SPARROW - Le Monocle de Clairvoyance

Chapitre 15 : Le Lion de Mer

Chapitre final

9097 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 03/03/2024 19:02

Une semaine auparavant…

    Au petit matin d’un lendemain de tempête, sur Nassau, un couple de boulanger a été tabassé sur la place publique. Ce fut une surprise pour les insulaires, personne ne s’attendait à voit cette petite famille sans ennuie subir un tel acte de barbarie. Pedro Noriega a revendiqué publiquement ce passage à tabac. Il prétextait que Bellamy Lingard, le cadet du couple, aurait cambriolé sa boutique dans la nuit (omettant de mentionner la tenue de sa vente aux enchères clandestine). Dès l’aube, l’antiquaire a débarqué dans la fabrique à pain des Lingard. Celle-ci était en train de se faire piller par une bande d’orphelins affamés. Andrew, Gloria, et leur fille Emma, tentaient de canaliser ces petits diables, sans se douter du sort qui les attendaient. Pedro Noriega n’était pas seul, il était accompagné de deux mercenaires qu’il avait grassement payé au préalable. Ces deux gaillards ont eu du mal à venir à bout de la montagne de muscles qu’est Andrew, mais ils ont fini par le soumettre. Ensuite est venu le tour de sa femme, et de sa fille.


    La famille a subi un châtiment terrible, battus chacun leur tour à la masse. Ils ont été sauvagement esquintés, Gloria ne pourra sans doute plus jamais marcher. S’ils voulaient mettre un terme au supplice, ils devaient dévoiler les plans de leur fils à Pedro Noriega. Ignorants totalement de quoi l’antiquaire parlait, ils n’ont jamais pu décocher le moindre mot, si ce n’est pardon. Pardon au nom de leur fils. Finalement, Pedro en a eu marre. Il les a détachés et jetés à moitié morts dans leur boutique. Il a vidé le coffre familiale en guise de réparation. Quant à Emma, il l’a livrée à Stuart Owen pour se faire pardonner de l’organisation bancale de la vente. Si l’amiral a d’abord refusé, il a ensuite jugé qu’en cas de dernier recours, elle pourrait lui être utile. Après tout, il pensait les garçons complices de Morgan où de Suleyman, il n’a jamais imaginé cette traque gagnée d’avance. Quant à Pedro Noriega, il a décidé d’aller rendre visite à Javier Blanco, le père adoptif de Jack. Depuis, plus personne n’a revu l’antiquaire sur Nassau.

***

-       Emma ! Espèce de monstre, qu’est-ce que tu lui as fait ?! Pourquoi ?!

 

Bellamy hurle à s’en bruler les cordes vocales, mais sa sœur ne réagit pas. Aucune lueur de vie n’émane de ses yeux.

 

-       Parce que vous avez eu le culot de dérober quelque chose qui m’appartient ! Rends moi le Monocle de Clairvoyance sans faire d’histoire, merdeux, et je te rends ta trainée de sœur, répond Stuart, d’un calme glaçant.


    Il est en roue libre. L’amiral s’exprime comme le pire des pirates en présence de soldats de l’armée française, et devant des nobles très haut placés. S’il se croyait maître de la situation, il en est devenu esclave à la seconde où sa lame a ôté la vie de Suleyman Umar. Perdu pour perdu, l’obsession a pris le dessus sur la raison. Au diable son titre, il semble prêt à rentrer en guerre contre le monde entier pour récupérer la lunette.


    Bellamy, quant à lui, voit tout son monde s’écrouler. Il n’est pas bête, il comprends. Si sa sœur est là, ses parents doivent être mort. Tout ça à cause de lui. Pris d’ambition, il n’a pas mesuré les risques qu’il faisait courir à ses proches. Lui qui pensait les haïr, ressent une vague d’amour envers eux s’éprendre de tout son être.

-       Qu’est-ce que… qu’est-ce que j’ai fait, comment… murmure le Blond, en sanglot.

-    Tu demanderas des comptes à Noriega. Maintenant rends moi le Monocle sans faire d’histoires.

-       Noriega ? s’étonne Jack.

-       Et oui, Jack Sparrow. C’est moi qui ait remporté le Monocle lors de la vente aux enchères de Pedro Noriega.

-       Mais comment Noriega a-t-il pu faire ça à Emma ? C’est un pleutre, il ne ferait pas de mal à une…

-       L’argent, béjaune. Tout est une question d’or et d’argent sur les mers, tu ne l’as pas encore compris, toi qui te vante d’être un pirate ? Une seule pièce peut suffire à noircir le cœur d’un homme. Noriega a dû payer quelques brigands de ton espèce pour se débarrasser de la petite famille de ton copain. Cette petite conne là, c’est un cadeau qu’il m’a fait.


    Bellamy s’en veut. S’il en avait le courage, il arracherait sa petite lame à Jack pour se trancher la gorge avec. Il se lamente d’avoir cru qu’il était possible d’échapper aux conséquences de ses actes. Le monde est méchant, cruel, impitoyable. Il est pris d’un sentiment de rage profond, accentué par son impuissance.


-       T’en fais pas, on va s’occuper de lui ! dit Jack, le poing serré.

-       Non. On ne s’occupe de rien ni de personne, idiot ! crie Bellamy, le visage décomposé. Rends lui. Rends lui ce putain de Monocle qu’on en finisse, s’il te plaît.

-       Et puis quoi encore ?! C’est un piège, on perd du temps ! Si on lui rend, ils vont nous arrêter, on doit récupérer Emma, et après…

    Jack s’arrête net. Il est choqué par le regard que lui lance son ami. Depuis une dizaine d’années qu’ils se connaissent, il n’a jamais vu la moindre once de haine l’habiter. Mais le regard qu’il lui porte en ce moment, en déborde abondement. Il a les yeux gorgés de larmes, mais il n’a pas l’air de pleurer. Il est éteint, dépourvu de lumière.

