exaspéra-t-il.

- Qu-non, pas du tout ! rétorqua le blond, piqué à vif. Pourquoi ce serait toujours à moi de foutre la merde ?!

- Parce que t'es aussi impulsif que, eh bah –

- Que toi.

Notre protagoniste le dévisagea le temps de cinq longues secondes. Ouais bon, ok, Jean pouvait se permettre de l'avoir cité en référence. Il le méritait et, surtout, c'était le cas : il était un impulsif de première.

- Si t'as pas fait le débile alors quoi, ça vient de lui ?

- Bah… Ouais. Mais le truc c'est qu'il ne me parle pas, il s'éloigne, baissa-t-il d'un ton en détournant les yeux, avant de les reporter sur Eren. Toi, enfoiré de meilleur pote, t'es sorti avec lui, donc tu pourrais peut-être m'aider… ?


Il devait en prendre un coup sur sa fierté de lui demander ça.

- Un mois seulement, soupira le brun, je ne pense pas que je puisse te dire grand-chose.

- On sait jamais ! s'exclama Jean sous le regard surpris de notre protagoniste, mettant ensuite la tête dans ses mains.

Eren se perdit dans la chevelure blonde de son vieil ami. La carrure de Jean était sensiblement plus imposante que la sienne, d'un point de vue habillé. Et il était plus grand. Le brun se demanda alors si la taille avait quelque chose à voir avec ça. C'est vrai, en général ce sont les personnes assez grandes qui possèdent de larges épaules. C'est alors que l'image de Levi se superposa à celle de son ami blond, démantelant ainsi du même coup toute sa piètre théorie. Ce premier n'était pas très haut, il devait quoi, fleurer les un mètre soixante-trois, soixante-quatre ? Et pourtant dieu sait qu'il était bien bâti. Avant de ne trop s'éparpiller, il reporta son attention sur Jean.

- Marco, il…, commença-t-il, hésitant. Il n'a jamais beaucoup parlé. Mais il prend énormément soin de ce à quoi il tient. Puisque ton histoire a l'air assez récente, je te ne peux que te conseiller d'attendre. Laisse-lui le temps.

- C'est juste que c'est si inhabituel, se plaignit Jean, buvant une longue gorgée de son Ice Tea. Mais bon, je vais suivre ton judicieux conseil. C'est pas comme si je pouvais vraiment faire autre chose.

- Fais donc, âne bâtée, au lieu de sécher les cours à cause d'une pauvre petite prise de tête.

Le blond se redressa brusquement, sa vivacité retrouvée.

- Hé ! J'te permets pas abruti ! Ne devrais-tu pas, au contraire, puisque nous ne nous sommes pas vus depuis pas mal de jours, me glorifier ? Je t'ai fait l'honneur d'être ton meilleur pote, alors sois respectueux et soumis, fit-il, un sourcil arqué, avec une posture de monarque.

Le brun posa sa tête dans ses mains, le dévisageant avec un air narquois.


- Jean, c'est parce que tu es mon meilleur pote que je suis sincère avec toi. Et t'es un trou du cul.

- Au moins je suis pas une vache à m –

Il fut coupé par une voix fluette, tout en restant douce et mélodieuse à l'oreille :

- Les garçons, ce ne sont pas les manières adéquates pour vous dire que vous vous aimez, vous savez ?

Ils se tournèrent d'un même mouvement face à une petite blonde d'un mètre cinquante-huit, un léger sourire flottant sur ses lèvres pleines. Ses yeux, bleutés et moqueurs, dévisagèrent à tour de rôle les deux amis. L'infirmier fut le premier à réagir :

- Christa ! Je pensais que tu ne travaillais pas. Comment vas-tu ?

Elle posa une main légère sur son épaule – celle qui était intacte.

- Bien Eren, et toi ? Tu as l'air un peu fatigué… Tu ne trouves pas Jean ?

Ce dernier posa son regard une fraction de seconde sur notre brun, avant de se perdre dans la contemplation de la grosse fontaine de la place.

- Il a toujours été fatigué cet imbécile, soupira-t-il finalement. Et pourtant c'est pas avec nous qu'il fait la fête.

- Rooh laisse-le tranquille le pauvre, fit la blondinette.


Eren tira la langue à son stupide de meilleur ami, avant de se prendre une petite tape sur le sommet du crâne de la part de Christa.

- Vous allez arrêter de vous comporter comme des enfants ? rouspéta-t-elle.

- C'est le comble venant d'une fillette comme toi, ricana le blond alors que notre brun approuvait solennellement du menton.

