Fer de Lance

Chapitre 28 : La sanction

2615 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 21/09/2018 21:25

Fontaret passa une main sur son front qui commençait à se dégarnir. Il avait mal à la tête et n’avait qu’une hâte, que tout ceci se termine. Il était loin du compte, cependant, car ils n’avaient toujours pas statué sur le sort des trois élèves qu’ils venaient d’interroger dans la salle de réunion.

Il leva la tête des feuilles posées devant lui, sur lesquelles il n’avait pris aucune note, se contentant d’écouter les récits narrés les uns à la suite des autres. Junior, le Débugant de Kévin, était en train de quitter la pièce, escorté par M. Johnson. Cela en coûtait à Fontaret de le reconnaître, mais sûrement pour la première fois de sa vie, Sandra Lance avait dit la vérité.

- Je crois que nous serons tous d’accord pour dire que Peter ne mérite aucun châtiment, voire des excuses de notre part pour ne pas avoir réalisé avant de quelle persécution il était victime, déclara M. Herman.

Un murmure approbateur parcourut les professeurs rassemblés autour de la table ovale. Mme Elmire y ajouta un regard coupable, pendant qu’elle joignait modestement les mains sur ses genoux.

- En ce qui concerne Kévin... commença M. Lornet, le professeur d’élevage. Son attitude est indigne de notre école, et de tout dresseur ou apprenti dresseur qui se respecte. Si nous nous montrons intransigeants en cas d’accident, nous devons l’être encore plus en de telles circonstances. Une blessure délibérée sur un pokémon, ça équivaut pour moi à un renvoi immédiat et irrévocable. Sans parler du harcèlement qu’il a fait subir au petit Lance.

- D’accord, acquiesça Fontaret avec lassitude. Qui est pour cette sanction ?

Toutes les mains se levèrent uniformément, afin d’approuver ce jugement sans appel. Le principal se racla la gorge, sachant qu’ils en arrivaient à présent au cas le plus complexe, qui n’était probablement pas sans lien avec son début de calvitie.

- Passons maintenant à Sandra Lance.

- Pardon, mais... Je ne saisis pas ce qu’elle vient faire là, indiqua M. Herman. Sa ténacité nous a permis d’innocenter son cousin et peut-être d’épargner à notre école de gros ennuis avec l’Arène d’Ébènelle, car je doute que Nicolas Lance aurait apprécié de voir son fils exclu de l’établissement sur une erreur de notre part.

- Ce n’est pas parce qu’elle a fait quelque chose de bien, si j’ose dire, intervint M. Lebattu, que ça excuse tout le reste. Qui plus est, et même si c’était avec une bonne intention, elle a tout de même enfoncé une porte et, pas plus tard qu’à l’instant, elle nous a encore traités de... Comment était-ce, déjà ?

- Troupeau de vieux Hoot-Hoot miro et incompétents, compléta Mme Elmire.

- Le fait est que nous l’avons été, c’est indubitable, déclara M. Johnson. Honnêtement, qui parmi vous aurait cru la version de Peter si sa cousine ne s’était pas démenée pour convaincre le Débugant de témoigner, en dépit des refus obstinés de monsieur Fontaret à la laisser s’exprimer ?

- Le problème n’est pas là, rétorqua ce dernier. Peut-être aurais-je eu plus le cœur à écouter Sandra Lance, et surtout à la prendre au sérieux, si je ne la voyais pas dans mon bureau deux fois par semaine, parce que ses professeurs sont à bout de son insolence.

Beaucoup hochèrent la tête, certains de manière plus ostensible que d’autres. Herman pianota la table du bout des doigts. Si effacer tous les torts dont Peter était accusé n’avait pris que quelques instants, balayer ceux de sa cousine risquait d’être autrement plus compliqué.

- Je propose une semaine de renvoi, lâcha Fontaret.

- Une semaine ? Pour avoir voulu défendre son cousin ? répliqua Johnson. C’est cher payé pour une bonne action.

- Au contraire. Ce n’est pas parce qu’elle a plus ou moins bien agi qu’il faut en oublier tout le reste. Sandra Lance doit prendre conscience qu’elle n’a pas tous les droits, sans quoi la prochaine fois, elle ne se contentera pas de défoncer ma porte, elle s’arrangera aussi pour me chasser de mon bureau et s’installer à ma place.

- Et vous pensez qu’une sanction abusive est la meilleure décision pour qu’elle cesse de se croire tout permis ?

- Ce n’est pas à vous d’en décider, Johnson, mais à la majorité. Qui est pour le renvoi temporaire de Sandra Lance ?

M. Lebattu fut le premier à lever la main, suivi de près par Mme Elmire. D’autres bras ne se tardèrent pas à se dresser, si bien qu’à la fin, seuls Johnson, Herman et leurs collègues professeurs d’élevage et de sport, ayant décidé de suivre leur mouvement, continuaient à s’opposer à l’exclusion de la fillette.

