Une Dernière Bataille

Chapitre 4 : Adieux

11878 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 12/02/2024 19:46

7 avril 1987

Grèce, Sanctuaire, Palais du Grand Pope

 

L’aube naquit dans un flamboiement de lumière dorée qui embrasa l’horizon, illuminant un ciel bleu et dégagé. Le soleil du petit matin entrait à flots par la fenêtre de bonne taille qui ne trouait qu’un seul pan de mur.

 

Lorsque Kiki ouvrit les yeux, il ne reconnut pas immédiatement le lieu où il se trouvait. Puis, petit à petit, ses souvenirs se firent plus clairs et il fut ramené à la dure réalité.

Il ne lui avait fallu guère de temps pour retrouver ses amis, la nuit dernière. D’abord marqués par la surprise de sa soudaine apparition, leurs visages s’étaient très vite assombris. Cette attitude avait engendrée chez lui, des interrogations qui trouvèrent une réponse lorsque Marin lui expliqua la situation.

Les Chevaliers d’Or, dont son maître, et Seiya avaient trouvé la mort dans la bataille contre Hadès. Shiryû et Hyôga s’étaient effondrés sur leurs couches, terrassés par l’épuisement, tandis que Shun s’était rendu aux côtés de June. Ikki, quant à lui, avait disparu comme à son habitude, sans que cela n’alarme personne. Kiki se rappela ensuite avoir versé beaucoup de larmes avant de se souvenir de Seika. Il avait eu beau la chercher dans bon nombre de pièces, elle était restée introuvable. Finalement, il avait dû tomber de fatigue et un de ses amis avait dû l’installer dans un confortable lit.

- Alors la vision où maître Mû me disait adieu en me léguant son armure s’est bel et bien réalisée. Est-ce que cela signifierait que j’ai un quelconque don de prescience ? (Il réfléchit quelques instants pour arriver à la conclusion qu’il n’avait aucun moyen d’en être sûr.) Je ne sais pas ce que mes autres rêves peuvent signifier mais ils étaient plutôt effrayants, surtout celui avec l’ombre qui me dévorait. (Il frissonna en y repensant.) Il faut que j’en parle à quelqu’un.

Fort de cette nouvelle résolution qui lui permettait d’occuper son esprit afin de ne plus penser à son chagrin, Kiki partit prendre des nouvelles des Chevaliers revenus des Enfers.

 

La jeune femme couverte de bandages eut elle aussi du mal à se réveiller. D’abord floue, sa vision se fit bientôt suffisamment nette pour distinguer les tentures sur le mur lui faisant face.

Elle ramena son regard sur son corps meurtri, mais qui ne la faisait pas trop souffrir pour autant, et s’estima chanceuse d’avoir survécu. Elle se promit de remercier son sauveur dès qu’il se manifesterait. Puis, ses grands yeux bleus se posèrent sur la main qui serrait la sienne, avant de remonter le long d’un bras fin et musclé pour finalement découvrir une masse de cheveux châtains dont le propriétaire avait posé sa tête sur le matelas. Son cœur se mit à battre plus vite lorsqu’elle le reconnut : Shun !

Sa première tentative pour l’appeler se réduisit à un misérable croassement. Sa gorge était sèche et lui faisait un peu mal. Elle déglutit plusieurs fois avant de refaire un essai qui se révéla plus concluant. Shun releva la tête et la pression rassurante de sa main se fit plus forte. Vêtu d’un simple pantalon de lin blanc et d’une tunique noire dépourvue de manches, il avait le teint pâle et les traits tirés mais ce qui la frappa le plus, c’était la détresse dans ses yeux noisette, que seul un sourire à son encontre venait égayer.

- Comment te sens-tu ?

- Ça peut aller, répondit-elle avec un demi-sourire, même si j’ai connu mieux.

Remarquant sa voix enrouée, il tendit la main vers le broc de grès posé sur la table près de lui.

- Attends, je vais te donner un peu d’eau.

Après avoir pris plusieurs gorgées volontairement lentes, elle se sentit effectivement plus à l’aise pour parler.

- Est-ce que cela fait longtemps que je suis ici ?

- Apparemment cela fait tout au plus une demi-journée d’après ce que m’a raconté Marin. Moi-même je ne suis là que depuis hier soir. Grâce au pouvoir d’Athéna, nous avons pu revenir sur Terre.

- Athéna est ici !? Il faut absolument que je la voie. J’espère qu’elle me pardonnera de ne pas avoir été à ses côtés pour cette bataille.

Tandis qu’elle essayait de se lever, la poigne douce mais ferme de Shun se posa sur son épaule afin de l’empêcher de bouger.

- Arrête, tu dois te reposer. De toute façon, Saori ne t’en voudra jamais pour ça. Je pense même que c’est elle qui va passer te voir, alors ne t’en fait pas.

- Tu … Tu en es certain ?

- Bien sûr.

- Quand même, cela me gêne un peu.

- Allons ne te fais pas de bile pour ça. Parlons d’autre chose, tu veux bien ?

- D’accord.

Un petit silence s’installa entre eux jusqu’à ce que June le rompe.

- Je suis heureuse de te revoir.

- Moi aussi, ça me fait plaisir. Quand Marin m’a dit dans quel état tu étais, je dois avouer que j’ai un peu commencé à paniquer. A présent, je suis soulagé, fit-il avec une gaieté éphémère.

- Shun, ta bouche peut mentir, mais pas tes yeux. Je vois bien que quelque chose te tourmente. Veux-tu en parler avec moi ?

Le Chevalier d’Andromède poussa un long soupir.

- De toute façon, tu l’aurais appris tôt ou tard.