-       Fuis, Jack. Dégage. Vous aussi, dégagez.

    Rubin compatit, et comprends. Il sait très bien quel choix celui-ci vient de faire. Le Blond choisis de se rendre pour rester aux côtés d’Emma. Si ils se re lancent dans le combat, ils mourront tous, ou seront arrêtés. S’il force Jack à livrer le monocle, ils perdront un temps fou, et la fuite ne sera plus envisageable. C’est pour ça que Bellamy a choisi de se rendre aux autorités française, comme complice du Gourou. C’est là le seul moyen pour faire de la mission de libération une réussite, ainsi que pour sauver la vie de sa sœur. Charlemagne aussi semble avoir compris, et tape une dernière fois l’épaule de Bellamy. Seul Jack ne comprends rien.


-       Pourquoi t’as l’air énervé contre moi ? Tu sais très bien que même si je te donne le Monocle, ils vont nous arrêter et…

-       Tu as hésité. Si tu as hésité, c’est parce que ce Monocle est devenu maître de toi. Tu as hésité… alors que la vie de ma sœur est en jeu. Fonce, devient le seigneur des pirates et crève ainsi, Jack Sparrow. C’est moi qui ai le monocle, j’arrive.


    Bellamy tourne le dos à son capitaine, et se dirige vers l’amiral. Jack est sidéré, mais Rubin l’attrape par le bras et le force à fuir avec eux.


-       Sage décision, gamin, reconnait Stuart.


    Le Blond s’avance, sans émotions. Tous les soldats restés sur place le regardent avec admiration. Comment un gosse comme lui peut s’avancer fièrement vers ce démon en le fusillant du regard, sans même cligner des yeux ? Aucun d’entre eux n’ose agir, ils sont fatigués et meurtris. De toute manière, les renforts ne devraient plus tarder. En voyant Jack s’enfuir, Harvey Cole s’agace et peste contre Stuart.


-       Vous le laissez vraiment s’enfuir la ? On avait un marché vous et moi, Jack Sparrow est à moi ! Alors maintenant on va…


    Sans alerte, Stuart décapite Harvey d’un coup de lame. Le sang gicle en abondance sur Emma, qui s’écroule au sol en même temps que le corps du désosseur. L’amiral se contente d’inspirer tranquillement, et continue de fixer le Blond qui se dirige vers lui. La stupeur s’empare du public. Quelques cris de terreur se font entendre, tandis que plus personne ne sait comment se positionner. Est-ce vraiment Stuart Owen qui se tient là ? A-t-il perdu la raison, ou agit-il au nom du bien ? Une seule personne ne semble pas prêter d’attention aux agissement de Stuart, c’est Bellamy. Il continue d’avancer à la même allure, sans détourner son regard de celui de la Tombe.


-       Allez, arrêtes de faire le dur. Tu as voulu jouer dans une cour qui n’est pas la tienne, regardes toi…


    Bellamy ne semble même pas l’entendre, il ne vacille pas. Il se tient maintenant à moins d’un mètre de lui


-       Promettez-vous de libérer ma sœur, si je vous rend le Monocle ?

-       Qu’est-ce que tu crois ? J’en ai rien à faire de ta sœur.


    Stuart n’est pas sur ses gardes, il ne se sent nullement menacé par ce petit blondinet légèrement enrobé à la mine froussarde. Bellamy fouille dans sa poche, l’amiral jubile. Mais le jeune pirate ne sort pas de monocle, il sort un tout petit poignard. Il se jette sur Stuart, et lui transperce l’œil gauche. Il a dérobé ce couteau dans la poche de Jack avant qu’il ne s’enfuie. Stuart vocifère de douleur, tandis que Bellamy essaie de lui percer l’autre œil. Tant pis, s’il doit être arrêté pour complicité du Gourou, autant que l’homme qui a mis sa sœur à l’article de la mort en paye le prix de sa main. Le rendre aveugle, c’est rendre son ambition de s’emparer du Monocle totalement vaine. Les soldats ne bougent pas, ils jubilent. Ils sont agréablement étonnés de la fougue du gamin, eux qui sont terrorisés par le comportement de l’amiral. Mais l’effet de surprise n’est plus. Stuart, même avec un œil et un doigt en moins, maitrise facilement le Blond. Il lui casse le bras droit d’une simple clef, et lui envoie un coup de poing de toute sa force en pleine mâchoire. Bellamy perd trois dents et sa lèvre inférieure se fend en deux. Il s’écroule juste à côté de sa sœur. Stuart est fou de rage de s’être fait avoir, il martèle Bellamy de coups de pieds dans les côtes. Quelques soldats s’avancent, mais ils se stoppent net, intimidés par les cris de l’amiral.


-       Si y’en a de vous qui fait un pas de plus, je lui arrache la colonne vertébrale pour étrangler son voisin avec, est-ce que je me fais bien entendre ? Je suis Stuart Owen, je viens de mettre à mort le Nègre Blanc, complice du gourou, et Harvey Cole, pirate recherché mort ou vif ! Que l’un d’entre vous ose bouger un orteil si il ose !


    Personne ne réponds. Une salve de bruits de pas se fait entendre. Les renforts arrivent enfin, mais Stuart n’est pas perturbé.


-       Il est où le Monocle, petite merde, hein 

?! Il est où ?! braille Stuart tel un chien enragé.

-       Je…je…je l’ai pas, ton Monocle… à la con. Toi aussi… crève en enfer, gémit le blond, presque inconscient.


    Bellamy tend son bras gauche, et attrape la main de sa sœur. Elle ne réagit pas, mais lui, se sent soulagé. Il sait qu’il va mourir, mais au moins, il sera mort dignement. De toute façon, c’est tout ce qu’il mérite, il doit rejoindre ses parents dans l’au-delà pour pouvoir s’excuser de vive voix. Quant à Stuart, il est en train de réaliser qu’il s’est fait rouler une dernière fois, et qu’il ne mettra surement jamais la main sur le monocle. Une fois la colère redescendue, il se rend compte qu’un bataillon entier est entrain de débouler sur le port. Ces hommes sont frais, ils ne se laisseront pas intimider.


