Le Prince & L'Idiot

Chapitre 3 : Hydromel & Horions

4924 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 22:15

 

 

HYDROMEL & HORIONS

 

 

- Debout là-dedans ! clame la voix réjouie de Merlin et Arthur grogne en se renfonçant plus profondément sous ses couvertures.

Pourquoi tant d'énergie dès le matin ? Ce n'est pas décent.

Le serviteur tire les rideaux en grand et le soleil envahit la chambre, déversant sa clarté chaleureuse sur les meubles cirés et la table du petit déjeuner qui fleure bon le bacon et la miche toute juste sortie du fournil. Arthur hume la délicieuse odeur, mais se refuse à ouvrir les yeux et à s'extirper de son cocon douillet. Il cherche en tâtonnant quelque chose à lancer dans la direction de l'importun, mais se trouve forcé de soulever une paupière quand il ne trouve rien.

- Mmm.. m'r'lin… v't'en…

- Debout, Sire ! gazouille le serviteur sans se laisser démonter. "La journée est magnifique et vous avez du pain sur la planche !"

Dans cinq secondes il va tirer la courtepointe d'un seul coup et envoyer Arthur au plancher comme une saucisse entortillée dans les draps.

Ou se percher au bord du lit, décontracté, et ça, ça ne veut dire qu'une seule chose.

Oh non, pas ENCORE…

Le prince roule sur lui-même et ouvre les yeux en fronçant les narines, ébloui par le soleil qui joue dans ses cheveux blonds ébouriffés dans tous les sens. Il se hisse sur un coude, passant son bras nu par-dessus les couvertures de velours vermillon.

- Merlin. Ne me dis pas que tu en as récupéré un autre.

Le serviteur lui adresse une grimace souriante, ses pommettes hautes cachant presque ses yeux bleus pétillants de gaité. Il entrouvre sa veste en ménageant l'effet de surprise, puis dépose sur le lit la boule de poils gris et fauves qui crachote de colère.

- Il était dans l'armurerie. Est-ce qu'il n'est pas trop mignon ?

Arthur s'humecte les lèvres, pince l'arête de son nez en prenant une longue inspiration.

- C'est un chat, Merlin.

Pourquoi faut-il que ces fichus animaux finissent toujours par croiser le chemin de son serviteur ? Ce n'est pas la sorcellerie que le roi devrait interdire, mais la romance entre félins ! Depuis deux ans que Merlin est entré à son service, le prince a vu défiler des centaines de chatons. Il n'est pas question qu'il tente une nouvelle fois de les refourguer à la cuisinière pour qu'elle les noie : elle risquerait de faire une attaque d'apoplexie.

Tous les villages alentours de Camelot sont équipés de chasseurs de rats pour les trois prochaines décennies et les chevaliers ont prévenu Arthur qu'ils ne croyaient plus à son histoire d'accessoire indispensable pour amadouer le cœur d'une dame.

Le prince soupire en grattant malgré lui les petites oreilles pointues du chaton qui se balade maladroitement sur sa courtepointe écarlate, la queue en l'air comme une fane de noisetier.

Ce sont ses chiens qui devraient dormir dans la chambre et le réveiller en jappant, comme n'importe quel jeune noble féru de chasse. Voilà ce qui serait masculin et normal pour le fils du roi. Mais les dogues ont failli avaler Merlin tout cru la seule fois où il a essayé…

- Merlin, tu ne peux pas sauver tous les chats du royaume. Tu dois laisser faire la sélection naturelle.

C'est une cause perdue, mais il continue de la prêcher, espérant qu'un jour vienne où il ne soit pas accueilli au réveil par un miaulement ténu – comme une fille.

Ah. Idée.

- Pourquoi tu ne proposes pas à Morgane de le garder ? demande-t-il avec un regain de motivation en s'asseyant et en balançant ses jambes hors du lit à baldaquin, rejetant les couvertures contre les piliers.

- Guenièvre l'a interdit, réplique Merlin, visiblement indigné, en enfilant les manches de la tunique de lin sur les bras de son maître.