Il entreprit alors de lui narrer leurs combats au cœur du Royaume des Ombres et le trépas des Chevaliers d’Or qui avaient sacrifié leurs vies en leur confiant toutes les valeurs qu’ils avaient défendues. Puis vint le moment où il aborda la mort de Seiya face au Sombre Monarque pour protéger Athéna, mais aussi le fait qu’il avait lui-même été l’hôte de l’âme d’Hadès. Il s’ouvrit à elle comme à l’époque où ils étaient encore deux apprentis, lui dévoilant sans complexes son état d’esprit. A son tour, June lui exposa la raison qui l’avait poussée à venir au Sanctuaire, son voyage et pour finir son combat contre l’inconnu en cape, « son simulacre de combat » se corrigea-t-elle après coup.

- Quoique tu dise, ce devait être un adversaire redoutable, essaya-t-il de la réconforter, et qui de plus, semblait suffisamment bien maîtriser son cosmos pour le rendre indétectable. Le plus étrange est sa soudaine présence au sein du Domaine Sacré lorsque la défense de celui-ci est au plus faible. Etait-ce un coup prémédité ? Quel pouvait être son but ?

Il se mit à réfléchir en tirant machinalement sur le lobe de son oreille droite. Les lèvres du Chevalier du Caméléon esquissèrent un petit sourire lorsqu’elle remarqua son manège, se rappelant qu’il faisait toujours ça quand il réfléchissait à un problème contrariant.

- Désolé, finit-il par dire, je devrais plutôt te réconforter au lieu de t’ennuyer avec mes réflexions.

- Ne t’inquiète pas, ta présence contribue largement à mon bien-être.

Bien qu’elle rosît légèrement suite à cette déclaration,Shun n’y fit même pas attention.

Egal à lui-même, pensa-t-elle. Il enchaîna alors sur un autre sujet.

- Ah oui, le guérisseur veut que tu avales ça.

Il versa un liquide de couleur foncée dans le même verre que précédemment et l’aida à boire en lui soulevant la tête. Elle s’étrangla avec la première gorgée, mais arriva cependant à avaler le reste sans trop de difficultés.

- C’est amer, dit-elle lorsqu’elle eût fini.

- Tu sais bien que plus le goût est désagréable, meilleur c’est, répliqua-il avec un sourire.

Au bout d’un moment, il se leva et partit en direction de la sortie avant de se retourner lorsque sa main se fut posée sur la poignée de la porte.

- Je vais te laisser te reposer, maintenant. Je repasserai tout à l’heure.

- D’accord, à plus tard.

 

- Alors comment se porte June ? demanda une voix dans le dos de Shun, lorsque celui-ci fut dans le couloir.

- Mieux que ce à quoi je m’attendais, répondit-il en se retournant. Merci de passer, Nachi.

Le jeune homme qui lui faisait face avait une tenue similaire à la sienne si ce n’était sa couleur anthracite, qui se mariait plutôt bien avec sa chevelure noire en bataille qui lui arrivait un peu en dessous de la nuque.

- C’est tout naturel de venir prendre des nouvelles d’une de ses camarades, déclara-t-il en tâchant de lisser certaines pointes rebelles. Ne me remercie pas. De plus, ma visite n’est pas tout à fait désintéressée. Je venais te prévenir qu’Athéna voulait nous voir dans la grande salle de réunion.

- Très bien, allons-y ensemble.

Durant le trajet, ils ne s’adressèrent pas la parole, chacun plongé dans ses pensées. Leurs pas résonnant sur le sol de pierre étaient l’unique bruit qui indiquait leur présence tandis qu’ils arpentaient maintes galeries pour rejoindre leur destination. Ils finirent par arriver devant une double porte en bois. Après avoir ouvert les battants qui coulissèrent dans leurs gonds sans bruit, ils pénétrèrent dans un salon qui ne comptait pour tout ameublement qu’une grande table pourvue d’un assortiment de chaises, d’une commode et un semblant de canapé. De grandes fenêtres placées assez hauts laissaient entrer une douce clarté qui illuminait non seulement la scène mais aussi les quelques fresques colorées qui ornaient les murs afin de palier au ton monochrome de ceux-ci.

- Bien, je crois qu’avec vous deux, nous sommes au complet, dit Athéna dont la voix avait retrouvé un peu de sa force, comme le constata Shun.

Tous les Chevaliers étaient présents, bien qu’aucun ne portât le symbole de sa charge, ainsi que le capitaine de la garde du Sanctuaire. La déesse elle-même n’avait pas prit son sceptre avec elle. Tandis que certains étaient déjà assis autour de l’imposante table, d’autres parlaient à voix relativement basse par petits groupes. Leurs traits étaient marqués par la fatigue, la mélancolie et quantité d’autres émotions. Ils saluèrent les deux nouveaux venus d’un signe amical de la main ou d’un simple mot avant de s’installer sur leurs sièges.

- Merci de vous être réunis aussi vite, commença la jeune fille en qui s’était incarnée la divinité que l’on nommait parfois Pallas. En premier lieu, je tenais à m’excuser auprès de vous pour ma conduite de la nuit dernière.

- Ne vous tourmentez pas inutilement, déesse Athéna, intervint Marin. Votre réaction était compréhensible au vu des récents événements. N’importe lequel d’entre nous aurait pu réagir de la même façon. Je pense d’ailleurs que je parle au nom de tous en disant cela.

Un assentiment général ponctua cette déclaration.

- Je ne sais comment vous exprimer ma reconnaissance, répondit la jeune fille émue avant de leur révéler ce qu’ils attendaient. La raison pour laquelle je vous ai fait venir, était que je désirais évoquer les faits qui se sont produits au Royaume d’Hadès ainsi que ceux du Sanctuaire.

 

Les survivants de la Guerre Sainte désignèrent un porte parole dans chaque groupe, qui se mirent l’un après l’autre à raconter ce qu’ils avaient vu et vécu aux Enfers comme sur Terre. A mesure qu’ils avançaient dans leur restitution, une foule d’émotions se succédèrent sur les visages de leurs interlocuteurs. Le Chevalier d’Andromède compléta finalement le récit avec les informations que lui avait transmises June, peu de temps auparavant.

