Fer de Lance

Chapitre 3 : Réunion de famille

2326 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 14/02/2017 21:52

- Comment va notre petit écolier ? s'exclamèrent en chœur Isabelle et Gabriel.

Peter était rentré de l'École de Mauville depuis la veille, mais il n'avait pas encore revu son oncle et sa tante. Nicolas ayant été le chercher en bus, le trajet jusqu'à Ébènelle nécessitait un temps considérable, à cause de la route escarpée et sinueuse, d'autant qu'elle était toujours couverte de verglas, en hiver. Ils étaient donc arrivés très tard, bien après la tombée de la nuit.

- Je suis heureux d'être ici, affirma Peter en leur adressant un sourire éclatant.

Isabelle était encore plus belle qu'à l'accoutumée, dans le manteau de vison qu'elle avait enfilé pour venir ouvrir la porte d'entrée. Gabriel, lui, portait une simple veste de baseball aux couleurs de son équipe préférée, les Pharamp d'Oliville, que les années commençaient à élimer.

Le garçon ne leur prêtait aucune attention, ni à l'un ni à l'autre. Même s'il avait répondu poliment à leur question, son regard ne s'était pas détaché une seule seconde de la silhouette qui se trouvait juste dans leur dos. Les bras croisés, la moue boudeuse, la chevelure turquoise, Sandra était identique à son souvenir. Il fallait admettre que seuls deux mois et demi s'étaient écoulés, mais cela semblait être une éternité loin de la personne à qui l'on tient le plus.

- Entrez, je vous en prie. Ne restez pas sur le seuil.

Isabelle et Gabriel s'écartèrent chacun d'un côté de la porte pour permettre à Peter et à son père de pénétrer dans le vestibule. Lorsque Nicolas passa devant son frère, il lui donna une brève accolade. Bien qu'il soit l'aîné, il était plus petit d'une dizaine de centimètres, mais également plus svelte. Il possédait une silhouette athlétique, qu'il entretenait avec assiduité. Il s'entraînait au moins autant que ses pokémon.

Ses boucles avaient la couleur bleu noir d'un Cornèbre et ses yeux étaient sombres, d'un marron tirant sur le noir. Ce n'était pas de lui que Peter avait hérité ses cheveux rouges, mais de sa défunte mère, dont les mèches étaient aussi flamboyantes qu'une coulée de lave.

L'enfant fondit aussitôt vers Sandra, qui ne cilla pas. Il avait osé espérer que sa colère s'adoucirait au fil des semaines et que sa joie de le revoir l'emporterait sur la rancoeur qu'elle éprouvait le jour de son départ, mais il s'était trompé. Il avait sous-estimé le caractère vindicatif de sa cousine. Jamais il n'aurait pu penser qu'elle l'était à ce point.

- Salut, tenta-t-il timidement.

- Hmpf...

Ce fut la seule réponse qu'il réussit à lui arracher, et elle fut accompagnée par un regard noir. Si les yeux de Sandra savaient lancer des éclairs au sens littéral, et non métaphorique, elle l'aurait probablement électrisé sur place avec l'efficacité d'un Luxray dans la force de l'âge.

- Comment vas-tu ?

Peter savait qu'insister revenait à tenter Darkrai, mais le silence de la fillette le blessait. Il avait tant attendu le moment où il la retrouverait enfin qu'il ne pouvait accepter qu'elle continue à le dédaigner de la sorte. Il souhaitait se réconcilier avec elle, dût-il s'y prendre de toutes les manières possibles.

- Aussi bien que ces deux derniers mois et demi, mais tu ne peux pas le savoir, puisque tu n'étais pas là, aboya-t-elle.

- Sandra... S'il te plaît, j'aimerais beaucoup que nous fassions la paix, tous les deux. Tu ne vas quand même pas me bouder pour l'éternité ?

- Non.

Le visage de Peter se fendit d'un sourire. Il était sur le point de lui exprimer sa joie quand la fillette reprit la parole, d'un ton encore plus sec :

- L'éternité, c'est trop court. Plus que ça.

Sur ces mots, Sandra tourna les talons et franchit la porte derrière laquelle le reste de sa famille avait déjà disparu. Peter, penaud, les épaules affaissées, lui emboîta le pas. Si ces quelques semaines passées à l'École de Mauville avaient été douloureuses, ce n'était rien à comparer de ce qu'il ressentait maintenant.

L'absence de sa cousine était très difficile à vivre, mais la voir le mépriser de la sorte, juste sous son nez, était pire encore. Au moins, quand elle n'était pas là, Peter pouvait se concentrer sur les bons souvenirs, en s'efforçant d'oublier à quel point elle le détestait. À ses côtés, cela s'annonçait plus compliqué. Elle n'allait pas rater une seule occasion de le lui rappeler.

