Fer de Lance

Chapitre 27 : Butés et bornés

2497 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 14/09/2018 22:03

- Sandra ? s’étonna Peter en voyant sa cousine surgir à l’extrémité du couloir. Mais qu’est-ce que tu fais là ? Si Fontaret te voit, il va... Attends... Ne me dis pas que c’est Junior ?

Il avait seulement entraperçu la silhouette du pokémon qui avançait tête basse dans le sillage de Sandra, mais cela lui suffit à l’identifier, bien qu’il ait un peu de mal à le croire. Sa cousine n’avait tout de même pas été le chercher à l’infirmerie pour l’amener ici alors qu’il était censé recevoir des soins ?

Il remarqua le bras plâtré du Débugant, tandis que Sandra franchissait d’un pas vif et déterminé la distance qui la séparait de Peter. Elle l’avait presque rejoint quand il bondit sur ses pieds. Il n’avait jamais été aussi heureux de la voir qu’en cet instant.

- Fontaret ne m’a pas cru, confessa-t-il. Il...

- Évidemment. Tu t’attendais à autre chose de la part de cet imbécile ? Ne t’en fais pas, j’ai la preuve de ton innocence avec moi.

D’un geste, elle désigna Junior, qui gardait toujours les yeux rivés sur le sol, incapable de croiser ceux de Peter. Ce dernier s’agenouilla face à lui et posa une main sur son épaule, du côté de son membre valide.

- C’est vrai, Junior ? Tu es prêt à révéler à Fontaret que ce n’est pas moi qui t’ai infligé cette blessure ? Mais si tu le fais... Tu as conscience de ce que ça signifie, n’est-ce pas ? Tu feras peser tous les torts sur Kévin.

- Ce serait regrettable, en effet, répliqua Sandra avec cynisme. Bon, attendez là, tous les deux. Une fois n’est pas coutume, je m’occupe de tout.

Le menton fièrement pointé vers l’avant, la fillette se dirigea vers la porte du bureau de Fontaret, contre laquelle elle toqua deux fois. La voix du principal s’éleva de l’autre côté, sommant son visiteur de repasser plus tard, car il était occupé.

Ignorant sa réponse, Sandra actionna la poignée et poussa le battant pour s’engouffrer dans la pièce. Sitôt que le regard du principal se posa sur elle, il se redressa en frappant violemment sa table de travail avec le plat de ses paumes, tout en la foudroyant des yeux. Il en fallait toutefois bien plus pour l’intimider.

- Très bien, tu as gagné ! vociféra-t-il. Dès que j’en ai terminé avec l’affaire de ton cousin, je réunis le conseil de discipline pour statuer sur ton exclusion, en espérant qu’elle soit définitive. Maintenant, sors d’ici tout de suite.

- Non.

Fontaret prit une profonde inspiration pour tenter de garder son calme, tandis que Kévin s’était légèrement tassé sur sa chaise. S’il aimait persécuter Peter, il s’était toujours arrangé pour ne pas avoir à recroiser le chemin de sa cousine. L’humiliation qu’elle lui avait infligée le jour de la rentrée resterait à jamais gravée dans sa mémoire.

- Qu’est-ce qu’il faut que je fasse avec toi ? soupira Fontaret. Que je t’enferme à double tour dans une pièce ? Ce serait contraire à toutes les règles d’éthique de cette école, mais je vais commencer par croire que c’est la seule solution.

Tout en prononçant ces mots, il avait contourné son bureau pour rejoindre Sandra sur le seuil. Il eut beau la dominer de toute sa hauteur, elle ne baissa pas les yeux, continuant à le fixer avec le même dédain qu’à l’accoutumée.

- Et si vous écoutiez ce que j’ai à vous dire, plutôt ?

- Tu ne crois pas que je t’ai assez entendue, et même assez vue comme ça ?

Fontaret la saisit par le bras, un peu plus brutalement qu’il l’aurait souhaité. Il ne devait pas se montrer agressif, sans quoi il sortirait du cadre de ses fonctions et risquerait de perdre son poste pour avoir violenté un élève. Avait-il une autre solution, cependant, face à Sandra Lance ?

Tout en s’appliquant à maîtriser sa colère, il la repoussa hors de la pièce et saisit la porte qu’il referma en claquant. Hors de son champ de vision, il n’avait pu remarquer Peter et Junior qui patientaient sagement, comme la fillette le leur avait ordonné.

- Tant pis, il l’aura voulu. On passe au plan B.

- Sandra... murmura Peter. Tu ne peux pas faire ça. Tu es à deux doigts d’être renvoyée, toi aussi, et même si tu arrives à prouver mon innocence, Fontaret ne se montrera pas plus clément envers toi.

