Le Prince & L'Idiot

Chapitre 28 : Après l'heure la plus sombre, la lumière

8975 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 20:27

 

APRES L'HEURE LA PLUS SOMBRE VIENT LA LUMIERE DU JOUR

 

 

Il a du mal à respirer, son torse se soulève avec peine, fouaillé à chaque inspiration par la douleur de ses côtes brisées.

La peau de ses poignets est brûlée par la corde qui le pend au plafond de la cellule. Il ne sent plus ses bras engourdis, ses jambes ont cessé de le soutenir. Il est mouillé de pisse, de peur, de sang.

La lune nimbe sa peau blanche d'une lueur spectrale et la fièvre allume des reflets dans ses yeux bleus remplis de larmes et de défi.

- A-t-il parlé ? demande l'homme dont le visage reste caché dans l'ombre.

- Non. Enfin, il a raconté n'importe quoi, grogne le bourreau. "Fait une liste de noms de chats, décrit la verrue de la nourrice, avoué qu'il n'aime pas le gruau de son grand-père."

- Peut-être que vous devriez cesser d'avoir pitié de lui et devenir sérieux.

Le bec de lièvre du bourreau grimace quand il cherche ses mots avec soin, grattant l'arrière de sa nuque.

- Ce n'est qu'un simple d'esprit. A peine plus âgé qu'un enfant... Est-ce bien nécessaire ? Certainement le roi ne lui a confié aucun secret.

- Il assistait aux conseils debout derrière Arthur quand celui-ci n'était qu'un prince. Croyez-vous vraiment que ces habitudes-là aient changé ? Non, il en sait beaucoup plus qu'il en a l'air. Les renforcements de la citadelle, l'emplacement des nouveaux tunnels, quels sont les prochains seigneurs que le roi conviera pour une alliance…

- Je… ne… vous… le… dirai… pas… articule le prisonnier d'une voix enrouée, ses lèvres parcheminées se craquelant sous l'effort.

L'homme dissimulé dans le noir ricane sinistrement.

- Oh, le vieux avait dit la même chose et il avait gentiment craché le morceau, à la fin. Chanté toute la mélodie, même des couplets qui n'existaient pas. Tu le feras aussi, n'aie crainte.

Le bourreau souffle entre ses dents, puis se balance d'un pied sur l'autre et se dirige vers la table où sont étalés les instruments de torture.

Une goutte d'eau suinte dans le plafond et glisse le long de la corde comme une perle de vase.

Dans les escaliers en spirale crasseux et sombres qui descendent aux geôles, un jeune garçon de quatorze ans plaque ses mains sur ses oreilles quand les cris recommencent.

 

oOoOoOo

 

Le Sarrum lâche un grognement appréciateur en suivant des yeux Guenièvre qui roule les cartes que les hommes ont étudiées jusqu'à très tard, la veille, sur la grande table rectangulaire de la petite salle.

La robe de la jeune femme est ajustée sur ses hanches, dessinant la rondeur de ses fesses sous le velours puce et la haute ceinture brodée met en valeur sa poitrine. Le léger boitillement dû à sa cheville n'enlève rien à la féminité qu'elle exsude à son insu, plongée dans ses pensées.

- Vous n'êtes pas une simple servante, dit soudain l'homme en claquant la langue contre son palais, un doigt tirant machinalement sur le bandage autour de son cou.

Guenièvre relève la tête tout en nouant un cordon rouge autour de la carte de Camelot et lui adresse un regard poli bien que méfiant.

- Non, mon seigneur. Je suis l'épouse d'un chevalier.

- Vous avez obéi à tous les caprices de cette greluche de Lady Vivian, pourtant. Ce n'était pas de votre rang.

La jeune femme hausse les épaules.

- Il fallait que quelqu'un la garde à distance des négociations, dit-elle simplement en rangeant les rouleaux de cartes dans un coffre plat. "Ce n'était pas très difficile et le roi avait besoin de moi. C'était une raison suffisante pour endurer quelques jours la vie que je menais avant que mon mariage ne m'anoblisse."

Le Sarrum ricane.

- Arthur Pendragon vous l'avait-il demandé ? Jusqu'où iriez-vous pour le servir ? Etes-vous sa maîtresse ? Qui est votre mari ? Sait-il à quel point vous êtes dévouée au roi ?

Son regard concupiscent donne la chair de poule à Guenièvre qui se dépêche de refermer les encriers et de rassembler les plumes sur un plateau.

- Avez-vous besoin d'autre chose, votre Altesse ? demande-t-elle d'une voix tendue. "Le roi devrait être de retour dans quelques instants à peine."

L'homme étouffe un rire gras et boit une lampée de vin dans sa coupe d'argent.

- L'assassin savait que vous auriez les clés de la galerie… je pensais que le roi partageait les inclinaisons d'Alined, à en croire les rumeurs sur le bel idiot qui est toujours dans son sillage, mais j'avais tort. J'ai vu comme il vous a écoutée, hier. Un homme ne fait pas confiance à une femme aussi belle, à moins qu'elle ne soit dans son lit.

Guenièvre rougit violemment.

- Mon mari est mort, votre altesse, dit-elle d'une voix qui tremble de colère. "Sachez qu'il n'aurait jamais pardonné une telle insulte."

Quelqu'un se racle la gorge et ils tournent la tête vers la porte.

- Sir Lancelot est mort, mais il était mon ami et je ne souffrirai pas qu'on offense sa mémoire ni son épouse, dit la voix basse et menaçante d'Arthur qui se tient dans l'embrasure.

Il enlève posément son gant et le jette en travers de la pièce, aux pieds du Sarrum.

