Fer de Lance

Chapitre 5 : La promesse

2296 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 12/03/2017 17:05

Isabelle, après avoir toqué trois fois contre la porte de Sandra, pénétra dans sa chambre. Le lit était vide, tout comme le reste de la pièce, et la couverture pendait mollement contre le flanc du matelas. L'absence de sa fille ne l'inquiétait pas le moins du monde et ce fut avec le sourire aux lèvres qu'elle se dirigea vers le panneau voisin.

En silence, elle fit pivoter la poignée. Le mécanisme céda et elle franchit l'encadrement sur la pointe des pieds. La moquette qui recouvrait le sol de la chambre de Peter étouffa le son de ses pas. Les deux enfants étaient là, allongés par terre. Sandra était étendue sous une couverture que son cousin avait déposée sur elle et lui-même était pelotonné contre elle.

Isabelle remarqua le bric-à-brac entassé sur le bureau, ce qui l'étonna. Elle ne connaissait personne d'aussi organisé que Peter. Il ne laissait jamais traîner ses affaires. En s'approchant d'un pas, elle constata qu'il s'agissait du portrait que Sandra avait déchiré, et du dragon qu'elle lui avait offert. Les deux, en morceaux, avaient été réparés. Ils y avaient probablement passé une partie de la nuit, avant d'être gagnés par la fatigue.

Elle s'accroupit auprès des enfants et posa délicatement ses mains sur leur épaule. Elle les secoua avec douceur, tout leur soufflant à l'oreille :

- Debout... Le Cadoizo de Noël est passé...

- Hmm ?

Sandra fut la première à entrouvrir les yeux. Elle battit faiblement des paupières, semblant se demander où elle se trouvait, avant de s'apercevoir que Peter était blotti contre elle. Elle s'empressa de reculer et feignit une grimace de dégoût. Ce n'était pas la première fois qu'elle dormait avec son cousin et elle avait toujours adoré cela, mais elle n'avait pas envie que d'autres le sachent.

- Il a fait un cauchemar, cette nuit, lâcha-t-elle en pointant son cousin du doigt. C'est pour ça que je suis là.

- Que quoi ? bredouilla le garçon en émergeant brutalement du sommeil, car elle venait de lui pincer le bras.

- Tu vois ? Il est encore sous le choc. Non mais quel Roucool mouillé, celui-là !

Isabelle éclata de rire. Elle savait très bien que Sandra falsifiait la réalité et qu'elle avait suivi les conseils donnés par le « Cadoizo ». Elle se contenta d'ébouriffer les cheveux de sa fille, heureuse de voir que son plan avait fonctionné, avant de se redresser. L'enfant se leva également.

- Est-ce que j'ai plein de cadeaux qui m'attendent ? demanda-t-elle, curieuse.

- Il faudra te rendre dans le living-room pour le savoir, mais tu devrais peut-être attendre que Peter soit en état de te suiv...

Isabelle ne put achever sa phrase. Son neveu était toujours à moitié endormi et avait à peine bougé, au contraire de Sandra qui venait déjà de se ruer vers la porte, désireuse de déballer ses présents au plus vite. Elle espérait que la hotte du Cadoizo aurait été très garnie pour elle.

Elle dévala les marches de l'escalier quatre à quatre, manquant de trébucher à plusieurs reprises, traversa le hall à la manière d'un courant d'air, pour ensuite s'engouffrer dans le grand salon, où ils avaient diné la veille. Nicolas et Gabriel étaient déjà là, postés de part et d'autre du sapin, le sourire aux lèvres.

- Joyeux Noël ! s'exclamèrent-ils en chœur.

- Mes cadeaux ! s'extasia Sandra en se précipitant sur le tas de paquets chatoyants.

Les deux hommes échangèrent un regard, accompagnés d'un soupir, mais ne prononcèrent pas un mot. Quoi qu'ils aient pu dire, cela ne changerait rien : la fillette était incorrigible. Elle était déjà assise par terre, une boîte rectangulaire à l'emballage magenta sur les genoux, quand Isabelle apparut, la main de Peter dans la sienne.

- Joyeux Noël, Papa ! Joyeux Noël, tonton Gabriel !

Il franchit d'un pas bondissant la distance qui les séparait d'eux pour les embrasser sur chaque joue. Il prit ensuite place à côté de Sandra, qui venait de déballer le jeu de société qui lui avait fait de l'œil, la semaine précédente, dans la vitrine de l'unique magasin de jouets d'Ébènelle.

Tandis qu'ils ouvraient leurs cadeaux, Nicolas tira un appareil photo de sa poche et réalisa plusieurs clichés des deux enfants, perdus au milieu de lambeaux multicolores et de rubans. Des peluches et des vêtements s'empilaient devant eux au fur et à mesure qu'ils découvraient le contenu des présents. Peter s'émerveilla tout particulièrement devant sa mallette à dessin, qui contenait des fusains, de l'aquarelle et des pastels.