La jeune serveuse gonfla ses joues, sa lèvre inférieure remontant légèrement.

- Je ne vois pas ce que la taille a à faire avec l'âge, bouda-t-elle.

Elle avait toujours été riquiqui et complexée vis-à-vis de ça, d'autant que les deux comparses ne manquaient pas une occasion de la charrier sur ce point justement.

- On te taquine Christ', rit notre protagoniste. Tu sais bien que tu es adorable !

- La meilleure ! confirma Jean en hochant vivement le menton.


Les joues de la jeune fille se teintèrent d'une belle couleur rosée et, le cachant, elle se retourna.

- Vous êtes irrécupérables, rouspéta-t-elle, avec cependant un ton rieur en arrière-plan. Sur ce, j'ai du travail moi ! Avec des clients à servir !

Les deux garçons échangèrent un regard amusé et s'exclamèrent :

- On prendra comme d'habitude Christ' !


La belle blonde partie ils soupirèrent de concert, le brun affalant sa joue dans sa paume. Il fixa le ciel brumeux, espérant recevoir une once de chaleur dans une pensée silencieuse. Et, comme si les nuages l'avaient entendu, ils s'écartèrent pour laisser la place à un mince filet de lumière. Le rayon de soleil vint l'atteindre en pleine tête et il ferma les yeux jusqu'à ce que ses paupières se réchauffent. Jean soupira bruyamment, suivi de près par Eren. Ce fichu blond ne pouvait-il donc pas supporter le silence ne serait-ce qu'une petite minute ? Perdu dans ses pensées, il planta son regard dans celui de son ami. Il connaissait ce dernier depuis maintenant quelques années et ils ne s'étaient jamais éloignés, ne serait-ce qu'une seule fois. Bien qu'ils n'aient pas toujours le temps de se voir – principalement dû à lui-même – ils étaient restés très proches, liés par un fil affectif familial. Ils avaient tous deux soufferts d'injustice, de cruauté, ainsi que de la mort d'un parent proche. Le brun plissa les paupières. Jean et lui avaient surmonté ce périple de manière différente, ils avaient fait en sorte de pouvoir supporter cette charge à leur propre façon. Tandis que le blond avait considérablement élargi son cercle social, Eren était… et bien, était devenu l'Exécuteur, un tueur qui agissait sous le voile de la nuit. Ouais, ils avaient vraiment progressé à un point diamétralement opposé. Le sifflement du blond le sortit de sa rêverie.


- T'as vraiment des yeux de ouf mec, j'te jure, on dirait presque que tu viens d'une autre planète.

Le jeune infirmier le fixa cette fois-ci réellement, presque avec insistance.

- Arrête de dire de la merde abruti, se moqua-t-il.

Je vous le rappelle. Deux lunaires se regardant en plein soleil se révèlent ainsi leur pouvoir, bien que contre leur gré. C'était comme s'il s'agissait d'un vieux souvenir oublié, qui remontait en surface subitement comme s'il avait toujours été là, assis bien au chaud. Alors, un sentiment étrange grandissait dans le cœur des possesseurs de pouvoir, un sentiment inconfortable, que leur corps abasourdi rejetait. Leur don venait d'être dévoilé tel un secret honteux mis à nu. Les lunaires devenaient alors plus gênés qu'autre chose. Eren avait cependant un contrôle total sur son pouvoir. Et, quand il regarda Jean sans expression aucune, posant simplement ses yeux sur lui, son ami détourna les siens. Les iris turquoise du brun mettaient étrangement mal à l'aise les lunaires, ainsi baignés de soleil. Leur transparence inhabituelle, irisée de taches plus sombres jusqu'à devenir les abysses d'un lac profond en son centre ferait presque frémir. Ils avaient du mal à soutenir ce regard regorgeant d'un pouvoir écrasant, mais cela sans s'en rendre vraiment compte.

- Mouais t'as raison, grommela le blond, ils font juste flipper.


L'infirmier pouffa et détourna les yeux également. Les nuages effilochés vinrent recouvrir le faible interstice et la lumière disparut, voilant de nouveau le paysage de gris. Leur commande ne tarda pas à arriver et ils s'empiffrèrent, affamés qu'ils étaient. Ce n'était pas particulièrement excellent mais ça se mangeait et, surtout, ça avait le mérite de leur caler l'estomac.

- Tu as revu Bertolt et Reiner ? demanda Jean au bout d'un temps.

- Non, mentit-il.

Deux minuscules secondes s'écoulèrent le temps que le blond lui jette un coup d'œil et n'ajoute :

- Comment ils vont ?

