Le Prince & L'Idiot

Chapitre 27 : Le Loup & la Cigogne

6078 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 05:30

 

LE LOUP & LA CIGOGNE

 

 

Il fait encore sombre quand le tocsin retentit à travers Camelot.

Les cloches sonnent un glas funèbre, frénétique, et Arthur n'a pas la moindre idée, lorsqu'il s'éveille en sursaut en les entendant, à quel point elles appellent à l'aide.

- Numéro Quatre s'est échappé, annonce Gwaine en se ruant à l'intérieur de la salle du trône, hors d'haleine. "Les gardes ont été drogués. Gaius s'occupe d'eux."

- Que faire, Sire ? La signature du traité est aujourd'hui, s'inquiète Sir Léon. "Dans ces circonstances, est-ce que cela ne va pas être compromis…"

Le roi pince l'arrête de son nez, réfléchissant aussi vite et aussi intensément que possible, dans le cercle de chevaliers qui attendent anxieusement ses ordres.

- Je veux une douzaine d'hommes à sa recherche. Les autres, avec les invités, quatre par quatre. La Table Ronde doit être protégée au double. Qui a les clés de la galerie ?

- Guenièvre, répond Gwaine.

- Très bien. C'est bien la dernière personne que cette damnée Ombre Blanche pourra convaincre de les lui prêter. Qu'on interroge les gardes dès qu'ils seront en état de parler. J'exige qu'on m'amène au plus vite la personne qui a libéré le prisonnier. C'est un acte de haute trahison et qui sera sévèrement puni.

Il passe une main lasse sur son visage mal rasé.

- Puisse le ciel nous épargner que ce soit Merlin… marmonne-t-il lugubrement.

Sir Léon et Gwaine frissonnent à cette idée.

- Quant aux invités… tâchons de garder cette affaire aussi discrète que possible. La signature du traité se fera en fin de matinée. D'ici là, j'espère pour nous tous que Numéro Quatre aura été retrouvé.

Son ton est sans réplique et les chevaliers obéissent sans rien ajouter en suivant les directives de Sir Léon. Gwaine descend aux geôles pour donner les instructions à Perceval qui inspecte soigneusement la cellule vide.

Pas de traces d'effraction, mais à la façon dont la paille est froissée et boueuse, on dirait qu'il y a eu une lutte.

- Je me demande s'il s'est enfui volontairement, dit lentement le géant. "Il s'est passé quelque chose, ici. Quelque chose de pas net."

- As-tu vu Merlin ? Il sait peut-être quelque chose, dit Gwaine, les mâchoires serrées.

Son ami le considère pendant quelques instants.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Arthur a l'air de penser que ceci est de la faute de Merlin, gronde le jeune homme barbu. "Comme si Merlin pouvait faire quoi que ce soit pour nuire au roi. Comment fait-il pour ne pas voir à quel point la loyauté de Merlin lui est acquise ?"

Perceval pose une main apaisante sur l'épaule tremblante de colère de son ami.

- Arthur sait que Merlin ne le trahirait jamais. Mais reconnais que nous ne pouvons pas deviner ce qui s'est passé dans la tête du p'tit bonhomme effrayé à l'idée de voir mourir quelqu'un qu'il aime – sur l'ordre de son maître qu'il adore. Et tu les as entendus comme moi, hier. Je ne crois pas que Merlin se soit rendu compte que les paroles du roi dépassaient sa pensée. Il a dû penser que c'était la seule solution…

Gwaine n'a pas le temps de protester - que, selon lui, tout est de la faute d'Arthur, pour commencer, parce qu'il n'aurait jamais dû ramener l'Ombre Blanche à Camelot – parce que Gaius s'approche des deux hommes en toussotant.

- Les gardes devraient s'éveiller dans quelques heures, dit-il d'un ton sévère. "C'est un puissant narcotique qui a été utilisé – une potion bien au-delà de celles que mon petit-fils a manipulées jusque-là. Merlin n'est pas coupable, je le garantis."

Les deux hommes se tortillent inconfortablement face au sourcil-du-jugement-dernier qui les prévient visiblement de ne pas continuer sur leur lancée.

- Bien sûr, Gaius, dit doucement Perceval.