-       Alors c’est fini… autant te liquider toi aussi.


   Il pointe son épée vers la tête de Bellamy et s’apprête à lui enfoncer dans le crâne. Mais il est dérangé par un cri très aigue, qui se rapproche très rapidement. C’est un cri de jeune garçon, qui ressemble à un cri de peur. Ce cri vient d’en haut. En levant la tête, il distingue une silhouette accrochée à la corde d’une grue qui fonce vers lui à la vitesse d’une balle. Sans avoir le temps de comprendre à quel genre d’oiseau il a affaire, il reçoit deux pieds joints dans le ventre, appuyés par l’élan d’une chute libre d’environ dix mètres. Il est projeté en arrière, sa vision se floute en même temps que son souffle se coupe. En reprenant ses esprits, il voit la corde se balancer à vide au-dessus de la grande estrade, pour retourner vers la grue à laquelle elle était suspendue. En face de lui, un jeune garçon brun, svelte, aux longs cheveux sales, surplombés par un bandana rouge délavé, se tient debout.


-       Vous ne pensiez par que le capitaine Jack Sparrow vous laisserait tabasser à mort son fidèle second sans rien faire ?


    Après avoir pris la fuite, Jack s’est fait sermonner par Rubin, qui lui a expliqué à quel point il avait déçu son ami. Il lui a fait comprendre la valeur qu’avait la vie d’un proche, lui qui venait de perdre son frère. Bellamy a toujours été fidèle envers Jack. Il l’a toujours suivi dans toutes ses conneries. Il ne pouvait lui laisser payer le prix seul, bien qu’il mourrait d’envie de s’échapper. Il a alors abandonné son petit groupe sans prévenir. Fasciné par la vue du Gourou volant dans les cieux de la ville, il s’est précipité vers la grue la plus proche du port. Il l’a escaladé, s’est accroché à une corde qu’il a estimé solide, a visualisé sa chute, a prié un grand coup, et s’est lancé dans le vide. En se balançant un bon coup, et en se laissant glisser au bout de la corde, il a réussi à arriver en plein sur sa cible, malgré une maitrise pitoyable comparée à celle de Rubin. Toute la peau de l’intérieur de ses mains est brulée par la friction avec la corde. Tous ses musclent se plaignent. Sa tête tourne, mais Jack reste debout.


-       T’as du cran, Jack Sparrow ! C’est toi qui va crever en premier !


   Stuart déborde de folie. Il se lance sur le moineau, qui l’attend sans bouger. Les forces armées veulent intervenir, mais ils voient l’amiral s’arrêter net devant le garçon. Il ne bouge plus, comme si il avait été pétrifié. Les deux opposants restent immobiles quelques secondes seulement, mais les soldats remarquent que le gamin porte un monocle, calé entre la pommette et l’arcade sourcilière.


    L’idée de Jack était de faire en sorte que Stuart se jette sur lui. Cette opposition le forcerait à plonger dans son regard, à travers le verre du monocle. C’est chose faite. Malheureusement, la force mentale de Stuart est largement supérieure à la sienne. De plus, celui-ci a déjà été aspiré par le monocle par Pedro Noriega lors de la vente aux enchères. Ce jour-là, il s’est senti absorbé par quelque chose, mais il a aussi senti l’aura de celui qui l’absorbait. Il est préparé à l’affrontement mental. Il arrive à reprendre ses moyens, et à expulser Jack se sa tête d’un effort intérieur monstrueux. Le verre de la lunette se fissure, et Jack tombe au sol. Le Moineau est à genoux, exténué. Il espérait gagner assez de temps pour que les soldats interviennent, mais il n’a pas pu. Il se retrouve à la portée de l’amiral. Il voulait aussi trouver une faille en s’immisçant dans l’esprit de la Tombe, mais il n’en fut rien. En revanche, il a pu voir ce que Stuart Owen désire le plus au monde, et cette révélation l’a chamboulé. Impuissant, il regarde l’amiral l’attaquer. Contre toute attente, il ressent de l’empathie pour lui.


-       Mais je ne comprends pas…

-       Ferme ta gueule !

    Stuart gifle Jack de toute ses forces. Le Moineau est au tapis, et a lâché le monocle. Ca y’est. Pour la première fois de sa vie, Stuart Owen tient dans ses mains le Monocle de Clairvoyance, que Jack Sparrow lui a livré sur un plateau d’argent. Peu importe si il doit égorger un à un tous les soldats français. Peu importe quel obstacle pourra encore se dresser sur sa route, il compte bien s’échapper d’ici.


    Fendant le vent, un bâillement titanesque gronde sur le port. Un bâillement si puissant, que le temps semble s’arrêter. A l’écart du « champ de bataille », les nobles et les marchands sont toujours regroupés. Ils sont traumatisés, certains se sont même évanouis. D’un coup, tous les regards se tournent vers eux, car la secousse provoquée par cet étrange bâillement provient de leur groupe. Eux-aussi se cherchent du regard, aucun d’entre eux ne pense l’un de ses pairs capable de bailler si fort. C’est alors qu’un homme assis parmi eux se lève, et baille à nouveau. Il n’a l’air ni d’un marchand, ni d’un noble. « Quand est-ce qu’il est arrivé là lui ? ». « Une bête comme ça, on l’aurait remarqué quand même ! », se disent les riches exploitants qui ne se sont pas rendu compte qu’un intrus les avait rejoints. La bête s’étire. Les craquements de ses os sont si forts qu’ils provoquent des frissons aux hommes à ses côtés. Il s’essuie des larmes de fatigue, et prend la parole.


