Le Prince & L'Idiot

Chapitre 24 : Le serpent, le wolverène, l'oie, la renarde & le busard

5220 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 17:17

 

LE SERPENT, LE WOLVERENE, L'OIE, LA RENARDE & LE BUSARD

 

 

La bruine nocturne s'est arrêtée. De la brume s'élève au-dessus des collines, étrange et translucide sous le timide soleil qui sort des nuages. Sur les remparts, l'haleine des gardes se condense quand ils échangent les consignes et leurs postes.

Gwaine frotte ses mains l'une contre l'autre pour les réchauffer.

- Brrr. Fait pas chaud, s'exclame-t-il en sautillant sur place.

- En avril, ne te découvre pas d'un fil, dit sentencieusement Léon à côté de lui, tout en observant la campagne environnante.

Quelque part dans la ville basse, un coq s'égosille. Le porteur d'eau remplit ses seaux à la fontaine qui grince. Des sabots se hâtent sur les pavés de la cour d'honneur, quelqu'un rit sous les arcades. Une servante secoue des draps à la fenêtre d'une des tours. En bas, dans les communs, la cuisinière fait des vocalises.

-Tout est calme, dit Gwaine avec satisfaction.

- Et j'espère que ce sera toujours le cas dans quatre jours, ajoute Sir Léon.

Le jeune homme rejette ses cheveux ondulés en arrière et son sourire aux dents blanches se creuse dans sa barbe brune.

- Ne faites pas une tête pareille, proteste-t-il. "Nous sommes là pour veiller au grain."

- Il n'empêche que c'est l'occasion parfaite pour une tentative d'assassinat, soupire Léon, le front plissé sous ses frisettes blondes. "Il y aura beaucoup de monde, ce sera impossible de garder un œil sur toutes les allées et venues."

- Vous avez déjà dit tout ça, le bourrade Gwaine d'une voix détendue. "Nous en sommes conscients, Arthur le premier. Mais il nous fait confiance. Et si tout se passe bien, le royaume sera plus en sécurité que jamais avec quatre nouveaux alliés !"

Il s'accoude sur les créneaux, repoussant sa longue cape rouge derrière son épée.

- Tout ira bien, Léon, vous verrez.

Les yeux bleus du chevalier sont toujours un peu sceptiques tandis qu'il imite son second et promène son regard sur Camelot qui s'éveille doucement.

Ils ont pris l'habitude de cette mini-réunion, tôt le matin sur les remparts. Les gens dorment sur leurs deux oreilles grâce à leur vigilance constante. Ils en sont fiers et savourent leur récompense, la ville paisible et heureuse qui s'étend sous leurs yeux au petit jour.

- Ce sera bien quand ce sera terminé, quand même, soupire encore Léon. "Le roi est sous pression et il n'a pas besoin de ça. Nous non plus."

- ça ne le rend pas particulièrement aimable, c'est certain, glousse Gwaine. "Je l'emmènerai bien à la pêche comme au bon vieux temps, quand il se mettait martel en tête avec son père, mais… j'ai peur qu'au lieu de lui sortir la tête de son marasme, ça ne lui rappelle que trop de souvenirs... "

Le chevalier blond hoche le menton.

Entre les deux hommes flottent le souvenir d'années plus légères, de garçons à peine adultes en train de faire griller du poisson et de regarder les étoiles sans se soucier de leurs rangs ou du futur.

- Lancelot aurait voulu voir la signature de ce traité, j'en suis sûr, dit finalement Léon avec une sorte de tendresse dans la voix. "C'est l'accomplissement de son travail. Lorsque ces quatre-là auront signé, il ne restera qu'Odin et les terres sauvages du nord. Albion est à nos portes."

Gwaine acquiesce silencieusement.

Puis ses sourcils se froncent.

Perceval et Numéro Quatre sont en train de passer le pont-levis et se dirigent, comme chaque matin, vers le pré au pied des remparts.

Les deux hommes sont quasiment de la même taille, leurs épaules larges dans des tuniques de cuir brun presque identiques et la seule chose qui les différencie, de dos, ce sont les chaînes qui entravent les chevilles de l'ancien assassin de Caerleon.

- Je dois dire que ces séances ont fait de Sir Perceval un redoutable adversaire, marmonne Léon. "Je pense qu'il est largement au-dessus de la norme quand on en vient au combat au bâton."