- Savez-vous où il est, cependant ? insiste Gwaine prudemment. "Il a peut-être vu quelque chose, s'il est venu visiter Numéro Quatre hier soir…"

Le front du vieil homme se ride encore plus.

- Je ne sais pas où il est. A vrai dire, j'espérais que l'un d'entre vous saurait me le dire. Il n'est pas rentré cette nuit, son lit n'était pas défait.

- Guenièvre doit le savoir, dit gentiment Perceval. "Gwaine, je vais mener les recherches pour le prisonnier. Si tu veux bien, ajoute-t-il après réflexion.

- Merci, souffle son supérieur qui mâchouille le coin de sa bouche, plongé dans des abimes de sombres possibilités.

Tant de choses peuvent aller de travers.

Et au moindre faux-pas, ce pourrait-être la guerre…

L'aube timide et rose commence seulement à poindre derrière les grandes tours blanches, dans le grand ciel clair. L'air est si frais qu'il picote, comme un mauvais pressentiment.

 

oOoOoOo

 

Guenièvre relève ses jupes pour monter plus vite les marches. Elle a hâtivement tressé ses longs cheveux frisés et quelques mèches brunes s'enroulent sur son front bombé. Les clés de la galerie au-dessus de la Table Ronde pendent à la ceinture basse à sa taille avec les autres dont elle a la responsabilité, cliquetant en rythme avec ses pas pressés.

Elle n'a pas pu aller à la nurserie, hier soir après le banquet, et lorsqu'elle a entendu le tocsin, la culpabilité lui a noué la gorge.

Pourvu que la petite princesse soit toujours à l'abri….

Arthur a longuement réfléchi lorsque les souverains ont été invités, sur le danger qu'il ferait courir à son unique héritière en amenant autant d'étrangers – et de potentiels rivaux – dans le château. Il a fait promettre à Guenièvre – et il n'en avait pas besoin, elle l'aurait fait de toute façon – de veiller sur la sécurité de la Dolma et de sa précieuse charge.

Gwaine lui a demandé de ramener Merlin avec un air sombre qui l'inquiète. Que se passe-t-il encore ?

La jeune femme ne regarde pas devant elle, dans l'escalier encore bleuté par la nuit qui s'achève à peine, et elle fonce tout droit dans la personne qui venait à sa rencontre, se retrouvant assise par terre deux marches plus bas, le coccyx en compote et assommée par le choc de sa tête contre le mur.

- Oh, pardon ! bredouille-t-elle en frottant sa cheville tordue, des étoiles blanches devant les yeux.

- C'est moi qui suis désolé, proteste la voix chaleureuse de Myror, le saltimbanque à la boucle d'oreille.

Ses yeux bruns bienveillants, dans son beau visage d'ébène, la scrutent avec inquiétude.

- Vous devriez aller voir le médecin de la cour. Vous avez tapé fort… vous pourriez être plus blessée qu'il n'y parait.

Guenièvre cligne des paupières pour éclaircir sa vision confuse, grimaçant à la douleur qui pulse dans sa cheville.

- Quelle idiote, grogne-t-elle.

- Où allez-vous ? demande l'homme grand et athlétique en s'accroupissant devant elle. "Je vous accompagne. Je ne crois pas que vous puissiez marcher seule."

Elle hoche faiblement la tête, toujours sonnée, et se laisse soutenir jusqu'en haut de l'escalier, puis le long du couloir jusqu'à la porte de la nurserie.

- Merci, Myror, dit-elle en repoussant doucement le bras musclé enroulé autour de sa taille. "Vous avez été absolument adorables, vous, Daegal, toute la troupe. Je m'assurerai que le trésorier se montre généreux."

- Je vous remercie, ma Dame, répond l'homme avec une révérence galante, avant de s'éloigner d'un pas chaloupé.

Guenièvre ouvre la porte après lui avoir lancé un dernier regard reconnaissant.

C'est sûr, elle a une cheville foulée.

Merveilleux.

Elle avait bien besoin d'un accident stupide comme celui-ci à ajouter à la liste des problèmes de la journée.

Au moins, cela lui donnera une excuse pour éviter cette chipie de Lady Vivian, même si elle se sent un peu coupable à l'idée de la pauvre Anna subissant seule les caprices de la damoiselle.

L'aurore nimbe le berceau d'un voile doré et des particules de poussières nacrées dansent dans le rayon de soleil rose.