-       Commodore Owen, quelle tristesse…

-       Qu’est-ce que diable tu fais ici…


    Stuart n’a pas le temps de finir sa phrase. La bête, bien que physiquement très impressionnante, n’a pas l’air en forme. Il est sale, bourré, boudiné, et fatigué. Cependant, il bondit en direction de l’amiral. Tous les soldats sont abasourdis de le voir se mouvoir à une telle vitesse. Il arme un coup de poing qui a l’air dévastateur, et tente de l’asséner à Stuart. Stuart l’esquive bien difficilement en reculant de quelques mètres, il en lâche même son épée. L’amiral a le cœur qui bat la chamade. Il transpire à grosses gouttes, son regard est fuyant, et ses genoux tressautent.


-       Tu m’as suivi, c’est ça ? Alors depuis le début c’était toi leur complice ! J’aurais dû m’en douter, goujat … qu’est-ce que tu attends au juste ? Hein ? Tu n’as pas le droit de lever la main sur moi, tu sais très bien ce qu’il pourrait t’en couter !

    Stuart débite avec une animosité très prononcée, probablement pour évacuer un sentiment de peur.

-       Décidément, tu ne comprends vraiment rien… répond la bête, consterné. Messieurs ! Si quelqu’un veut s’opposer au fait que je dévisse la tête des épaules de cet homme, alors qu’il se prononce ! somme-t-il aux soldats français

 

    Malgré la trentaine d’hommes sur place, aucun n’ose prendre la parole. Cette bête sauvage a peut-être l’aire pouilleuse, elle dégage un charisme écrasant. Aucun des soldats n’ose lever son fusil. Seul l’un d’entre eux, a l’air plus brave et à la poitrine décorée, daigne s’avancer. Mais avant qu’il n’ait pu s’exprimer, Stuart est pris d’un énième fou rire à la sonorité diabolique et malaisante.

 

-       A quoi vous jouez, bande de lâches ?! Vous ne savez donc pas qui est cet homme ?!...

    Personne ne réagit. Seul la bête pousse un soupir de consternation.

-       … il s’agit de Morgan Peanut, aussi connu sous le nom du Lion de Mer ! Anciennement chef du tribunal de la confrérie, souverain des neufs seigneurs des mers, et de ce fait… le dernier Roi des Pirates que le monde ait connu !


    Silence mortuaire. Sur le port de Cul-De-Sac, on n’entend plus que le ricanement des mouettes, le craquement de la coque des navire amarrés, le cliquetis des fusil tremblotants, les jérémiades des blessés, ainsi que le rire insupportable de Stuart Owen . Personne ne connait Morgan Peanut, mais absolument tout le monde a déjà entendu parler du Lion de Mer, illustre Roi des Pirates, et capitaine du « Big Hut » (Grande Cabane) ! On raconte qu’il aurait établi une « croisade » tout autour du globe afin de soumettre les plus grands seigneur pirates des neuf mers, et d’imposer sa propre réécriture du codex. Ceux-ci l’auraient alors désigné Roi des Pirates à l’unanimité, une première dans l’histoire du tribunal de la confrérie (et une dernière, ceux-ci ne votant que pour eux-mêmes depuis). Mais si l’on ne parle de lui que comme d’une légende, c’est parce que les évènements autour de sa vie sont très flous. Aucune trace écrite n’atteste de son existence, aucun marin n’a jamais affirmé avoir croisé sa route, et les armées de tous les empires coloniaux affirment que l’on ne peut pas prouver qu’il ait réellement existé. Certaines personnes sont persuadés que toute les histoires à son propos sont bien réelles, d’autres réfutent cette idée. L’hypothèse la plus populaire à son sujet, est qu’il ait réellement existé un homme appelé « Lion de Mer », mais que les histoires que l’on raconte à son sujet sont exagérés. Il n’aurait pas fait le tour du monde, jamais soumis le moindre seigneur, et aurait été vaincu par la marine britannique. Une autre hypothèse appuie que le Lion de Mer a massacré tout son équipage dans un élan de folie ainsi que sa propre famille, et que depuis, il ère seul sur les mers en attendant qu’elles ne l’engloutisse. Peu importe ce que l’on peut en penser, tout le monde est d’accord pour dire que, moins on parle de cette légende, mieux on se porte. Une expression dit même « tabou comme la mort du Lion ». Elle ne fait pas référence au roi de la savane, mais bel et bien au supposé Roi des Pirates.

    Plus personne n’ose parler, bouger, ni même respirer. C’est une déclaration très audacieuse que vient de faire Stuart Owen. Quelques chuchotements se font entendre « C’est vraiment lui tu penses ? », « Il n’est pas mort ? », « On dit qu’il vogue seul sur les mers et que personne n’ose l’approcher », « J’ai toujours cru que c’était des cracks moi », « Je ne l’imaginais pas comme ça », « Il a perdu les pédales l’amiral, le Lion de Mer n’a jamais existé ». Tout le monde y va de sa théorie, mais personne n’ose s’interposer entre les deux hommes, même le soldat qui s’apprêtait à rétablir l’ordre s’est ravisé en entendant une telle déclaration.


-       Je te le répète, mais si tu bouges encore un doigt, on tombera ensemble, Peanut. Tu sais pertinemment qu’Archibald ne te laissera pas la moindre chance, dit Stuart, calmé.

-       Et si je neutralise l’un de ses amirales ayant trahis sa confiance, penses-tu que ton maître se montrera indulgent avec moi ? Hein ? Que va-t-il penser de son commodore…

-       Je n’ai pas de maître, et je suis un amiral, espèce de fils de pute !