L'homme roux grimace un sourire mauvais.

- Un duel, Pendragon ? Entre deux alliés ?

- Entre deux hommes, corrige le roi d'un ton glacial.

Le guerrier en armure bardée de têtes de clous se lève pesamment.

- Vous risqueriez la paix pour l'honneur d'une femme ?

Les traits d'Arthur sont crispés, ses mâchoires serrées et ses yeux bleus remplis d'un désespoir plein de haine. Il n'a pas dormi la nuit dernière et sa pâleur souligne son expression tranchante.

- Une paix qui meurtrit et qui souille le peuple de Camelot n'a nul besoin d'être, articule-t-il avec effort.

Guenièvre entend ce qu'il ne dit pas.

La culpabilité intolérable, les regrets qui lui écrasent le cœur, l'angoisse qui le vrille…

Une paix au prix de ce qu'a dû endurer Merlin n'aurait jamais dû se faire.

Le regard noir et perçant du Sarrum d'Amata soutient celui du jeune roi, puis un sourire sarcastique glisse sur les lèvres étroites de l'homme.

- Ce serait une victoire simple et rapide, considérant comme vos émotions règnent sur vous à l'instant, Arthur Pendragon, dit-il avec ironie. "Mais voilà. Votre royaume est puissant et vos alliés nombreux. Si je vous tuais, je mettrais mes terres dans un péril bien peu nécessaire. Les codes de la chevalerie, hein ? Tch. Foutaises, quand l'enjeu est de taille. Je ne me battrai pas contre vous."

Il fait quelques pas et ses semelles foulent avec mépris le gant qui gît au sol.

- Suivez mon conseil, Arthur. Odin a peut-être échoué cette fois, mais il reviendra à la charge. Il s'attaquera à ceux que vous aimez si ouvertement, parce qu'ils sont votre faiblesse. Je n'ai pas l'armée qu'il faut pour l'attaquer seul et lui faire payer cette égratignure, mais le jour où vous déciderez de marcher sur ses frontières, ma bannière sera la vôtre. A ce coût-là seulement trouverez-vous votre paix.

Il quitte la salle et Guenièvre soupire de soulagement.

- Vous n'auriez pas dû, Sire, murmure-t-elle, moitié fâchée, moitié reconnaissante.

Le roi de Camelot tressaille, le front empourpré et les mains si froides qu'il sursaute quand il serre les poings.

- Lâche, souffle-t-il.

Elle est presque sûre que c'est de lui-même dont il parle.

 

oOoOoOo

 

L'aube d'un deuxième jour commence à poindre derrière les montagnes quand Perceval retrouve enfin la trace du cheval qui est sorti de la ville, la nuit où Merlin a disparu. Gwaine est sale et épuisé, les nerfs à fleur de peau à force de se battre contre les multiples scénarios horribles qui jouent et rejouent dans son cerveau. Il n'a pas dormi non plus depuis qu'il a appris pourquoi Numéro Quatre s'en était pris à Alined et s'en veut à mort de n'avoir rien remarqué, de n'avoir pas su protéger Merlin.

Perceval est terriblement inquiet pour leur jeune ami, mais parvient à refouler son angoisse pour se concentrer sur la seule piste qu'ils ont.

Au début, comme il n'y avait pas la moindre mention de quelqu'un quittant la ville, ils ont cru que Merlin avait été tué et son corps jeté dans les douves, et ils ont perdu un temps précieux à sonder le fond noirâtre et gluant. Puis, dévoré de remords, un garde a avoué avoir laissé passer un gamin avec son frère malade qui dormait sur le canasson – Arthur lui a mis une telle gifle qu'il a failli perdre une dent.

La description du gamin correspondait à celle de Daegal. Ils ont retrouvé plus loin dans la forêt un linge imbibé d'une substance soporifique, puis les traces les ont conduits à travers la Vallée des Rois Déchus et ils les ont perdus dans les méandres des marques de sabots des fréquents passages de bandits.

Perceval, heureusement, avait remarqué que l'un des fers du cheval qu'ils suivent est instable. A force de patience – et il en faut quand Gwaine ne cesse de jacasser comme une vieille femme hystérique – il a fini par remettre les yeux dessus.

Maintenant ils contemplent d'un air sombre le château en ruines qui se dresse au bout de l'ancienne route marchande, défoncée et encombrée de rochers, qui longe les falaises.

- L'ancienne forteresse de Daobeth, souffle Gwaine.

- Il y a de la fumée, remarque Perceval. "Ce sont peut-être eux."

Dans le silence épais flotte ce qu'ils ne disent pas mais qu'ils redoutent.

En descendant la colline à travers la forêt pour rejoindre la route, ils surprennent un éclat de métal dans le soleil qui se lève et se faufilent à travers les arbres dans cette direction, tirant leurs épées.

Dans la clairière, assis sur un tronc d'arbre, les épaules tombantes et la tête dans les mains, l'adolescent qui dansait sur la corde raide comme un elfe quelques jours plus tôt ressemble maintenant à un chiot battu.

Perceval surgit derrière lui et lui emprisonne les bras tandis que Gwaine lui pointe son épée sur la gorge.

- OU EST-IL ? rugit-il.

Daegal relève la tête, le visage mâchuré de larmes et de crasse. Ses yeux clignent très vite, coupables, effrayés, suppliants, lamentables.

- Je s-suis d-d-désolé... bafouille-t-il. "Je suis v-vraiment d-d-désolé… je n-ne s-savais p-p-pas qu'ils lui… qu'ils le… je… p-p-pardon…."

Les deux hommes échangent un regard épouvanté, puis Gwaine presse la lame contre la peau du garçon.