- Ce qui me trouble le plus, déclara Jabu, c’est qu’il ait pu s’enfuir alors qu’il était pris entre nos deux groupes. Il jeta un rapide coup d’œil au disciple de Mû. A ce propos, comment as-tu fait pour arriver aussi rapidement la nuit dernière, Kiki ?

- Bah, je me suis simplement téléporter.

- Ce n’est pas possible, riposta le Chevalier de la Licorne, le cosmos d’Athéna empêche quiconque d’utiliser ce genre de capacité à l’intérieur du Sanctuaire.

- Je te jure que c’est la stricte vérité, renchérit le petit garçon.

Alors que Jabu allait protester, Saori prit la parole pour essayer de démêler la situation.

- Kiki ne ment pas, il a bel et bien pu user de téléportation, tout comme le mystérieux personnage a pu disparaître sans laisser de traces en usant d'un arcane similaire. En fait, je crois que c’est de ma faute si ça s’est produit.

- Comment ça ? demanda Ban.

- Jabu a raison en disant que l’énergie d’Athéna est censée bloquer ce type de technique, néanmoins, ce n’est plus possible depuis que mon sang à fait reprendre sa forme première à la statue. La sculpture jouait le rôle d’un catalyseur en contenant une partie du cosmos de toutes les précédentes incarnations d’Athéna et s’en servait afin de créer cette barrière. Mais maintenant, toute cette énergie a été transférée dans l’Armure afin de protéger son porteur. Le champ qui provoquait ces interférences n’est donc plus activé.

- Y a-t-il un moyen de remédier à cela ? voulut savoir le Chevalier de la Grande Ourse.

- Oui, c’est très simple. Il suffit que mon Armure reprenne sa forme de statue.

- Bon, je suis au moins rassuré sur ce point-là, dit Jabu.

- Son adversaire demeure malgré tout un inconnu qui sait utiliser le cosmos et qui le maîtrise suffisamment bien pour le camoufler, résuma Shiryû qui se mit à réfléchir à haute voix. Il est plus qu’improbable que ce soit un serviteur d’Hadès puisqu’ils ont tous péri. Je doute également que ce soit l’œuvre de Poséidon car cette action serait contradictoire avec le fait qu’il nous a aidé à Elision.

La stupeur se lut sur bon nombre de visages suite à sa réflexion, mais ce fut Athéna qui posa la question que tous venaient de formuler dans leur esprit.

- Julian … Non, Poséidon vous a vraiment porté assistance ? J’ai peine à croire qu’il ait fait ça.

- Aussi étrange que cela puisse paraître, commenta Hyôga, il a permis aux Armures d’Or de franchir la dimension qui séparait Giudecca des Champs Eliséens afin de nous prêter main forte lors de l’affrontement face à Thanatos.

Cependant que les défenseurs du Sanctuaire demeuraient étonnés, la déesse aux Yeux Pers se mit à méditer ce qu’impliquaient ces dernières paroles. Son oncle avait-il vraiment voulu les sauver, ou alors avait-il simplement souhaité contrecarrer les plans de son frère quant à la domination de la Terre ? Tandis qu’elle réfléchissait, le Chevalier du Dragon reprit son investigation.

- Donc, si ce n’est pas l’un d’entre eux, c’est qu’il s’agissait du défenseur d’une autre divinité.

- Ou bien d’un Chevalier renégat, lâcha Ikki, qu’il fasse partie de ceux de l’Ile de la Reine Morte ou bien du Sanctuaire.

- Absurde, lança Shaina, il n’y a aucun traître parmi nous et j’émets de sérieuses réserves quant au fait qu’un Chevalier Noir soit assez puissant pour battre un de ses homologues de Bronze.

Pour toute réponse, les lèvres d’Ikki esquissèrent une moue dubitative.

- Mon frère, intervint Shun, je sais que ce que je vais dire n’est pas très objectif mais je ne crois pas que June aurait pu se faire vaincre par un tel adversaire. De plus, elle est certaine que l’attaque de son opposant a été portée à une vitesse supérieure à celle du son.

Sa dernière remarque plongea une nouvelle fois les personnes présentes dans la confusion.

 

- Plutôt que de s’intéresser à la déité que sert cet inconnu, ne devrions-nous pas plutôt essayer de comprendre ce qu’il faisait là ? hasarda Nereus. Qui plus est, au moment précis où nous étions à notre niveau de défense le plus bas.

La totalité des individus se tourna dans sa direction et il eut du mal à soutenir les regards qui pesaient sur lui.

- C’est un point intéressant que vous venez de soulever, Nereus, dit Athéna. Shun, est-ce que June a fait mention de quoi que ce soit qui pourrait nous éclairer sur la question ?

- Non, je suis désolé, répondit le jeune homme. Son assaillant portait un manteau qui le dissimulait entièrement d’après ses dires. Elle n’a donc rien remarqué de particulièrement notable, à part que d’après sa carrure, c’était très certainement un homme.

La jeune fille poussa un soupir.

- Bien, je suppose que l’on ne peut pas faire grand-chose avec ça. Peut-être devrions-nous simplement rester vigilants, finit-elle par dire.

A la suite de quoi, elle se tut un instant avant de reprendre la parole.

- Ce point n’est pas le seul que je voulais aborder avec vous. Je souhaite organiser des funérailles pour nos amis décédés, d’ici trois jours, au sein même du Domaine Sacré. Elle se tourna vers le responsable de la garde. Capitaine, j’aimerai que vous préveniez vos hommes ainsi que les villageois de ma décision.

- Il en sera fait selon vos désirs, répondit-il avec ferveur.