- Plutôt bien, soupira le brun, ne tentant pas le mensonge plus loin. Ils se sont tous les deux déniché un job qui semble assez stable.

- Ah ! Ils ont peut-être décidé de se ranger, grogna son ami.


Jean connaissait les deux gus, il les avait même fréquentés avec Eren pendant un temps, jusqu'à ce que ce dernier ne le retrouve accroché par les pieds à la fenêtre du premier étage et doive user de ses talents de traceurs afin de le détacher. Ça n'était certes pas très haut, mais pour le blond ils avaient clairement dépassé les bornes. Déjà qu'il hésitait à continuer de les voir, là ce fut la gorgée de travers en trop. S'il les voyait aujourd'hui il ne serait absolument pas agressif, simplement désintéressé. Annie et notre protagoniste étaient les seuls à faire encore copain-copain avec Bertolt et Reiner.

- En tout cas il y a du progrès, fit le brun avec un sourire en coin.

Il sortit son portable de l'une des poches de sa veste et l'alluma, se renseignant sur l'heure. Quinze heures.

- Je vais pas tarder, prévint-il Jean. J'ai besoin de ma sieste réparatrice.

Celui-ci fit la moue.

- Tu as quelque chose de prévu ce soir ? devina-t-il.

- Oui.

Un éclair furtif d'une pseudo compréhension passa dans ses petits yeux noisette et Eren plissa les siens, soudainement méfiant.

- Tu t'es enfin dégoté un nouveau mec ? ricana-t-il.

Le brun ouvrit en grand ses paupières, abasourdi.

- Qu – mais absolument pas ! Qu'est-ce qui te faire dire ça pauv' débile ?!

L'étudiant croisa les jambes, la pointe de son pied s'agitant de gauche à droite, affichant un petit sourire narquois qui déplut fortement à Eren.

- J'ai cru voir des loupiottes s'allumer dans tes yeux d'extraterrestre, expliqua-t-il d'un ton moqueur.

- Pff, tu dis vraiment n'importe quoi, c'est juste quelqu'un que je viens de rencontrer, fit-il en gonflant ses joues, puis il baissa ses pupilles sur le pied de table. Pour ta gouverne, je ne risque pas de me mettre avec.


Jean parut immédiatement très déçu. Son jeune ami infirmier n'était pas sorti avec qui que ce soit depuis déjà quelques mois. Il le connaissait, il savait qu'Eren n'avait jamais été une personne très stable. Le brun n'avait jamais été prêt à entrer dans une relation construite. Il avait beau avoir essayé, comme avec Marco, ça n'avait jamais duré plus de deux ou trois mois. Non qu'il ait besoin de voir ailleurs, simplement qu'il ne se livrait pas, gardant tout précieusement pour lui. Et son emploi du temps étrangement chargé n'aidait en rien. Il avait déjà peu de temps à accorder à ses proches, alors à un petit-ami ? Celui-ci pèterait forcément un câble au bout d'un moment.

- Dommage, il serait temps de chercher à te caser un peu 'Ren.

- Je ne –

- Je sais, rouspéta le blond, peu de temps et blablabla. Mais tout de même… Il y a forcément quelqu'un qui te convient ici-bas. Si tu continues d'essayer tu trouveras forcément.

Un vol d'oiseau passa, traversant la place à toute allure. Deux enfants se penchaient sur la fontaine, sans doute avec la riche idée d'attraper quelques piécettes naissant dans leur petite caboche. A côté, une dizaine de mètres plus loin, une mendiante s'était agenouillée et penchée en avant, le front à quelques millimètres du sol..

- Je ne vois ce que mon célibat peut te faire, grogna le protagoniste.

- Peuh. Imbécile.

Le brun comprenait que sa situation importait au blond – d'autant que ce dernier avait raison – mais il avait du mal à s'étendre sur le sujet. Mastiquer sa dernière bouchée parut d'un coup d'une importance capitale, il devait y accorder son entière attention. Il avala précautionneusement, se leva.

- Je vais y aller, signala-t-il.

Comme Jean hochait la tête avec un petit sourire mais sans rien ajouter de plus, l'infirmier soupira doucement avant de continuer :

- Je te promets de faire de mon mieux si tu règles ton histoire avec Marco.

Il ne pouvait parvenir à mentir sur ce sujet sans que son ami ne s'en rende compte, il avait donc été contraint de donner sa parole pour que ce sale blond soit content. Celui-ci releva d'ailleurs la tête, le visage éclairé et se mit debout. Il serra la main de notre brun avec une bonne humeur renouvelée.