- Où est-il ? répète-t-il entre ses dents. "Que lui as-tu fait ? Parle, vermine. est Merlin ?"

L'adolescent déglutit, terrifié.

- Il n'aurait pas d-dû… s'il n'a-avait p-p-pas entendu… Myror…

- Myror est mort, gronde Gwaine. "Parle, ou tu trouveras le courroux du roi doux en comparaison de ce que je vais te faire. Maintenant, DIS-NOUS ! Où est Merlin ?"

Daegal se remet à sangloter et à renifler.

- Pourquoi l'as-tu emmené ? Tu as libéré Numéro Quatre pour qu'il sauve le roi, n'est-ce pas ? Tu lui as dit qu'il y avait un complot contre sa vie. Alors pourquoi as-tu drogué et emmené Merlin ? demande Perceval, sa voix d'ordinaire si calme vacillant devant le spectacle pitoyable du saltimbanque.

Que s'est-il passé pour qu'il se mette dans un état pareil ?

Pourvu que Merlin…

L'angoisse remplit les oreilles de Gwaine d'un bouchon d'eau qui coupe tous les sons, qui lui ferait presque perdre l'équilibre. Il a l'impression qu'il devient fou.

- C'est Myror… balbutie Daegal. "Il a d-d-dit que je d-d-devais emmener Merlin au m-maître… que c'était la s-s-seule s-s-solution si je n-ne v-v-voulais pas m-mourir… il était f-f-urieux… q-quand il a … mais je… oh, je n'aurais j-j-jamais… ils… c'était ho-o-orrible… Merlin… Merlin a… il…"

Sa voix s'émiette et avec elles les espoirs des deux hommes.

- Est-ce qu'il est en vie ? souffle Gwaine d'une voix rauque.

Les yeux rouges et gonflés de Daegal fuient son regard brûlant.

- Ce… s-serait… m-mieux… qu'il ne… le s-sois p-p-pas…"

Le vent s'est levé et des gouttes s'écrasent sur le feuillage épais de la forêt. Le ciel est gris, bas. Ce sera une journée de pluie.

Les chevaux galopent à bride abattue pour faire le trajet du retour.

 

oOoOoOo

 

Gaius prépare une potion, mais il ne sait pas laquelle. Ses doigts noueux, marbré de veines épaisses et de taches brunes, travaillent avec méthode, précision, rapidité.

Ses cheveux blancs lui tombent sur le visage et il garde la bouche entrouverte, comme s'il ne se rappelait plus de respirer par le nez.

Ses robes bordeaux balayent le sol de ses appartements avec un bruissement doux. Le feu crépite derrière lui, le contenu du chaudron bourboute.

Derrière la fenêtre piquetée d'éclats de pluie, un pâle soleil joue à cache-cache avec les nuages.

Tout est si calme, il serait presque tenté de crier "debout, Merlin, qu'attends-tu pour te lever ! Tu vas être en retard !" s'il ne voyait pas le lit vide, la couverture bien soigneusement pliée, par l'embrasure de la porte de la petite chambre en soupente.

Son vieux cœur bat si lentement, il craint de se changer en pierre, là, au milieu de la pièce.

Merlin.

Ramenez-moi Merlin. Ramenez-moi mon petit-fils, ma joie, ma fierté, le cadeau que je ne méritais pas… je ferais n'importe quoi… je payerai mille fois le prix de mes erreurs… mais rendez-le moi sain et sauf…

Quand la porte s'ouvre derrière lui, il se retourne si brusquement qu'il voit danser des points noirs devant ses yeux et que ses jambes flageolent.

- Tout doux ! Asseyez-vous, Gaius… vous devriez vous reposer… dit la voix de celui qui l'a rattrapé avant qu'il ne tombe et qui l'aide à s'asseoir sur la paillasse de ses patients.

Il étouffe un rire brisé.

- Vous aussi, Sire.

Arthur s'accroupit en face de lui, une main sur le genou du très vieil homme, l'air consterné par son état d'épuisement. Il ne se rend pas compte de l'image que renvoient ses propres cernes, la moue figée de ses lèvres, sa nuque raide, le ton râpeux de sa voix, le fait qu'il n'a pas quitté son armure depuis la veille.

- Est-ce que le Sarrum est parti ?

- Oui, enfin, répond le roi. "J'attends que Perceval et Gwaine reviennent pour repartir avec eux. Cela ne sert à rien de s'éparpiller. Ils ont sûrement trouvé une piste depuis hier."

Gaius hoche la tête lentement.

- Avez-vous mangé, Sire ? Les cloches ont sonné midi, ce tantôt.

- Pourquoi tout le monde me pose cette question stupide ? Je ne saurais rien avaler tant que Merlin n'a pas été retrouvé, marmonne le roi en détournant les yeux.

Il se redresse, marche à pas lents vers la fenêtre, appuie son coude contre la vitre et regarde ruisseler la pluie sur Camelot.

- Je l'ai trahi, Gaius… murmure-t-il. "Tout ce temps, il a essayé de me dire que quelque chose n'allait pas… et je l'ai ignoré… renvoyé vers ce… ce…"

Sa gorge se remplit de bile et il met une main sur sa bouche, s'oblige à la ravaler, le cœur soulevé par une nausée.

- S'ils l'ont… s'il m-meurt… je ne me le pardonnerai jamais.

Il serre les poings, ses yeux bleus obstinément fixés sur la ville grise sur laquelle pleure le ciel.

- Je l'ai perdu… c'est ma faute… je l'ai trahi…

Gaius se lève péniblement et s'approche de lui. Il lui pose la main sur l'épaule, pendant un instant, puis croise les bras dans ses amples manches et perd aussi son regard par la fenêtre.

