Fer de Lance

Chapitre 26 : La mission de Sandra

2464 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 10/09/2018 22:12

- Reste-là, ordonna Johnson en désignant une chaise à Sandra, à côté d'une plante verte qui la dissimulerait partiellement. Il vaut mieux que Kévin ne te voie pas, sinon il se douterait de quelque chose.

D'un pas traînant, la fillette se dirigea vers le siège, sur lequel elle se laissa tomber. Différents posters et prospectus étaient épinglés au pan de mur qui lui faisait face. Sandra en parcourut quelques-uns des yeux, avant de cligner des paupières, blasée. Ils n'exprimaient rien d'autre que ce qu'on lui serinait depuis sa plus tendre enfance, comme le fait qu'il était important de bien se brosser les dents ou de dormir suffisamment.

Deux coups secs résonnèrent dans le couloir quand Johnson toqua à la porte de la chambre dans laquelle se trouvaient Kévin et son Débugant. Sandra tendit l'oreille afin d'écouter ce qu'il allait dire au garçon, mais elle croisa les bras avec ennui lorsqu'il s'aperçut qu'il n'y avait rien d'intéressant à entendre.

- Le principal est en train d'interroger Peter Lance, indiqua Johnson, et il voudrait également te voir pour que tu lui racontes ta version des faits. Tu veux bien aller attendre devant son bureau ?

- Oui, monsieur. Ne t'inquiète pas, Junior, je vais revenir. Courage, et sois tranquille : Peter va être puni pour ce qu'il t'a fait.

Sandra leva les yeux au ciel et manqua de pouffer de rire quand Kévin poussa un sanglot exagéré. En revanche, elle dut prendre sur elle pour ne pas lui sauter dessus et le plaquer violemment à terre quand il passa devant elle sans la voir afin de se diriger vers la sortie. Même si une paire de claques ne lui ferait pas de mal, cela ne servirait à rien.

Les pas de Johnson s'éloignèrent ensuite vers le fond du couloir, où se trouvait le bureau de l'infirmière Joëlle. Sandra se leva en silence et écarta discrètement les feuilles pendantes de la plante. Elle regarda le professeur disparaître à l'intérieur de la pièce, puis refermer la porte derrière lui. C'était le moment ou jamais d'agir.

***

Peter avait glissé ses mains sous ses cuisses et remuait timidement ses jambes d'avant en arrière, pendant que Fontaret faisait les cent pas dans son bureau. Après plusieurs minutes de volte-face, il finit par s'immobiliser face à l'élève, qui se recroquevilla davantage sur son siège.

- Tu veux vraiment me faire croire que c'est Kévin qui a blessé son Débugant ? Absurde. Quel dresseur, même apprenti, irait faire ça à son pokémon ?

- Monsieur, je...

- C'est Sandra qui t'a soufflé cet horrible mensonge, n'est-ce pas ? Ça lui ressemble bien, alors que je m'attendais à mieux de ta part.

- N-Non, elle...

- Cesse de m'interrompre sans arrêt. J'ai écouté ce que tu avais à dire, à présent c'est à ton tour. Je peux comprendre que tu tiennes à protéger ton Minidraco, mais tu rendras service à tout le monde, et surtout à toi-même, en admettant qu'il a échappé à ton contrôle.

- Drake n'y est pour rien ! protesta Peter avec un sursaut de courage. D'ailleurs, c'est moi que Kévin accuse, pas mon pokémon.

- Dans ce cas, soit je crois Kévin et j'en conclus que tu es coupable, soit je me dis que, sous le coup de la colère et de l'inquiétude engendrée par la blessure de son Débugant, il t'a surtout désigné par dépit. Ce sont les deux seuls explications vraiment plausibles à mes yeux.

- Drake n'a jamais fait de mal à personne, et moi non plus. Pourquoi...

- Justement, parlons-en. Ton professeur, monsieur Johnson, a souligné l'étrangeté de tes résultats. Le fait que tu te sois mis à remporter soudainement tous tes matchs contraste avec tes précédentes défaites. Un sursaut d'assurance, peut-être ? Grisé par la victoire, tu t'es laissé emporter, avec les fâcheuses conséquences que l'on connaît.

Peter baissa les yeux. Si seulement il avait eu un argument imparable à présenter à Fontaret... Il regrettait sincèrement que Sandra ne soit plus auprès de lui, car astucieuse comme elle l'était, elle aurait sûrement déjà trouvé. Encore que... Il aurait fallu que le principal la croie, or il semblait avoir beaucoup de difficulté à se fier à la parole d'un Lance, au point d'accorder plus de foi à celle de Kévin.

- Alors ? insista l'homme, les bras croisés, en dominant Peter de toute sa hauteur.

- Je... Je ne...