- Le Cadoizo vous a-t-il comblés ? demanda Isabelle, dès qu'ils eurent terminé.

- Oui ! affirma Sandra. Surtout moi, parce que j'ai eu un paquet en plus que Peter !

L'année précédente, le contraire s'était produit. La pile du garçon comptait un cadeau supplémentaire, ce qui avait mis sa cousine hors d'elle. Sandra avait exigé, pour réparer cette injustice, que Peter lui cède l'un des siens, ce qu'il s'était empressé de faire. Il lui avait remis sa précieuse Encyclopédie des espèces reptiliennes, qu'il désirait pourtant intensément, et que la fillette ne s'était jamais donné la peine d'ouvrir depuis qu'elle l'avait en sa possession.

- Et maintenant, que diriez-vous de prendre le petit-déjeuner ? proposa Gabriel, ce qui fut accepté à l'unanimité.

***

- Sandra, s'il te plaît, arrête de bouger !

L'intéressée poussa un soupir. Elle était assise sur une chaise depuis une demi-heure et avait fini de repousser avec la pointe de ses pieds toute la neige qui s'étalait sous elle. Peter avait insisté pour la dessiner devant l'Arène, en pleine nature, avec la ville d'Ébènelle en arrière-plan.

Sandra détestait rester immobile. Elle avait besoin de courir, de sauter, et surtout de faire des bêtises. Si elle l'obligeait à demeurer ne serait-ce qu'une minute de plus sur ce siège, elle allait devenir folle et elle n'hésiterait pas à faire un malheur.

- Est-ce que tu en as encore pour longtemps ? soupira-t-elle.

- Bien sûr que oui. Tu crois vraiment que Léonardo a peint La Joconde en une heure

- Léonardo ? Quel est le rapport avec les Carabaffe Ninja ?

Peter leva les yeux au ciel. Malgré toute l'affection qu'il portait à sa cousine, ses connaissances en art étaient inférieures à zéro. Pour elle, les plus grands peintres d'autrefois n'étaient que des pokémon de dessin animé. Un dessin animé brutal et absurde qu'il n'avait jamais pu apprécier, de surcroît.

- Si tu ne bougeais pas tant, ça serait plus simple ! protesta-t-il pour toute réponse.

Sandra grommela quelques paroles inaudibles, auxquelles il ne prêta pas attention. Elle ne faisait que cela depuis qu'elle avait pris la pose. Elle avait d'abord été enthousiaste à l'idée d'être son modèle, mais elle avait rapidement perdu son entrain quand elle avait compris que ce ne serait pas l'affaire de cinq minutes.

Peter baissa les yeux sur son esquisse. Il avait déjà tracé la silhouette de sa cousine au fusain et commençait à ajouter certains détails. Le visage, cependant, n'avait pas encore été entamé. Il le gardait pour la fin, de manière à s'appliquer autant que cela s'avèrerait nécessaire.

Il allait tracer un nouveau trait au fusain quand, soudain, une boule de neige s'écrasa sur sa feuille, détrempant le papier et réduisant son travail à néant. Il poussa un gémissement de dépit, qui fut vite étouffer par l'éclat de rire de Sandra.

- La prochaine fois, tu iras plus vite ! s'exclama-t-elle. Non, en fait, il n'y aura pas de prochaine fois, parce qu'il est hors de question que je recommence cette torture.

Peter, dépité, s'arracha à la contemplation de son dessin ruiné, pour recevoir une sphère blanche et molle en plein visage. La neige le frigorifia aussitôt et, comme il n'avait pas eu le temps de fermer les yeux, le picota en s'engouffrant dans ses globes oculaires.

- Arrête ! Ce n'est pas marrant.

- Bien sûr que si ! C'est comme un combat pokémon, mais avec de la neige.

- Au cours d'un combat pokémon, le dresseur n'a rien d'autre à faire que donner ses instructions.

- Eh bien, dis-toi que c'est un combat de futurs dresseurs.

Peter s'abrita derrière son calepin pendant que de nouvelles munitions fondaient sur lui. Sandra ne lui laissait pas une seconde pour réagir et il comprit rapidement qu'il n'avait pas le choix. Elle continuerait jusqu'à ce qu'il décide d'entrer dans son jeu. Il lâcha donc son carnet dans la neige et saisit une poignée blanche à pleine main, qu'il jeta sur sa cousine.

