Fer de Lance

Chapitre 29 : Une demande particulière

2559 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 02/10/2018 22:21

Isabelle, en entendant retentir la sonnette de la porte d’entrée, dévala quatre à quatre les escaliers, sa jupe retroussée. Un large sourire illumina son visage tandis qu’elle fondait sur la poignée pour l’actionner.

À l’instar de son mari, elle n’avait pas été en colère après Sandra lorsque le principal les avait contactés pour les informer de son renvoi. Au contraire, elle se réjouissait de revoir sa fille, même si ce n’était que pour une semaine. La maison était bien trop vide et surtout trop calme en son absence.

- Ma chér...

Elle s’interrompit quand le battant se fut totalement écarté et qu’elle se retrouva face à Gabriel, qui se tenait sur le seuil avec les affaires de Sandra, sans que celle-ci ne soit nulle part en vue.

- Où est-elle ? demanda Isabelle, ses élégants sourcils arqués par la surprise.

- Aucune idée. Elle m’a dit qu’elle avait quelque chose à faire et elle est partie en courant avant que j’aie eu le temps de prononcer un mot. Ne t’inquiète pas, elle réapparaîtra à l’heure du dîner, comme toujours.

Son épouse hocha la tête, non sans un léger pincement au cœur. Elle aurait préféré que Sandra vienne l’embrasser avant de se lancer à l’assaut de la montagne, comme elle se plaisait à le faire, mais elle n’y pouvait rien. Sa fille avait toujours été sauvage, exactement comme la nature au-delà des limites de la ville d’Ébènelle. Le Mont Cristal était son foyer, bien plus que la maison dans laquelle elle avait grandi.

***

Sandra tira sur ses bras, poussa avec ses jambes et, au terme d’un ultime effort, s’affala face contre terre sur son promontoire. Cette odeur d’herbe verte, de terre humide et de vent frais lui avait manqué. Celle qui se dégageait des jardins de l’École de Mauville n’avait rien comparable, d’autant qu’elle était le plus souvent gâchée par les effluves entêtants des fleurs.

La fillette s’accorda quelques secondes pour reprendre son souffle, puis planta ses ongles dans le sol pour déterrer la cassette renfermant la pokéball de Karai. Quand elle eut terminé, ses mains et ses manches étaient brunes, mais elle rayonnait. Elle glissa la sphère dans sa poche et, après avoir tout remis en place, entama la descente.

Elle atteignit la route 45 une dizaine de minutes plus tard, hors d’haleine. Elle avait traversé toute la ville au pas de course, pressée de retrouver sa dragonne. Enfin seule, à l’abri des regards dans un petit bosquet d’arbres, Sandra appuya sur le bouton de la ball avec un frisson d’excitation.

Karai jaillit aux pieds de sa jeune dresseuse et s’étira longuement, sans un regard pour elle. L’enfant se racla la gorge, mais la pokémon s’obstina à l’ignorer, allant même jusqu’à fendre l’air d’un coup de queue dédaigneux.

- Quel accueil ! fit remarquer Sandra avec sarcasme. J’en arriverais presque à regretter cette tête de nœud de Fontaret. Tu as l’intention de me dire bonjour ?

Loin d’obéir, Karai lui tourna le dos et pencha la tête vers l’arrière, les narines pointées en direction du ciel dans une attitude ouvertement méprisante. Pour un peu, Sandra aurait presque eu l’impression de voir son sosie fait dragon.

- Tu pourrais au moins donner l’illusion d’être heureuse de me revoir. Il y a assez d’imbéciles avec qui je me prends la tête à Mauville sans que tu aies besoin de t’y mettre aussi.

Au début, Karai ne réagit pas, puis elle finit par se tourner vers Sandra pour lui adresser un sifflement mécontent par-dessus son épaule, que la fillette n’eut aucun mal à interpréter.

- Je ne t’ai pas abandonnée, répliqua-t-elle. Tu sais très bien que le reste du temps, je suis à l’école. D’ailleurs, je ne devrais même pas être là aujourd’hui, c’est juste parce que j’ai été renvoyée. Et toi, au lieu de te réjouir du temps que ça nous permet de passer ensemble, tu boudes. Ce n’est pas sérieux, Karai ! Et surtout, ce n’est pas comme ça que nous formerons la meilleure équipe de Johto un jour prochain.

Pour toute réponse, la Minidraco cessa de la regarder et s’éloigna d’un bon mètre, dans un rampement saccadé qui trahissait sa colère. Sandra sentait aussi la sienne poindre en elle. Furieuse, ses doigts se contractèrent sur la pokéball de Karai.

- Puisque c’est comme ça, reviens ! fulmina-t-elle en lançant la sphère sur la dragonne, qui fut aussitôt absorbée. Si tu ne veux pas coopérer, tant pis pour toi. Avec un peu de chance, ça te remettra les idées en place.