- Toute personne que vous souhaitez convier sera la bienvenue, précisa-t-elle au reste de ses défenseurs.

Connaissant le caractère de Saori, les Chevaliers ne furent pas surpris par son choix. Cet événement serait, d’ailleurs, le plus à même de rendre hommage aux défunts.

- Une dernière chose avant de clore cet entretien, ajouta-t-elle. Je voudrais vous présenter quelqu’un. Certains d’entre vous l’ont déjà côtoyée tandis que d’autres, sans même la connaître aurait souhaité que Seiya puisse la voir. (Sa voix faillit se fêler quand elle prononça son nom mais elle se reprit à temps.) Vas-y, Seika, tu peux entrer.

Est-ce qu’ils avaient bien entendu le nom que Saori avait prononcé ? Les quatre Chevaliers se regardèrent les uns les autres avant de voir l’acquiescement silencieux de leurs demi-frères. Ils virent alors la porte au bout de la pièce s’ouvrir, dévoilant une silhouette féminine. Ils retinrent leur souffle lorsqu’elle pénétra dans la salle. Aucun doute n’était permis, il s’agissait bien de la grande sœur que leur frère avant tant cherchée.

Seika, je … nous sommes vraiment navrés pour ton frère, s’empressa de dire le Chevalier du Dragon. Et … j’espère que tu pourras nous pardonner de ne pas avoir su empêcher ce qui lui est arrivé.

Elle attendit un peu avant de répondre, ce qui leur fit appréhender davantage sa réaction. Finalement, elle s’exprima d’une voix douce où ne perçait nulle colère.

- Oui Shiryû, je vous pardonne. Mademoiselle Kido m’a expliqué tout ce que vous aviez traversé ensemble. Je sais que vous teniez à lui autant que moi et je vous remercie du soutien que vous avez pu apporter à mon petit frère.

A ces paroles, l’étau qui enserrait leurs cœurs relâcha son emprise et ils la remercièrent. Il sembla s’écouler une petite éternité avant que Saori prononce la fin de leur entrevue.

 

Ils se levèrent tour à tour avant de sortir du salon, certains seuls, d’autres en groupes. Il ne resta bientôt plus que la déesse et l’apprenti du Chevalier d’Or du Bélier.

- Eh bien, que se passe-t-il, Kiki ? As-tu quelque chose à me demander ?

L’interrogé hésita, se demandant sur l’instant s’il avait pris la bonne décision. En fin de compte, il se dit que ce n’était plus le moment de reculer.

- En fait, oui. Il s’est produit un phénomène étrange, hier soir, et j’aurais voulu avoir votre avis.

- Bien sûr, vas-y, je t’écoute.

Tandis qu’il lui racontait les rêves qu’il avait faits, s’interrogant sur leurs significations, il la vit blêmir.

- Que se passe-t-il ? Vous ne vous sentez pas bien ? s’inquiéta-t-il.

Elle se ressaisit aussitôt.

- Non, non, ça va, le rassura-t-elle. Tes songes sont effectivement troublants, surtout le dernier qui semble s’être réalisé. De plus, à la façon dont tu les as vécus, il pourrait bien s’agir de prémonitions. Est-ce que c’est une capacité que l’on rencontre habituellement chez un représentant du peuple de Mû ?

- Pas que je sache, répondit l’enfant.

- C’est certainement en rapport avec le fait que l’âme du Chevalier d’Or du Bélier t’a conseillé de chercher à savoir qui étaient tes parents. Sais-tu où se trouvent les autres membres de ton peuple ?

- Pas vraiment, non. Maître Mû m’a quelque fois parlé d’une communauté vivant dans les montagnes himalayennes mais il ne m’a pas révélé l’endroit exact.

- Peut-être a-t-il laissé des notes pouvant t’éclairer ?

C’est possible, dit-il en repensant aux étagères remplies de parchemins de la pagode où lui et son mentor habitaient. Je retournerai à Jamir dès que les funérailles auront été célébrées.

- Tu es libre de faire ce que bon te semble. Je te demanderai seulement de prendre soin de toi.

- Ne vous inquiétez pas pour ça. Il s’inclina légèrement devant elle. Je vous remercie de m’avoir aidé à y voir plus clair.

Sa pose, pleine de respect et de déférence à son égard, la fit sourire. Il a mûri, songea-t-elle.

- Pas besoin de telle formalité entre nous, Kiki, tout le plaisir était pour moi. Je serai toujours là si tu ressens à nouveau le besoin de parler. Maintenant, si tu veux bien m’excuser, il faut que j’aille vérifier une chose importante.

Sitôt qu’elle eût dit cela, elle sortit de la pièce, en proie à un terrible doute.

Il a bien parlé d’une lame en or, repensa-t-elle, ce n’est tout de même pas …

Mais déjà, son parcours la conduisait vers la salle du Grand Pope.

 

L’astre du jour était déjà haut dans le ciel lorsque les deux jeunes hommes sortirent pour profiter de ses rayons bienfaiteurs. Sensiblement de même taille, le premier avait de longs cheveux noirs comme une nuit sans lune qui lui descendaient jusqu’à mi-cuisse, un regard couleur de roche et le teint hâlé, résultat d’une vie passée à affronter les éléments. Le second aurait pu être son exact contraire avec sa peau blanche, presque diaphane, sa chevelure solaire quelque peu ébouriffée et, héritage de son côté russe, des yeux – du moins un œil puisque celui de gauche était caché par un bandage – d’une limpidité digne d’un glacier. Pourtant, de telles différences n’empêchaient pas les deux demi-frères de s’entendre à merveille.

- Quand je pense que la sœur de Seiya se trouvait ici durant tout ce temps, si proche de lui, et qu’ils ne se sont jamais croisés, dit l’adolescent blond avec dépit.

- Il faut, en effet, reconnaître que tout cela est tragique.