- Si j’arrive à prouver ton innocence, je prouverai dans le même temps qu’il a tort et qu’il a refusé d’entendre la vérité uniquement parce que nous sommes des Lance. S’il avait accepté de nous écouter dès le départ, je n’aurais pas eu à faire tout ça.

Peter ouvrit la bouche, sans toutefois savoir que répondre. Si l’argument de Sandra se tenait, elle n’était pas sûre qu’il ait son efficacité face à Fontaret, en dépit de sa pertinence.

- Viens par ici, p’tit gars, intima Sandra à Junior. Et enfonce cette porte ?

- Quoi ? s’exclama Peter. Non, non, non ! C’est de la fol...

Il n’eut pas l’occasion d’achever sa phrase. D’un coup de pied, le Débugant arracha le battant de ses gonds, qui tomba dans un fracas tonitruant à l’intérieur du bureau. Kévin bondit aussitôt de sa chaise pour aller se tapir contre le mur opposé, pendant que Fontaret s’époumonait. Il s’interrompit cependant sitôt qu’il réalisa que c’était Junior qui se tenait aux côtés de Sandra.

- Qu’est-ce que... commença-t-il.

- Comme je vous l’ai dit il y a quelques secondes, avant que vous ne décidiez de jouer les têtes de nœud, il faut qu’on cause. P’tit gars, tu veux bien montrer à cet imbécile de vieux schnock qui est vraiment responsable de ton état ?

Le pokémon marqua une hésitation, pendant que Sandra avançait sur la porte gisant à terre et que Peter se faisait tout petit sur le seuil, à l’instar de Kévin à l’autre bout de la pièce. Toute trace d’expression narquoise ou malveillante avait disparu de son visage, qui n’affichait plus que de la peur.

- P’tit gars ? insista la fillette.

- Bug... ant.

Elle vit son regard se troubler tandis qu’il levait en tremblant son bras valide, pour le pointer sur Kévin. Sandra tapota solidairement l’omoplate du Débugant, pendant que son propriétaire bafouillait :

- C’est... C’est n’importe quoi ! Je suis sûr que c’est elle qui l’a... Elle a dû le menacer. Oui, c’est ça ! Elle l’a menacé pour le forcer à m’accuser et protéger ainsi son cousin. C’est un coup monté.

- C’est un coup monté, c’est vrai, répéta Sandra, mais le tien, pour provoquer le renvoi de Peter. Si j’ai convaincu ton pokémon de parler contre toi, je devrais sûrement aussi pouvoir persuader tes amis d’avouer ce que tu lui fais subir.

- Comment ça ? intervint Fontaret, rouge de colère. Je ne comprends rien ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

- Et ça dirige une école... Déjà, le matin de la rentrée, Kévin et sa clique s’en sont pris à Peter. Ce jour-là, c’est moi qui les ai mis en déroute en leur jetant de la caillasse, mais...

- Quoi ? Tu as caillassé d’autres élèves ?

- Non mais oh ! s’emporta Sandra. Vous le faites exprès d’entendre que ce que vous voulez, ou quoi ? Je vous dis que ça fait une éternité que Kévin persécute mon cousin, qu’il a été jusqu’à blesser son propre pokémon pour le faire renvoyer, et tout ce dont vous vous préoccupez, c’est de ce que j’ai pu lui balancer par la tête, alors qu’il le méritait ?

Peter, dont le regard avait jusqu’à présent fixé alternativement Sandra et Fontaret, se tourna vers le couloir, où il entendait des bruits de pas précipités. Alertés par le vacarme produit par la porte en s’écroulant et par les cris qui s’en étaient suivis, plusieurs professeurs approchaient.

- Nom d’Arceus ! s’exclama M. Lebattu en découvrant l’état des lieux. Sandra Lance, mais qu’est-ce que tu as fait, cette fois ?

Il était accompagné de Mme Elmire et de M. Herman. À sa vue, Peter ressentit une pincée d’espoir. Le professeur avait toujours été bon pour lui, et il espérait qu’il croirait le récit de Sandra plutôt que la mise en scène de Kévin.

- Je n’ai rien fait, répliqua l’intéressée. Ou plutôt, je n’aurais rien fait si on ne m’avait pas forcée à en arriver là.

- Ça suffit, silence ! tonna Fontaret. Je n’en peux plus ! Madame Elmire, rassemblez tous les professeurs dans la salle de réunion. Et vous, Lebattu, trouvez Johnson et ramenez-le-moi immédiatement.

Cet ordre ne fut pas nécessaire, car au même moment, la porte donnant sur le secteur administratif s’ouvrit sur l’enseignant qui avait le souffle court, l’infirmière Joëlle sur ses talons. Il se figea lorsqu’il remarqua l’attroupement formé devant le bureau de Fontaret et se tapota le front, luisant de sueur, avec sa manche en apercevant la porte défoncée.