- Voilà qui est réglé, conclut Fontaret, non sans une pointe de satisfaction.

***

- Je ne suis pas sûr de comprendre, déclara Gabriel Lance, les bras croisés sur son torse, assis face au bureau du principal.

- C’est pourtant simple. Les professeurs ont majoritairement voté le renvoi de votre fille.

- Oui, ça, j’ai saisi. Ce qui m’échappe, c’est l’intérêt de cette sanction. Sandra n’est pas l’enfant la plus facile à vivre sur cette planète, je vous le concède, mais je ne l’échangerais pour rien au monde. Elle est insolente, c’est vrai, et elle a tendance à n’en faire qu’à sa tête, mais elle a aussi du caractère, de la détermination et elle est remarquablement intelligente.

- Ses notes n’en témoignent pas, répliqua Fontaret. N’avez-vous pas reçu mes courriers, où je vous informe de son inattention totale en cours ?

- Sandra n’est pas une enfant patiente. Elle a toujours préféré faire l’école buissonnière et partir explorer la montagne plutôt que de se rendre en classe. Être enfermée dans une salle où elle doit passer des heures assise sur une chaise, c’est une torture pour elle. Ce n’est pas comme ça qu’elle aime apprendre.

- Si je vous écoute, ce n’est non pas un renvoi temporaire, mais définitif qu’il lui faut.

- Absolument pas. Sandra sait ce qu’elle veut et ce qui lui plaît. Elle rêve d’avoir son propre pokémon et d’entamer les leçons de dressage, c’est pourquoi en attendant, tout lui paraît ennuyeux à mourir. L’apprentissage passe pour elle par l’action bien plus que par les livres ou par un tableau noir.

- Avec tout mon respect, monsieur Lance, nous sommes une école, la plus réputée de Johto. Pas un cirque. Sandra est une menace pour la paix et la tranquillité des autres élèves, en plus de nuire à leur parcours scolaire en perturbant la classe.

- Avec tout mon respect, monsieur Fontaret, singea Gabriel, ce n’est pas Sandra qui a volontairement cassé le bras d’un Débugant. Et pardonnez-moi, mais j’ai beaucoup de mal à me fier à votre jugement depuis que je sais que, sans ma fille, vous auriez aussi exclu mon neveu pour cet acte qu’il n’a pas commis.

- Elle...

- Vous reprochez à Sandra son fort caractère et son arrogance, mais quels reproches devrais-je vous faire, moi ? Vous voyez le mal chez ma fille, mais il a échappé à votre grande sagacité que son cousin était persécuté par ses camarades depuis deux ans ? Pire, pour un peu, vous l’auriez reconnu coupable d’une action dont il était la victime. Vous savez ce que ça m’évoque, mon bon monsieur ? Que vous avez vos têtes de turc. Je suis presque étonné que vous n’ayez pas cherché à faire porter à Sandra la responsabilité de cette agression. Je suppose que, n’étant pas présente sur les lieux, ç’aurait été un peu difficile pour vous, raison pour laquelle vous vous en êtes abstenu.

Offusqué, le visage de Fontaret avait viré au rouge avec la même application que lorsqu’il était furieux. Son attitude contrastait avec le calme nonchalant de Gabriel, dont le regard était dépourvu de colère, mais dont chaque réplique s’accompagnait d’un ton incisif.

- Vos remarques sont tout à fait déplacées, riposta Fontaret.

- Peut-être. En tout cas, je crois que nous en sommes arrivés à un accord, vous et moi.

- Un accord ? Quel accord ?

- Sandra sera exclue une semaine. Pas plus. Voyez-vous, cet épisode a fait que mon frère Nicolas n’a plus aucune confiance en vous, et il est soulagé de pouvoir compter sur ma fille pour veiller sur Peter. Mon neveu a un caractère docile, voire soumis, et Nicolas a toujours eu peur que ça se retourne contre lui. Il éprouve un certain réconfort à l’idée que Sandra est là pour veiller au grain et empêcher des désastres de se produire.

- Des désastres ? Elle en est un à elle seule !

- Parce qu’elle a enfoncé votre porte ? Je vous ai déjà assuré que je prendrai tous les frais de réparation à ma charge. En revanche, qui remboursera à Peter ces deux années durant lesquelles il a été harcelé ?

- Comment aurions-nous pu le savoir ? se défendit Fontaret. Il ne s’est jamais plaint. S’il avait signalé ce que ses camarades lui infligeaient, nous...

- Vous l’auriez cru ? Comme vous l’avez cru quand il a affirmé que Drake et lui n’avaient rien fait au pokémon de Kévin ? Et en admettant que ça ait été le cas, vous auriez pris quelles mesures ? Des lignes à copier ? Une punition ? Après quoi ces enfants seraient retournés s’acharner sur Peter en guise de représailles ?

- Nous aurions ouvert l’œil. Nous...