- C'était il y a très longtemps. Mais pour moi, je m'en rappelle comme si c'était hier. La femme que j'aimais est morte en couches, elle aussi. Elle n'était pas bien plus âgée que la Reine Mithian, presque aussi frêle. Je l'ai pleurée. Mais j'étais un homme ambitieux, dévoué à la science. Je n'avais pas le temps pour un enfant.

Arthur écoute sans bouger, comme si le rythme lent des mots apaisait sa fièvre plus que ce qu'ils disent.

- C'est Alice qui s'en est occupée. Il n'était pas encore à l'âge adulte que nous étions déjà comme deux étrangers, mêmes des rivaux dans le domaine de la médecine. Je l'aimais, malgré tout. Il était intelligent, travailleur, appliqué.

Le vieil homme retourne vers la paillasse d'un pas lourd, s'y laisse tomber en faisant craquer ses os. Arthur s'assoit sur le rebord de la fenêtre, les mains jointes entre ses genoux. Il donnerait tout pour que son esprit cesse de s'agiter.

- C'est pour cela que j'ai essayé de l'avertir, quand il a commencé à fréquenter cette société secrète, les seigneurs des dragons, continue Gaius. "J'ai craint pour sa vie plus que je ne m'étais jamais inquiété pour lui. Mais il ne m'a pas écouté. Il était si enthousiaste, si passionné, si enivré par les idées nouvelles et dangereuses que ces gens prônaient. Je savais que ça ne pouvait que mal se terminer."

Son regard las croise celui du roi.

- Une contrée gouvernée par des roturiers sans éducation, c'était une utopie. Ça ne pouvait que mener à une autre guerre civile et nous sortions à peine de la Grande Purge. Quelqu'un finirait par prendre le pouvoir et Camelot risquait de tomber entre les mains de n'importe quel aventurier charismatique assoiffé de richesses et d'honneur. Nous n'aurions fait qu'un tour complet ridicule.

Arthur fronce les sourcils et Gaius laisse échapper un amer petit rire de gorge.

- Votre père était un bon roi, Sire. Lorsqu'il a pris Camelot, il a prouvé qu'il y avait plus en lui que l'avidité d'un seigneur de guerre. A l'époque, il était jeune et il prenait soin de son peuple. Il était sévère, mais juste. Il représentait un espoir pour ce pays. Je voulais croire en lui.

Dans la cheminée, le feu est en train de s'éteindre. L'humidité colle sa bouche froide à la fenêtre.

- Je suis allé voir Uther, je lui ai parlé des seigneurs des dragons… j'ai fait en sorte que l'on découvre que le fils de Lord Aredian était l'un d'eux et le roi en a fait un exemple, il l'a pendu. Ça ne les a pas empêchés de continuer leurs réunions et de rassembler davantage de partisans. Alors j'ai… j'ai trahi mon fils. Je me suis intéressé à lui, j'ai appris où ils se rencontreraient la fois suivante et je l'ai dit au roi.

Arthur écoute en retenant son souffle. Le vieil homme évite son regard, triturant un pli de ses robes.

- J'ai essayé d'empêcher Balinor de s'y rendre. Je ne voulais pas qu'il meurt… Mais le regard dans ses yeux, Sire… j'espère que vous n'aurez jamais à croiser un regard comme celui-ci…

Il réprime un frisson.

- Il a dit… il a dit qu'il mourrait avec ses frères si cela était sa destinée. Il a été arrêté avec eux et Uther les a tous fait exécuter… sauf lui. Il l'a banni, par amitié pour moi. Ce n'était pas très longtemps après que vous soyez né, Arthur. Je suppose qu'il n'a pas voulu que je vois mourir mon fils. Nous étions… en quelque sorte… autant que cela se pouvait malgré nos rangs… amis… j'aime à le croire, en tout cas.

Arthur baisse les yeux. Le vieil homme esquisse un geste d'excuse.

- Il n'était pas comme vous l'avez connu à la fin de son règne, obsédé par les menaces de sorcellerie et de rébellion, prompt à brûler au bûcher quiconque le contredisait. Ce sont les années, le pouvoir, la solitude du trône, de mauvais conseillers, la perte de la reine Ygraine et son impuissance à réparer ses erreurs qui l'ont rendu comme cela. Il était seul.

Les yeux de Gaius s'embuent et sa voix racle un peu.

- C'est pour cela que vous devez garder Merlin près de vous, Arthur, si vous ne voulez pas changer. Merlin sera toujours le même, il ne sera jamais attiré par le pouvoir ou les trésors…

Il sourit.

- Eh bien, je suppose qu'on peut lui faire oublier ses tâches de la journée avec quelques breloques brillantes ou un nouveau chaton.

Ils partagent un rire fragile, puis le vieux médecin redevient sérieux.

- Mais Merlin n'oubliera jamais à qui il est loyal. L'amour qu'il donne, son cœur, sont aussi purs que vrais. Il n'y a pas la moindre ombre de mensonge ou de tromperie en lui. Il sait ce que vous êtes et il vous aidera à garder le cap, aussi longtemps que vous vous rappellerez qu'il voit le rêve que vous et moi ne distinguons qu'à peine à travers les aléas de la vie.

Il se lève et s'approche du roi, se penche doucement pour le regarder dans les yeux.