- En tout cas, elle est forte. J’aurais pensé que le choc de la nouvelle la laisserait anéantie.

- Peut-être qu’en son for intérieur, elle avait ressenti la mort de son frère bien avant qu’on ne la lui confirme. Malgré tout, même si elle semble aller bien de l’extérieur, je suis certain que son cœur saigne. Je pense qu’elle devra exprimer cette douleur tôt ou tard.

- Hum …

Préférant ne pas prolonger leurs tourments, le métis décida de changer de sujet.

- Au fait, je n’avais pas encore eu l’occasion de le remarquer depuis notre retour, mais tu as une nouvelle fois recouvrer la vue, Shiryû.

- Oui, apparemment le fait de m’éveiller à l’Arayashiki, le huitième sens, m’a permis de guérir de ma cécité. Le même phénomène s’était produit lorsque j’avais affronté DeathMask en m’ouvrant au septième sens pour la première fois. Et de ton côté, comment va la blessure que tu as reçue durant la bataille contre Poséidon ?

Le Chevalier du Cygne porta instinctivement sa main vers la bande de tissu qui recouvrait une partie de son visage.

- Elle est en bonne voie de guérison, cependant, d’après ce que le guérisseur, un certain Diolon, m’a dit en changeant le pansement ce matin, il se pourrait que je ne voie plus aussi bien qu’auparavant de cet œil.

- Je suis désolé, Hyôga, répondit l’Asiatique.

- Ne le sois pas, c’est le genre de chose qui peut arriver lorsque l’on entame un combat. En tant que Chevaliers, nous le savons pertinemment.

Avant que Shiryû ait pu ajouter quelque chose, son demi-frère enchaîna avec une autre question.

- Vas-tu retourner en Chine ?

- Oh … Euh … Oui, je vais prendre le premier vol que je pourrai trouver. Je dois rentrer afin de rassurer Shunrei. De plus, je souhaiterais qu’elle m’accompagne lors de mon voyage de retour pour la Grèce, ainsi elle pourra assister à l’hommage funèbre. (Un voile descendit sur ses yeux lorsqu’il continua.) Le Vieux Maître … Dohko … était comme un père pour elle et je sais qu’elle appréciait beaucoup Seiya. Je pense qu’elle aimerait pouvoir leur dire au revoir.

- La perte de cet homme sera dure à encaisser, surtout s’il représentait son seul semblant de famille à ce que tu m’en as dit.

- Je sais, fit Shiryû en soupirant. Je suis navré si cela te rappelle de mauvais souvenirs, Hyôga.

- Ne t’en fais pas pour ça. Revoir Camus, même si ce n’était que pour un bref instant m’a permis de faire le deuil.

- J’en suis heureux pour toi, lui répondit son ami.

- Merci, Shiryû, sincèrement.

D’ordinaire plutôt réservé, voir glacial, le comportement de Hyôga surprit son compagnon. Il lui fallut quelques secondes pour trouver ses mots.

- Eh bien, de rien. Nous sommes frères mais aussi des amis avant toute chose, c’est normal. Bon, je vais aller préparer mes affaires. On se voit à mon retour, dans deux jours.

- Bien sûr. Fais bon voyage.

 

Chine, Province du Jiangxi, au sud de la ville de Jiujiang

 

Cela faisait plus d’une heure que Shiryû avait quitté l’aéroport avec pour tout bagage un simple sac de toile passé par-dessus son épaule. A son arrivée, il avait décidé de faire le chemin à pieds, mais quand le conducteur d’un véhicule de transport de marchandises se dirigeant vers Rozan lui avait proposé de l’emmener, il avait finit par accepter. Se retrouvant en compagnie d’autres voyageurs, il avait pu discuter avec eux, tout en redécouvrant ce paysage qu’il affectionnait tant. A mesure qu’ils avançaient sur de petites routes de terre, ils avaient croisé de nombreux paysans qui revenaient des champs, leur journée de travail terminée.

 

Le Chevalier du Dragon laissa derrière lui ses compagnons de route lorsqu’ils eurent atteint le dernier village situé dans la plaine. Prenant ses maigres possessions, il se mit en route pour gravir les versants boisés qui s’offraient à lui. Bien que la fin de l’après-midi s’annonçait plutôt chaude, surtout pour un mois d’avril dans cette partie des montagnes, il s’en accommoda sans problèmes. Traversant des zones de hauts plateaux et de rizières cultivées en terrasses, il se rapprochait petit à petit du lieu où il s’était entraîné six années durant. Il s’enfonça dans des forêts tantôt de pins, tantôt de bambous et put admirer une profusion de fleurs sauvages, telles les azalées, toutes plus magnifiques les unes que les autres.

Il s’arrêta un moment pour se reposer un peu et contempla les parois à pic recouvertes de conifères qui se nimbaient d’un ton orangé à la lumière du soleil couchant. Comme toujours, la magnificence du panorama lui coupa le souffle.

Reprenant son parcours, il se mit à suivre les eaux bouillonnantes d’un torrent qui dévalait les pentes pour remonter jusqu’à leur source. L’air ambiant, saturé de minuscules gouttelettes, allait en se rafraîchissant sensiblement. Au bout d’un moment, il se mit à entendre un formidable grondement que la végétation avait du mal à assourdir. Ce dernier allait en s’amplifiant tandis qu’il progressait dans sa direction. Sortant finalement du couvert des arbres, il distingua enfin le bout de son périple : la grande cascade de Rozan, dont nombre de poètes avait glorifié la beauté.

Il gravit les derniers mètres qui le séparaient de la petite maison, construite à l’écart de la chute d’eau. Constituée de briques et coiffée d’un toit de tuiles en céramiques, la bâtisse se révélait accueillante dès le premier coup d’oeil. Un petit jardin bien entretenu était visible sur un des côtés. Repoussant la porte, Shiryû entra en annonçant son arrivée.