Tout est paisible.

Ouf.

La Dolma est avachie dans le fauteuil à bascule, devant la cheminée remplie de cendres à peine fumantes, sa tête anguleuse sur sa poitrine tombante, les bras pendants et ses grands pieds de canard étendus devant elle.

Guenièvre s'approche en boitillant, mordillant sa lèvre inférieure pour réprimer un gémissement, et remue les braises dans l'âtre pour faire repartir les flammes. Le grincement du pique-feu contre la pierre réveille la Dolma qui sursaute et se redresse d'un seul coup.

- Merlin ? s'écrie-t-elle en jetant des regards de tous côtés.

- Non, c'est moi, dit Guenièvre avec un sourire. "C'est donc bien là qu'il se cachait ? Tout le monde le cherche."

La nourrice se lève d'un bond et lui attrape le bras, le serrant presque à lui faire mal. Ses iris vert tilleul sont dilatés.

- Il n'est pâs revenu, souffle-t-elle. "Il devait revenir et il n'est pâs revenu ! Je crains qu'il ne lui sôis ârrivé mâlheur !"

- Pourquoi dites-vous cela ? demande la jeune femme, un peu choquée par ce trouble. "Qui pourrait en vouloir à Merlin ?"

- Il â dit que le rôi était en danger et il est pârti ! aboie la Dolma à mi-voix, se contenant à peine pour ne pas réveiller le bébé. "J'ai âttendu, âttendu, mais il n'est pâs revenu ! est-il ? Pourquôi ne le sâvez-vous pas ? Pourquôi personne ne se soucie jâmais de lui ?"

- Tout le monde aime Merlin, proteste Guenièvre, indignée. "Vous…"

Le rire grinçant à peine étouffé qui l'interrompt lui fait froid dans le dos.

- Le pauvre biquet était seul fâce à cette vipère et personne n'est venu le sauver ! siffle la nourrice avec fiel. "Ah lâ belle âttention qu'on lui porte, vraiment ! Il fait tant et tant pour le rôyaume et tout ce qu'on lui âccorde comme récompense, ce sont des mots qu'il n'aurait jâmais dû âvoir à entendre et les mains répugnantes d'un vieux bouc qui tentent de lui ârrâcher son innocence !"

Guenièvre pâlit.

- Qu'… quoi ? HEIN ? Qu'est-ce q-que vous voulez d-dire ?

- Son âltesse sérénissime le pervers Âlined, crache la nourrice.

La jeune femme attrape l'accoudoir du fauteuil à bascule pour se retenir, chancelante.

- A… A-Alined…

- Je ne sais pâs pourquôi le rôi tient tant à s'âllier âvec des porcs et des pâons et des bêtes cruelles comme le Sârrum et tous les autres de cette clique, continue la Dolma d'une voix outrée, son débit précipité et orageux menaçant de réveiller la princesse, "et çâ ne me regârde pâs même si je me demande quel genre de rôyaume il vâ laisser à ce pauvre âgnelet quand elle serâ reine, mais çâ ne lui donne pâs le drôit de laisser de pâreilles choses se produire, surtout que Merlin, tout tremblant et chétif qu'il était âprès cette horrible épreuve â voulu âller le prévenir qu'il courrait un danger dès qu'il â pu se tenir debout !"

Guenièvre s'est assise, les jambes coupées, la bouche entrouverte et les yeux exorbités.

- Arthur est en danger ? répète-t-elle après plusieurs tentatives pour émettre un son.

La nourrice lève les yeux au ciel, les mains sur les hanches.

- Oh bien sûr, tout ce qui vous importe c'est votre précieux rôi ! Je vous dis que Merlin â dispâru !

La jeune femme brune secoue la tête faiblement.

- Non, je vous ai entendue… mais… le traité de paix… il faut prévenir les chevaliers…

Ses mains tâtonnent machinalement pour agripper les clés et elle pousse un cri étranglé en découvrant qu'elle ne les a plus.

Oh non, non non non non…

Elle se soulève, seulement pour retomber avec un gémissement de douleur quand elle s'appuie sur sa cheville enflée.

La Dolma presse ses lèvres étroitement, puis lâche un profond soupir.