Sandra donna un coup de pied féroce dans une branche cassée qui gisait au pied d’un arbre, puis prit la direction de sa maison, d’une humeur massacrante. Elle en voulait énormément à Karai pour son attitude. Que croyait-elle ? Que la vie de la fillette était meilleure ?

Loin de progresser ou d’apprendre, Sandra s’ennuyait ferme à Mauville et devait en plus supporter tous les idiots qui l’entouraient, sans parler de sortir Peter des problèmes auxquels il se retrouvait mêlé. Elle préfèrerait largement être ici, chez elle, à s’entraîner au dressage et non perdre son temps à s’user l’arrière-train sur une chaise.

La fureur de Sandra n’avait pas décru lorsqu’elle pénétra dans la demeure de ses parents. Elle s’apprêtait à monter directement dans sa chambre, pour se défouler sur ses oreillers, quand sa mère fit irruption dans le couloir, s’interposant entre la fillette et les escaliers. Ce ne fut que lorsque Isabelle la serra dans ses bras que Sandra réalisa qu’elle ne l’avait pas revue depuis les dernières vacances.

- Ton père m’a raconté ce que tu as fait pour Peter, annonça l’épouse de Gabriel. C’était très courageux de ta part. Nous sommes vraiment fiers de toi.

- Pff... Il n’y a pas de quoi. Si Peter avait eu un peu de cran, il aurait pu se débrouiller tout seul, mais évidemment, il est nul. Et peureux. Et...

Isabelle ébouriffa les cheveux de Sandra. Personne, dans sa famille, n’ignorait à quel point la fillette aimait son cousin, pourtant cela ne l’empêchait pas de continuer à le nier, voire à se montrer excessivement odieuse avec lui.

Sandra attendit que sa mère l’ait embrassée sur la joue avant de gravir quatre à quatre les marches jusqu’à l’étage. Parvenue à hauteur de sa chambre, elle ouvrit la porte à la volée et la fit claquer dans son dos, avant de s’affaler sur son lit avec de l’élan. Elle donna trois violents coups de poing à son traversin, duquel s’échappèrent quelques plumes.

Même si la bienveillance d’Isabelle et son doux parfum avaient, l’espace d’un instant, dissipé la rancœur de Sandra, elle recommençait à fulminer. Elle n’avait que sept jours pour travailler avec Karai, et le caprice de sa pokémon leur en avait déjà fait perdre un. Si elle ne la raisonnait pas dès le lendemain, elles n’auraient presque pas l’occasion de s’entraîner.

Sandra grogna. Une semaine, c’était tout, après quoi elle devrait retourner à Mauville. Elle avait tant rêvé de cette école quand Peter était parti étudier là-bas, et à présent, elle la détestait. Elle n’avait pas sa place dans un endroit où l’apprentissage était aussi déplorable. Des livres, des professeurs ennuyeux... Hormis en de rares occasions avec M. Herman, ils n’allaient jamais sur le terrain, au plus près des pokémon et de leur environnement.

Sandra était bien plus à l’aise en pleine nature, en compagnie de créatures tout aussi sauvages qu’elle, qu’enfermée entre les quatre murs d’une salle de classe. Elle avait besoin d’espace, de sentir le vent frais sur son visage et d’être arrosée par les gouttes de pluie.

Pourquoi gaspillait-elle ses journées à attendre ? Attendre quoi, d’ailleurs ? La permission des adultes pour accomplir son destin ? Il n’y avait qu’eux pour croire qu’un âge spécifique était nécessaire pour réussir. Certains, à trente ou quarante ans, étaient toujours de mauvais dresseurs, alors que d’autres – autrement dit elle – frôlaient déjà l’excellence.

C’était décidé : elle allait partir ! Puisque ce ne serait ni à Ébènelle ni à Mauville que son avenir viendrait à elle, autant s’aventurer à sa rencontre. Avec Karai, elle ne ferait qu’une bouchée de ceux qui se dresseraient en travers de son chemin, et au bout de quelques mois, tout Johto aurait son nom sur les lèvres, pendant que les autres continueraient à se soumettre bêtement à des imbéciles dans le genre de Fontaret.

***

Le lendemain matin, Sandra n’avait toujours pas renoncé à ses projets, mais ceux-ci furent toutefois contrariés par une invitation de Nicolas à lui rendre visite. Le Champion avait contacté Gabriel par visiophone pour lui demander si sa nièce pouvait le retrouver à l’Arène en début d’après-midi, car il souhaitait, selon ses propres dires, s’entretenir avec elle d’un sujet de la plus haute importance.

L’espoir s’empara de Sandra sitôt qu’Isabelle lui eut annoncé la nouvelle. Elle s’était présentée dans sa chambre alors que la fillette était en train de lister dans un calepin tout ce dont elle aurait besoin pour son voyage. Dès que sa mère eut quitté la pièce, elle abandonna lâcha son stylo et son bloc-notes pour se laisser tomber sur son lit.