    Stuart ne voit plus d’échappatoires, s’il y a bien une personne sur ces mers qui est en mesure de le vaincre, c’est bien le Lion de Mer. Les légendes qui affirment qu’il a bien existé ne tarissent pas d’éloges à son égard. On raconte que l’ancien Roi des Pirates pouvait battre un équipage entier à mains nues. Qu’il a été englouti par le Kraken, et qu’il en est revenu vivant dans sa ville natale quelque semaines plus tard. Et même qu’il est un ami proche de la déesse des mers, Calypso… Stuart ne sait pas démêler le vrai du faux à propos de ces légendes. En revanche, il sait que Morgan Peanut, l’homme qui se tient devant lui, est bel et bien le Lion de Mer… et qu’il n’a pas volé sa réputation. L’amiral n’a été confronté qu’une seule fois à cet homme, alors qu’il n’était encore qu’un jeune commodore. Ce qu’il a vu ce jour-là, jamais il ne pourra le chasser de sa mémoire.


    Stuart a peur, mais il compte sur le fait que Morgan a dû s’affaiblir depuis quinze ans, là ou lui est devenu bien plus fort… que nenni. Alors qu’il essaye de le surprendre en le frappant du gauche, Morgan ne bouge pas, il encaisse le coup en pleine mâchoire. Sa tête valdingue, sa lèvre se fend, mais ses pieds restent solidement en place. Il commence même à sourire. Il se craque la nuque, et encaisse un uppercut en plein menton. Sa mâchoire claque, une sensation froide remonte jusqu’autour de ses tempes, mais ses pieds ne bougent toujours pas. Il sourit encore plus.


-       Tu comptes te battre, enfoiré ? crie Stuart, humilié.

-       Non, je n’ai pas envie. Mais je suis forcé de reconnaître que ça fait du bien de se prendre des vrais coups !

-       Lâches ça, l’ancêtre, on va y passer tous les deux quand ces français auront retrouvé leurs roustons. Laisse-leur les gosses, reprends ta barque et casse-toi, on peut encore s’en sortir tous les deux, suggère l’amiral.

-       Tu as obtenu son titre, mais tu n’as rien pris d’August. Je suis déçu… le rejeton Windsor, je suis sûr que c’est lui, son digne successeur…


    Stuart se tend en entendant cette provocation, et envoie un troisième coup, toujours du gauche. Même si Morgan encaisse encore avec le sourire, les frappes l’ont bien touchées, Stuart ne pense pas qu’il tiendra bien longtemps comme ça… que nenni. Morgan encaisse encore, mais cette-fois, il riposte. Le Lion de Mer décoche un crochet du droit fulgurant qui vient fracturer net la mâchoire de l’amiral, qui s’écroule quelque pas au loin. Un coup. Il lui aura fallu un coup à Morgan pour terrasser Stuart.


-       Je m’en veux de le reconnaître mais… frapper aussi, ça m’avait manqué, murmure Morgan dans sa barbe.


    L’amiral essaie de se relever, mais Morgan lève sa jambe, et lui abat son pied sur la tête. Il maintient une forte pression sur son visage, on entend presque sa boîte crânienne se fissurer contre la pierre. C’est si fort, que ses gémissements de douleurs sont imperceptibles. En même temps, le soldat français aux nombreuses décorations finit par se détacher de son bataillon, et s’avance prudemment de Morgan. À son arrivée sur le port, il a été sidéré et heurté de le trouver dans cet état. Lui qui se battait au mieux contre les flammes qui embrasaient la tour d’argent avec ses hommes, fut grandement surpris de voir que le vrai incident se produisait sur le port. Nombreux des membres de son unité, en arrivant sur Cul- De-Sac, se sont éloignés pour aller vomir dans l’eau. Maintenant que les bruits de combat ont cessés, quelques passants audacieux tentent de venir voir ce qu’il se passe au marché d’esclaves. Les âmes sensibles ne le supportent pas. Certaines femmes de soldats se jettent tête baissée au milieu des corps, implorant dieu de ne pas trouver celui de leur mari. Le sang coule à flot, et ruisselle jusqu’à se déverser lentement dans la mer. C’est un massacre, une tragédie comme jamais cette île n’en a connu. C’est l’afflux de civils qui pousse ce soldat à agir, bien qu’il juge fou de s’interposer dans un duel entre la Tombe et le Lion de Mer.

-       Je suis le général Delacroix, représentant des forces de la couronne française sur Saint-Domingue, je vous ordonne de vous rendre immédiatement, somme-t-il.

 

    Il vise Morgan avec son pistolet, mais celui-ci ne lève pas les mains. Il se tourne vers le général en enlevant son pied du crâne de Stuart. En fouillant dans le pli de son tricorne, il en sort un papier froissé et roulé en boule. Il le jette au pied du général qui, méfiant, le ramasse lentement, sans quitter Morgan des yeux.

 

-       Je sais que ce n’est pas facile à lire mais, c’est un serment authentique, rédigé et signé par l’amiral en chef de la Compagnie des Indes britannique, Archibald Giggs en personne. Ce document stipule que je suis libre de vaquer à mes occupations comme je le souhaite, du tant que je ne commets aucun acte apparenté à de la piraterie. Je me porte aussi garant de mes deux fils adoptifs, Jack Sparrow et Bellamy Lingard, j’ai été irresponsable de les laisser me suivre sur Saint-Domingue. Moi qui voulais juste profiter du soleil en espérant déguster une poule au pot… enfin bon, messieurs, dit Morgan en se tournant vers les soldats français, avez-vous été témoin d’un quelconque acte de piraterie de ma part, ou de la part de l’un de ces deux pauvres gosses ?


    Le général Delacroix est sceptique, il reconnaît le sceau de Giggs, mais ne parvient pas à déchiffrer tout le contenu du papier. Quant à l’histoire autour des deux adolescents, il n’en croit pas un mot. Il jette donc un œil en direction de ses hommes, et tous attestent les dires de Morgan. Ce mensonge collectif est motivé par la terreur inspirée pas l’amiral Owen. Tous, ici présent, bénissent Morgan d’avoir mis fin à ce massacre.