- Très bien, dit-elle finalement. "Je vais y âller. Vous resterez ici et vous veillerez sur l'enfant âvec votre vie."

- La galerie, bafouille Guenièvre. "La galerie ouverte au-dessus de la Table Ronde… c'est l'endroit parfait pour se cacher, pour tirer sur les rois…"

Elle imagine déjà Arthur, sa chemise pleine de sang, les yeux ouverts et vitreux… le tumulte dans la salle, les hommes dégainant leurs épées, les cris d'horreur et la guerre qui s'enflamme comme une étincelle dans un champ et dévaste l'intégralité du royaume, Camelot détruit et le rêve d'Albion en ruines pour toujours…

Un claquement de doigts maigres crève sa bulle de panique et elle revient à la réalité.

- Tout n'est pâs encore perdu, mâ fille, bougonne la Dolma en retroussant une narine d'un air désapprobateur. "Cessez de rêver et concentrez-vous. Enfermez-vous dans lâ nurserie et ne laissez personne entrer, est-ce bien clair ? Et priez que Merlin se sôit seulement endormi dans un côin sans âvoir lâ force de remonter ici, lâ nuit dernière."

La nourrice quitte la pièce d'un pas énergique après avoir déposé un baiser sur le front de la princesse qui ne tressaille pas dans son sommeil, et s'en va à longues enjambées.

Elle n'est qu'à mi-chemin lorsqu'une ombre surgit derrière une porte et la tire dans une chambre en lui plaquant une main sur la bouche pour qu'elle ne crie pas.

 

oOoOoOo

 

Arthur promène son regard tendu sur les chevaliers rassemblés tout autour de la salle de la Table Ronde.

C'est maintenant que tout se joue…

Les souverains entrent les uns après les autres, suivis de leurs escortes. La Reine Catrina glisse sur le sol dans sa robe blanche étincelante de soieries et de bijoux. Le Roi Olaf garde la main sur le pommeau de son épée, ses sourcils grisonnants méfiants sous sa simple couronne d'argent, dans son surcot bleu clair et sa cotte de mailles. Le Sarrum ricane en sourdine, le duvet roux à l'arrière de son crâne épais presque de la même couleur que la crinière de cheval qui orne son armure noire. Alined se déplace avec raideur, ses petits yeux sournois agités en tous sens comme s'il cherchait une chose et voulait en éviter une autre.

Les capes rouges de Camelot se répandent dans la salle inondée de lumière, côte à côte avec les armoiries des autres royaumes, comme un bouquet de fleurs sauvages, un plat artistiquement préparé par un gourmet, un spectacle parfaitement organisé.

Derrière le pilier, sur la galerie, l'assassin arme son arbalète et un sourire appréciatif retrousse les coins de ses lèvres.

 

oOoOoOo

 

La Dolma se débat, enfonce son talon dans le pied de son agresseur et se libère après lui avoir flanqué un bon coup de coude dans les flancs.

Quand elle fait volte-face, l'homme lève ses mains en signe de paix et elle réalise qu'en fait, c'est lui qui l'a lâchée.

Elle tire sur sa guimpe pour la remettre d'aplomb, lisse les plis froissés de sa robe avec un petit reniflement de dédain, puis claque sa langue.

- Vous êtes bien laid, commente-t-elle.

Un grognement narquois lui répond, mais elle ne semble pas entendre l'évident "vous ne vous êtes pas regardée".

- Je suppose que vous n'êtes pâs le grand méchant loup qu'ils se plaisent à vous décrire, ajoute-t-elle après un instant, détaillant la silhouette longue et noueuse, la barbe et les cheveux hirsutes, les cicatrices qui dépassent des manches trop courtes.

- Vous âvez de bons yeux.

Les dit-yeux roulent, exaspérés par cette parlote inutile.

- Que voulez-vous de môi ? Âvez-vous renoncé à saigner comme un cochon ce vil personnâge et décidé de protéger le rôi ? Sâge décision, si je puis dire.

Numéro Quatre hoche vivement la tête et ses mains s'agitent, mimant quelqu'un qui chuchote à une oreille et puis un coup de poignard.

La Dolma gratte son menton proéminent.

- Vous sâvez pour le complot que Merlin â surpris ?

Un éclair d'inquiétude passe dans les yeux bruns du prisonnier qui fait un pas en avant et saisit l'avant-bras de la femme d'une poigne de fer.