- Marché conclu ! » s'exclama-t-il.

Ce petit saligaud. Ils se firent un check et le brun partit direction son petit appartement, grognant tout bas une ribambelle de noms d'oiseaux.

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« … - lle a les yeux BLEUS ! BLEUS LES YEUX ISA-BELLE A !


Eren bondit de son lit en se réveillant, puis se jeta sur son portable. Il avait eu une nouvelle fois besoin de son réveil de secours… Cette sonnerie avait l'immense plaisir de lui annoncer son retard quand il n'entendait pas les réveils précédents. Elle parvenait à lui infiltrer le cerveau et lui taper sur le système de manière pratiquement immédiate, si bien qu'il s'était presque senti obligé de la mettre en « sonnerie de secours ». Il accourut à la douche, se décrassant avec vivacité, frottant sa peau énergiquement. Il en ressentait très souvent le besoin après s'être rendu à l'hôpital. Quand il fit sans le faire exprès tourner le robinet dans le sens de l'eau froide et que celle-ci l'aspergea en pleine figure, il ne put retenir un cri.

- AH ! Meeerrrdeuuh ! » s'écria-t-il en coupant totalement l'arrivée d'eau.


Peut-être le jet glacé acheva de le réveiller totalement, il réalisa en tout cas qu'il allait passer la soirée avec le noiraud et son corps en trembla presque d'excitation. La longue conversation qu'il avait eue avec lui pendant une bonne partie de la nuit avait été si passionnante ! Il s'était rarement emballé comme ça et en était presque venu à oublier sa condition merdique. Alors que fréquenter Levi aurait dû se transformer en une grosse prise de tête interne pour notre brun, ça avait eu l'effet totalement inverse.

Douché et séché, il se retrouva en caleçon dans sa chambre, devant son sa petite commode. Il médita le temps d'une demi-seconde avant d'en tirer un pantalon noir usé aux genoux – si bien que cette partie avait pris une couleur grise – un tee-shirt à manches longues militaire en coton particulièrement doux pour la peau et une paire de chaussettes blanches.

Vingt-et-une heures deux. Il se brossa les dents en vitesse, avala une compote – ou plutôt l'engloutie – enfila ses fameuses Timberland et un blouson Bomber marine. Il eut à peine le temps d'attraper son sac à dos avant de claquer la porte, sans oublier de la fermer à double tour. Après avoir dévalé les nombreux escaliers de son immeuble à une vitesse folle il se retrouva dehors, dans la nuit fraîche. A dix petites minutes de là se trouvait l'arrêt de bus, qu'il eut tôt fait de rejoindre. Une fine pluie commença à tomber, légère et invisible, mais humidifiant rapidement son visage. Elle se fit ensuite plus insistante, plus lourde, venant rencontrer le goudron avec une résonnance persistante. Bientôt la ville fut assourdie par les clapotis répétitifs de milliers de gouttes d'eau. Sa capuche rabattue sur sa tête, le brun leva son regard de jade en direction du ciel noir de nuages. Et il trouva ça beau, cette symphonie enivrante, les parfums discrets qu'elle relevait dans sa moiteur, les immeubles recouverts d'une fine pellicule de pluie grisâtre. Un mince sourire naquit contre ses lèvres entrouvertes, accueillant le liquide doux amer. Ses paupières closes, il inspira un grand coup ces multitudes de senteurs si éparses et qui pourtant en venaient à former un tout d'une saveur si particulière et exceptionnelle.

Le bus parvint à sa hauteur, le chauffeur ayant la bonté de s'arrêter bien que le brun ne l'ait pas vu arriver. Eren le remercia doucement, valida sa carte puis alla s'asseoir tout au fond du véhicule, le front appuyé contre le plastique tremblant. Il se sentait en paix, ainsi à moitié trempé. Le trajet fut rapide, dix petites minutes seulement. Le bus stoppa à la limite de la zone sécurisée, puis repartit aussi vite qu'il était arrivé, laissant le brun dans un noir strié de lumières jaunes et rouges. Les premières provenant de deux lampadaires en fin de vie et les secondes des barrières délimitant une partie de la zone sécurisée. Il s'approcha d'elles d'un pas tranquille. Un peu plus loin, la vitre d'une voiture de police s'abaissa, le conducteur passa sa tête au-dehors et le héla :

« Vingt-et-une heure quarante monsieur ! Nous n'allons pas tarder à fermer les barrières ! Si vous entrez vous ne pourrez sans doute plus sortir ! »