- Sire… ne faites pas la même erreur que moi… vous avez perdu Lady Mithian, mais il vous reste Albion. Il vous reste Merlin pour montrer le chemin. Souvenez-vous des promesses que vous avez faites à la Table Ronde, cette nuit-là, il y a longtemps. Apprenez à connaître la petite fille, passez du temps avec elle. Ne laissez pas les chagrins de la vie vous faire couler. Voyez le monde que vous avez créé : il est beau et sincère comme un enfant. Il n'y a pas d'autre royaume comme celui que vous bâtissez. Le rêve de mon fils… ce rêve que j'ai brisé… vous en avez fait une réalité.

Arthur baisse la tête et contemple ses mains crispées.

- Si… si on le retrouve… si c'est encore possible…

- On le sauvera, Sire.

Les yeux bleus de lin se brouillent.

- Puissiez-vous dire vrai, Gaius…

Le vieil homme n'a pas le temps d'insister, parce qu'une cavalcade résonne dans la cour et que le roi se dresse aussitôt, oubliant ses doutes, ses peurs, son moment de faiblesse.

- Ils sont revenus !

 

oOoOoOo

 

Gwaine termine son rapport, les mains à plat sur la table, sa barbe et ses cheveux en désordre, les jambes frémissantes de repartir.

Perceval tient par le bras Daegal qui ose à peine renifler tant il est terrifié par le regard que le roi pose sur lui.

Gaius s'est effondré dans une chaise et Guenièvre est accrochée à son épaule, les joues ruisselantes de larmes silencieuses.

Sir Léon est debout, très droit, à côté d'Arthur.

- … et si Daegal les distrait, alors nous pourrons nous infiltrer par le sud et le délivrer, conclut Gwaine. "Dix hommes suffiront si nous attaquons cette nuit. La pleine lune ne sera que demain."

Ils ont fini par démêler l'écheveau et reconstituer les évènements.

Myror a abandonné son premier plan (la dague en plein cœur) au profit de l'arbalète quand il a su que quelqu'un avait surpris leur secret.

Dans sa rage, il a juré à Daegal que s'ils ne parvenaient pas à tuer le roi de Camelot et à ruiner les négociations, leurs vies ne vaudraient plus rien – apparemment, il s'agissait de la dernière chance que lui avait donnée Odin.

Il a drogué Merlin et ordonné à son jeune complice d'emmener le serviteur à la forteresse de Daobeth.

Daegal a obéi mais, dans l'espoir d'enrayer l'engrenage qui commençait lui répugner après trois jours passés en compagnie de l'innocente amitié de Merlin, il a porté aux gardes des geôles un vin mélangé avec l'un des puissants narcotiques que l'assassin avait en sa possession, et ouvert les grilles de Numéro Quatre en le chargeant de sauver le roi.

Lentement, très lentement, espérant que tout serait découvert et que d'une certaine façon il serait sauvé dans le processus, Daegal s'est mis en route vers Daobeth…

A sa grande horreur, au lieu que l'on enferme Merlin dans un cachot en attendant l'arrivée d'Odin – prévue pour le soir de pleine lune - leur maître a décidé de soutirer au serviteur un maximum d'informations et l'a soumis à la torture.

Incapable de supporter les cris et les sanglots du prisonnier, le garçon a fini par s'éloigner de la forteresse et c'est là que les chevaliers l'ont rencontré.

- Si seulement il avait dit à Numéro Quatre qu'il emmenait Merlin… siffle Gwaine.

- Le roi serait mort, probablement, complète Sir Léon avec un frisson glacé dans le dos.

- Pourquoi ? murmure Gaius. "Pourquoi ton maître a-t-il changé soudain ses plans ?"

- Il l'a… re-reconnu, bredouille Daegal. "Il semblait si… content."

Arthur tressaille comme s'il s'éveillait d'un rêve.

- Les hommes sont-ils prêts, Perceval ? demande-t-il d'une voix étrangement désincarnée.

- Oui, Sire.

- Alors partons.

Dans la cour d'honneur, à côté des chevaux, deux gardes tiennent par les bras Numéro Quatre. L'homme se débat quand ils passent à côté de lui, se dégage sans vraiment d'effort et tombe sur un genou aux pieds d'Arthur avant que quiconque n'ait pu faire un mouvement.

Le roi le regarde pendant un instant, puis il incline la tête.

Quelques minutes plus tard, à travers la bruine qui fait lever une brume blanche sur les collines, sept chevaliers vêtus de rouge, un ivrogne repenti, un ancien fermier, un prisonnier, un saltimbanque et un souverain galopent d'un même cœur à la rescousse d'un serviteur.

 

oOoOoOo

 

Gwaine s'accroupit en haut des escaliers et fait signe aux trois hommes derrière lui, puis son regard revient sur le profil taillé à la serpe de Numéro Quatre ramassé comme un loup prêt à bondir contre le mur d'en face, guettant les ombres qui dansent sur la courbe du mur qui descend dans les cachots.

Le signal d'Arthur ne devrait pas tarder.

Le jeune homme barbu essaie de calmer sa respiration qui cogne sous ses côtes : de tous les combats qu'il a menés, il n'y en a jamais eu de plus important, de plus crucial, qu'il n'était plus désireux de gagner.

Il est prêt à tout. Mourir, même s'il le faut.

Il ne veut même pas penser à ce que l'on a fait à Merlin.

"Il appelait "Arthur… Arthur… Gwaine…" et sanglotait parce que personne ne venait, que le bourreau continuait son office…" a raconté Daegal, submergé par la culpabilité.

Gwaine a l'impression que le monde devient vide et assourdissant quand il se risque à y penser… et ce n'est pas le moment.

Il va sauver Merlin.

Son ami.

Son premier ami.

Sa gorge se noue et il cligne des yeux pour dissiper toute émotion, se concentre de nouveau sur les bruits en bas, les voix, les cliquetis d'assiettes ou de chopes en étain.