- Ce n'est pâs lui qui vous en a pârlé ? Oh, hoquette-t-elle. "J'espère qu'il ne lui est rien ârrivé. Je… il m'en â pârlé hier sôir et ensuite il â dispâru…"

Le conflit est très vivant, très sincère, nu et à vif dans le regard de l'Ombre Blanche.

- Sauvons d'âbord le rôi, dit la Dolma pour mettre fin au dilemme. "Lui est en danger, pour sûr. Il reste une chance que cette grande perche sôit en train de piquer un somme dans un côin reculé du château."

Elle n'ajoute pas que l'horrible moment de la veille a pu causer cette fatigue soudaine et irrépressible, parce qu'elle se doute que le bon sens, qui pour l'instant semble conduire le loup, risquerait de disparaître pour une haine assoiffée de sang s'il savait ce qui s'est passé dans le couloir.

- Âlors comment sâvez-vous ? Âh. Non, oubliez. Çâ n'â pâs d'importance pour le moment.

Elle met les poings sur les hanches.

- Nous devons âller à lâ Sâlle de lâ Tâble Ronde. Lâ petite Guenièvre semblait persuâdée que le meurtrier tenterait sâ chance de lâ gâlerie.

Derian réfléchit un instant, toute émotion disparaissant de son visage, puis il se glisse furtivement dans le couloir.

- Oy. Âttendez-môi. Vous ne ferez pâs long feu si vous tombez sur un de ces gârdes obtus. Vous n'aurez pâs le temps de leur pârler de cette clé volée qu'ils vous auront déjà embroché !

Elle trébuche sur sa robe noire et l'attrape à pleines poignées pour la soulever et marcher à longues enjambées.

- Pourquôi faut-il toujours sauver l'ârrière-train de ce crétin royâl ? grommelle-t-elle.

Numéro Quatre s'arrête et se retourne, lui lançant un regard qui pourrait presque être qualifié d'amusé.

- Vous pouvez m'âppeler lâ Dolmâ, au fait, dit la femme. Elle penche la tête de côté et toussote. "Mais vous le sâvez déjà. C'est Merlin qui vous a pârlé de môi, n'est-ce pâs ?

Derian incline le menton avec douceur, puis se remet en marche furtivement dans les couloirs presque vides.

S'il survit à cette journée, elle aimerait faire plus ample connaissance avec lui.

Quand ils auront sauvé non seulement le roi et quatre royaumes, mais aussi Merlin.

Merlin qui tisse des liens à travers tout Camelot, depuis le nid de la cigogne jusqu'à la tanière du loup, en passant par les cuisines et la salle du trône.

Merlin que tous aiment et que tous ont oublié pendant ces quatre jours.

Merlin qui a disparu en voulant tous les protéger.

 

oOoOoOo

 

Arthur retient son souffle tandis que les quatre souverains s'approchent de la Table Ronde pour signer le traité de paix si durement acquis.

Les quatre jours sont enfin terminés. Dans un instant, après un bref crissement de plume sur le papier, quatre royaumes seront ajoutés au rêve d'unification d'Albion. Quatre frontières en paix de plus.

Il a bien cru qu'ils allaient faire leurs bagages et quitter Camelot en mauvais termes quand il a expliqué à contrecœur pourquoi le tocsin avait sonné. Surtout Alined qui a l'air d'une humeur exécrable depuis ce matin et qui, évidemment, a des raisons personnelles d'en vouloir au prisonnier évadé. Puis Olaf a apaisé les discussions, rappelé pourquoi ils s'étaient rassemblés pour commencer.

Et finalement, les y voici.

Plus que quelques minutes…

Arthur retenait si bien son souffle qu'il manque de s'étouffer quand le dard traverse l'air et se plante dans la poitrine du Sarrum avec un sifflement morbide.

- Léon ! hurle-t-il tandis que Gwaine et les chevaliers se ruent autour de lui pour le protéger des guerriers d'Amata qui tirent leurs épées.

Ça va être un bain de sang…

Ses yeux se lèvent vers la galerie, attrapent la fugitive vision d'une robe noire. Son cœur bat à tout rompre.

