Fer de Lance

Chapitre 4 : Joyeux Noël

2320 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 28/02/2017 21:29

En réponse à JoyBoy800 : Merci pour ton commentaire ! L'histoire couvrira l'enfance et l'adolescence de Sandra et se poursuivra un peu après son accession au titre de Championne. De ce fait, il y aura de nombreuses péripéties entre-temps.


Gabriel tenait une assiette dans chaque main, contenant toutes deux une épaisse part de bûche aux baies chocco. Il n'avait pas assez bu pour risquer d'être ivre, mais l'alcool qu'il avait ingurgité depuis le début de la soirée avait coloré ses joues. Son ventre, après un repas aussi consistant que celui qu'ils venaient d'avaler, saillait plus qu'à l'accoutumée.

Les enfants avaient reçu l'accord de leurs parents pour manger le dessert devant la télévision, devant les dessins animés diffusés jusque très tard, cette nuit-là. Sandra était assise sur le canapé. Elle avait retiré ses souliers et ramené ses jambes contre son buste. Peter, lui, était installé par terre, sur le tapis. Il aurait voulu prendre place à ses côtés, mais un grognement menaçant et la menace d'une chaussure l'en avait dissuadé.

Sandra fut la première à recevoir son assiette des mains de son père et se saisit de la cuillère qui l'accompagnait pour avaler un gros morceau de gâteau. Elle avait un solide appétit et, même si Peter salivait d'avance à la vue de ce délice, il fit preuve de plus de retenu.

- Il sera minuit d'ici quelques minutes, informa Gabriel en désignant l'horloge. Que diriez-vous d'échanger vos cadeaux, tous les deux ?

- Oh oui ! s'enthousiasma son neveu. Ce serait avec plaisir.

Sandra ne partageait pas sa gaieté. Elle jeta un regard dédaigneux au paquet qu'elle avait malmené avant de venir à l'Arène et qui était posé sur le bahut, attendant sagement le moment il serait remis à Peter. Si cela n'avait tenu qu'à elle, elle lui aurait emballé un piège à Rattata dans du papier de verre, mais Gabriel avait désapprouvé cette idée à l'instant où elle l'avait formulée.

- Je vais chercher le mien, décréta Peter dès qu'il eut achevé sa part de bûche.

Gabriel venait juste de regagner son siège quand le garçon abandonna ses couverts sur la pile de vaisselle déjà sale et se coula hors de la pièce. Son oncle le suivit des yeux jusqu'à ce qu'il disparaisse. Il ne leur avait pas proposé de s'offrir leurs présents sans arrière pensée : il espérait renouer le dialogue entre eux et les pousser à se réconcilier, même si cela paraissait toujours aussi compliqué du côté de Sandra.

Peter revint peu de temps après, les mains derrières le dos. Encouragée par ses parents d'un geste de la tête, Sandra consentit à se lever pour aller prendre le cadeau. Elle le tendit à son cousin, le visage tourné sur le côté, pendant que lui-même lui remettait ce qu'il dissimulait.

- Une feuille de papier ? constata-t-elle en la découvrant, enroulée et nouée par un élégant ruban turquoise. Tu ne t'es pas foulé.

- Euh... En fait, c'est surtout ce qu'il y a dessus. Défais le nœud, tu verras.

Sandra s'exécuta en marmottant, tandis que Peter achevait de déchirer l'emballage de son présent. Il découvrit une petite boîte en carton pendant que la fillette se retrouvait face à un portrait d'elle-même.

- Je l'ai fait de mémoire, annonça fièrement le garçon.

- De mémoire ? C'est récent, alors, puisque ce n'est sûrement pas à l'École de Mauville que tu auras emporté le souvenir de ma figure.

- Tu te trompes ! protesta Peter, vexé qu'elle puisse songer une telle chose. Il ne m'a pas quitté une seule seconde.

- Menteur ! Quand tu es là-bas, tu ne penses pas à moi !

Peter voulut réfuter de telles accusations, mais les joues de Sandra s'étaient empourprées, signe manifeste de sa colère. Avant qu'il réfléchisse aux mots qu'il pourrait employer pour la convaincre, elle déchira rageusement le dessin, dont les morceaux tombèrent sur le tapis, pareils à des flocons de papier blanc.

- Oh non ! J'avais mis des heures à le faire !

- Eh bien, tu n'auras qu'à rester ici pour le recommencer, au lieu de retourner dans ta stupide école.

Sur ces mots, et sous le regard impuissant des adultes présents dans la pièce, Sandra tourna les talons. Elle quitta la pièce la tête haute, avec le mépris qui la caractérisait, et n'accorda pas un regard à quiconque.