Il manqua sa cible d'un bon mètre, ce qui donna à Sandra une raison supplémentaire de se moquer de lui, avant qu'elle l'atteigne à l'épaule. La parcelle de terrain sur laquelle ils étaient installés se transforma en champ de bataille et, bientôt, le sol commença à reparaître, grâce à toute la neige qu'ils déblayaient.

Ils cessèrent leur jeu une quinzaine de minutes plus tard, trempés et des flocons dans les cheveux. Si Sandra portait des gants, ce n'était pas le cas de Peter, qui avait les doigts bleus par le froid. Il souffla dessus pour tenter de les réchauffer tandis que la fillette, haletante, le rejoignait.

- Alors ? demanda-t-elle. Ce n'est pas mieux, un peu d'action ?

- Si tu le dis, marmonna Peter, qui n'était pas vraiment convaincu, mais qui ne tenait pas à la contrarier pour autant. En tout cas, mon calepin est fichu, maintenant.

D'un geste, il désigna le carnet aux pages gondolées qui avait été la principale victime de cette bataille de boule de neige. Sandra eut un haussement d'épaules indifférent. Pour elle, ce n'était jamais que du papier.

- Dis, Sandra... commença Peter alors qu'ils prenaient la direction de l'Arène en grelottant. Est-ce que tu recommenceras à me bouder, lorsque je retournerai à l'école ?

- Bien sûr que oui.

- Mais pourquoi ?

- Parce que tu vas encore m'abandonner, lâcha-t-elle. Et chaque fois que tu m'abandonneras, je serai furieuse après toi.

- Qu'est-ce qu'il faut que je fasse pour ne pas que tu m'en veuilles ? À part rester.

- Ne pas partir.

Peter soupira. Il aurait aimé que ce soit aussi simple. Lui non plus ne se plaisait pas à l'École des dresseurs. Non que les cours ne soient pas passionnants, bien au contraire, mais parce qu'il vivait très mal l'éloignement, lui qui n'avait jamais été séparé de sa cousine depuis qu'ils étaient venus au monde.

- J'ai une idée ! annonça-t-il soudain, quand ils avaient presque atteint la porte. Il y a peut-être un moyen pour que nous soyons l'un avec l'autre, malgré la distance.

- Un pokémon avec Téléport ? suggéra Sandra.

- Si seulement nous en avions un, ce serait beaucoup plus simple, en effet. Non, ce n'est pas ça. Nous pouvons être ensemble, mais en pensées. Tous les soirs, toi et moi, nous nous mettrons devant la fenêtre, nous regarderons la lune et nous nous parlerons. Même si nous ne pouvons ni nous voir ni nous entendre, au moins nous saurons que l'autre fait exactement la même chose.

- C'est stupide, objecta la fillette. Il n'y a que les Grahyèna qui hurlent à la lune.

- Je n'ai jamais dit qu'il fallait hurler. C'est simplement un bon moyen de se rappeler l'un à l'autre.

- Un mauvais moyen, plutôt.

- Ce n'est sans doute pas ce que tu voudrais, admit Peter, mais c'est toujours mieux que rien, non ?

Sandra ne répondit pas. Elle glissa sa main dans la poche de son manteau et referma les doigts sur la pierre que son cousin lui avait offert, des semaines plus tôt, lorsqu'elle avait appris qu'il était sur le point de quitter Ébènelle pour Mauville. Elle ne s'en séparait jamais. Elle avait pris l'habitude de la serrer dans sa paume lorsque Peter lui manquait trop ou qu'elle éprouvait du chagrin.

Ce qu'elle désirait par-dessus tout, c'était qu'il reste, qu'il ne la quitte plus jamais, mais aussi entêtée qu'elle l'était, elle savait parfaitement que c'est impossible. Il devait retourner à l'École des dresseurs, tout comme elle-même irait un jour. À ce moment-là, ils se retrouveraient pour de bon, mais en attendant, elle devait être patiente. La patience était cependant un mot qui n'existait pas dans le dictionnaire de Sandra.

- Et s'il y a un soir où tu ne peux pas te mettre à la fenêtre ? demanda-t-elle. Ou si des nuages masquent la lune ?

- La lune sera toujours là, il suffira de regarder dans sa direction et de l'imaginer. Quant à ta première question, tu n'as pas à t'inquiéter. Rien n'y personne ne pourra m'en empêcher.

- Tu me le promets ? Tu le promets vraiment ? interrogea Sandra, l'air suspicieux.

- Bien sûr que oui. Je serai au rendez-vous. Et toi ?

- Moui... accepta-t-elle enfin. D'accord.

Le cœur de Peter lui parut soudain plus léger et, alors qu'ils étaient sur le point de franchir la porte de l'Arène, sa cousine laissa retomber la pierre au fond de sa poche pour refermer à la place sa main sur celle du garçon. Il s'empourpra mais sourit, heureux.

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