Ce devait être inaccessible. Il n'y a qu'un seule clé… une seule… que Guenièvre gardait… Guenièvre qui n'est en vue nulle part…

Des chevaliers en bleu et d'autres en brun ocre se répandent dans la pièce, s'interposant entre les soldats du Sarrum et ceux de Camelot.

- Paix ! appelle la voix forte et imposante d'Olaf.

- Il suffit ! cingle celle de la Reine Catrina.

Arthur a les mains rouges et gluantes à force de presser sur la plaie du Sarrum effondré sur le bord de la Table Ronde, son visage inconscient écrasé sur le traité qu'il était en train de signer.

- Sire ! crie soudain Léon depuis la galerie. "Un assassin envoyé par Odin !"

Le soulagement collectif qui suit devient presque palpable quand Gaius, qui a enfin réussi à se frayer un passage pour examiner le blessé, annonce que le Sarrum n'est pas mort et qu'il survivra sans doute à ses blessures.

Les épées se baissent de partout, certaines avec réluctance, la plupart de bonne grâce.

Alined ronchonne dans son coin, ses gardes rassemblés autour de lui.

Lorsque la civière et Gaius sont sortis, Arthur oublie son discours pour demander qu'on lui amène l'assassin et c'est là que les choses deviennent surréalistes.

Léon, l'air perplexe, pousse devant lui la Dolma qui n'apprécie pas d'être contrainte, ainsi que l'Ombre Blanche que l'on force à se mettre à genoux, puis deux gardes laissent tomber aux pieds des souverains le corps de Myror, le saltimbanque à la boucle d'oreille.

L'homme a été transpercé avec une lance.

- Que s'est-il passé ? articule le roi, sidéré.

- C'est compliqué, dit la Dolma avec une de ses révérences grandiloquentes ridicules. "Sâchez que Numéro Quâtre, ici, vient de vous épârgner de passer de vie à trépâs. Permettez-môi de vous relâter notre quête…"

Arthur voudrait la supplier d'abréger ou obtenir une explication cohérente de la part de quelqu'un d'autre, mais visiblement il n'a pas le choix.

La nourrice ne parle pas aussi longtemps qu'il s'y attendait, cependant, et leur épargne des enjolivements de théâtre, bruitages et autres sons et lumières.

Derian et la Dolma sont arrivés juste à temps pour se faufiler sur la galerie – tous les chevaliers protégeant l'intérieur de la salle et non pas les accès extérieurs – et Numéro Quatre n'a eu que le temps de lancer l'arme qu'il avait récupérée en route pour empêcher Myror de tirer sur Arthur.

C'est la nourrice qui a identifié Myror comme un homme à la solde d'Odin : elle l'a vu à la cour du roi ennemi des dizaines de fois lorsqu'elle était comédienne – il s'agit d'un baladin qui sert aussi en tant qu'espion et d'homme de main : "une honte pour lâ profession !" – et l'aurait reconnu bien plus tôt, si elle avait seulement été autorisée à sortir de la nurserie pendant les négociations…

Gwaine est allé chercher Guenièvre et elle confirme que c'est le saltimbanque qui lui a dérobé ses clés lorsqu'elle est tombée dans les escaliers (son visage est rouge de honte en expliquant cela).

Dans le silence qui suit, Arthur fronce les sourcils en considérant gravement Numéro Quatre qui n'a pas baissé la tête une seule fois et dont les yeux l'ont fixé sans ciller, comme pour le défier de mettre en doute sa bonne foi.

- Il reste deux points inexpliqués, dit finalement le roi. "Comment le prisonnier s'est-il échappé et pourquoi a-t-il attaqué Lord Alined ?"

La Dolma ouvre la bouche et dans le même mouvement Guenièvre la bâillonne.

- Je peux vous expliquer, Sire, bredouille-t-elle. "Seulement, je crois nécessaire de le faire en privé."

Arthur fait taire les protestations.