Arthur lève les yeux au ciel en mettant ses bottes.

Guenièvre est un génie de réussir à se faire respecter.

Il se dirige vers son petit déjeuner, rafle une tomate cerise sur le plateau et la gobe tout en réfléchissant. Sur son lit, le chaton tourne en rond en couinant plaintivement.

- Bon, de toute façon, je ne peux pas garder ton nouveau petit protégé. Et, non, Merlin, ce n'est pas un cadeau et je ne vais pas l'accepter. Débrouille-toi pour t'en débarrasser avant que je revienne du conseil.

Les oreilles du serviteur flopent vers le plancher d'un air affligé tandis qu'il jette un coup d'œil en direction du chat qu'il espérait installer dans les quartiers du prince et retrouver chaque matin. Puis ses yeux bleus s'éclairent malicieusement.

- Oh-oh.

Arthur fronce les sourcils et se retourne avant d'hoqueter, écœuré.

- Ha, il a pissé ! braille-t-il. "Non, Merlin, pas encore ! Sors cette vermine de ma chambre à l'instant ! Allez, grouille ! Je te préviens, si tu en ramènes un autre, je le sabre !"

Merlin se précipite pour enlever le chaton par la peau du cou et se sauve dans le couloir, laissant le prince en tête à tête avec son petit déjeuner et une belle auréole jaunâtre odorante au milieu de son matelas.

Encore heureux que ce ne soit pas à lui de faire la lessive…

A midi, l'affaire n'est pas encore oubliée. Arthur a décidé qu'il devait frapper fort s'il ne veut plus que sa literie serve de latrines à tous les matous égarés. Il envoie Guenièvre récupérer son serviteur à la terrasse où celui-ci étend les draps qui claquent dans le vent, et charge Merlin de préparer les chevaux et de la nourriture : il fait beau et son père n'a pas besoin de lui pendant quarante-huit heures, il part à la chasse.

Merlin traine les pieds et râle, mais il ne peut pas faire autrement qu'obéir. Derrière sa fenêtre qui surplombe la cour pavée du château, Gaius secoue la tête, amusé, en les voyant s'en aller. Il tient dans ses bras le chaton. Peut-être que cette famille de passage dans la ville basse pourrait apprécier de recevoir la créature vouée à tous les tourments par Arthur : ce sont des marchands ambulants et ils ont une petite fille que le vieux médecin a soigné de sa mauvaise toux.

Gaius commence à être à cours d'idées pour se débarrasser des félidés que sauve son pupille.

Deux jours plus tard, le prince et son serviteur émergent à l'orée d'un bois, sales comme des peignes, et considèrent le village en contrebas. Le beau temps a fait place à une bruine tiède et les cheminées fument sous le ciel terne.

- Tu sais ce qui est le plus agréable après une partie de chasse ? demande Arthur en appuyant son arbalète contre son épaule, enchanté de sa sortie.

- Un bain ? hasarde Merlin d'une voix boudeuse. "Dormir ?"

Il est chargé de plusieurs bestioles mortes – lapins aux fourrures grises et faisans accrochés à un fil de chanvre comme des perles sur un collier – et son visage est maculé de terre. Il a froid, il est mouillé et il déteste l'odeur de viande morte qui se dégage des dépouilles.

- Une bonne chope d'hydromel ! déclare le prince avec une bonne humeur indécrottable. "Tu vois le toit pointu, là-bas ? Je te parie que c'est une taverne. Allons-y !"

Ils récupèrent leurs chevaux à la clairière où ils ont dormi et descendent la colline jusqu'au village paisible niché au creux de la vallée. Merlin est de nouveau en train de bougonner : les lieux publics le rendent nerveux, il préfère mille fois cueillir des herbes pour Gaius dans un coin sombre de la forêt plutôt que d'aller au marché. Le prince, qui est toujours en mode "paye pour tes chatons", est ravi de l'entendre grognasser sur ses talons et s'engouffre dans la taverne après avoir attaché son cheval à la barrière à l'extérieur.

