Fer de Lance

Chapitre 14 : Têtue pour têtue

2401 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 07/12/2017 22:26

Sandra revint à elle en crachant un long jet d'eau. Elle toussota pendant plus d'une minute, grelottant parce qu'elle était trempée jusqu'aux os. Il lui fallut un moment pour se souvenir qu'elle se trouvait dans l'Antre du Dragon, et plus encore pour se remémorer ce qui lui était arrivé.

Peter était assis près d'elle, son Minidraco enroulé sur lui-même, juste à côté de lui. Dès que sa cousine se redressa, il lui tapota le dos pour l'aider à vider ses poumons du fluide qui les obstruait. Sandra avait beau être mal en point, cela ne l'empêcha pas de l'écarter d'un coup de coude.

- Recule, j'ai besoin d'air, aboya-t-elle.

- Et comment, que tu en as besoin. Tu serais morte si je ne t'avais pas tirée hors du lac.

Sandra réalisa soudain que les habits et les cheveux du garçon étaient tout aussi mouillés que les siens. Il l'avait sauvée, ce qui signifiait qu'elle allait devoir lui être reconnaissante, et même pire, redevable. Cette pensée lui provoqua un haut-le-cœur et elle se pencha vers l'avant pour vomir encore un peu d'eau.

- Je suppose que tu attends un remerciement de ma part ? marmonna-t-elle d'une voix rauque.

- Non, mais Sandra... Il faut que tu cesses d'être aussi téméraire. Si je n'avais pas été là, tu...

- Je m'en serais parfaitement sortie, rétorqua-t-elle. Je n'avais pas besoin de toi.

- Vraiment ? Par quel miracle ?

La fillette fronça les sourcils. L'eau avait-elle détraqué son cerveau ou Peter était-il réellement en train de lui tenir tête ? Ce serait bien la première fois en huit ans qu'il oserait. Elle aurait pu trouver cela courageux si cela ne lui avait pas semblé aussi stupide.

- Par le miracle que je suis bien plus débrouillarde que toi.

- Tu as surtout été inconsciente ! C'est vrai, tu es bien plus douée que moi pour te tirer de situations impossibles, mais un jour, tu iras trop loin, et ç'aurait été le cas aujourd'hui si je n'étais pas intervenu.

- Garde ta morale pour toi, tu veux ? Sans ton cher petit pokémon, tu n'en aurais pas mené plus large que moi.

- Sans mon cher petit pokémon, je n'aurais même pas trouvé la bravoure nécessaire pour pénétrer seul dans l'Antre du Dragon.

Sandra cligna des yeux. Absorbée par sa colère, elle n'avait même pas réalisé que Peter s'était pour la première fois aventuré de son plein gré dans la caverne. D'ordinaire, il fallait qu'elle l'y traîne de force ou qu'il soit accompagné de Nicolas pour qu'il consente à y mettre les pieds.

- Personne ne t'a demandé de venir. Qu'est-ce que tu fais là, d'abord ?

- Je suis venu te chercher, répondit Peter. Tu étais vraiment furieuse lorsque tu as quitté l'Arène et je ne voulais pas que tu restes fâchée contre moi.

- Ah oui ? Bah c'est raté. Et ce n'est pas avec le sermon que tu essayes de me faire que ça va s'arranger.

- Tu ne comprends pas, Sandra. Je ne veux pas me mettre en colère, et encore moins te sermonner. Tu n'as pas idée de la peur que j'ai ressentie lorsque j'ai vu cette Draco t'attaquer, et surtout quand tu as sombré dans les profondeurs de l'étang. J'ai bien cru que...

Peter n'acheva pas sa phrase. Il prit sa cousine au dépourvu en se jetant à son cou et en l'étreignant de toutes ses forces. Lorsque Sandra réagit, ce fut pour le repousser brutalement vers l'arrière. Le garçon retomba sur son séant, tandis qu'elle-même reculait. Pas question qu'elle se laisse amadouer avec des câlins !

- Sandra, je... Je suis désolé.

L'adrénaline qui s'était emparée de Peter lorsqu'il avait craint pour la vie de la fillette commençait à s'évanouir. Il redevenait l'être timide qu'il avait toujours été face à elle, et non quelqu'un capable de lui tenir tête.

- Tu peux l'être ! aboya-t-elle. À quel propos ?

- À propos de Drake. Je regrette que mon père ait fait un choix qui te mette autant en colère, mais d'un autre côté, je suis heureux. Quand il évoluera en Draco, j'aurai la fierté d'entraîner ton pokémon préféré. Et en attendant, quand toi tu recevras ton propre Minidraco, nous serons absolument pareils. Des dresseurs jumeaux, en quelque sorte.

- Pff...