Gwaine ne répond pas, les yeux fixés sur les deux adversaires qui s'échauffent dans l'herbe trempée par la brume.

- Vous restez le meilleur d'entre nous à l'épée, bien sûr, plaisante le chevalier blond en donnant une bourrade à son second. "Le roi lui-même ne réussit pas à vous faire demander forfait."

Un demi-sourire distrait brosse la barbe brune.

- Je sais. Ça le rend fou. Dites, Léon… Vous croyez qu'un jour il va être relâché ? Cela fait plus d'un an, maintenant…

Ils observent les mouvements fluides et puissants de l'Ombre Blanche et ne peuvent s'empêcher de sentir un frisson couler le long de leurs colonnes vertébrales.

Laisser le loup en liberté… dans les rues paisibles de Camelot…

Ils ne sont pas encore prêts.

Ils ne savent pas que le danger qui rôde est dissimulé sous un autre déguisement.

 

oOoOoOo

 

Arthur relève le menton et un sourire se fraie un passage au coin de ses lèvres.

- Merlin. Tu es censé travailler, dit-il en secouant la tête.

Son serviteur ne l'entend même pas, occupé à glousser de joie, tellement penché par la fenêtre qu'il risquerait presque de tomber.

- Ils ont un ours ! pépie-t-il avec excitation, son chiffon à poussière à la main, ses corvées complètement oubliées. "Et – ooooh ! Vous auriez dû voir ça ! Cette dame a fait un tour dans les airs ! Ah ! Wow…"

- Merlin, répète le roi patiemment.

- Est-ce qu'ils vont cracher du feu ce soir aussi ? Guenièvre a dit qu'ils n'avaient pas intérêt à lâcher des colombes, parce qu'elle ne veut pas avoir à gratter des fientes partout sur les dalles.

Arthur soupire, amusé, puis pose sa plume et se lève. Il contourne la table, tire son serviteur en arrière par le col de sa chemise bleue et ferme la fenêtre, bloquant dehors les bruits de voix, de musique et les grognements d'animaux.

- Guenièvre ne fait plus le ménage, je ne vois pas en quoi cela la gênerait, commente-t-il. "Maintenant, fais-moi le plaisir de te remettre à la tâche. Dieux du ciel, Merlin, chaque fois qu'il y a des saltimbanques, c'est le même cirque."

Les prunelles céruléennes scintillent d'anticipation.

- Mais y'a jamais eu d'ours ! proteste-t-il. "Ça, c'est la première fois !"

Le roi met les mains sur ses hanches en prenant un air un peu accablé.

- Je vais te dire ce qui est la première fois. C'est le fait que ces festivités sont données pour quatre souverains qui viennent signer un traité de paix de la plus haute importance. Alors concentre-toi. Tant pis si mes appartements ne sont pas impeccables, je n'y amènerai personne. Mais j'exige que mes vêtements soient sans le moindre accroc, prêts et resplendissants, pour l'arrivée de nos invités. Est-ce que c'est le cas ?

Merlin hoche vivement la tête.

- Yep, assure-t-il.

Et son visage se tourne de nouveau vers la fenêtre et le spectacle bariolé qui se trouve dans la cour d'honneur.

- Très bien, soupire Arthur, vaincu. "Aide-moi à m'habiller et tu pourras y aller. Et Merlin ? Je ne veux pas te voir à moins de dix pas de cet ours, c'est bien compris ?"

Le rire étouffé qu'il entend derrière lui n'est pas pour le rassurer.

Il n'a vraiment pas besoin d'avoir à surveiller le jeune homme rêveur pendant ces quatre jours où il lui faudra danser sur une corde raide pour obtenir ce qu'il veut. Il va jouer gros et il aura besoin d'être frais, dispo et soulagé de tous les soucis mineurs du château.

Guenièvre a bien compris et pris en charge la régie de l'intendance.

Gwaine et Léon sont briefés et plus que préparés à toute éventualité.

Même Gaius et la Dolma sont au taquet.

Alors Arthur commence à être un peu agacé par l'insouciance de son serviteur.

Merlin sent la nervosité de son maître et son bavardage excité se calme un peu… jusqu'à ce qu'ils soient dans les escaliers, en route pour accueillir les invités. Il sautille de marche en marche en battant des mains et manque de s'étaler deux fois.