- Rappelle-toi, ici, je ne suis qu'un simple manant, chuchote-t-il. "Si j'entends un seul "sire", je te fais nettoyer les écuries pendant une semaine."

- Les chevaux sont déjà plus propres que vous, grommelle Merlin entre ses dents, en suivant son maître, le nez sur ses bottes éculées.

- Qu'est-ce que t'as dit ? s'enquiert Arthur en s'asseyant à une table après un regard circulaire satisfait.

- L'hydromel, ça n'a pas bon goût.

Le jeune homme pouffe de rire et donne une grande claque sur l'épaule de Merlin qui grimace en frottant son bras avec exagération.

- Oh, mais toi, tu ne vas pas en boire ! s'exclame joyeusement le prince. "Tu te prends pour un gobelin après trois gouttes de cidre, je ne suis pas fou pour tenter le diable."

Il y a de l'animation autour d'eux, des rires, des odeurs fortes et des roulements de dés. Un homme aspire sa soupe à grand bruit, une demi-douzaine d'autres sont penchés sur ce qui doit être une course de bousiers, un ivrogne somnole sur le bord du comptoir, ses cheveux maculés de ce qui doit être un reste de vomi ou de porridge.

- Qu'est-ce qu'j'vous sers ? demande la matrone en s'approchant d'eux pour essuyer la table avec un chiffon aussi sale que son tablier. Son opulente poitrine ballote presque à découvert et Merlin la fixe, les yeux un peu exorbités.

- Une chope d'hydromel pour moi et un lait de chèvre pour celui-là, toussote Arthur en balançant un coup de pied sous la table à son serviteur.

La femme s'en va après avoir chuchoté "t'es un bien joli gas, toi" à Merlin qui a rougi jusqu'à la pointe de ses oreilles décollées quand elle l'a frôlé.

Le prince est à deux doigts d'exploser de rire quand il entend la tenancière envoyer sa servante porter "l'braggot au blond qu'a les dents de souris". Il perd aussitôt sa superbe et Merlin glousse de façon incontrôlée en marmonnant quelque chose au sujet de l'animosité d'Arthur envers ses chats.

Puis un grand costaud qui sent l'urine et le cuir bouilli entre dans la taverne et cherche des ennuis à la grosse femme qui bafouille de peur. Arthur entend l'appel du chevalier – ou a peut-être trop vite bu sa chope – et se lève pour défendre l'honneur de la "dame".

- Fiche le camp, morveux, si tu veux pas finir en pâté, grogne l'homme couturé de cicatrices en adressant un regard torve à ce blondinet bien bâti qui se prend pour un personnage de légende.

- J'aimerai bien voir ça, pouffe Merlin dans le silence qui est tombé sur la salle, s'attirant tous les regards et un froncement de sourcil fataliste de la part d'Arthur.

- Tu ne pouvais pas te taire, non ?

L'instant d'après, c'est la débandade. Des bancs volent, des poings broient du cartilage, il y a du sang, de la bile et de la bière partout, des assiettes éclatent et la taverne n'est plus qu'une mêlée géante comme celle qui a eu lieu à Camelot il y a quelques jours – les épées en moins, heureusement.

Merlin s'est faufilé dans un coin après avoir distribué quelques coups de pied et esquivé un nombre de coups conséquents : il est souple et agile et si maigre que ça devient difficile de le viser, même au corps à corps. Derrière le comptoir, il balance des chopes en émail à la tête des combattants et aide la tenancière à sauver les pichets qui sont encore intacts jusqu'au moment où quelqu'un l'interpelle.

C'est un jeune homme barbu aux cheveux bruns qui ondulent autour de son visage avec style, alors même qu'il semble se battre en étant complètement saoul. Pris par surprise, Merlin lui tend le pichet qu'il réclame et le regarde, sidéré, boire une grande lampée d'hydromel avant de casser le broc en grès sur la tête d'un des pugilistes.

- Tu es… ?

- Merlin, bredouille le serviteur d'Arthur, fasciné par la façon magistrale dont l'homme abat ses coups sur ses adversaires tout en ayant l'air de s'ennuyer.