- Très bien, dit-il. "Que l'on évacue la salle. Mes seigneurs, ma Dame, rendons-nous dans la petite salle où nous avons tenu les négociations. Nous y serons plus à l'aise. Sir Léon, organisez vos hommes et assurez-vous qu'aucune autre menace ne demeure. Et arrêtez-moi l'ensemble de ces saltimbanques, nous devons les interroger sur leurs implications dans cette affaire. Sir Gwaine, trouvez-moi Sir Perceval, que quelqu'un qui le peut obtienne des réponses de Numéro Quatre – si tant est qu'il veuille parler…"

- Oh, il pârlerâ, je peux vous l'âssurer, interrompt la Dolma de sa voix nasillarde. Elle fronce une narine au coup d'œil furieux qu'il lui lance et met les poings sur les hanches. "N'oubliez-vous pâs quelque chose, Grand Rôi ? Ou devrais-je dire : quelqu'un ?"

Arthur secoue la tête, un instant assez interloqué pour oublier l'envie qu'il a d'aboyer qu'elle se taise.

- Votre serviteur, râle la femme d'un air excédé.

Le visage du roi devient très sombre.

- Nul besoin de monter sur vos ergots, nourrice, réplique-t-il de cette voix que personne n'ose contredire. "Je sais ce que nous devons à Merlin. Je m'occuperai de cela tout à l'heure."

La Dolma croise les bras et bâcle une révérence, le visage crispé de colère.

Arthur sent son regard qui s'enfonce entre ses clavicules comme une lame chauffée à blanc, tandis qu'il quitte la salle, et il se demande bien ce qu'il a pu faire pour mériter une telle animosité.

Il ne se le demande plus une fois qu'il a parlé avec Guenièvre.

Livide, il quitte la pièce attenante à la salle des négociations en faisant un effort presque insurmontable pour marcher droit et ne pas vomir. Ses yeux bleus deviennent quasiment noirs quand ils se posent sur Alined et le craquement presque inaudible dans sa voix soigneusement contrôlée suffit pour qu'Olaf comprenne qu'il sait.

- Notre séjour touche à sa fin, dit lentement le roi de Deira. "Arthur Pendragon, au nom de nos amis ici, je vous remercie de votre hospitalité. C'est avec grand plaisir que j'ai vu la naissance de cette amitié entre nos royaumes et tous mes vœux vont au rétablissement du Sarrum d'Amata, notre frère en cette alliance. C'est grande pitié qu'il n'ait pu célébrer avec nous la signature de ce traité de paix."

Arthur hoche la tête, les mâchoires serrées. Une goutte de sueur coule sur son front lorsqu'il se force à sourire en réponse.

- C'est grande pitié, en effet.

Catrina ne sent pas la nuance dans les mots et babille son effroi à ces évènements de dernière minute et ses promesses de revenir bientôt.

Alined marmonne que ces histoires d'assassins sont effroyables et qu'il tient à partir au plus tôt.

Arthur réussit à peine à articuler ses adieux. Une veine palpite sur son front, bleue et gonflée, et Catrina s'enquiert de sa santé.

Olaf propose à la reine de la raccompagner un bout de chemin avec sa fille – qui aimerait tant voir les splendeurs de Bernicia – et détourne ainsi l'attention de l'étrange attitude guindée du roi de Camelot.

Personne n'a touché à la collation.

Dans la salle de la Table Ronde, Geoffroy de Monmouth range le traité de paix porteur des quatre paraphes avec précaution. Il y a une tache de sang au coin du tissu richement ouvragé dans lequel le précieux parchemin est plié.

 

oOoOoOo

 

Perceval rejoint Arthur sur les remparts où celui-ci regarde s'éloigner les trois escortes en se mordant les lèvres, les phalanges blanchies à force de serrer les poings.

- Sire, il y a quelque chose que vous devez savoir.

Les épaules du roi sont voûtées sous sa cape rouge.

- Parle.

- Celui qui a libéré Numéro Quatre… c'est ce garçon qui était souvent avec Merlin. Le jeune saltimbanque du nom de Daegal. Apparemment il était de mèche avec Myror.

- L'a-t-on interrogé ? Sait-on pourquoi il aurait fait une chose pareille ?

- Non, Sire. Il a disparu.

L'homme blond passe une main lasse sur son visage fatigué.

- Est-ce que Merlin sait quelque chose ? Est-ce que ce grand nigaud (sa voix tremble un peu à ce mot) est enfin sorti de sa cachette ?

Le géant avale sa salive.

- Merlin n'a toujours pas été retrouvé, Arthur. Je ne crois pas qu'il se cache. Je pense qu'il a été enlevé.

 

 

A SUIVRE...

 

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