Sandra soupira, mais en réalité, elle n'avait rien écouté. Sa mémoire avait été altérée par son bain forcé et elle venait seulement de se rappeler de la raison de sa présence dans l'Antre du Dragon. Elle balaya les alentours du regard et finit par repérer ce qu'elle cherchait : la pokéball renfermant son propre pokémon.

Elle avait roulé entre deux rochers et Sandra se décala d'un pas sur la droite, afin de masquer sa vue à Peter. S'il la remarquait, il s'interrogerait, or c'était un secret que la fillette ne tenait pas à partager, encore moins avec lui. Il apprendrait en temps et en heure qu'elle possédait un Minidraco, c'est-à-dire le jour où elle déciderait de lui infliger une cuisante défaite en combat singulier.

- Viens, conseilla Peter. Il fait frais, ici, et tu es trempée. Si tu restes là, tu vas attraper un rhume. En plein été, ce serait tout de même le comble, non ?

- Je n'ai jamais été malade de toute ma vie. C'est toi qui passes la moitié des hivers à grelotter dans ton lit avec de la fièvre, un mouchoir et des médicaments. Je sortirai d'ici quand je l'aurai décidé.

- Et quand le décideras-tu ?

- Dès que tu seras parti.

Peter ne releva pas. Il n'avait pas très envie de laisser Sandra seule dans l'Antre après ce qui s'était produit, mais il savait aussi qu'elle ne céderait pas, tout ceci dans l'unique but d'avoir le dernier mot. Il rappela donc Drake dans sa pokéball et tourna les talons, sentant dans sa nuque le regard noir de sa cousine qui l'accompagnait.

Dès qu'il fut hors de vue et que Sandra n'entendit plus l'écho de ses pas, elle s'empressa de ramasser la pokéball, de la réduire et de la glisser dans sa poche. Elle devrait juste se montrer prudente lorsqu'elle changerait de vêtements, et s'assurer qu'elle aurait toujours un endroit où la cacher sur elle.

Elle sortit de la caverne et étouffa un grognement entre ses lèvres quand elle constata que Peter se trouvait aux abords de l'étang, en compagnie de Gabriel. Son père ne la remarqua pas immédiatement, mais elle-même perçut des bribes de leur conversation.

- C'est ma faute, assura le garçon. Elle était assise au bord du lac et comme elle ne voulait pas me suivre, je l'ai tirée par le bras, mais elle a cru que je la chahutais. En essayant de se défendre, nous avons tous les deux basculé dans le lac.

- Basculé ? Ou elle t'a poussé ?

- Non. Je te jure qu'elle n'y est pour rien, tonton Gabriel.

Ainsi donc, il fallait aussi qu'il se sente tenu de la protéger en mentant sur les événements. Parfois, le côté chevalier servant de Peter agaçait Sandra au plus au point. Elle voulait devenir dresseuse de dragons, pas demoiselle en détresse prisonnière d'un dragon, comme c'était le cas dans les contes de l'ancien temps. D'ailleurs, son cousin avait bien plus qu'elle le profil de la jouvencelle.

- Peter, rentre chez toi enlever ces vêtements mouillés. Et toi, Sandra, viens par ici.

Gabriel avait fini par l'apercevoir. Il lui fit signe d'approcher, tandis que Peter s'éloignait en direction de l'Arène. Sandra rejeta la tête à l'arrière avec dédain et avança jusqu'à son père. Nulle colère ne transparaissait dans son regard lorsqu'elle s'immobilisa face à lui.

- Est-ce que tu as conscience qu'il serait prêt à se faire accuser de tout à ta place ? soupira Gabriel. Je suis sûr que si on lui posait la question, il serait même d'accord pour revendiquer l'incendie de la Tour Cendrée.

- Je n'étais pas née quand elle a brûlé, répliqua Sandra.

- C'était un simple exemple. Pour être franc, je crois que je ne vous comprendrais jamais, tous les deux. Plus il est gentil avec toi, plus tu lui rends la vie infernale. Et plus tu lui rends la vie infernale, plus il est gentil avec toi. Vous êtes si jeunes... Je n'ose même pas imaginer ce que donnera ce cercle vicieux lorsque vous aurez atteint l'âge adulte.

- Quand nous serons adultes, Peter deviendra le Champion d'Ébènelle, et il est hors de question que je reste ici pour assister à son triomphe. Je ferai le tour du monde et je deviendrai la meilleure dresseuse en écrasant tous ceux que je croiserai sur ma route, à commencer par Peter.

- Dans ce cas, tu devrais te réjouir qu'il ait un Minidraco.

- Je ne vois vraiment pas ce qu'il y a de drôle là-dedans, riposta Sandra.

- Vraiment ? Réfléchis une seconde. Si Peter et toi avez le même pokémon, n'en retireras-tu pas une plus grande satisfaction de prouver que le tien lui est supérieur ?