- Enchanté, Merlin ! Moi c'est Gwaine, lance l'inconnu avant de retourner dans la baston d'un air visiblement enthousiaste.

Il attrape un type trois fois plus gros que lui et lui tord le bras dans le dos, en assomme un autre, tourbillonne en jetant ses genoux et ses coudes habilement et finit par se retrouver dos à dos avec Arthur qui esquisse un sourire malgré la sueur qui dégouline sur son visage et continue à fracasser du manant avec la certitude que ses arrières sont protégées par le jeune homme qui est nettement d'un autre moule que le reste des clients.

Cinq minutes plus tard, tout est terminé.

L'homme qui a agressé la tenancière est à terre, sérieusement sonné par Gwaine qui l'a ceinturé et plaqué au sol juste avant qu'il ne poignarde Arthur.

- Merci, compagnon, lance le prince en tendant sa paume ouverte au jeune inconnu.

- Gwaine, j'm'appelle, mon pote, réplique l'autre en se redressant avec un sourire gouailleur qui se transforme soudain en grimace de douleur.

- Il est blessé ! s'écrie Merlin en se précipitant – non sans se prendre en plein front le bord du comptoir quand il se penche pour passer par-dessous la planche au lieu de la soulever.

- Aouch, marmonne Arthur, un peu accablé, avant d'aider son serviteur à nouer un bout de tissu autour de la cuisse de Gwaine et d'ordonner qu'on mette le costaud qui a commencé ce bazar au pilori. Les gens chuchotent un peu, incertains, puis obéissent.

Quand Arthur prend cet air d'autorité, il obtient ce résultat, en général. Merlin appelle ça "sa voix de majesté".

Quand la taverne est à peu près redressée – le prince lui-même a aidé à remettre les tables sur leurs pieds – deux paysans hissent Gwaine sur la selle d'Arthur et le prince s'éloigne après avoir promis aux villageois l'aide de Camelot s'ils en avaient un jour de nouveau besoin… Il est incroyablement cool quand il laisse tomber qu'ils ont la "parole du fils du roi" et Merlin sourirait, s'il n'était pas si inquiet pour le blessé.

De retour au château, Gaius recoud proprement l'estafilade sans gravité et Gwaine passe la nuit sur la paillasse de Merlin – comme Lancelot avant lui. Le vieux médecin lui fait subir un véritable interrogatoire le lendemain et apprend qu'il est le fils d'un chevalier de Carleon, qu'il pourrait paraître devant le roi sans honte. Gwaine le supplie de taire son identité : il préfère de loin être un vagabond et ne pas s'attacher à une terre ou à un maître. Il y a de l'amertume dans sa voix faussement légère, quelque chose de résigné que Merlin ne comprend pas. Le serviteur a déboulé dans la soupente en revenant des appartements d'Arthur, tout excité. Uther veut féliciter Gwaine en personne et pourtant celui-ci refuse catégoriquement d'être récompensé et se contente de profiter du gite et du couvert pendant les quelques jours de sa convalescence.

Arthur lui rend visite, rit et échange des coups de poings fraternels avec lui, des histoires de bagarres et de filles, essayant de le convaincre de rester. Il voit en Gwaine la même âme loyale et courageuse que Lancelot et a vraiment du mal à accepter que son nouvel ami s'en aille alors qu'il pourrait rester et devenir chevalier – ce qui est interdit à Lancelot.

Gaius aimerait bien que ses appartements redeviennent un sanctuaire de la science et des herbes rares, plutôt que l'annexe de la taverne où Arthur ne peut pas vraiment se rendre à cause de son rang. La veille du départ de Gwaine, le vieux médecin soupire en déposant des couvertures sur les épaules des deux hommes endormis, leurs chopes d'hydromel encore à la main, puis se glisse dans son lit en se demandant où est passé Merlin alors que son maître est ici, saoul comme une barrique.

Arthur rêve à ce que pourrait être sa vie s'il n'était pas le fils d'Uther, s'il ne devait pas chaque jour faire face à l'homme qui est responsable de la mort de sa mère, s'il n'avait pas besoin de se tenir à distance des gens qu'il apprécie, et dans son sommeil lourd, ses lèvres se pincent tristement.