En face de lui, Numéro Quatre roule ses épaules comme un carnassier en chasse. Ses lèvres se retroussent sur ses dents jaunes et inégales, ses yeux s'amincissent, ses muscles se tendent.

Il glisse la main dans sa chemise et en tire un sifflet d'os accroché à une cordelette.

Gwaine essuie sa paume moite sur sa cuisse et agrippe fermement la poignée de son épée. Il échange un coup d'œil avec ses hommes, puis croise le regard de celui qu'il a haï pendant plus d'un an.

Ensemble.

Laissant le reste de côté.

Pour sauver Merlin.

L'Ombre Blanche hoche la tête, comme si elle comprenait les mots inarticulés.

Le signal d'Arthur retentit hors du château, le jappement d'un renard suivi d'un hululement.

C'est le moment.

Derian porte le sifflet à ses lèvres et soudain la forteresse se remplit d'un cri de mort, le hurlement d'une âme déchaînée jaillie de l'enfer, tandis qu'ils se ruent dans l'escalier.

Les mercenaires ne sont pas nombreux, comme Dageal l'avait dit. Pris par surprise, ils ont à peine le temps d'attraper leurs armes que les chevaliers déferlent sur eux sans merci. Les plafonds maculés de suie s'effritent, les épées étincellent avec des grincements de métal, du sang, de la sueur, des râles se mêlent à la poussière et à l'odeur de la pluie.

Gwaine dévale les marches en alternant violentes bourrades, coups de pieds et tournoiements de sa lame. Il distingue à peine ses assaillants, se trouve dos à dos avec quelqu'un et jette un coup d'œil par-dessus son épaule tout en continuant de se battre.

Il y a presque quelque chose de risible dans le fait qu'il est le plus petit en taille parmi les chevaliers et qu'il se retrouve en paire avec Numéro Quatre qui est plus grand que Perceval.

Arthur et les autres font irruption par l'autre escalier et le vacarme, la mêlée, deviennent encore plus confus.

Gwaine cherche l'accès aux cellules qui sont au niveau d'en-dessous, aperçoit les clés pendues à un clou – puis Daegal qui s'est faufilé dans la bataille comme un rat et qui se hausse sur la pointe des pieds pour les attraper.

Il envoie bouler un mercenaire contre le mur, bondit pour rejoindre le gamin, le couvre pendant qu'il déverrouille le couloir, puis décoince la porte d'un bon coup d'épaule, se précipite dans le couloir qui sent le renfermé et la vase.

Derrière eux, les bruits de bataille diminuent, puis des bottes se pressent à leur suite.

- Il est là ! explique Daegal en s'arrêtant devant une porte et en s'agrippant aux petits barreaux de l'ouverture dans le battant.

Gwaine fait presque un vol plané quand Arthur le pousse pour ouvrir.

Ils se ruent dans la cellule…

… et se figent, pétrifiés d'horreur.

 

oOoOoOo

 

Perceval se répète le compte-rendu pour la énième fois et ça n'a pas plus de sens que cela en a eu lorsqu'ils étaient dans l'action. En plus, il n'est pas certain de réussir à se rappeler de toutes les tournures de phrase d'ici qu'ils rentrent. Sir Léon va s'arracher les cheveux, mais Gwaine ne rédigera jamais ce rapport, alors il faut bien que quelqu'un le fasse.

Et penser à quelque chose d'aussi compliqué et d'aussi précis aide, en fait.

 

"Lorsque Sir Gwaine & Sa Majesté sonst revenus de la cellule avecq Merlin, nous avions sous controsle l'intégralité des bandits.

Derian/Numéro IV a faist preuve de discipline & de courage lors de cette mission, se montrant digne de la confiance que le Roy Arthur Nostre Souverain lui a accordée. De par mon humble avis, son pardon doist estre considéré.

C'est grasce à lui que nous n'avons pas esté pris par surprise par l'arrivée de l'homme cqui avaist commandité ces actions impardonnables envers Camelot.

Nous avons esté stupéfaists de découvrir cque Lord Aredian, félon autrefois banni par Son Altesse Uther Pendragon, s'estait acquocquiné avecq le Roy Odin.

Nous savons par le témoignage de Daegal le saltimbanque cque c'est ce seigneur de malefoy qui a faist torturer Merlin en le reconnaistant pour le pupille de Maistre Gaius qu'il haist depuis for long temps.

Lord Aredian a esté transpercé d'estoc par Numéro IV alorcqu'il commandait à ses hommes de s'en prendre à la vie de Sa Majesté.

Nous sommes sortis saufs de la forteresse en ruines de Daobeth & avons laissé V de nos compagnons pourqu'en surveillent les abords en attendant la venue à la pleine lune du Roy Odin & cque des forces plus nombreuses ne viennent en retirer les prisonniers faists lors de ce combat."

 

Les mots ne traduisent pas ce qu'ils ont vécu.

L'adrénaline bouillonnante dans leurs veines et le choc froid qui les a presque tués en découvrant le corps frêle et brisé de Merlin pendu par les poignets dans la cellule.

Le hurlement d'animal blessé poussé par Gwaine.

Le rire froid de l'homme aux sourcils pisseux et au nez pointu quand ses hommes ont dévalé les marches, pointant leurs arbalètes sur Arthur qui portait Merlin enveloppé dans sa cape.

Numéro Quatre qui a bondi comme un loup enragé et tranché le crâne de Lord Aredian d'un seul coup d'épée.

Les éclaboussures de sang qui ont giclé partout, sur tous.

La remontée des cachots, les ordres jetés par Arthur dont les yeux semblaient fous, les hommes qui se dispersaient dans la nuit.