- Tais-toi et tiens-toi correctement, finit par japper Arthur qui a eu peur qu'il se fracasse le crâne en tombant.

Merlin fait la moue et grommelle quelque chose que le roi n'essaie pas de comprendre.

Il n'a pas le temps pour ces enfantillages.

Il s'arrête en haut du grand perron blanc et prend une longue respiration.

Le jeu commence maintenant.

Si tout va bien, dans quatre jours Camelot aura quatre nouveaux alliés.

Il place un sourire sur son visage et descend les marches avec toute la dignité royale qu'il peut rassembler.

S'il est une chose qu'Arthur n'a jamais comprise, c'est qu'il se déplace toujours avec un naturel princier.

Sa cape rouge ondule derrière lui et la couronne richement ouvragée qu'il ne porte que lors des cérémonies capture l'éclat du soleil.

- Bienvenue à Camelot, lance-t-il d'une voix grave et profonde. "Nous sommes heureux de recevoir de si valeureux et honorables invités en cette occasion mémorable."

Quatre paires d'yeux se tournent vers lui et le jaugent pendant un quart de seconde, avant de lui rendre son salut.

Le premier à mettre pied à terre est le Roi Alined de Deorham. C'est un homme de petite taille, les cheveux grisonnants, le menton fuyant et les yeux étroits, aux épaules maigres perdues dans un manteau de fourrures. Il passe son temps à s'humecter les lèvres et à tamponner la sueur dans son cou.

Le second est le Sarrum d'Amata, une force de la nature, couturé de cicatrices, bardé d'une armure avec des têtes de clous protubérantes, le crâne large et chauve avec à peine un duvet rouquin sur la nuque et un sourire carnassier. Son escorte ressemble davantage à une troupe de mercenaires sanguinaires qu'à un groupe de soldats.

Le Roi Olaf a un visage bonhomme aux traits rudes, comme un guerrier un peu brute mais au cœur loyal. Il porte une cotte de mailles et un surcot comme ses chevaliers. Ce n'est pas lui qui inquiète Arthur, mais plutôt sa fille, la princesse Vivian, dont on dit que les caprices font loi au royaume de Deira. C'est une jeune fille blonde au nez mutin et aux jolies lèvres, habillée de la plus fine soie, qui fait la moue en descendant de son carrosse dans un cliquetis de bijoux.

Le dernier monarque est une souveraine au menton levé avec grâce et aux longs cheveux auburn soyeux et brillants, dont les yeux de biche sont aussi calculateurs qu'envoûtants. Sa peau d'albâtre concurrence la blancheur éclatante de sa robe et elle provoque des frissons délicieux juste en rangeant une mèche de cheveux derrière son oreille délicate. Lady Catrina de Bernicie est une beauté dont parlent de nombreuses chansons de geste et elle mérite sa réputation.

- Mémorable occasion, en effet, badine Alined en tendant sa main molle et moite à Arthur.

- Vous n'aviez que dix ans la dernière fois que je vous ai vu, s'exclame le Sarrum avec un rire gras. "Votre père avait organisé un tournoi pour vous. J'espère que vous me ferez le plaisir d'un duel, cette fois."

- Dieux que c'est ennuyeux, soupire Lady Vivian.

- Arthur, quel plaisir de vous rencontrer, roucoule la Reine Catrina en lui tendant sa main à baiser.

- Quelle genre de bienvenue est-ce donc que cela ? lance Olaf avec un sourire bourru. "On se croirait dans une bassecour !"

Le jeune roi se raccroche à cette phrase sympathique et fait bonne figure. Il sait que ses chevaliers ont l'air magnifique et impressionnant, tout autour de la cour, avec leurs capes rouges et leurs amures rutilantes, mais il est vrai que les chariots des saltimbanques encombrent une partie de l'espace et donnent une impression plus que brouillon et bruyante de son royaume.

Il aurait dû mieux réfléchir à cet accueil.

- Mes Seigneurs et mes Dames, salue la voix douce et posée de Guenièvre à côté de lui. "Les baladins vont laisser place à vos escortes dans un instant. Peut-être aimeriez-vous vous rafraichir après le long voyage que vous avez enduré ?"

A la façon dont les souverains la toisent, Arthur devine que la jeune femme n'aurait pas dû intervenir. Mais elle lui a permis de reprendre le contrôle de sa nervosité et il lui en est reconnaissant.