- Ah, vous voilà, vous ! s’écria le principal. Vous n’auriez pas pu surveiller cette gamine ? Elle fait plus de dégâts à elle seule qu’un troupeau de Donphan ! Et vous, Johanna, expliquez-moi comment un pokémon blessé peut se retrouver avec elle ? Vous n’avez rien vu, à l’infirmerie ?

- Le professeur Johnson a tenu à étudier les radios de Junior, révéla-t-elle, la respiration saccadée. Il pensait...

- ... ce que vous savez déjà, monsieur, coupa l’intéressé, parce que c’est ce que Sandra est venue vous prouver, n’est-ce pas ?

C’était la seule explication qu’il voyait au fait que la fillette se soit rendue ici en compagnie du Débugant de Kévin. Le comportement de ce dernier avait d’ailleurs radicalement changé depuis que Johnson l’avait quitté. Sa tristesse exagérée et ses gémissements avaient laissé place à un mélange de colère et de peur.

- Tout ce qu’elle a prouvé, c’est son instabilité et sa dangerosité. Ce pokémon est perturbé, il vient d’être blessé et il peut aussi bien lui obéir par crainte, même si elle le force à mentir.

Johnson soupira, pendant que Herman se pinçait l’arête du nez. Il était évident que Fontaret avait un parti pris contre les Lance, à l’instar de la plupart des autres professeurs. Ils échangèrent un regard, qui en révéla long sur le fond de leur pensée. Il n’y avait qu’à eux deux qu’ils pourraient espérer ramener les autres à la raison, ou plutôt les contraindre à admettre la vérité.

- Monsieur, je crois que cette histoire a pris des proportions telles que nous devrions recommencer à zéro, tenta Herman. C’est une bonne chose d’avoir ordonné une réunion d’urgence, mais je pense que nous devrions réécouter ces enfants un par un, dans le calme.

- Le calme ? Vous croyez que nous en serions là si c’était possible ?

- Avec tout le respect que je vous dois, monsieur, vous n’avez donné aucune chance à Sandra de s’exprimer, intervint Johnson. Je sais qu’elle est assez... vive, et on pourrait même aller jusqu’à la taxer d’insolence, mais face à votre refus, elle a décidé d’étayer ses paroles par des preuves, que vous vous obstinez à ne pas prendre en considération. Je ne défends pas son attitude, mais en cet instant, je cautionne encore moins la vôtre.

- Je vous demande pardon ? Je...

Herman s’approcha du principal pour poser une main ferme sur son épaule et la presser légèrement. D’une voix douce et autoritaire à la fois, il déclara :

- Je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur exemple à donner de se quereller devant les élèves. Infirmière Joëlle, quand vous regagnerez l’infirmerie, faites un détour par le bureau des surveillants pour leur demander de venir surveiller ces trois-là, pendant que nous nous entretiendrons.

- D’accord. Viens, Junior.

- Non, le pokémon reste, coupa Herman. Nous aurons besoin de son témoignage. Seul, sans personne pour lui mettre la pression, qu’il s’agisse de mademoiselle Lance ou de monsieur Trudeau.

Sandra déglutit et jeta un regard implorant, ce qui était fort rare de sa part, au Débugant. Il était son unique espoir. S’il décidait de retourner sa veste au dernier moment, alors cela scellerait non seulement le sort de Peter, mais également le sien. Si elle ne pouvait démontrer qu’elle avait raison après tout ce qu’elle avait entrepris, elle serait sans doute renvoyée, elle aussi.

Fontaret, que l’intervention de Herman avait réussi à apaiser quelque peu, leur intima d’un ton sec de s’asseoir sur les fauteuils qui jouxtaient le mur, dans le couloir, et de ne pas bouger, menaçant d’exclure sans autre forme de procès celui qui s’y risquerait.

Sandra, qui savait quand il était impératif d’obéir, fut la première à se diriger docilement vers un siège, Peter choisissant de s’installer sur celui qui se trouvait juste à côté. Elle avait fait tout ce qui était en son pouvoir, mais n’avait plus aucune carte en main, désormais. Elles étaient entre celles de Johnson et des autres professeurs.

Alors qu’elle fixait la porte défoncée du bureau de Fontaret sans vraiment la voir, elle sentit la paume de son cousin se poser sur sa jambe. Lorsqu’elle se tourna vers lui, elle remarqua qu’il lui adressait un sourire à la fois triste et reconnaissant. Mettant son orgueil dans sa poche, elle consentit à le lui rendre et referma ses doigts autour des siens, dans un geste qui se voulait à la fois protecteur et rassurant.

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