Aucune réponse ne lui parvint en retour.

Il en déduisit que Shunrei devait être sortie. Il déposa ses affaires sur une commode près de l’entrée. A l’intérieur, le sol était recouvert par un plancher à la surface duquel où pouvait observer des traces d’usure. L’endroit n’était pas très grand mais l’espace était bien occupé par divers meubles en bois.

 

La nuit venait de tomber lorsqu’il entreprit d’allumer un feu dans l’âtre situé au centre de la pièce ; creusé dans le sol. Il se saisit de quelques bûches dans la maigre réserve, ajouta des brindilles sèches et enflamma le tout avec un briquet et de l’amadou. D’abord timides, les braises s’en prirent bien vite au combustible. Satisfait de son travail, Shiryû ressortit de la maison pour guetter l’arrivée de Shunrei.

A peine eût-il ouvert la porte qu’il se retrouva face à la jeune fille.

 

L’homme était apparu devant elle si soudainement, auréolé de surcroît par une aura flamboyante, qu’elle en sursauta en laissant échapper la brassée de bois qu’elle portait.

- Qui êtes-vous ? demanda-t-elle d’une voix effrayée tout en reculant de plusieurs pas. Puis distinguant mieux la personne qui se tenait face à elle, elle sentit ses yeux s’embuer.

- Shiryû, c’est bien toi ?

- Bien entendu que c’est moi, Shunrei, répondit-il d’une voix douce.

Elle se jeta alors dans ses bras, qu’il referma en une étreinte protectrice. Il huma avec délice le parfum de ses cheveux, toujours aussi impeccablement nattés, tandis qu’ils étaient l’un contre l’autre.

- Je savais que tu reviendrais, dit-elle entre deux sanglots.

- Je suis désolé de t’avoir causé du chagrin. J’ai été un imbécile.

Au bout d’un moment, ils finirent par se séparer.

- Le Vieux Maître n’est pas avec toi ?

Sa question le fit imperceptiblement tressaillir. Même s’il avait imaginé le discours qu’il lui tiendrait quand le moment serait venu, il oublia tout dans l’instant.

- Oh, Shiryû, tes yeux …

- Viens, Shunrei, rentrons, il commence à faire froid et il y a beaucoup de choses dont je dois te parler.

Quand ils furent installés, Shiryû attrapa avec un morceau de tissu le pot en métal qu’il avait mis à chauffer et versa son contenu dans deux tasses. Il lui en tendit une.

- Ce que je vais te dire n’est pas facile à entendre alors essaye de ne pas m’interrompre, s’il te plaît.

Elle hocha simplement la tête en guise d’acquiescement, appréhendant trop ce qu’il allait lui dire pour répondre avec des mots. Il lui raconta toute l’histoire, utilisant les informations qu’il connaissait lui-même et celles qu’il avait apprises de la bouche de ses demi-frères. Shunrei ne put s’empêcher de verser des larmes en apprenant les morts de Dohko et de Seiya.

Elle se blottit contre la poitrine de Shiryû pour y trouver le réconfort dont elle avait tant besoin en cet instant.

 

Le Chevalier du Dragon avait beau être un individu que l’on qualifiait d’instruit, la situation le prenait totalement au dépourvu. Avant qu’il ne comprenne ce qu’il faisait, il se mit à lui murmurer des paroles apaisantes au creux de l’oreille. Finalement ses pleurs finirent par cesser, pour être remplacés par une lente et profonde respiration. Elle s’est endormie, constata-t-il. Il songea un instant à la transporter dans sa chambre mais, se surprenant lui-même, il y renonça. Ce contact avait fait naître en lui des sensations qu’il ne s’expliquait pas.

Son cœur battait plus vite et il sentait comme un poids sur son estomac. Cependant, cela se révélait plutôt agréable en fin de compte. En la contemplant, il remarqua les cernes qui soulignaient ses paupières. Elle n’avait pas dû beaucoup dormir depuis qu’il était parti et il se maudit intérieurement pour lui avoir infligé ça. Ce n’est qu’à cet instant qu’il comprit réellement les paroles prononcées par le Vieux Maître lorsque celui-ci avait voulu l’empêcher de combattre. Il n’avait alors pas mesuré l’étendue de la peine qu’il provoquerait chez Shunrei s’il était mort, aveuglé par son sens du devoir. Maintenant qu’il était conscient de cela, mais aussi des sentiments qu’il éprouvait envers elle, il se résolut à ne plus l’abandonner. Plus jamais.

Décidant de prolonger ce petit moment d’intimité, il se laissa aller à poser sa tête sur celle de Shunrei. Il avait oublié de lui parler de l’invitation de Saori mais cela pouvait bien attendre le lendemain. Sur cette dernière pensée, il s’endormit à son tour.

 

9 avril 1987

Grèce, Athènes, Aéroport

 

Shun et Hyôga attendaient le vol en provenance de Chine depuis le quai de débarquement. Un peu plus en retrait, adossé contre un mur, les bras croisés, se tenait un jeune homme que l’on devinait plus âgé que ses deux vis-à-vis de par sa grande taille. Malgré son ascendance japonaise, il avait des pupilles bleu sombre et une tignasse de cheveux noirs aux reflets cobalt. Une fine cicatrice, ressortant sur sa peau brunie par le soleil, se profilait à la base de son arête nasale presque entre les deux yeux ; témoin muet d’un ancien drame.

- Tu es sûr que c’est le bon horaire, Shun ? demanda le Chevalier du Cygne.

- Certain. De toute façon, il n’y a qu’un seul avion qui arrive depuis la Chine, aujourd’hui.

Il venait à peine de terminer sa phrase lorsqu’un appel sonore retentit afin de confirmer l’atterrissage de l’appareil.

- Tu vois ? dit le jeune homme au yeux noisette avec une pointe de satisfaction.