L'infirmier leva son avant-bras, signalant qu'il avait entendu la mise en garde, avant de pénétrer la zone sécurisée. A peine eut-il coupé dans une rue que le silence sembla tout d'un coup devenir bien plus imposant. Quelques immeubles abritaient encore deux ou trois lumières, les lampadaires se faisaient plus rares et n'étaient pas tous en état de fonctionner, les rues étaient vides de vie. Il y avait cet autre aspect bénéfique avec la pluie. Son froid humide faisait fuir. Mais pas Eren. Lui il aimait ce lac qui se déversait du ciel, les odeurs qu'il relevait, le silence apaisant auquel il donnait accès. Que les gouttes soient lourdes et crépitantes ou légères et éparses cela lui importait peu. Elles vidaient la place, accueillaient le silence de mort à bras ouvert, et lui se complaisait dans celui-ci.

A cette heure-là plus aucun transport en commun ne circulait dans l'enceinte de la zone sécurisée. Les habitants avaient terminé leur travail depuis déjà quelques temps puisqu'en cas contraire ils ne pourraient plus rentrer chez eux. Il n'y avait absolument personne. L'on était encore aux abords de la zone, mais plus on s'enfonçait vers le centre plus ça devenait dangereux. Pourtant, avec cette pluie déjà devenue plus insistante, même les plus mauvaises graines semblaient s'être cachées du mauvais temps. C'était presque magique. Être totalement seul. Le brun ferma les yeux le temps d'une profonde inspiration, un sourire apaisé sur les lèvres, puis il se mit en route pour Titania.

Il parvint à l'arrière de la boîte au bout d'une douzaine de minutes, sortit son téléphone de sa poche et appela le noiraud. Au bout de seulement deux sonneries on décrocha :

« Gamin, tu es arrivé ?

- Oui, répondit Eren avec bonne humeur.

- J'arrive. »

Notre brun rangea son téléphone dans son sac, patientant tranquillement. Levi ne tarda pas, il était rapide. La porte se referma lentement derrière lui et il posa un pied sur le goudron de la ruelle, tenant en main un parapluie qu'il ouvrit prestement. Remarquant l'étendue des dégâts que l'eau dégoulinante avait causé sur les vêtements du brun, il s'empressa de s'avancer vers lui et l'abriter. Une distance respectable était maintenue entre eux. Enfin, chacun se tenait à la presque extrémité du parapluie.

« On ne rentre pas ? demanda le plus jeune.

Le noiraud sortit une cigarette de sa poche et pinça le filtre entre ses lèvres.

- J'ai besoin d'une clope, marmonna-t-il, enclenchant la molette de son briquet.

Comme les baleines du parapluie reposaient presque sur le sommet de son crâne, notre protagoniste retint difficilement un sourire et posa sa main sur le manche.

- Tu permets que je le tienne ?

Le plus vieux lui céda en grommelant ce qui ressemblait à « stupide gosse trop grand » puis profita de ses deux mains libres pour fermer les boutons de sa veste noire en feutre de ses mi cuisses jusqu'en haut du col, couvrant son menton.

- Eh j'te permets pas ! riposta immédiatement Eren, puis ajouta d'un ton plus bas. J'y peux rien si t'es né petit.

Comme prévu le gérant se raidit, mais alors qu'il allait lancer une réplique cinglante il fut devancé par le rire clair de notre brun.

- C'est bon t'as fini ? grogna-t-il après quinze bonnes secondes.

- Oui, oui, fit Eren, avec un large sourire. D'ailleurs, je peux te piquer une clo –

- Nan.


Au moins ça avait le mérite d'être clair. Une moue boudeuse apparut sur le visage du jeune infirmier, mais qui fut bien vite remplacée par une mine moqueuse.

- Mais tu sais, c'est mignon les personnes petites.

- Attends, je suis censé te filer une cigarette maintenant que tu as tenté de te rattraper à la manière d'un trou du cul ? s'étrangla-t-il.

- Mais je pensais ce que je venais de dire je t'assure, râla presque Eren.

Il croisa ensuite les bras et détourna la tête.

- Ça m'est égal de toute façon, je peux m'en passer sans problème.

- Tant mieux alors, t'en mérites pas. »

Le brun n'ajouta rien, il se ferait une nouvelle fois remballer. Mais certes, il l'avait cherché. Levi détestait qu'on commente sa taille, il n'était pas sans le savoir, ou du moins l'avait compris de lui-même assez aisément. En fin de compte, quand son regard dévia vers le noiraud, qui avait tourné la tête, il put remarquer un mince sourire flotter sur sa bouche. Eren attendit qu'il termine sa cigarette sans dire un mot, tous deux écoutant la conversation rythmée de la pluie contre le goudron. Les gouttes se firent de nouveau bientôt plus fines, jusqu'à ce qu'il ne reste qu'une simple bruine.