Pendant ce temps, Merlin a des soucis. Le roi a deux invités, des chevaliers de passage que le garçon a mis immédiatement dans sa catégorie "hum-hum". Sir Oswald et Sir Ethan ont peut-être de parfaites manières à la Cour, ils se comportent comme deux porcs avec le personnel du château. Sir Ethan a fait pleurer Guenièvre qui s'est lavé dix fois la bouche à la fontaine et tremble comme une feuille morte chaque fois qu'on l'appelle au détour d'un couloir. Merlin a les bras douloureux à force de changer les lourdes malles de place, la faim qui lui taraude le ventre et une brûlure cuisante au bas du dos, là où le fouet de Sir Oswald l'a mordu quand il ne s'est pas dépêché assez vite pour lui apporter son armure.

Il est en retard pour apporter le petit déjeuner d'Arthur et celui-ci, qui a la gueule de bois, se montre assez mesquin avec lui. En remportant le plateau avec les assiettes sales, Merlin a les larmes aux yeux et les mâchoires crispées de colère quand il se cogne presque contre Gwaine qui se balade dans le château en croquant dans une pomme.

- Qu'est-ce qu'il y a, mon pote ? interroge gentiment le jeune homme en scrutant le visage fermé du serviteur.

- Rien, souffle Merlin en cachant sous ses longs cils sombres l'éclat frustré de ses yeux bleus.

- C'est son Altesse qui t'embête ? insiste Gwaine.

- Non, marmonne le garçon qui se sauve, sans se rendre compte qu'il boitille un peu.

Dans sa colère en découvrant que son bain était tiède et non pas chaud, Sir Ethan l'a jeté un peu fort contre la porte, ce matin, sa hanche lui fait mal.

Ce sont des nobles, ça ne sert à rien de se plaindre, a répété Guenièvre, hier soir, tout en brossant les tuniques pleines de savon qu'elle lavait comme si elle voulait les écrabouiller.

Merlin vient seulement de comprendre qu'Arthur est vraiment un bon maître, même s'il lui jette souvent des choses à la figure.

Arthur n'a jamais joué à la pichenette avec lui.

Arthur se moque de lui quand il n'en peut plus pendant la chasse, mais il ralentit son cheval et en appelle à une pause collective.

Arthur le bouscule et lui shampouine la tête aux phalanges, l'habille d'une armure trop grande pour lui et lui fait tenir la cible quand il s'entraine à la masse – c'est terrifiant – mais il ne l'a jamais frappé.

Merlin est très malheureux et il ne sait pas à qui parler.

Gaius semble agacé et ne répond que par monosyllabes, plongé dans les rangements de ses fioles.

Le prince et Morgana déjeunent avec le roi, c'est Guenièvre et Georges qui les servent.

Le garçon maigre ramène le plateau en cuisine, puis il se glisse entre deux colonnes, en bas dans la cour, et enfouit son visage dans ses bras croisés sur ses genoux.

Quelqu'un s'assoit à côté de lui et un coude familier s'installe sur son épaule, sans façons, amical.

- Qu'est-ce qui t'arrive, mon pote ? demande Gwaine.

Merlin essuie les larmes qui barbouillent son menton.

- Rien, grogne-t-il.

Gwaine se gratte le sourcil en mâchouillant dans le vide, puis il rejette ses boucles brunes en arrière et ses dents blanches sourient dans sa barbe.

- J'crois pas, dit-il simplement.

Le clapotis des sabots d'un cheval qui débouche dans la cour pavée l'empêche d'entendre la réponse du gamin.

- MERLIN ! rugit quelqu'un d'une voix rogue.

Le garçon sursaute et se met debout aussitôt, les bras serrés le long du corps. Gwaine se rencogne derrière la colonne blanche pour observer la scène.

Sir Oswald a mis pied à terre et se plaint d'on ne sait quoi, un sanglier ou le mauvais temps. Il a attrapé l'épaule mince de Merlin et la secoue si fort qu'il risque de la déboiter. Le jeune homme fronce les sourcils et se redresse.