Il prend la suite des opérations et tout rentre très vite dans l'ordre.

Les deux rois prennent possession de leurs appartements avec un grognement d'approbation, tandis qu'il escorte la princesse Vivian et la Reine Catrina vers les leurs. Le Sarrum a préféré surveiller l'installation de ses troupes.

Lady Catrina semble tout à fait satisfaite de sa chambre et effleure le bras d'Arthur d'un geste gracieux lorsqu'il prend congé. Lady Vivian, en revanche, prend un air boudeur en examinant la luxueuse pièce dans laquelle elle va vivre les quatre prochains jours.

- Je suis certain que vous y serez parfaitement à votre aise, dit le roi en essayant d'empêcher ses sourcils de se froncer. "Voici Guenièvre. Si vous manquez de quoi que ce soit, n'hésitez pas à vous adresser à elle. Elle représente l'excellence de Camelot."

- Oh. Eh bien, je crains pour Camelot dans ce cas, dit négligemment la princesse avec un petit rire ironique, après avoir battu des cils en détaillant la robe simple mais élégante de la jeune femme.

Guenièvre répond par un sourire aimable, puis sort avec Arthur.

Elle hésite un instant, en se mordillant les lèvres, à lui reprocher de ne pas l'avoir présentée comme Lady Guenièvre, ce qui lui aurait peut-être évité une remarque aussi grossière, mais elle se tait en croisant le regard amusé du roi.

- Bon courage, marmonne-t-il malicieusement.

Pendant un instant, son visage est celui du prince un peu moqueur qu'elle a appris à apprécier, des années auparavant, puis il se rembrunit.

- On peut rire, n'est-ce pas ? souffle-t-il d'un air presque coupable.

Elle acquiesce aussitôt, submergée par l'émotion.

- Oui, murmure-t-elle. "Oui, Arthur, on a le droit de rire."

Il hoche le menton et s'en va d'un pas rapide.

Elle le regarde s'éloigner, navrée, son irritation oubliée.

Puis elle se met en quête de Merlin qui doit l'aider à arranger les tables pour le banquet de ce soir.

Elle le retrouve – bien évidemment – dans les quartiers réservés aux bateleurs, en train de s'extasier sur tout ce qu'il voit et tout ce qu'on l'autorise à toucher.

- Oh, Guenièvre, ils ont trouvé une pièce derrière mon oreille ! s'écrie-t-il avec ravissement, en lui montrant sa paume ouverte. "Il y a des papillons magiques dans cette boite et, tu sais quoi ? L'ours va danser !"

- C'est très bien, dit-elle gentiment, avant de se tourner vers l'homme qui semble être le chef de la troupe. "Je suis désolée s'il vous a gêné en quelque façon, il est… si enthousiaste. Il ne se rend pas compte."

Merlin a glissé sous son bras et s'est de nouveau échappé. Il bavarde avec animation avec un garçon de treize ou quatorze ans qui a l'air tout surpris d'être intéressant.

- Ce n'est rien, ma Dame, dit le saltimbanque aux cheveux gris et aux sourcils presque aussi broussailleux que ceux de Gaius. "Il ne nous a pas embarrassé le moins du monde."

Elle lui sourit avec reconnaissance.

- C'est le vraiment le serviteur personnel du roi ? demande un autre homme en s'approchant, d'une voix chaude et plaisante.

Celui-ci est très grand, avec une peau d'ébène satinée et une barbe noire soignée. Il porte une boucle d'oreille ronde en argent et une cape de lin aubergine.

- Myror, se présente-t-il en se penchant pour embrasser les doigts de la jeune femme qui se surprend à rougir un peu.

- Oui, en effet, bredouille-t-elle. "Merlin a toute la confiance du roi. Depuis des années."

- Fascinant, murmure l'homme. Ses yeux bruns sourient avec bienveillance. "Camelot est comme on nous l'avait décrit, un royaume plein de paix et de bonheur."

Guenièvre acquiesce, puis se rappelle de la raison de sa venue.

Elle donne rapidement quelques instructions au chef de troupe concernant le déroulement des festivités, puis attrape Merlin par la manche et le traîne hors de la salle.

- Rappelle-toi que c'est un moment très important pour Arthur, gronde-t-elle en le houspillant le long des allées. "Fais un effort ! Il compte sur toi."