Le visage de Sandra s'illumina. Elle n'avait pas vu les choses sous cet angle, mais son père avait toujours su trouver les mots pour lui parler. Il la comprenait mieux que quiconque, mais elle avait bien trop d'orgueil pour admettre que quelqu'un pouvait la connaître aussi bien.

Sa fureur envers son cousin et les événements récents commençaient à s'estomper, à mesure que la fillette recouvrait son assurance. Elle le ferait. Elle vaincrait tous les dresseurs, à commencer par Peter, mais pour cela, il fallait d'abord qu'elle s'entraîne si elle voulait que son Minidraco surpasse le sien.

- Et maintenant, viens, mon futur prodige, sourit Gabriel. Rentrons te trouver des vêtements secs.

- Pas besoin. Il fait chaud et le soleil les sèchera vite, si je reste dehors. Je vais aller me promener.

Avant que l'homme n'ait pu émettre quelque objection, Sandra s'était déjà élancée en bondissant vers le chemin qui menait au village. Elle devrait trouver un endroit tranquille où personne ne risquerait de la surprendre et où elle pourrait entraîner son pokémon en paix.

Ce n'était pas ce qui manquait à Ébènelle, et Sandra connaissait la cité comme sa poche. Elle avait déjà en tête ce petit bosquet d'arbres, non loin de la route 45, où la végétation la dissimulerait et où elle aurait assez d'espace pour libérer son nouveau partenaire. Impatiente d'être sur place, la fillette intensifia son allure.

Une douce odeur de sève de pin flottait dans l'air, un parfum que Sandra avait toujours adoré. Heureusement, d'ailleurs, car il était légion dans cette partie de la région, où presque tous les arbres étaient des conifères. À l'ombre de leurs épines, dans une sorte de petite clairière, l'enfant trépignait d'excitation.

- En avant ! s'exclama-t-elle.

Le Minidraco surgit devant elle et, en l'observant plus attentivement qu'au moment de sa capture, Sandra remarqua qu'il s'agissait d'une femelle. Les Draco étaient plus faciles à distinguer, car les écailles des mâles étaient plus ternes, mais la différence était moins flagrante chez leur sous-évolution.

- Bonjour, je suis Sandra Lance. C'est moi qui t'ai capturée tout à l'heure. À partir de maintenant, je suis ta dresseuse.

Elle étendit la main vers la petite dragonne, mais celle-ci s'écarta d'un mouvement brusque, avant de se recroqueviller, apeurée. Apparemment, elle gardait un traumatisme de sa capture un peu brutale.

- Allons, ne t'inquiète pas, la rassura Sandra. Nous sommes amies, toi et moi. Tu verras, je vais t'apprendre plein de capacités et si tu veux, je te ferai même goûter à des sucreries pokémon. Il y en a dans le kit de dressage que mon imbécile de cousin a reçu pour s'en anniversaire, je lui en chiperai quelques-unes pour toi.

La Minidraco, toujours méfiante, refuse toujours de se laisser approcher, malgré la douceur étonnante avec laquelle Sandra s'adresse à elle. La fillette, loin d'être patiente, prend sur elle pour garder son calme.

- Et si je commençais par te trouver un nom ? Hum... Laisse-moi réfléchir... Pourquoi pas Karai ? C'est mon personnage préféré dans les Carabaffe Ninja. Elle est super géniale et c'est une battante, tout comme tu le deviendras toi aussi un jour. Et ensemble, nous donnerons une bonne leçon à mon cousin, en lui montrant que nous sommes les plus fortes. Qu'est-ce que tu en dis ?

La Minidraco lui jeta un regard en coin, sans céder pour autant. Sandra se mordit la lèvre en étouffant un soupir. Elle commençait à se demander si elle n'avait pas capturé le pokémon le plus entêté de toute l'Antre du Dragon. Même elle, elle ne l'était pas autant. Quoique...

- Tu sais, à un moment donné, tu seras bien obligée de céder, fit remarquer Sandra. Je t'ai attrapée, ce qui signifie que tu es à moi, maintenant. Alors tu as le choix. On peut être amies et accomplir de grandes choses toutes les deux, ou tu peux continuer à bouder dans ton coin, mais dans ce cas, ça ne changera rien. Crois-moi, je sais de quoi je parle. J'ai passé les deux dernières années à faire ça et elles ne se sont pas écoulées plus vite.

Cette fois-ci, la petite dragonne parut se détendre un peu. Son regard se fit moins craintif et elle considéra sérieusement la main que Sandra lui proposa derechef. Finalement, elle glissa jusqu'à elle pour lui donner un petit coup de tête. La fillette afficha un sourire triomphal.

- Dans tes dents, Peter ! Ma chère Karai, nous allons former une équipe du tonnerre, toi et moi !

Laisser un commentaire ?