***

- Je ne sais plus quoi faire de cette enfant, marmonna Gabriel après avoir bu un nouveau verre de vin.

Peter et Sandra ayant tous deux gagné leur chambre, leurs parents avaient cessé de modérer leur consommation d'alcool. Les frères Lance étaient passablement éméchés, mais Isabelle s'efforçait de garder la tête froide. Il faudrait bien quelqu'un pour les aider à monter les escaliers lorsqu'ils tituberaient.

- La punir ? suggéra Nicolas. Tu m'as déjà dit que ça ne servait à rien.

- Et je confirme. Quand elle fait un caprice, elle ne cède jamais avant d'avoir obtenu ce qu'elle désire. Le problème, c'est que ce qu'elle souhaite, en ce moment, c'est le retour de Peter, or ce n'est pas possible.

- Vu la façon dont elle le traite, mon fils doit se languir de Mauville. Pourquoi agit-elle ainsi, au lieu de profiter de sa présence, si c'est vraiment ce qu'elle veut ?

- Parce qu'elle sait qu'il va repartir. Dans dix jours, il aura de nouveau quitté Ébènelle et elle se retrouvera encore une fois toute seule. Elle ne tient pas à retrouver Peter pour la durée des vacances, mais tout le temps, comme avant. Ne t'avise cependant jamais de dire ça devant elle. C'est qu'elle est orgueilleuse, la petite ! Jamais elle ne le reconnaîtra.

Isabelle, qui avait suivi la conversation d'une oreille attentive, s'en détourna quand son mari resservit un verre à Nicolas. Elle glissa la main dans la poche de son pantalon en lin, d'où elle tira une feuille soigneusement pliée. Elle portait l'écriture encore hésitante et maladroite d'un enfant.

Très cher Cadoizo de Noël,

Je n'ai pas été sage, cette année, pas plus que les précédentes, mais je te promets de faire des efforts si tu acceptes de m'offrir ce que je te demande. Je voudrais que tout redevienne comme avant. Que mon cousin Peter revienne habiter à l'Arène et qu'on puisse jouer ensemble tous les jours.

S'il te plaît, fais ça pour moi. Merci.

Sandra Lance

Isabelle eut un sourire triste. L'attitude de sa fille ne lui inspirait pas de la colère, mais de la compassion. Elle savait ce que l'enfant pouvait ressentir, car elle-même avait vécu une situation similaire, lorsqu'elle était plus jeune.

À douze ans, elle avait été séparée de sa meilleure amie, dont les parents avaient déménagé à Sinnoh. Elles s'étaient promis de garder le contact, ce qu'elles avaient réussi à faire durant un temps, avant que la distance finisse par avoir raison de leur relation. Isabelle n'avait plus eu de nouvelles depuis des années, pas plus qu'elle n'en avait données.

- Nicolas, où est-ce que je peux trouver un stylo, s'il te plaît ? demanda-t-elle, avec une idée derrière la tête.

***

Sandra ne parvenait pas à dormir. D'habitude, c'étaient l'excitation et l'impatience qui la maintenaient éveillée la nuit de Noël, mais cette année-là, c'était un mélange de fureur et de chagrin. Elle n'avait presque pas cessé de pleurer depuis qu'elle avait gagné sa chambre. Ses yeux étaient rouges, ses cils humides.

Un grincement brisa le silence et la fit sursauter. C'était le bruit qu'émettait le plancher lorsque quelqu'un passait devant sa porte. Sandra s'empressa de se saisir de la lampe posée sur sa table de chevet. S'agissait-il du Cadoizo de Noël ? Elle avait peut-être une chance de le surprendre.

Tous les ans, elle s'était appliquée à tenter de l'apercevoir avec Peter. Elle songea à la satisfaction qu'elle en tirerait si elle réussissait enfin, sans l'aide de son cousin. Elle se leva sur la pointe des pieds, veillant à ne pas faire de bruit. S'il la croyait endormie, il serait moins méfiant.

Dès qu'elle eut atteint le battant, elle l'ouvrit et balaya le couloir avec son faisceau lumineux. Il n'y avait personne. Déçue, Sandra baissa la tête. Elle remarqua alors une feuille de papier, par terre, qu'elle ramassa. Elle la reconnut presque aussitôt. Il s'agissait de la lettre qu'elle avait adressée au Cadoizo.

Elle se demandait ce qu'elle faisait là quand elle aperçut que deux phrases avaient été rajoutées sur la page. L'écriture, légèrement penchée et élégante, contrastait avec la sienne. Sandra ne savait pas lire depuis longtemps, mais elle n'eut aucun mal à déchiffrer l'inscription.

Je ne peux te rendre ton cousin, car il n'est pas perdu. Il n'appartient qu'à toi de le retrouver.