Le jeune homme aux yeux bleus répond d'un hochement de tête penaud et s'applique jusqu'à l'heure du banquet où il se fige de nouveau, la bouche entrouverte d'admiration, le plateau de sel à la main, à l'entrée spectaculaire des acrobates.

Les souverains sont alignés à la même table et applaudissent la féérie avec flegme. Le roi Alined a l'air de s'ennuyer à mourir, le Sarrum d'avoir faim, le roi Olaf de trouver tout absolument à son goût, Lady Vivian d'être en présence d'une pitoyable performance et la Reine Catrina est trop occupée à se pencher pour faire profiter Arthur de son décolleté plongeant pour vraiment regarder la parade.

Pendant que l'on sert le potage et les poissons, les baladins produisent une grande roue et y ligotent leur plus jeune recrue, le garçon qui parlait avec Merlin. Le vieil homme qui est leur chef démontre son adresse au lancer de couteaux et reçoit une ovation avant de laisser place à un cracheur de feu.

Tout est parfait et même Gwaine et Sir Léon se sont un peu détendus depuis leurs places stratégiques au repas de fête.

Les viandes se mettent à circuler à leur tour, répandant mille fumets. Relents d'épices, parfums d'encens et volutes de cire consumée alourdissent l'air, enivrant les convives qui n'en sont pas à leur premier verre. Merlin a fort à faire pour débarrasser les assiettes et les remplacer par de belles tranches de pain et pour distribuer des serviettes propres, changer les tailloirs et surveiller que les chiens ne fassent pas trop de vacarme en rongeant les os sous les tables.

Quand il glisse sur un morceau de pomme de terre rissolée et manque de renverser un candélabre, Georges l'attrape par la manche et lui intime de retourner se placer derrière la longue table des invités royaux et de se concentrer uniquement sur leurs hanaps pendant que l'on sert les légumes.

Des ménestrels ont remplacé les exubérantes acrobaties et pincent les cordes de leurs rebecs et de leurs violes, tissant une atmosphère plus douce et plus sensuelle.

Merlin somnole debout, son aiguière de vin à la main. La journée a été longue et riche en émotions.

Olaf et le Sarrum sont plongés en pleine discussion au sujet de la menace que représentent les raids des barbares. Lady Vivian bâille ostensiblement, tout en grignotant les quartiers de coing que lui offre le fruitier. La Reine Catrina frôle Arthur de son épaule nue, tout en jouant coquettement avec le voile de son hennin, et l'écoute raconter avec animation comment son père a conquis Camelot.

Un raclement de gorge colérique sort Merlin de sa torpeur et il s'aperçoit avec consternation que le roi Alined, tout au bout de la table, est en train de tapoter impatiemment sa coupe vide sur la nappe blanche maculée de traces de sauce.

- Voilà, Seigneur, bafouille-t-il en se précipitant pour le servir.

Heureusement, Guenièvre est au fond de la salle, en train de réclamer sans doute de nouvelles jarres d'hypocras, et n'a rien remarqué. Georges non plus, il s'affaire au service des fromages.

- Hum, renifle Alined avec un froncement de sourcil méprisant, avant de boire une gorgée en levant machinalement les yeux sur le serviteur négligent qui l'a fait attendre.

Merlin baisse ses longs cils sur ses grands yeux bleus, les pommettes légèrement enflammées à l'idée d'avoir causé de la gêne à l'un des invités d'Arthur et, par là-même, du tort à l'importante réunion.

Une main saisit son menton et l'oblige à relever la tête.

- Toi, comment t'appelles-tu ?

- Merlin, murmure-t-il.

Pourvu que le roi ne soit pas trop fâché…

Il risque un coup d'œil et s'étonne en ne voyant pas de trace de mécontentement sur le visage pointu du monarque, mais plutôt un étrange sourire.

- Eh bien, Merlin, tu vas rester ici. Juste ici, à côté de moi, jusqu'à la fin de la fête. Et j'espère que tu sauras te montrer plus alerte, si tu ne veux pas que je m'en plaigne à ton maître.

- Je ne vous causerai plus aucun déplaisir, assure précipitamment le jeune homme en s'inclinant.

- Je serai le juge de cela, répond Alined avec un gloussement froid.

Un troubadour s'est avancé au milieu du U que forment les tables et commence une chanson de geste d'une voix de baryton agréable et chargée d'émotion.

Des beignets circulent dans des plats d'argent drapés de dentelle. Alined en prend un et le mange à petites bouchées, en se léchant les doigts.