-       C’est un menteur ! Un malin ! hurle Stuart.


    Il arrive à peine à articuler tant sa mâchoire a ramassée. Morgan sourit en regardant Stuart cracher une molaire.


-       Quant à cet homme, il s’est rangé du côté du Gourou, et a froidement assassiné Suleyman Umar, qui tentait de les arrêter, poursuit Morgan.


    Du regard, il cherche l’approbation des soldats. Ils acquiescent à l’unanimité. Le général Delacroix n’a d’autre choix que de se ranger du côté de ses hommes.

-       Très bien… vous êtes libre. Quittez Saint-Domingue et n’y remettez jamais les pieds. Il n’est même pas quatorze heure, et pourtant, cette journée est déjà bien trop longue… déguerpissez avant que je ne change d’avis, ordonne-t-il.


    Morgan fait un signe de tête en guise de reconnaissance. Il ramasse Jack et le cale sur une épaule. Il charge aussi Bellamy et Emma, un bras par chaque. Il enjambe les quelques corps inertes sur son passage, sans éprouver le moindre sentiment de dégout. Le Lion de Mer se dirige tranquillement vers son navire, avant d’être sauvagement interpellé par Stuart. Vaincu, l’amiral est encore en train de rire.


-      C’est ça ! Fuis, sombre enfant de putain ! Quand il sera au courant de ce qu’il s’est passé ici, le rejeton d’August aura soif d’en découdre ! 

-       Qu’il fasse ! Je suis déjà mort, mon commodore.

-       Je suis un amiral ! Un putain d’amiral ! Puisses-tu crever en enfer, Morgan Peanut !

 

***

Trois jours plus tard…


    Le bilan est tombé. Sur le port de Cul-De-Sac (point névralgique de la colonie française de Saint-Domingue), neuf soldats de la marine ont perdu la vie, ainsi que quatorze anciens esclaves affiliés à la milice du Gourou, et quatre esclaves censés être vendus le jour même. En outre, vingt-six autres esclaves du même lot ont été libérés, et demeurent introuvables. Le pirate Harvey Cole, connu sous le nom du Désosseur, a été décapité par l’amiral Stuart Owen. Recherché mort ou vif, son dossier est clos. Le négrier le plus influent et craint du Nouveau Monde, Suleyman Umar, dit le Nègre Blanc, a lui aussi été assassiné par l’amiral Stuart Owen. Le second de Suleyman Umar, Joao, est porté disparu. Le Gourou n’a pas été capturé, il est toujours activement recherché. Cependant, un nombre conséquent de témoins affirment qu’il est le fils d’un riche exploitant allemand, Henrik Schultz. En outre, une rumeur commence à secouer les Caraïbes, comme quoi le dernier Roi des Pirates connu, le Lion de Mer, se serait montré au grand jour sur Saint-Domingue. En parallèle de tout ça, l’histoire d’un jeune pirate qui aurait surgit du ciel pour mettre l’amiral Stuart Owen au tapis amuse toutes les tavernes de Saint-Domingue, et bien au-delà encore.


    « L’incident de Cul-De-Sac », comme disent certains, ou « Le miracle de Cul-De-Sac », comme disent d’autres. Deux écoles se disputent la pensée vis-à-vis de cet évènement. Ceux qui blâment l’acte du Gourou, et qui le condamne fermement. Ceux qui encense ce mouvement, et qui l’adulent. Peu importe. Tout ce qui est sûr, c’est que ses conséquences n’ont pas tardé à se faire sentir. De nombreux effectifs ont été recrutés pour ratisser la jungle de fond en comble. Ils n’ont rien trouvé, ni base, ni hommes. La tour d’argent a été banalisée par la couronne, des bureaux administratifs remplaceront les offices du Nègre Blanc. Quand les journaux ont relayé les informations, des soulèvements citoyens ont eu lieux. Pour la première fois depuis la naissance de la colonie, des travailleurs ont désertés leurs postes, pour protester sur le port contre le marché aux esclaves. Ils ont violement été chassés par l’armée. Le lendemain, ils sont revenus, encore chassés. Le lendemain, encore une fois, revenus puis chassés. Le jours d’après, revenus, mais pas chassés, contenus. Petit à petit, la flamme de la liberté embrase le cœur des citoyens, qui commencent à voir plus loin que le bout du nez de leurs patrons…


    A quelques lieux, sur le territoire britannique de Port-Royal, la sentence est tombée. L’amiral Stuart Owen a été condamné à la prison à perpétuité, pour meurtre, complicité de meurtres, et acte de trahison. Ses nombreuses décorations et sa dévotion jusqu’alors sans faille envers la couronne lui ont évité la pendaison, ainsi que l’extradition. Au sortir de l’audience, l’ex amiral a été transféré dans une geôle sous terraine et individuelle. En traversant le couloir terreux qui le menait à elle, il fut accablé de jurons par les autres prisonniers. Le visage fermé, il s’est assis à même le sol. Il s’est mis à rire. À pleurer de joie.


    Il y a trois ans, Caroline, la femme de Stuart Owen, lui a servi une pièce de viande crue, l’air de rien. Quelques jours plus tard, le panier au bras, elle lui disait aller faire un tour à Manchester. La confiture d’automne a été faite avec du sel au lieu du sucre, alors qu’elle en produisait depuis son plus âge. Stuart ne s’en est jamais préoccupé, il la disait folle. Un matin, alors qu’il partait en campagne, Caroline était plus avenante que d’habitude. Elle lui a demandé de revenir vite, par peur de l’oublier. L’amiral n’a pas su lire entre les lignes. Il l’a embrassé sur le front, et s’en est allé.