Le Cadoizo de Noël essayait-il de l'encourager à se réconcilier avec Peter ? Si elle avait sollicité son aide, c'était justement pour ne pas avoir à le faire. Elle ne voulait pas céder face au garçon, car tout était sa faute. Si elle ne le faisait pas, cependant, ils ne s'adresseraient plus jamais la parole.

Sandra éprouva une vague de chagrin. Même si elle acceptait de pardonner Peter, cela ne changerait rien. Dans un peu plus d'une semaine, il repartirait pour son école et elle serait de nouveau toute seule. Pourquoi devrait-elle s'abaisser à cela, uniquement parce qu'un pokémon mystérieux, qu'elle n'avait jamais vu de sa vie, le lui conseillait ?

La fillette relut le mot à deux reprises, puis songea au cadeau que Peter lui avait fait. Pas au dessin qu'elle avait déchiré, mais à la pierre qu'il lui avait offerte avant son départ pour Mauville. Elle ne la quittait jamais. En cet instant, elle reposait tranquillement au fond de la poche du manteau de Sandra.

Malgré sa colère et sa rancune, elle aimait infiniment son cousin et cette situation était une torture pour elle. Son orgueil était toutefois aussi grand que son affection, et choisir entre l'un et l'autre n'était pas une mince affaire.

Sandra soupira, se méprisant elle-même pour ce qu'elle était sur le point de faire, car elle était convaincue qu'elle le regretterait d'ici peu. Elle abandonna la lettre par terre et sortit dans le couloir, sa petite lampe de poche éclairant le chemin. La chambre de Peter jouxtait la sienne. Après s'en être approchée d'un pas lent et hésitant.

Elle songea que, peut-être, son cousin était en train de dormir. Qu'importe ! Ce serait bien fait pour lui si elle le réveillait. Elle s'attendait à le voir lui ouvrir, les yeux gonflés par le sommeil, les cheveux décoiffés par l'oreiller et la main devant la bouche pour réprimer un bâillement, mais ce fut tout le contraire. Encore habillée, contrairement à elle qui était en pyjama, il ne semblait pas s'être couché.

- Sandra ? souffla-t-il en clignant des yeux, convaincu qu'il était victime de l'illusion d'une Magirêve.

- Tu as l'intention de me laisser plantée sur le pas de la porte ou de m'inviter à entrer ? grogna-t-elle, mécontente. Et pourquoi tu ne dors pas, d'ailleurs ? Tu mériterais que je le dise à ton père.

- Euh... Tu ne dors pas non plus.

- Ne change pas de sujet !

Peter préféra ne pas poursuivre sur ce terrain glissant et s'écarta pour permettre à Sandra de pénétrer dans sa chambre. L'endroit était éclairé par une lampe de chevet, dont le fil électrique avait été tiré au maximum pour qu'elle puisse être installée sur le bureau. Elle diffusait un halo lumineux autour d'elle, mais le reste de la pièce était sombre.

- Qu'est-ce que tu faisais, avant que j'arrive ? demanda Sandra, en remarquant le bric-à-brac qui s'entassait sur la table de travail.

- Je réparai mon cadeau.

D'un geste, il désigna le présent que sa cousine lui avait offert, et dont elle ignorait le contenu jusqu'à présent, puisqu'il s'agissait du choix de sa mère. Il s'agissait d'une petite figurine de Dracolosse, ou plutôt ce dont il en restait. Fabriquée dans un matériau fragile, elle avait volé en éclats sous les coups que Sandra avait infligé au paquet.

- Tu veux un coup de main ? proposa-t-elle.

- Eh bien... Si tu veux vraiment recoller les morceaux, tu peux te charger de ceux de ton portrait. J'ai du scotch, dans mon tiroir.

Peter jugea préférable de ne pas demander à Sandra ce qui l'avait soudain convaincue de lui adresser de nouveau la parole. Il craignait qu'en lui posant la question, elle tourne les talons et abatte une fois de plus ses foudres sur lui. Il valait mieux prendre les choses comme elles venaient, sans s'interroger.

- Tu n'as qu'une chaise, constata-t-elle.

- Tu peux la prendre, si tu veux. Je...

Peter n'acheva pas sa phrase. Sandra avait déjà traversé la pièce et prit la lampe de chevet entre ses mains pour la placer sur le sol. Elle prit ensuite les bouts de papier qu'elle devait rassembler, ainsi que le ruban adhésif qui l'y aiderait, et s'assit en tailleurs sur la moquette. Elle allait se mettre à l'ouvrage quand elle releva les yeux vers son cousin, resté immobile au niveau de la porte.

- Qu'est-ce que tu attends ? lâcha-t-elle avec sa délicatesse habituelle. Au boulot !

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