Bientôt, les portes d’accès s’ouvrirent et un flot de passagers en sortit. Ils repérèrent assez vite le couple qui les intéressait et l’appelèrent à grand renfort de gestes de la main.

 

Lorsqu’ils se furent rejoints, Shiryû donna l’accolade à Shun et Hyôga puis fit de même avec Ikki qui se prêta au jeu sans hésiter. Il n’y avait pas si longtemps, sa réaction en aurait étonné plus d’un, à commencer par ses demi-frères, mais depuis son retour sur Terre, le Chevalier du Phénix s’était fait moins distant avec ses amis. Certes, il restait toujours en marge des autres, cependant, quand il se mêlait à eux, il le faisait avec plus de facilité qu’auparavant. Peut-être était-ce dû à la mort de Seiya ou plus simplement à un abandon de son attitude solitaire ? Quand il eût terminé, il se tourna vers la jeune fille qui était restée en arrière.

- Mes amis, je vous présente Shunrei. Shunrei, je te présente mes demi-frères. Voici Hyôga, fit-il en désignant le garçon avec un bandage sur l’œil gauche, Shun – celui avec les cheveux châtains – et Ikki – le plus grand des trois.

- Enchanté, déclara la jeune fille en japonais.

Ils la saluèrent en retour en essayant de ne pas se montrer trop surpris par le fait qu’elle connaisse leur langue. A la vue de leurs mines désappointées, Shiryû se dit qu’une petite explication s’imposait.

- Lorsque j’ai été envoyé sur mon lieu d’entraînement, je n’avais que peu de connaissances en matière de langue étrangère. Heureusement, mon maître et Shunrei m’ont bien aidés, en retour, je lui ai appris le japonais.

Ils acquiescèrent dans un même ensemble.

- Venez, dit le Chevalier d’Andromède, une voiture de la fondation Graad nous attend à l’extérieur.

- Très bien, allons-y.

 

10 avril 1987

Grèce, Sanctuaire, Grande Place

 

Une fine bruine imprégnait l’atmosphère depuis le début de l’après-midi. L’eau rendait luisantes les antiques pierres des lieux où se tenaient ceux qui faisaient partie du cortège funèbre. Et ils étaient nombreux ; Chevaliers, gardes, habitants du Domaine Sacré, simples villageois, tous étaient réunis au même endroit : la grande place du Sanctuaire. Chacun s’était vêtu d’un manteau ou d’une cape de couleur noire et ainsi rassemblés, ils ressemblaient à une immense étendue de ténèbres mouvantes. A la tête de cet immense groupe se trouvait la déesse Athéna, elle aussi parée de sombres atours. Ses cheveux, d’ordinaire laissés libres, avaient été réunis en une queue-de-cheval avec un ruban afin de dégager son visage. Derrière elle, on pouvait distinguer les formes de plusieurs rondins empilés les uns sur les autres de manière à constitués quatorze bûchers. Un air de solennité imprégnait l’atmosphère, bien que celui-ci soit troublé parfois par de brefs conciliabules entre les personnes présentes.

 

La jeune femme dont l’humidité ambiante avait plaqué la chevelure sur son crâne depuis qu’elle avait abaissé sa capuche, s’adressa, en grec, à la foule d’une voix forte et claire :

- Peuple du Sanctuaire ! Vous vous interrogez certainement sur mon identité, et c’est une question légitime.

Un murmure d’assentiment parcourut le rassemblement.

- Je vais donc vous répondre. Je suis Saori Kido, la présente réincarnation de la déesse Pallas Athéna ! Si je vous ai fait venir, c’est avant toute chose pour que nous puissions rendre hommage aux courageux hommes qui ont sacrifié leurs vies afin que les notions d’espoir, de justice et de paix continuent d’exister. Ainsi, selon les traditions ancestrales, nous allons immoler leurs corps comme cela se faisait pour les héros de l’Antiquité.

Elle se rapprocha du premier bûcher et fit un signe de tête discret à Kiki pour que celui-ci la rejoigne. Elle lui confia alors la torche qu’elle tenait et murmura :

- C’est à toi, plus qu’à moi, d’honorer sa mémoire.

- Merci, répondit-il tout aussi bas.

S’avançant vers le futur brasier, il prononça une prière.

- Bien que n’ayant pas connu ma famille, je n’ai jamais éprouvé le besoin de le faire avec vous à mes côtés, maître. Vous étiez à la fois un grand frère et un père à mes yeux. Je suis fier d’avoir suivi votre enseignement et tâcherai de toujours m’en montrer digne. Adieu.

Il posa l’extrémité ignée sur le combustible imprégné d’huile et ajouta, tandis que ses larmes coulaient :

- Vous me manquerez.

Le bois prit feu instantanément malgré l’humidité et sa lumière éclaira l’obscurité ambiante. Quelques personnes parmi la foule entamèrent alors un chant funèbre, avant d’être imités par le reste du rassemblement. Sans qu’aucun ne s’en aperçût, une étincelle de couleur azur se forma sur la grande horloge au-dessus du signe du Bélier.

 

En ayant terminé, il tendit le brandon à Athéna qui se dirigea vers la seconde pile de bois. Parvenue à son niveau, la jeune fille se lança dans une oraison funèbre :

- Aldebaran du Taureau, toi, le géant dont la force n’avait d’égale que la gentillesse. Jamais un ennemi n’aura franchi ton Temple de ton vivant. Pour cela, je t’honore.

Simultanément des flammèches oranges et bleues apparurent. Puis vint le tour du troisième.

- Saga et Kanon des Gémeaux, vous, dont les complots ont fait couler beaucoup de sang, vos sacrifices auront permis de racheter vos fautes.

Du quatrième.