    Cinq mois plus tard, en rentrant sous la fanfare, Stuart n’avait pas trouvé sa femme sur les quais de Port-Royal. Il a cru qu’elle l’avait lâché pour un autre. En débarquant chez lui, elle était bien là. La pauvre était affalée dans la rocking chair de son mari, fixant la cheminée, les yeux vide. Stuart n’avait jamais vu ce regard sur le visage de sa bien-aimée. Il lui parlait, mais elle ne répondait pas. Elle se contentait de fixer le tas de cendres. Pourtant, elle avait l’air en forme, toujours aussi belle qu’avant mais… quelque chose s’était éteint.


    Depuis, Caroline n’a quasiment plus quitté son lit, si ce n’est pour faire ses besoins, ou pour aller promener. Une bonne payée au lance pierre par Stuart est à ses petits soins. Aux yeux de Stuart, la femme débordante de vie que tous les hommes s’arrachaient au bal de la         Compagnie, qui a fini par le choisir lui, était morte. Un jour, alors qu’il lui lisait un livre à son chevet, Caroline a prononcé son nom, Stuart. Il ne l’avait qu’entendu gémir depuis tout ce temps, il en avait presque oublié sa voix. Elle avait l’air de vouloir poursuivre, de lui dire quelque chose. Elle n’a pas pu. Aussitôt, son regard s’est séparé de cette infime lueur, avant de replonger dans les limbes du néant. Depuis, Stuart en est persuadé : sa femme voulait lui transmettre une dernière volonté. Elle avait encore un rêve, elle devait l’accomplir.


    C’est alors qu’il s’était renseigné sur une vieille légende, à propos de trois objets. L’un d’entre eux permettrait de lire dans l’esprit d’une personne comme dans un livre ouvert. C’est devenu une obsession pour lui. Il a appris qu’un amiral espagnol, Andres Miramar, avait gravi les échelons à une vitesse anormale, et qu’il se montrait souvent portant un monocle. De l’obsessionnel, ça a muté au maladif. Stuart a tout fait pour convaincre Archibald Giggs de mener campagne contre la flotte de Miramar. La campagne fut lancée, et l’amiral Owen remporta le combat haut la main. Or, lorsque son adversaire capitula, il ne trouva pas la lunette sur lui, ni nulle part au sein de son bâtiment. Il a fallu patienter de longues semaines, avant d’apprendre via un noble lors d’un banquet, que l’antiquaire Pedro Noriega allait tenir une vente aux enchères secrète sur Nassau, et qu’il se vantait de mettre en vente l’authentique Monocle de Clairvoyance…


    Si aujourd’hui, enfermé dans un atroce cachot six pieds sous terre, Stuart a le sourire, c’est parce qu’il a réussi. Certes, il a tout perdu, mais il a gagné. Il a pu le garder, le Monocle. Juste avant le jugement, il la transmit à son « rival », Wyatt Windsor. Ils n’ont pas pu s’échanger de mots, mais un regard a suffi. Bien qu’il sache qu’il n’en aura pas vent, il est persuadé que Caroline pourra voir son dernier souhait exaucé. C’est pour ça, qu’il rit.


    Le soir même, l’amiral Windsor se rend dans le foyer de Stuart. Il va s’assoir à coté de Caroline. Elle a toujours été solaire, avec ses cheveux roux, ses taches de rousseur et ses yeux vert jade. Même si Wyatt n’a jamais eu de vrais liens d’amitiés avec Stuart, il a toujours été un grand ami de Caroline. Malgré son état, sa présence vous fait toujours ressentir une douce chaleur. Wyatt sort alors ce fameux monocle de sa poche, le cale entre sa pommette et son arcade, et plonge dans les yeux vides de Caroline.


    Il se sent aspiré, et puis le vide, et puis la lumière. Il est toujours dans la même pièce, rien n’a changé. Or, si, lui, a changé de place. Il est allongé sur le lit. Wyatt comprends qu’il se trouve dans la peau de Caroline. Sa tête se lève pour contempler l’homme qui est à son chevet. C’est Stuart. Il est beau, ses fins cheveux noirs sont coiffés, et il a l’ai gai… jamais Wyatt ne l’a vu comme ça. Il tient un livre, dont il lit les pages avec une éloquence délicate. Cela dure, Stuart rigole, et sa lecture fait rire Caroline. Wyatt, intrus dans le corps de son amie, est frappé par un bonheur indescriptible. La bouche qu’il emprunte murmure « Stuart… mon Stuart, que je t’aime ». Il comprend, et puis, il encaisse. Il enlève la lunette, et saute brusquement du lit. Sa tête est pesante, il a mal. En reprenant ses esprits, Wyatt voit qu’une larme coule sur le visage fermé de Caroline. Elle est là, inerte, à fixer son lustre de cristal. Le nom de Stuart sort de sa bouche, mais elle ne poursuit pas. 


    Wyatt vient de quitter l’appartement. Assis par terre à même le trottoir, il pleure. Il ne dirait pas à Stuart qu’il exauçait déjà le souhait de sa femme chaque jour. Il ne lui rendrait jamais visite. Si l’homme pense qu’il a réussi, alors il vaut mieux le laisser croire. L’amiral essuie ses larmes et range le monocle dans sa poche. Il se dirige maintenant vers l’appartement du commodore Henry, intenable depuis qu’il a appris que le Lion de Mer était de retour.

***

-       Allez frottez, bande de feignasses ! peste Morgan à Jack et Bellamy.


   Les deux garçons se tuent à nettoyer chaque recoin du navire du Lion de Mer. Ils purgent leur punition pour l’avoir trahi, volé, et abandonné sur Tortuga.