- Tout va bien, Merlin ? lance-t-il en s'approchant, les sourcils froncés.

Le serviteur le supplie des yeux en silence. Sir Oswald toise Gwaine de haut en bas, renifle avec mépris devant ses vêtements mal taillés et reprisés.

- Fiche le camp, toi, aboie-t-il.

- Je ne vous parle pas, à vous, dit Gwaine d'une voix trainante dans laquelle on entend un accent menaçant.

Il pose sa main sur l'épaule de Merlin et son expression devient glaciale quand il sent le tremblement qui secoue le corps frêle du garçon.

- Je croyais vous avoir dit de décamper, articule Sir Oswald irrité et incrédule devant le peu d'attention qu'on lui accorde.

- Viens, Merlin, dit Gwaine en entrainant le serviteur.

Sir Oswald tressaille de colère et tire son épée qui chuinte en sortant du fourreau et fait retourner Gwaine qui siffle de mépris.

- Vous attaqueriez un homme de dos ? Vous êtes donc non seulement un porc, mais aussi un pleutre.

Le chevalier se rue sur lui, devant les yeux terrifiés de Merlin, mais Gwaine esquive souplement l'attaque et éclate d'un rire sarcastique qui rend fou son adversaire.

Quand Arthur et les autres seigneurs sortent dans la cour, quelques minutes plus tard, Gwaine est en train de donner une leçon à Sir Oswald avec son propre fouet qui était enroulé contre sa selle.

Le roi est outré et en appelle aux gardes qui séparent rapidement les deux hommes et qui forcent Gwaine à s'agenouiller sur le sol pavé. Merlin se mord les lèvres d'un air désespéré, emmêlant ses cheveux d'un geste impuissant. Arthur fronce les sourcils et lorsque Sir Oswald a fini de donner sa version des faits, il intervient avant que son père ne puisse condamner Gwaine.

Certainement, le jeune homme qui lui a sauvé la vie dans la taverne mérite qu'on le laisse s'expliquer aussi.

Gwaine relate avec acidité la scène à laquelle il vient d'assister, et à la grande surprise d'Uther, Morgane s'approche pour raconter que sa servante a aussi souffert des mauvais traitements du chevalier.

Ce n'est pas suffisant pour faire relâcher Gwaine, cependant, parce qu'un roturier n'a en aucun cas le droit de s'en prendre à un noble pour faire justice. Arthur se creuse les méninges pour tirer hors d'affaires cet imbécile au sang chaud, mais il est à court d'arguments et voit venir le moment où son père va laisser tomber sa sentence et au mieux bannir Gwaine de Camelot, à défaut de le pendre.

C'est à ce moment-là que Gaius fend la foule de son pas tranquille, ses longues robes pourpres et indigo frôlant les pavés avec la dignité d'un vieux sage. Sans s'émouvoir – et en ignorant placidement les coups d'œil fulminants que lui jette Gwaine, il explique que celui-ci est de sang noble.

Et tout change soudain.

Le roi, radouci, suggère à Sir Oswald de laver l'offense dans un duel à l'épée et la journée se termine avec le départ précipité du chevalier humilié et rageur.

Merlin est radieux, Arthur râle que quelqu'un aurait dû le mettre au courant, Guenièvre couve Morgane d'un regard reconnaissant et Gwaine hausse les épaules. Il lance une dernière plaisanterie, flirte avec la jeune fille frisée sous le regard soudain nettement moins fraternel du prince, tapote l'épaule de Merlin avec affection, puis ramasse son sac et s'en va comme il l'avait dit.

Gaius retrouve le calme habituel de ses appartements et sourit d'un air de vieux prophète en regardant par la fenêtre la silhouette du vagabond au grand cœur qui tourne au coin de la rue.

Qui sait, peut-être qu'un jour Gwaine reviendra.

Quand Arthur sera roi…

Un roi digne de la loyauté d'un homme qui cherche encore sa place dans le monde.

 

 

A SUIVRE...

 

 

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