Les chevaux poussés à perdre la raison jusqu'à l'aube.

Et soudain le cri de douleur étranglé qui s'est échappé du paquet de laine écarlate qu'Arthur tenait contre lui.

Le matin était sombre comme si la nuit ne s'était pas tout à fait enfuie sous les nuages.

Ils se sont arrêtés, ont formé un cercle. Ils sont encore si loin de Camelot, mais ils ne peuvent plus continuer maintenant que Merlin a repris conscience.

Sir Elyan s'occupe d'allumer le feu pendant que son cousin est allé chercher du bois. Perceval est assis à côté de Daegal qui claque des dents autant de peur rétrospective et de culpabilité que de froid. Il s'est mis à rédiger mentalement son rapport pour oublier la vision du corps de Merlin pendant qu'il lavait ses blessures.

Numéro Quatre est allé chercher de l'eau et a préparé des bandes, le miel et les autres fournitures médicales de base que Gaius leur avait données pour qu'ils puissent parer au plus urgent.

Arthur et Gwaine n'ont servi strictement à rien.

Merlin n'était pas vraiment conscient, seulement perdu dans un brouillard de douleur et de terreur, et se tordait sur le sol alors que les sensations revenaient, comme des milliers d'aiguilles chauffées à blanc. Son torse est couvert de marques de brûlures à vif, on sent au moins quatre côtes cassées sous la peau d'un jaune violacé. Il avait aussi une épaule démise et Numéro Quatre a réparé au moins ça, provoquant un cri de douleur aigu qui a fait blanchir tous les hommes présents.

Mais le pire, c'est son genou gauche dont la vue a envoyé Gwaine dans les buissons pour y vomir.

Arthur n'a pas cillé pendant que les deux géants fabriquaient une attelle de fortune pour immobiliser l'os broyé, profitant de ce que Merlin s'était évanoui. Mais Perceval pense qu'en fait le roi n'a pas bougé parce qu'il n'en avait tout simplement pas la force.

Daegal est allé enterrer les vêtements souillés et déchirés du blessé et a sans doute considéré ne jamais revenir, vu le temps que ça lui a pris. Il a finalement titubé de nouveau dans le cercle éclairé par le feu, s'est laissé tomber sur le tronc d'arbre où Perceval l'a rejoint après avoir baigné le corps frêle du serviteur en faisant attention de ne pas presser sur ses nombreuses ecchymoses. Numéro Quatre a appliqué les cataplasmes et bandé les plaies, rhabillé Merlin avec autant de soin que s'il s'agissait d'un nourrisson. Puis il s'est assis un peu à l'écart et a nettoyé gravement son épée.

Sir Elyan avait fait à manger mais personne n'a réussi à avaler plus de quelques bouchées.

Gwaine a disparu dans la forêt à son tour et n'est pas encore revenu.

Au-dessus d'eux, les nuages s'enroulent en volutes sombres. Les oiseaux volent bas, en flèches noires et rapides.

Ce doit être à peine le milieu de la journée, et pourtant on dirait que c'est le soir.

Arthur est toujours à la même place, à côté du tas de couvertures dans lequel est bordé son serviteur inconscient.

Il faut qu'ils reprennent la route, qu'ils se hâtent vers Camelot.

Il faut…

Les mots se mélangent dans son cerveau comme des cheveux dans du gruau.

Peut-être que tout ceci n'est qu'un cauchemar.

Peut-être que s'il ferme les yeux très fort et prie et compte jusqu'à dix… il sera de retour à la même époque l'année dernière…

Les couvertures remuent faiblement et un poignet tuméfié glisse dans l'herbe.

Ça ne peut pas être la main de Merlin, pas ces espèces de saucisses pourpres craquelées – ses doigts sont longs et fins et outrageusement blancs pour un homme habitué à de rudes travaux.

Arthur tend machinalement le bras pour refourrer la main sous la couverture, mais le bout des doigts tremblent quand il les touche.

- Ar't'r…

La voix de son serviteur est rauque, aussi faible qu'un souffle. Le roi se rapproche et se penche.

- Je suis là, Merlin, murmure-t-il.

Les cils frémissent, il aperçoit un éclair de bleu, puis les iris brillants de fièvre le trouvent, semblent le distinguer.

Un sursaut secoue le jeune homme blessé, comme s'il essayait de s'élancer vers le roi et quelque chose se brise à l'intérieur d'Arthur à ce mouvement spontané, instinctif.

Je t'ai trahi.

Je t'ai abandonné.

Je les ai laissés te faire ça.

J'ai failli à mes promesses, j'ai échoué, je ne suis celui que tu croyais que j'étais.

J'ai menti.

Depuis le début, je mens. A moi-même, à mon pays, à toi.

Merlin s'agite dans les couvertures, gémit et bredouille en refermant les yeux. Sa main n'arrive pas à se soulever, mais elle continue de chercher.

Arthur hésite.

Puis la prend dans la sienne, la serre très doucement pour ne pas lui faire mal.

- Merlin ?

Il doit se pencher pour entendre ce que balbutie son serviteur.

- Ne l-l-les laissez pas m-me p-p-prendre…

- Je ne les laisserai pas faire. Je te le promets, chuchote le roi en se décalant pour se rapprocher maladroitement.

Il était seul.

Si terriblement seul et démuni.

Merlin glisse presque inconsciemment vers lui, cherchant sa présence comme un petit chat le flanc de sa mère.

- Ils v-v-voulaient s-savoir v-v-vos s-sec-rets…

Il ouvre de nouveau ses yeux bleus effrayés et ce regard qui le supplie encore venir à son secours transperce l'âme d'Arthur.