- Rentrons.» soupira finalement le noiraud.


Le brun opina du menton, toujours sans prononcer le moindre son. En réalité il observait le gérant du coin de l'œil, dubitatif. Ce dernier semblait différent dans sa posture, plus recroquevillé, se tenant moins droit, plus alerte. Eren et lui étaient constamment sur un certain qui-vive, mais là c'était différent et il ne saurait pas dire pourquoi. Ils longèrent le couloir, ouvrirent la première porte, celle qui menait dans la salle du bas de la boîte. Évidemment c'était déjà bien rempli. Levi s'était arrêté, fixant les personnes qui se trémoussaient dans la large pièce. Sans doute cherchait-il un passage pratique pour se faufiler. Lui qui pourtant n'hésitait pas à foncer dans le tas et écarter les gêneurs. L'infirmier fronça un peu plus les sourcils. Le noiraud s'avança, débutant la périlleuse ascension au milieu de ces corps maladroits, le jeune brun le suivant de près. Ils se firent forcément un peu secouer, ça c'était complètement inévitable. Tout s'éclaira pour notre protagoniste quand il vit le gérant porter soudainement sa main gauche à son bras droit, en-dessous de l'épaule, en un geste protecteur. Eren vint passer un bras dans le haut de son dos, son torse couvrant sa blessure au bras. Car ça ne pouvait être que ça, non ? Levi se laissa entraîner dans la foule tout le long jusqu'à l'étage supérieur. A chaque fois qu'ils se faisaient bousculer, le brun repoussait le malpoli et se rapprochait un peu plus du noiraud. Le nez de ce dernier était tout proche du cou mâtiné de l'infirmier, si bien qu'il pouvait clairement discerner son odeur si particulière. Quelque chose de chaud, de crépitant, mais il n'arrivait pas à mettre le doigt dessus. Sans doute cet effluve lui était propre, ne pouvant être qualifié par d'autres plus communs. Le gérant de Titania resta docile. Preuve qu'il devait avoir suffisamment mal pour ça.


Quand ils se retrouvèrent face à la deuxième porte, Eren le lâcha pour s'éloigner d'un bon pas. Il sentait encore le corps du noiraud contre le sien, s'emboîtant parfaitement contre le creux de son épaule. Le corps du… Chien. Il déglutit. Il était difficile de s'imaginer qu'en-dessous de tous ces costards se cachaient des muscles parfaitement développés – que le costume noir moulant du rebelle mettait davantage en valeur – ainsi qu'une peau sûrement couverte de vieilles blessures. Et alors que lui-même détestait s'attarder sur son corps, il fut intrigué de voir celui du plus vieux. Ressemblait-il au sien ? Compte tenu de son âge plus avancé, était-il davantage meurtri ? Levi tapa rapidement le code de la porte, son regard obstinément dirigé droit devant lui.

Ce fut à ce moment-là qu'Eren se demanda : mais au fait, d'où venait cette blessure ? Il avait la réponse avant même de s'être posé cette question. Hier soir, lors de la mission des rebelles. Il avait été esquinté de partout, mais le noiraud également. Et ils n'avaient pas été les seuls. Sauf qu'il y avait porté très peu d'attention. Levi n'avait pas semblé souffrir, que ce soit par des mimiques ou bien des gestes affaiblis. Alors qu'ils s'engouffraient dans la montée d'escaliers, la porte claquant derrière eux éloignant le vacarme, il réalisa. Lui non plus n'avait rien montré de sa douleur, pour la simple et bonne raison qu'il n'y pensait pas, qu'il ne la sentait pas. L'adrénaline qui distordait encore ses veines l'avait rendu insensible, il était encore dans l'attitude de la bataille, à se tenir prêt si un quelconque danger survenait. Le Chien avait été dans le même cas. Une fois de plus ils se rejoignaient sur un point. Mais alors, étant reparti avec Hanji, pourquoi ne s'était-il pas fait soigner ?

« Où est l'infirmerie ? grogna-t-il quand ils parvinrent dans le mince couloir des appartements de Levi.