Merlin surveille anxieusement le niveau du vin dans le hanap du souverain. Il est fatigué et son dos lui fait mal après avoir déplacé tant de tables et de coffres toute la journée, mais il n'oserait jamais s'éclipser.

Arthur lui a jeté un coup d'œil pendant la soirée et a hoché la tête avec satisfaction.

Merlin ne tient pas à le décevoir en s'attirant le courroux d'un des invités.

Alors il se redresse et lutte contre le sable qui s'installe sous ses paupières, essaie de suivre l'histoire compliquée que raconte la chanson.

Quelque chose touche son genou et il baisse les yeux pour flatter le chien qui s'ennuie sans doute sous la table.

Sauf que ce n'est pas un chien.

C'est la main du Roi Alined.

Merlin tourne la tête vers l'homme, étonné, mais celui-ci ne le regarde pas. Il écoute le poème mélodieux en inclinant la tête avec approbation aux passages difficiles.

La main glisse le long de la jambe de Merlin qui ne bouge pas, décontenancé.

- Sire ? tente-t-il à voix basse.

Un frémissement agacé court sur les épaules du monarque qui ne fait pas mine de répondre et le serviteur comprend qu'il ne souhaite pas être dérangé pendant le spectacle.

La main palpe sa cuisse, maintenant, et Merlin fait instinctivement un pas en arrière, mal à l'aise.

Alined lui lance un coup d'œil meurtrier qui le fige sur place.

Le jeune homme cherche Guenièvre des yeux.

Certainement, elle saurait ce qu'il doit faire dans une situation aussi inhabituelle que celle-ci…

Mais son amie n'est nulle part en vue.

La main glisse sous le surcot aux armoiries de Camelot et des doigts moites caressent la peau au bas de son dos.

Merlin frissonne de façon incontrôlable.

Il n'aime pas ça. Il ne sait pas pourquoi, mais quelque chose lui déplait dans les déplacements discrets mais insistants de cette main.

Il rougit et ses doigts se crispent sur le manche de l'aiguière quand elle redescend le long de sa hanche, s'approche en pressant doucement son aine à travers le tissu de ses braies…

- Merlin ?

Il sursaute et lâche presque le pichet en entendant la voix de Georges à côté de lui.

- Qu'est-ce que tu attends ? On doit servir les boute-hors !

- Je… j-j'ai… Monseigneur, je d-dois…

Le roi Alined le renvoie d'un geste indolent, sans lui accorder un regard. Il y a de la sueur sur le bord de sa lèvre supérieure et ses tendons palpitent sous la peau rosie de son cou.

Merlin trébuche en suivant Georges qui secoue la tête et fronce les sourcils, mécontent.

- Vraiment, je ne sais pas pourquoi on te tolère au banquet, marmonne le serviteur modèle sans se préoccuper de son junior.

Guenièvre est un peu plus observatrice et se radoucit quand ils arrivent enfin dans la pièce où seront servis les dragées et le gingembre confit qui concluront le festin.

- Tu es tout pâle, Merlin, s'inquiète-t-elle. "Ça va ?"

- J'ai la tête qui tourne un peu, répond-t-il à voix basse.

La jeune femme met les poings sur ses hanches.

- Bon. C'est très tard, c'est vrai et je parie que tu as trop respiré de vapeurs de vin, dit-elle après un instant de réflexion. "Ecoute, va te coucher, ça ira pour ce soir. Georges, tu iras préparer le roi pour la nuit. Mais demain, je te veux en pleine forme, Merlin, d'accord ?"

Il hoche la tête, vaguement nauséeux, et prend le chemin des appartements du médecin de la cour en trainant les pieds.

Gaius est déjà couché quand il arrive, alors Merlin se déshabille en silence et se fourre sous sa couverture. Une grosse boule s'est nouée dans sa gorge et elle ne veut pas disparaître, ni se dissoudre en larmes silencieuses, malgré l'envie de pleurer qui l'a saisi sans qu'il sache pourquoi.

Il finit par s'endormir, épuisé.

Demain, ça ira mieux. Demain, il restera du côté d'Arthur et évitera le bizarre seigneur Alined.

Les invités ne sont là que pour quatre jours.

Camelot sera bientôt de nouveau paisible et sans ombre.

 

 

A SUIVRE...

 

 

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