Il secoua la tête, incapable d'aller plus loin. Il avait dit tout ce qu'il avait à dire, et il ne voyait pas quoi rajouter. Il allait être renvoyé, c'était certain. Sandra serait furieuse, assurément, et son père... Comment oserait-il regarder Nicolas dans les yeux, après cela ? Sa famille réussirait-elle à croire qu'il s'agissait d'un malentendu ? Ou penseraient-ils tous qu'ils s'étaient trompés sur son compte et qu'il était un apprenti dresseur violent ?

Cette pensée le fit frémir. Il assumait sa lâcheté, il encaissait sans ciller les fois où Sandra le traitait d'imbécile, mais l'idée qu'on puisse le considérer comme un être agressif, lui qui était doux comme un Wattouat, le perturbait.

- Bon, sors d'ici, intima Fontaret en désignant la porte qu'il venait d'ouvrir.

Peter, qui pensait que son moral n'aurait pu être plus bas, le sentit pourtant chuter davantage lorsqu'il aperçut Kévin, de l'autre côté du seuil. Ce dernier lui adressa un sourire narquois, que le principal ne remarqua évidemment pas, avant de prendre un air faussement éploré, tandis qu'ils se croisaient.

- Tu vas rester ici jusqu'à ce que j'en ai terminé avec ton camarade, ordonna Fontaret en désignant un siège, de l'autre côté du couloir. Si tu t'avises de bouger, tu ne feras qu'aggraver ton cas.

Peter se soumit docilement, même s'il voyait difficilement en quoi sa situation aurait pu être pire. Kévin, à grands renforts de larmes et de lamentations, allait convaincre Fontaret qu'il était un monstre cruel, qui ne méritait pas d'étudier dans une école aussi prestigieuse que celle-ci.

Abattu par l'espoir qui l'avait totalement abandonné, Peter s'affaissa contre le dossier du petit fauteuil rembourré et saisit la pokéball de Drake, qu'il caressa avec le revers de son pouce. Il faudrait toutefois plus que ce simple geste pour le réconforter. Il aurait fallu Sandra.

***

Sandra pénétra dans la pièce sur la pointe des pieds et referma le battant derrière elle, en veillant à ce que les gonds n'émettent pas un grincement susceptible de la faire repérer, même si elle doutait que Johnson l'entende depuis le bureau de l'infirmière.

Elle pivota ensuite sur elle-même pour faire face à un lit simple, dans lequel était étendu un petit pokémon. Le Débugant de Kévin dormait paisiblement, son bras plâtré reposant sur son abdomen musclé. Sandra aurait préféré qu'il soit réveillé. Si elle devait le tirer du sommeil, il paniquerait et il alerterait à coup sûr tout le monde.

Elle le jaugea du regard. Il n'avait pas l'air très lourd et, blessé, il aurait des difficultés à se défendre, surtout s'il était sous anesthésique. Sandra décida de prendre le risque. Elle s'approcha du matelas et plaqua une main sur la bouche du Débugant, tout en le secouant de l'autre.

Au bout de quelques secondes, il ouvrit les yeux, qui prirent aussitôt une expression affolée. Il tenta de se redresser, mais Sandra réussit, en pesant de tout son poids sur son épaule, à le maintenir contre le lit.

- Calme-toi, chuchota-t-elle précipitamment. Je ne te veux aucun mal, j'ai seulement besoin de ton aide. Je suis Sandra Lance, la cousine de Peter. Il a des ennuis à cause de ce que ton dresseur t'a fait.

La pression qu'exerçait le Débugant en tentant de s'opposer à elle s'estompa et, après une légère hésitation, la fillette le relâcha. Il était impératif de gagner sa confiance si elle voulait qu'il coopère. Elle s'installa sur la bordure, les jambes dans la vide, puis poursuivit :

- Peter va être renvoyé de l'école si j’échoue à prouver qu'il ne t'a pas fait de mal, mais je n'ai aucun moyen de convaincre le vieux schnock que c'est la vérité, du moins pas par ma seule parole. Il faut que toi, tu lui dises que c'est Kévin qui t'a cassé le bras.

Le pokémon baissa la tête. Il avait l'air triste et coupable en même temps, ce que Sandra n'eut aucun mal à interpréter. Il en voulait à son crétin de dresseur de lui avoir fait du mal, mais il lui était tout de même trop loyal pour songer à le trahir.

- La fidélité, c'est bien gentil, p'tit gars, mais qu'est-ce qui te prouve qu'il ne va pas recommencer ? S'il a été capable de te brutaliser une fois, il le refera. Tu n'es qu'un objet pour lui, pas un ami, sinon il aurait eu des scrupules à se servir de toi pour nuire à mon cousin. Ni toi ni Peter ne méritez de subir les conséquences des actes de Kévin. Tu comprends ?

- Bug...