Ce dernier, s'il sembla surpris par son ton, n'en montra rien. Il longea la petite allée, dépassant la porte de son appartement, ne s'arrêtant que tout au bout, à la troisième sur la droite. Il sortit un trousseau de clés de la poche de son manteau, sélectionna la plus riquiqui. Eren fut étonné de se retrouver dans une pièce encore plus minuscule qu'il ne l'avait prévu. Elle était munie d'un simple lavabo où un placard s'y était accolé et un second était fixé sur le mur du fond proche du coin. Dans l'autre angle une chaise pliable avait été posée de manière dangereusement verticale. Le lit surélevé, élément final de la pièce, trônait au centre de cet espace aussi ridiculement réduit qu'aménagé. Enfin, il ressemblait davantage à un brancard auquel on aurait retiré les roues. Fixant les pieds avec davantage de sérieux, notre brun en fut même certain. Ouais, on avait dévissé les roulettes et avait bouché les trous avec ce qui ressemblait à de la pâte à modeler beige.

- Au cas où des imbéciles auraient besoin de soins immédiats, grommela le noiraud, reportant l'attention du jeune infirmier sur lui.

Par « imbéciles » il voulait désigner les clients de sa boîte pompeuse. En l'occurrence, là il s'agissait de lui, un idiot rebelle qui ne s'était pas fait soigner. Ou alors pas correctement. Eren en était certain, si ça avait été le cas il n'aurait pas eu si peur pour sa blessure. A quel point pouvait-elle être hideuse ?

- Enlève ton manteau et assieds-toi, ordonna-t-il.

Pour que le gérant obéisse aussi facilement il devait souffrir. Eren retira également sa veste, retroussa ses manches puis se lava précautionneusement les mains. Il voulait constater l'ampleur des dégâts. Quand il se retourna, Levi était vêtu d'une chemise noire sans cravate, fermée soigneusement jusqu'au col. Le haut de son bras droit était plus volumineux, mettant en évidence un épais bandage.

- Je vais avoir besoin que tu retires ta chemise, lui indiqua-t-il.

Le noiraud eut un mouvement de recul sur le lit.

- Ce ne sera pas nécessaire, rétorqua-t-il d'un ton implacable.

Le brun fronça les sourcils.

- Comment ça ?

- Coupe seulement la chemise autour de la blessure. Les ciseaux sont dans le premier tiroir, lui indiqua le plus vieux d'un mouvement de tête.

Eren s'exécuta, puis revint bientôt auprès de lui. Il s'employa à découper une ligne bien nette et, quand il parvint au niveau de la couture, il fut arrêté subitement par une main froide.

- Ne va pas plus loin, fit la voix rauque du gérant de Titania.

- Hein ? dit-il bêtement.

L'autre soupira et détourna la tête.

- N'enlève pas toute la manche s'il-te-plaît, seulement ce qui est nécessaire.

Le cœur de notre protagoniste se serra. La peau de Levi avait-elle été aussi terriblement marquée ? Couverte de cicatrices ? Il ne parvint pas à répondre, mais fit tout de même ce qu'il lui demandait. La bande de tissu retirée puis le bandage, il retint une exclamation. Il s'agissait d'une blessure par arme blanche. L'incision n'était pas bien nette mais profonde, l'entaille suintait toujours un peu.

- Tu n'aurais pas pu aller te faire soigner avant ? gronda-t-il.


Le noiraud le fixa derrière ses verres teintés avant de répondre tout bas.

- Il y avait plus important que moi à s'occuper.

Il prenait un gros risque en s'exposant ainsi face à Eren. La bataille d'hier soir avait offert un gros titre pour les journaux et les radios ne cessaient de bavasser là-dessus. Peut-être les rebelles manquaient-ils de médecins ? Ainsi le brun serait un atout pour eux. N'oublions pas qu'il avait toujours pour but de les infiltrer. De joindre leur cause plutôt, même.

- Qu'est-ce que je disais déjà, souffla-t-il, sur les patients qui refusent de se faire soigner ?

- Ça n'a rien à voir avec ça, grommela le noiraud.

Ouais. Il y avait eu beaucoup de blessés suite à cette affreuse nuit, Levi avait cédé sa place aux plus pressants. Parce qu'on avait sans doute dû se ruer sur lui pour le soigner, après tout n'était-il pas l'élément le plus puissant des rebelles ? Il restait prioritaire. Il avait fait semblant de s'en être sorti indemne, alors qu'en réalité il portait une entaille profonde et sanguinolente.

- Levi…, fit doucement l'infirmier. Tu as besoin d'être recousu. Laisse-moi retirer toute la manche de ta chemise.

- Non, grogna l'autre durement avec un geste de recul.

- S'il-te –

- J'ai dit non, le coupa le noiraud un peu plus fortement.