- J'… je l-leur ai d-d-dit… ri-en ne d-doit s-sortir… de la s-s-alle d-d-du c-conseil…

Le roi sait qu'il a été extrêmement clair à ce sujet.

- C'est ce qu'il fallait répondre, dit-il en essayant d'imprimer sa fierté dans son ton et en échouant lamentablement. "Tu as été extrêmement brave. Ils devaient être furieux."

Les mots sont à peine sortis de sa bouche qu'il voudrait se gifler.

- Ils… ét-taient… m-m-méchants…

Un sanglot.

De peur, de douleur, d'incompréhension.

Si pathétique.

Merlin se blottit plus près encore d'Arthur, comme s'il cherchait à se cacher dans les plis de son manteau de vermeil.

- Je… n'ai ri-en… d-d-dit… p-p-pro-mis…

- Je sais, murmure le roi. "Je sais. Chuuuut… c'est fini, maintenant. Tu es en sécurité. Dors, maintenant."

Merlin obéit docilement.

Comme il frissonne dans son sommeil et que le dos d'Arthur commence à lui faire mal à force de se tenir dans cette position, le roi finit par s'allonger sur une couverture à côté de lui et étend son bras au-dessus de la tête de son serviteur dont il tient toujours la main. Il ferme les yeux et s'autorise à somnoler un peu.

Gwaine est revenu et s'est assis par terre, le dos contre le tronc d'arbre. Il les observe, silencieux et tendu comme s'il ne savait plus rire.

Perceval dort avec ses bras croisés sur la poitrine, ronflant légèrement. Sir Elyan veille pendant que son cousin fait un somme. Daegal a complètement sombré, à moitié effondré sur le tronc.

De l'autre côté du feu, Numéro Quatre semble aussi faire une sieste, son épée appuyée contre l'épaule, assis en tailleur.

Arthur roule sur le côté dans son sommeil et sa main lâche celle de son serviteur.

Le jeune homme gémit et tâtonne à la recherche de cette protection.

- Je suis là, bredouille le roi en l'enveloppant de son autre bras sans même ouvrir un œil.

Merlin se niche contre la veste matelassée, respirant l'odeur familière, enfouit son visage meurtri dans cette chaleur rassurante, tout contre le cœur qui bat lentement, fort et vaillant comme celui d'un lion.

Une heure passe. Peut-être deux. Le temps ne compte plus. Ils sont trop épuisés pour penser à ceux qui les attendent anxieusement.

Arthur se réveille en entendant des sanglots et croit que c'est un rêve, au début. Puis il soulève une paupière et comprend que c'est Merlin, agrippé à lui comme s'il avait peur qu'il disparaisse.

- J-j-j'ai m-m-mal…

Il ne pleure pas très fort, comme s'il se retenait, et Arthur serre cette tête fragile contre son épaule, caresse la masse de cheveux noirs en désordre, murmure des mots apaisants contre ce front brûlant de fièvre.

- Je c-c-croyais q-q-que v-vous ne v-vien-dri-ez j-j-jamais… v-vous a-a-avez dit… q-q-que vous ne v-v-vouliez p-plus me… v-voir…

- Chut… souffle le roi. "Je suis désolé. Je suis tellement désolé, Merlin…"

Ses épaules tremblent tandis que tombent les dernières barrières de tout ce qu'il a refoulé pendant ces derniers mois. Tout ce qu'il a perdu et tout ce qu'il aurait pu perdre. Ce qu'il possède et qu'il ignorait. Ce qui était un cadeau et qu'il prenait pour un dû.

 

"Quel est ton nom ?"

"Idiot."

"Non, ton vrai nom."

"Merlin."

 

"Il ne veut pas de moi…"

"C'est faux ! Il a juste été pris par surprise."

 

"Comment pourrais-je être un bon roi ? J'aurais dû les sauver…"

"Ce n'est pas votre faute… je suis là… je ne vous laisserai plus seul…"

 

"Vous n'avez pas peur ?"

"Oh si, j'ai peur, Merlin. Peut-être même plus que toi…"

 

"Le devoir d'un roi, je ne sais pas. Mais mon devoir, je le connais. Je resterai à vos côtés, toujours, pour vous protéger."

 

"Vous avez oublié !"

"Pourquoi devrais-je me soucier de toi ? Tu n'es rien."

 

Il sent les larmes lui brûler les yeux et déborder sur ses joues et il ne devrait pas être en train de chialer comme une fille, bon sang, il est le roi de Camelot, c'est le milieu de la journée et il…

- Ar'th'ur…

Il a dû mal à y voir, même en essuyant vivement son visage du revers de sa manche.

Les yeux bleus de son serviteur se sont rouverts et malgré la douleur inscrite comme une grimace sur son visage anguleux, une profonde tendresse habille ses traits si enfantins et si adultes à la fois.

- C'est p-p-pas grave, dit Merlin. "On a le d-d-droit de p-p-pleurer…"

Arthur lâche un petit rire qui ressemble à un sanglot et c'est son tour d'enfouir son visage contre l'épaule maigre de son plus vieil ami, de son jeune frère, pour y cacher sa peine et sa douleur.

 

"Vous avez perdu quelque chose ?"

… Oui. C'est toi que j'avais perdu.

 

Il finit par sombrer dans un sommeil agité, mais ses bras ne lâchent pas le corps fragile, brisé, qu'il est allé retirer de l'enfer.

Personne n'a bougé autour du feu.

Tout est bien.

Le cauchemar est fini.

Sous les nuages se glisse une lueur d'or comme si l'aube arrivait enfin, en retard mais fidèle.

 

 

A SUIVRE...

 

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