Sandra jeta un regard anxieux en direction de la porte. Elle espérait que Johnson en aurait pour un moment, car convaincre le Débugant n’allait pas être une mince affaire. Il avait pourtant conscience qu’elle avait raison et qu’il devait l’aider, sans pour autant se résoudre à accepter de le faire.

Elle ferma les yeux, prit une profonde inspiration et afficha son air le plus éploré. Si ses parents cédaient presque toujours à ses caprices, ce ne serait pas un pokémon qui lui résisterait, encore moins alors que la situation l’exigeait.

***

Johnson observa les radios que Johanna Joëlle venait d’accrocher au tableau lumineux, après les avoir sorties d’un classeur de rangement. Les sourcils froncés, il tentait de repérer quelque chose, n’importe quoi, tendant à démontrer que Junior n’avait pu être blessé par Drake.

- Le problème, indiqua l’infirmière, c’est que les os sont très fragiles chez les jeunes pokémon, même ceux de type combat. Ils ne deviennent vraiment résistants qu’au terme de la croissance, et continuent à se solidifier une fois la créature évoluée.

- Autrement dit ?

- La cassure est nette et précise, mais elle a tout aussi bien pu survenir à cause d’une torsade que d’un écrasement, car il n’en faut pas beaucoup pour provoquer une fracture. Junior aurait eu quelques années, voire seulement quelques mois de plus, il aurait été facile de faire une différence, d’autant que je doute qu’un enfant, à ce moment-là, aurait pu le blesser si aisément, mais en l’occurrence... Navrée, je ne peux pas vous aider.

- Vous n’avez pas un avis ? Moins professionnel que personnel, s’entend ?

- Non, je regrette. Je ne connais pas assez vos deux élèves pour me permettre d’émettre un jugement, et surtout, mon sens moral refuse de croire que Kévin ait pu infliger ça à ce pauvre Junior.

Bien sûr, qui pourrait songer cela ? Johnson n’en démordait pourtant pas. Il allait simplement devoir trouver autre chose pour faire éclater la vérité et innocenter Peter. Peut-être en essayant de rallier des enseignants à sa cause ? Le premier nom qu’il lui vint à l’esprit fut celui de M. Herman. Il avait toujours semblé nourrir de la sympathie, voire de l’affection, pour le jeune garçon.

Avant de se diriger vers la salle des professeurs, cependant, il lui fallait affronter Sandra. Elle allait probablement exiger un compte-rendu de ses investigations et serait furieuse d’entendre que, pour l’heure, il n’avait fait aucune avancée, car elle ne lui paraissait pas plus tolérante que patiente.

Un soupir lui échappa lorsque Johnson découvrit que la fillette ne se trouvait plus à l’endroit où il l’avait laissée. Craignant le pire, il songea d’abord qu’elle avait dû se lancer à la poursuite de Kévin pour le forcer à passer aux aveux de manière musclée, avant de remarquer que la porte de la chambre de Junior était entrebâillée. De quelle naïveté il avait fait preuve en pensant que Sandra tiendrait sa promesse.

- Je t’avais bien dit de ne pas bouger, lâcha-t-il en poussant le battant. Est-ce que je peux savoir ce que tu as en t...

Il n’acheva pas sa phrase. Son sang ne fit qu’un tour lorsqu’il s’aperçut que la pièce était vide. Il n’y avait aucune trace de la cousine de Peter, pas plus que du pokémon de Kévin, et Johnson aurait mis sa main à couper que cette disparition simultanée ne devait rien au hasard.

- Infirmière Joëlle ! s’écria-t-il. Nous avons un problème.

L’intéressée apparut un instant plus tard dans l’encadrement, au pas de course. Un tantinet essoufflée, elle s’accorda le temps de prendre une bouffée d’oxygène avant de constater l’absence de son petit patient.

- Je suis presque sûr que Sandra Lance est parti avec lui, indiqua Johnson. Il faut les retrouver très vite, mais je vous en prie, aussi discrètement que possible.

- Discrètement ? Une élève a enlevé un pokémon blessé et...

- Elle ne lui fera pas de mal. Tout ce qu’elle souhaite, c’est prouver que son cousin ne lui en a pas fait non plus. Elle a sans doute une idée, mais le problème, c’est que ses plans sont assez... Disons que dans son intérêt à elle, il vaut mieux qu’elle ne la mette pas à exécution. S’il vous plaît, Johanna. Je vais vraiment avoir besoin de vous.

L’infirmière marqua un temps d’hésitation, mais finit par hocher la tête. Johnson fit volte face pour quitter la chambre et elle lui emboîta le pas, les mains moites. Jamais, en cinq ans de carrière, elle n’avait été confrontée à un tel cas de figure, et elle espérait que cela ne se répèterait pas. Après tout, elle était là pour soigner ses patients, pas pour leur courir après en secret dans tout l’établissement.

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