    Après avoir quitté Saint-Domingue, quand ils se sont réveillés, ils ont indiqué à Morgan que Rubin leur avait donné point de rendez-vous, tout à l’est d’Hispaniola. Une fois arrivé là-bas, l’ambiance n’était pas à la fête. Personne ne pouvait célébrer la réussite, quand certains de leurs frères étaient tombés au combat, et que le sang de l’ennemi avait dû couler pour en arriver là. Rubin lui, apparaissait inconsolable via à vis de la mort de Suleyman. Il a pris grand soin de raconter l’histoire vraie de son frère à ses hommes, qui l’accompagnent désormais dans son deuil. Sans Suleyman, le combat s’arrête. Tous ces morts ont atteint son idéalisme. Rubin a un nouvel objectif : écrire les mémoires de Suleyman Umar, en collaboration avec Joao. Les deux hommes ont décidé de l’honorer ensemble. Il leur en voudra surement de là-haut, mais peu importe, il le mérite.


    Les aurevoirs furent chargés en émotions. Rubin a été très honoré de faire la rencontre du Lion de Mer… et d’apprendre que le navire perché dans les arbres, était le sien ! La figure de proue représentant un lion écaillé, tout était devant lui. Morgan lui a raconté qu’il avait caché son navire sur Hispaniola, mais qu’il avait depuis longtemps abandonné l’idée de le descendre un jour. Il est heureux qu’il ait servi de bastion de la libération. Rubin a chaleureusement remercié Jack et Bellamy, tout en leur prodiguant les premiers soins nécessaires avec Charlemagne, ainsi qu’à Emma. Désormais, Jack et Bellamy savent qu’ils peuvent compter sur de fidèles alliés, perchés dans les arbres d’Hispaniola !


-       N’oublie jamais, Jack, à chaque fois que quelque chose t’échappe, pose la question à Gaïa !

-       J’y penserais, le Gourou !

-       Tu peux m’appeler Rubin maintenant !

-       Bah moi, je préfère le Gourou…

-       Comme tu voudras, capitaine Jack Sparrow !

-       Ah ! Enfin quelqu’un qui met du respect sur mon titre !

-       Quant à toi, Bellamy, je sais que c’est un peu délicat dans l’immédiat mais… continue de croire en vous, tu n’arriveras jamais à rien tout seul.

-       Merci du conseil, mais je vais purger ma punition et retourner sur Nassau avec ma sœur. J’espère que tu viendras me livrer un bouquin à moi aussi, à bientôt, Rubin.

-       A bientôt, mon grand. Prends soin d’eux, Morgan. Sois clément et n’y vas pas trop fort, attends que leurs blessures soient guéries si possible !

-       Ces piafs doivent déjà s’estimer heureux de pouvoir remettre les pieds sur Eloïse… au revoir, Rubin, prends soin de mon arche !

-       Cela va de soi ! Viens la, vieux morceau !


    Charlemagne est resté un long moment dans les bras de Rubin. Celui-ci lui a même proposé de rester avec eux sur Hispaniola, mais Charlemagne a refusé par loyauté. Le vieil homme qui avait perdu foi en son existence est ému de cette rencontre. Lui qui a toujours subi la tyrannie des nobles, est aujourd’hui lié d’amitié avec l’un d’entre eux… l’un de ses semblables.


    Quelques heures plus tard, Morgan a repris la mer à bord d’Eloise, accompagné par Jack, Bellamy, Charlemagne et Emma (toujours inconsciente). Au sein du navire, les mœurs pèsent. Charlemagne veille au chevet d’Emma. Bellamy refuse toujours d’adresser la parole à Jack, malgré qu’il ait finalement fait demi-tour pour lui sauver la vie. En fait, d’apprendre cela n’a fait qu’amplifier la colère du Blond. Malheureusement pour lui, il est obligé de passer tout son temps avec Jack. Les deux garçons purgent leur peine : redonner son éclat au bâtiment. Tant qu’il ne sera pas comme neuf, les travaux ne cesseront pas. De l’aube au couché du soleil, ils récurent. Jack, lui, a arrêté d’essayer de convaincre son ami de le pardonner. Le Moineau est frustré d’avoir perdu son monocle. Il essaye de se retenir, mais c’est plus fort que lui, ça l’obsède.


-       Vous êtes bouchés ou quoi ? Frottez, bande de grosses feignasses, ordonne Morgan.

-       C’est Jack qu’en branle pas une. S’il était plus rapide, on aurait déjà entamé la dunette… peste Bellamy

-       Si t’as un truc à dire, tu me le dis en face, la blonde !

-       Fermez-la tous les deux et frottez nom de dieu !

-       Tu devrais un peu les ménager, Morgan, ils ne se sont pas encore totalement remis de leurs blessures… suggère Charlemagne.

-       Qu’est-ce que j’en ai à faire ? Le travail, y’a que ça de vrai pour se remettre sur pied !

    Charlemagne en rigole. Jack, énervé d’être ignoré par Bellamy, lui lance un pique.

-       Quand même, je t’ai sauvé la vie ! Tu pourrais être un peu plus reconnaissant envers ton capitaine.

-       C’est Morgan qui m’a sauvé, qui nous a sauvé. Et tu n’es pas mon capitaine, marin d’eau douce.

-       Qu’est-ce que t’as dit la ?!


    Jack saute au coup de Bellamy, une bagarre commence. Morgan, extenué, descends sur le pont pour les séparer. À cause du sol est encore mouillé et savonneux, le capitaine glisse et tombe sur le coccyx . La chute est brutale, tellement qu’il en a brisé des lattes de bois. La bête se retrouve avec les fesses coincées dans le pont, et plus il se débat, plus il s’enfonce. En le voyant, les deux garçons arrêtent de se battre, et explosent de rire. Charlemagne, qui assiste à la scène depuis le poste de commandement peine à se retenir lui aussi. Même Emma, toujours inconsciente, affiche un léger sourire sur son visage. Fou de rage, Morgan menace de faire couler le bâtiment quand il se sera libéré, mais personne ne le prend au sérieux. La mer est perturbée par le vacarme qui règne sur le pont du Banana Bread… ou plutôt d’Eloise, enfin qu’importe… sur ce pont ou réside un drôle d’équipage pirate entrain de voguer vers l’inconnue, au rythme des rires…

À suivre…


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