Le brun pinça ses lèvres en une ligne mince et blanche.

- Je ne pourrai pas te recoudre sinon. Il faut que je te soigne correctement !

Il avait haussé le ton lui aussi, exaspéré. Bien qu'il comprenne les raisons du refus du gérant, ce dernier avait un rôle majeur à jouer, il n'allait pas se laisser ralentir pour une blessure qu'on lui proposait gentiment de réparer !

- Alors ne me soigne pas du tout ! explosa le noiraud, descendant brusquement de la table et s'apprêtant à remettre sa veste.

- Je ne peux pas te laisser dans cet état-là ! rétorqua-t-il.

- Qu'est-ce que ça peut bien te faire ?! fulmina Levi.


Ses poings étaient serrés, son corps tremblait sous l'assaut de spasmes de colère. Sa mâchoire carrée était si raidie qu'elle saillait presque sous sa peau tendue. Notre brun déglutit face à tant de haine trop contenue. Il savait qu'elle n'était pas dirigée contre lui cependant. Le noiraud était un rebelle important, il représentait le Chien, alors qu'il ploie sous une blessure stupide lors d'un combat, l'affaiblissant, il n'en était pas question. Il était encore plus têtu que lui, à se mettre en danger idiotement. Le jeune infirmier baissa les yeux.

- Que ça soit… pour une question d'image, ou je ne sais quoi…

Il baissa encore d'un ton.

- Je ne peux pas te laisser dans cet état. Je ne veux pas. » corrigea-t-il.

Sa poitrine le serra à ces mots mais il l'ignora. La bouche du plus vieux s'ouvrit, puis il la referma, semblant se calmer. Il baissa la tête, ses mèches corbeau venant tomber devant ses lunettes noires. Le brun inspira lentement puis un sourire léger et apaisé prit place sur son visage. Il s'avança vers le noiraud jusqu'à se retrouver à quelques millimètres de lui. Il posa alors ses deux mains sur ses épaules, le poussa délicatement en arrière. Quand le bas du dos du gérant buta contre le lit, il comprit qu'Eren lui demandait silencieusement de se remettre dessus. Le plus vieux obtempéra avec méfiance. Notre protagoniste n'était pas dupe, il avait bien compris que Levi n'en démordrait pas.


S'ensuivit un long silence durant lequel le brun désinfecta bien la plaie. Il laissa la chemise à sa place, y touchant le moins possible. Il fournit un travail appliqué, posant une paume légère sur l'épaule du noiraud quand il se tendait trop. Il pouvait parfois entendre ses dents crisser les unes contre les autres, alors qu'il se retenait de jurer. Ce fut assez rapide et, une bande propre plus tard enserrant fermement la blessure au bras du gérant de Titania, il s'éloigna afin de contempler son œuvre. Pas trop mal. Quand il leva un peu plus les yeux, les posant sur le visage du noiraud, il se dépêcha de se rendre au minuscule lavabo. Il sortit trois quatre feuilles du sèche-main, les passa rapidement sous l'eau afin qu'elles ne soient qu'à peine imbibées et retourna auprès du blessé. Il rinça sa peau suante, commençant par son front, puis ses pommettes, descendant rapidement jusqu'au menton. Il pouvait sentir le regard du gérant peser sur lui. Gêné, il retira sa main. Le noiraud releva la tête, l'air exténué mais soulagé.

« On étouffe ici, commenta-t-il.

En effet la sueur revenait perler sur sa peau pâle. Eren alla jeter les feuilles de papier humides sans répondre puis revint près de lui, croisant les bras. Levi lui fit un pauvre sourire.

- Verdict ?

- Ça devrait le faire, soupira notre protagoniste. Bien que tu restes un idiot en ne me laissant pas te recoudre. Mais… tu n'en mourras pas.

Le gérant renifla un petit coup.

- Et c'est le principal, n'est-ce pas ?

Eren ouvrit la bouche mais la referma bien vite. Il ne trouva rien à ajouter. Le noiraud lui faisait définitivement penser à lui-même. Il se retrouvait dans cette coquille déchirée, qui paraissait avoir subi mille douleurs. Peut-être même davantage que l'Exécuteur.

- Merci.

Le plus vieux avait prononcé ce mot dans un souffle. Le brun écarquilla les yeux. Son cœur vint une nouvelle fois battre un peu plus douloureusement contre sa cage thoracique. Il enfila son blouson puis saisit le poignet gauche de Levi, lui laissant à peine le temps d'embarquer sa propre veste.

- Viens. » dit-il.

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