Son esprit était en feu, tant elle réfléchissait. Elle se demandait ce que Nicolas pouvait bien lui vouloir. En était-il arrivé aux mêmes conclusions qu’elle ? Avait-il compris qu’elle gâchait son talent à Mauville et souhaitait-il la former lui-même pour qu’elle reprenne un jour prochain le flambeau de l’Arène ? Il avait toujours destiné Peter à ce rôle, mais vu ses récents exploits, il avait peut-être enfin compris que Sandra était la plus apte à cela.

Après le déjeuner, elle se mit donc en route pour le bâtiment qui dominait la ville d’Ébènelle. Son oncle avait dû guetter son arrivée, car elle eut à peine le temps de sonner que la porte d’entrée pivota sur ses gonds, dévoilant Nicolas qui se trouvait juste derrière. Il se pencha pour embrasser Sandra, puis la prit par l’épaule pour la conduire jusqu’au salon.

Tandis qu’elle retirait son gilet et s’installait sur le canapé, son oncle lui prépara une tasse de café au lait, qu’il déposa sur la table basse. Lui-même se servit un décaféiné avant de prendre place face à elle.

Ils n’avaient échangé que très peu de mots, seulement quelques banalités que Sandra jugeait affligeantes. Qu’attendait-il pour en venir au fait ? Instinctivement, sa main effleura sa poche, à l’intérieur de laquelle elle avait glissé la pokéball de Karai. Si Nicolas décidait de faire d’elle son apprentie, il lui faudrait forcément un pokémon, et quelle ne serait pas sa surprise lorsqu’il découvrirait qu’elle s’en était déjà procuré un par elle-même. Cela ne l’impressionnerait que davantage.

- Tu te demandes sûrement pourquoi j’ai absolument tenu à te voir aujourd’hui, n’est-ce pas ? finit par déclarer le Champion.

- En fait, j’ai ma petite idée.

- Naturellement. Tu es si vive d’esprit que ça ne me surprend même pas.

Sandra but une nouvelle gorgée, le petit doigt en l’air. Peinant à réfréner son impatience, elle devait lutter contre la tentation d’arracher à son oncle les mots qu’il ne semblait pas pressé de prononcer.

- Pour commencer, je voudrais te remercier de ce que tu as fait pour Peter. Je m’en veux terriblement de ne pas avoir compris avant à quel point ça allait mal à Mauville, mais tu connais ton cousin... Il est si secret. Même si son attitude me paraissait étrange, il pouvait y avoir des dizaines d’explications à ça.

Sandra hocha la tête, tout en étouffant un grognement. Elle n’avait aucune envie de parler de Peter, elle voulait seulement que Nicolas en vienne au fait.

- Je sais que tu es plus jeune que lui, mais tu as toujours été plus dégourdie. C’est pourquoi il y a quelque chose que je voudrais te demander. Je comprendrais que tu refuses, mais je serais très touché, et surtout rassuré, si tu acceptais.

La fillette se redressa dignement sur le canapé et croisa les jambes. Elle y était, désormais, cela ne faisait plus aucun doute. Nicolas allait lui faire la proposition dont elle avait toujours rêvé.

- Est-ce que tu veux bien me promettre de veiller sur Peter, une fois que tu seras de retour à l’école ?

- Oh oui, j’acc... Quoi ?

Le choc fut tel que Sandra lâcha sa tasse, qui se brisa en répandant le café qu’elle contenait encore sur le tapis. Nicolas paraissait si concentré sur la conversation, cependant, qu’il ne s’en rendit même pas compte.

- Tu es la seule personne en qui j’ai confiance, Sandra. Tu as beau te chamailler souvent avec mon fils, je sais que tu tiens à lui. Tu l’as prouvé en le défendant bec et ongles alors que tout le monde était contre vous. C’est pourquoi je voudrais être sûr que je peux compter sur toi, à l’avenir. Si tu n’es pas auprès de lui, j’ai peur que Peter recommence à se faire marcher sur les pieds et... S’il te plaît, c’est important, autant pour moi que pour lui. Je n’aurais pas l’esprit tranquille, sinon.

Sandra n’en croyait pas ses oreilles. Son oncle ne voulait pas faire d’elle son apprentie, mais la nounou de son idiot de cousin ! Qu’en était-il d’elle, alors ? Qui se souciait de sa vie, de sa carrière ?

Nicolas pensait-il vraiment qu’elle allait accepter ? Renoncer à partir sur les routes avec Karai pour garder un œil sur Peter qui prenait peur dès que quelqu’un éternuait à côté de lui ? Ce n’était tout de même pas de sa faute s’il n’était rien d’autre qu’un peureux incapable !

La colère et le désappointement faisaient rage dans les pensées de Sandra lorsqu’elle ouvrit la bouche avec mépris afin de donner sa réponse.

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