***

- Sandra ! appela Isabelle. Viens, ma chérie ! Montre à Papa comme tu es belle.

Un grognement parvint aux deux adultes depuis le sommet des marches qui reliaient l'étage de la villa au rez-de-chaussée. Sandra portait une robe d'un bleu tirant sur le gris et qui était recouverte de paillettes, donnant l'impression qu'elle était sertie de centaines de petits diamants. Ses jambes étaient recouvertes par un collant épais, dont l'extrémité disparaissait dans une paire de souliers vernis.

Ses cheveux, souvent noués à la va-vite pour former une queue-de-galopa, avait été coiffées avec soin par Isabelle. Ils étaient bouclés, ce qui contrastait avec leur raideur habituelle, et retombaient de part et d'autre de visage au teint de porcelaine de la fillette.

- Ta mère a raison, déclara Gabriel. Tu es jolie comme un cœur.

- Tu parles... marmonna Sandra, pas assez fort pour qu'ils puissent l'entendre.

Elle détestait cet accoutrement choisi par sa mère pour le réveillon. Elle aimait mieux être à son aise, en pantalon et en pull, ou dans n'importe quelle autre tenue qui lui permettait de courir, de sauter ou encore d'escalader sans la gêner. Elle avait l'impression de ressembler à une hideuse poképoupée.

Ce n'était cependant pas la raison principale à sa mauvaise humeur. Plus encore que de se savoir ridiculement habillée, elle était furieuse de devoir passer Noël à l'Arène. Nicolas et Gabriel étaient convenus qu'ils célèbreraient la fête là-bas, tous ensemble, or le tous ensemble impliquait naturellement Peter.

Sandra l'avait évité du mieux qu'elle pouvait, depuis le début des vacances, et quand elle n'avait pas pu faire autrement que de se retrouver en sa présence, elle lui avait mené une vie infernale. Elle allait devoir redoubler d'inventivité pour la soirée à venir, ainsi que la nuit qu'ils passeraient à l'Arène.

- Va chercher ton sac et ton manteau, conseilla Isabelle. Et n'oublie pas ton cadeau pour ton cousin Peter.

- D'accord, Maman.

Personne ne vit le sourire malicieux qui étira les lèvres de Sandra lorsqu'elle tourna les talons pour regagner sa chambre. La pièce était spacieuse, avec une grande fenêtre sur le rebord de laquelle s'accumulait la neige qui tombait au-dehors. La nuit tombait, plongeant les lieux dans les ténèbres, mais elle ne jugea pas utile d'allumer la lumière.

Le papier prenait une teinte bleu noir, dans la pénombre ambiante, tout comme le couvre-lit qui était assorti. Sandra traversa la chambre jusqu'à une commode en bois, sur laquelle était posée un sac en tissu, ainsi qu'une boîte soigneusement pliée dans un emballage criard. L'enfant ne savait pas ce dont il s'agissait : c'était sa mère qui avait choisi le présent pour Peter lorsqu'elle avait été faire quelques emplettes à Doublonville, quatre jours plus tôt.

- Oups... fit Sandra avec une expression faussement innocente, en lâchant le paquet de toute sa hauteur pour qu'il s'écrase à ses pieds. J'espère que ce n'était pas fragile.

Dans le doute, elle lui donna un coup supplémentaire, puis l'arrangea de sorte qu'à première vue, il n'ait pas trop l'air tordu. Le tenant dans la main gauche avec son sac, elle décrocha son manteau de la droite et l'enfila, avant d'enrouler son écharpe autour de son cou. Elle ressemblait à un Draco en tissu, le pokémon favori de Sandra.

Fin prête, elle rejoignit ses parents, sans tenter de feindre un quelconque enthousiasme. Que n'aurait-elle pas donné pour dévaler les escaliers tête la première et se casser une jambe afin de rester ici. Et encore... Son père l'aurait probablement porté sur ses épaules jusqu'à l'Arène, même si elle avait eu un os brisé.

Le vent soufflait lorsqu'ils quittèrent la villa et la neige s'abattit en masse sur eux, les recouvrant bientôt d'une pellicule blanche presque aussi épaisse que celle qui jonchait le sol. Un chemin avait été dégagé jusqu'au bâtiment officiel qui dominait toute la ville d'Ébènelle, car les règles exigeaient qu'il soit toujours accessible, mais aucun dresseur n'était assez fou pour s'y aventurer, encore moins une veille de Noël.