- Vraiment ? Alors pourquoi ne l’avez-vous pas fait lorsque monsieur Herman vous a signalé à deux reprises que mon neveu était trop solitaire et qu’il semblait avoir des soucis avec ses camarades ? Ou quand monsieur Johnson vous a confié le scepticisme que lui inspiraient les défaites aussi nombreuses qu’anormales de Peter en dressage ?

- Je peux vous retourner la question, monsieur Lance. Pourquoi ni vous ni votre frère ne vous êtes aperçus de la situation ?

- Sandra et Peter ne sont à Ébènelle que pour les vacances et ils vivent ici le reste du temps. Si vous n’êtes pas capable de voir ce qui se passe dans votre établissement, monsieur Fontaret, comment le pourrions-nous depuis notre montagne ? Nicolas trouvait effectivement son fils étrange, mais penser que le problème venait de l’école équivalait à remettre en doute vos compétences, ainsi que celles de vos collaborateurs. Quelque chose qui, au vu de la réputation de votre établissement, est inconcevable, nous sommes bien d’accord.

Une menace transparaissait dans les derniers mots de Gabriel, qui firent frissonner Fontaret. Il savait à quel point la parole d’un Champion d’Arène pouvait avoir du poids, et si Nicolas Lance décidait de s’opposer à lui, il aurait encore plus de problèmes que ceux qui lui causait Sandra Lance.

- Très bien, s’inclina-t-il à contrecœur. Soyez assuré je me montrerai à l’avenir plus... souple avec votre fille, mais je vous en conjure, essayez de la raisonner un peu. Si elle n’a pas envie de suivre les cours, qu’elle n’empêche au moins pas les autres de le faire, et surtout qu’elle se montre, à défaut d’aimable, polie avec ses professeurs.

- C’est entendu, je lui parlerai, affirma Gabriel. Je suis heureux que nous ayons fini par nous entendre.

Il tendit une main franche et ferme par-dessus le bureau, que Fontaret serra. Il se sentait lâche d’avoir cédé, mais dans son intérêt et dans celui de l’école tout entière, il savait qu’il n’avait pas eu le choix. Nicolas et Gabriel Lance avaient assez de cartes en main pour faire éclater un scandale duquel l’établissement ne se relèverait pas.

***

- Je suis désolé, murmura Peter. Je pensais sincèrement que ton père aurait pu convaincre le principal de renoncer à cette semaine d’exclusion.

Sandra ne releva pas. S’il y avait une personne que cette sanction attristait, c’était son cousin, pas elle. Au contraire, elle s’en réjouissait. Passer quelques jours à Ébènelle lui permettrait de retrouver Karai sans avoir à attendre les vacances pour cela. Elle aurait tant de choses à lui raconter !

- Je n’oublierai jamais ce que tu as fait pour moi, ajouta Peter, et je t’en serai éternellement reconnaissant.

Sandra, qui était en train de vider son placard et de jeter ses affaires pêle-mêle dans son sac, cessa soudainement pour se tourner vers le garçon. Avec le plus grand sérieux, elle déclara :

- Je me moque de ta reconnaissance. Tu as une dette envers moi.

Peter acquiesça, bien conscient que c’était la réalité. Il espérait qu’il pourrait un jour lui rendre la pareille, tout en sachant pertinemment que Sandra avait plus de chances de le tirer d’autres mauvais pas avant qu’il ait l’occasion de lui renvoyer l’ascenseur.

- Je ne l’oublierai pas non plus, assura-t-il. Et je...

- Tu vas me la rembourser, en me donnant des cours de pokémonologie. Tu me dois bien ça.

Son cousin entrouvrit les lèvres. Il avait déjà proposé à Sandra de l’aider dans cette matière, sans aucune condition, mais elle avait refusé. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre que seul son orgueil l’en avait empêchée. Elle ne voulait pas qu’il lui rende service ou qu’il ait pitié d’elle, aussi présentait-elle la chose comme une contrepartie à son action.

- Si telle est ta volonté, je m’y soumets, sourit-il.

Il lui tendit le gilet qu’elle n’avait pas encore décroché de sa tringle et Sandra le jeta sur ses épaules, avant de fermer son bagage. Peter se proposa pour le lui porter jusqu’à la grille de l’école, mais un regard condescendant de la fillette sur son corps chétif le dissuada d’insister.

- Tu vas me manquer pendant cette semaine, confia-t-il.

- Tu t’en remettras. Tu as passé deux ans ici sans moi et tu n’es pas mort. Et puis, maintenant, tu es débarrassé de la brochette d’abrutis qui en avait après toi. Sans Tronche de Rattata pour les guider, les deux autres devraient te laisser tranquille.

- Ce n’est pas une question de ça. Même le paradis ressemblerait à l’enfer pour moi si tu n’y étais pas.

- Pff... N’importe quoi.

Sandra dut tourner la tête pour que Peter ne remarque pas le léger sourire qu’elle venait d’esquisser, et elle ne broncha pas non plus lorsqu’il glissa sa main dans la sienne, tandis qu’ils sortaient de la chambre pour se diriger vers la cage d’escalier.

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