Une couche de verglas tapissait le sol, ce qui le rendait glissant. Comme il était en montée, ils manquèrent à plusieurs reprises de perdre l'équilibre, y compris Isabelle qui s'efforçait pourtant de conserver une démarche aussi élégante qu'à l'accoutumée. Sandra songea un instant à s'accrocher à la main de son père, mais trop fière, elle préféra parcourir la distance qui la séparait de l'Arène sans aucune aide.

Ils affrontaient les derniers mètres qui les séparaient de l'entrée quand la porte s'ouvrit, projetant la lumière du hall sur l'allée. L'ombre de Nicolas se découpait au milieu de ce carré doré. Engoncé dans un manteau épais, il les motiva :

- Allez, courage ! Un bon feu de cheminée vous attend pour vous réchauffer !

Il n'avait pas menti. Après avoir abandonné leurs affaires détrempées par la neige fondue dans le hall, la famille Lance suivit le Champion jusqu'au séjour. Sa superficie était immense, mais l'âtre dans lequel crépitait un puissant brasier était proportionnel, de façon à tempérer toute la pièce.

L'endroit était divisé en deux. À gauche se trouvait la partie qui faisait office de salle à manger. Une table en bois massif, capable d'accueillir une douzaine de convives, avait été magnifiquement dressée pour l'occasion. Elle était recouverte par une nappe rouge, ornée de filaments dorés, et décorée avec des flocons pailletés, ainsi que plusieurs chandeliers. Les serviettes en papier étaient savamment pliées entre les bras de bonhommes de neige en plastique.

À droite, c'était le salon, là où Nicolas avait décidé d'installer son sapin. Il dominait le canapé en cuir, avec son étoile à l'effigie du légendaire Jirachi pointée vers le plafond. Les guirlandes et les boules qui l'enjolivaient étaient si nombreuses qu'il était à peine possible de distinguer les épines artificielles de l'arbre vert.

Peter était assis par terre, sur le tapis, face au home-cinéma qui diffusait un dessin animé. Dès qu'il vit entrer son oncle et sa tante, accompagnés de Sandra, il s'empressa d'éteindre avec la télécommande et de se précipiter vers eux pour les saluer. Au moment d'embrasser sa cousine, celle-ci détourna la tête.

- Sandra, rappela sa mère. C'est Noël.

- Non, c'est demain. Et puis, ça reste un jour, et des jours, il y en a eu beaucoup, pendant que Peter était à l'école.

Isabelle ne releva pas. Gabriel et elle avaient d'abord cru que toute la colère que leur fille avait ressentie à l'égard de son cousin pendant ces dernières semaines s'estomperait à son retour, mais elle n'avait fait que s'accroître. Ils avaient essayé de parler avec Sandra, de l'encourager à faire des efforts, mais cela avait été vain, comme toujours.

- Bon, et si nous passions à table ? proposa Nicolas en frappant dans ses mains, pour mettre un terme au malaise qui venait de s'installer.

- Excellente idée ! approuva Gabriel. Mesdames, je vous en prie.

Il escorta Sandra jusqu'à une chaise, pendant que Nicolas en faisait de même avec Isabelle. La mère et la fille prirent place côte à côte, pendant que Peter esquissait son intention de s'installer face à sa cousine. Nicolas l'en dissuada et l'installa à l'opposé, au grand dam de Sandra qui se voyait déjà clôturer le repas en beauté, en lui jetant sa part de bûche au visage. Son oncle avait probablement dû anticiper cette éventualité et avait décidé de prendre les devants.

Tout le monde fut bientôt assis, à l'exception du maître des lieux qui demeura debout, entre son siège et la table, son verre à la main. Ils étaient déjà tous remplis, avec du champagne pour les adultes et du jus de baie pommo pour les enfants. Nicolas leva le sien à hauteur de son visage, puis proposa de porter un toast :

- Remercions Arceus pour Ses bienfaits, et soyons-Lui reconnaissants. Nous avons un toit au-dessus de nos têtes, un bon feu de cheminée qui brûle dans l'âtre et de la nourriture sur notre table, mais nous avons surtout le plaisir d'être réunis ce soir. Beaucoup de gens n'ont pas autant de chance que nous. Je voudrais également avoir une pensée émue pour Margaret, à jamais dans nos cœurs.

- Pour Margaret, scandèrent les autres en chœur.

Sandra songea à ajouter une pique à l'égard de Peter et à son absence des dernières semaines, mais elle s'abstint, au moins pour cette fois. Elle savait à quel point l'évocation de sa tante qu'elle n'avait pas connue rendait toute la famille triste, et elle n'était pas mal élevée au point de manquer de respect à une défunte. Après tout, puisque Margaret n'était plus là, ce n'était pas sa faute si son fils était devenu un idiot.

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