- DeathMask du Cancer, toi qui t’es rendu coupable de nombreux crimes au cours de ta vie, tes actions dans la mort auront redonné un sens à ton titre de Chevalier d’Or.

Du cinquième.

- Aiolia du Lion, toi, l’indomptable guerrier qui fut l’un des premiers de ton ordre à me reconnaître et à me défendre.

Du sixième.

- Shaka de la Vierge, toi, qui a offert ta vie pour m’adresser un ultime message et qui m’a protégée aux Enfers.

Arrivée au septième, elle se tourna vers Shiryû et Shunrei et les invita à prendre sa place. S’avançant de quelques pas, le couple se retrouva finalement face au bûcher dédié au Chevalier d’Or de la Balance. D’abord muet, l’élève du défunt se décida à parler, non sans avoir pris une longue inspiration avant :

- Vieux Maître, je n’ai jamais vraiment pu vous remercier de tout ce que vous aviez fait pour moi, alors je tiens à profiter de cette occasion pour le faire. Je ne sais pas si mes paroles vous parviendront mais je tenais à dire que j’ai été heureux d’être votre disciple. Vous m’avez enseigné bien des choses qui m’ont permis de devenir l’homme que je suis aujourd’hui. Peut-être que le moment venu, nous nous reverrons, d’ici là, adieu.

- Adieu, Vieux Maître, fit écho la voix de Shunrei.

Quand les deux jeunes gens eurent reprit leur place dans la foule, Saori continua :

- Milo du Scorpion, toi, qui a conduit un homme vers sa rédemption en l’absolvant de ses péchés.

 - Aiolos du Sagittaire, toi que l’on qualifiait de traître, tu étais en réalité le plus fidèle de mes serviteurs. Tu m’as sauvé la vie alors que je n’étais qu’une enfant et même après ta mort, tu as continué de veiller sur nous à travers ton Armure. Que ton nom, longtemps terni, retrouve son éclat.

- Shura du Capricorne, toi qui pensais que l’on ne donnait plus sa vie pour défendre des idéaux, un geste particulier t’as fait ouvrir les yeux au moment de disparaître, te poussant à un repentir sincère.

Le Chevalier du Dragon posa inconsciemment sa main sur son avant-bras droit, là où reposait désormais Excalibur, l’épée sacrée qui lui avait été confiée.

Parvenue au onzième, ce fut Hyôga qui se présenta aux côtés d’Athéna.

- C’est la troisième fois que je vous dit adieu, Camus, commença-t-il. Bien que vous m’ayez toujours enjoint de fermer mon cœur à ce genre d’émotions, être responsable de la mort de son maître et d’un ami d’enfance est un fardeau lourd à porter. Toutefois, vous revoir a soulagé mon âme et m’a permis de me libérer d’une partie de mes fautes. Jusqu’à ce que nous nous retrouvions à nouveau sur les plaines de Sibérie. Adieu.

- Aphrodite des Poissons, poursuivit Saori, toi qui estimais que celui qui détenait la force, détenait la justice, tu as été détrompé par ton trépas. Tes actes au cours de ta seconde vie ont prouvés que tu avais compris ton erreur.

Elle marqua une courte pause avant de continuer.

- De tout temps, ceux qui ont utilisésl’Athena Exclamationont été mis au ban de l’ordre de la Chevalerie.Néanmoins, au vu des circonstances qui ont conduit à son utilisation par six des Chevaliers d’Or, je lève la mesure de bannissement qui pèse sur eux et les réintègre dans l’ordre.

Ayant terminé son discours, elle se rapprocha du treizième monticule.

- Shion, survivant de la précédente Guerre Sainte, ancien Chevalier d’Or du Bélier et Grand Pope du Sanctuaire, toi qui a continué à me servir par-delà la mort, allant même jusqu’à t’attirer l’opprobre de tes pairs. Pour cela, je t’en serai éternellement reconnaissante.

C’était la première immolation d’un dirigeant du domaine sacré depuis les temps anciens. En effet, la tradition voulait que le Grand Pope soit enterré avec ses prédécesseurs sous les fondations du Palais qui leur servait de résidence afin de devenir une partie intégrante de la terre qu’ils avaient administrée. Les Chevaliers inclinèrent leurs têtes afin de saluer le départ de cet homme d’exception. Enfin, Athéna se positionna devant le dernier bûcher où reposait une forme recouverte de tissu.

 

Au milieu de ces bandes, gisait la dépouille de Seiya. Aucun renflement visible n’indiquait qu’il portait son armure.

En fait, lorsque la sœur du Chevalier de Pégase avait pénétré dans la chambre, la veille, afin d’apprêter le corps de son frère en le lavant de la poussière et du sang qui le souillait, l’armure s’était mise à émettre des vaguelettes de lumière qui avaient rempli la pièce. La douce lueur diffusait une agréable chaleur comme si elle avait voulu réconforter Seika, puis elle se fit plus froide, plus triste, juste avant qu’elle ne quitte son porteur. Un ultime adieu en somme. La sœur du défunt avait alors rempli son office avec un étonnant détachement, évitant au possible de penser à ce qu’elle faisait. Une voix féminine, marquée par l’émotion, la ramena au présent.

- Seiya, tu t’es révélé être le plus dévoué de mes protecteurs mais aussi un ami fidèle. Ta ténacité a souvent servi d’exemple à ceux qui t’entouraient, leur redonnant espoir et courage. Ton souvenir restera à jamais gravé dans le cœur des personnes qui t’ont connu et aimé. Adieu, mon ami.

Saori, des larmes perlant à ses paupières, jeta le brandon sur la pile de rondins. Aussitôt, en réponse à son geste, des flammes se mirent à lécher le bois et le corps du défunt. Une odeur de chair brûlée ne tarda pas à se mêler à celle de la résine de pin.

Tous les compagnons du Chevalier de Pégase gardaient la tête haute, résolus à honorer la mémoire de leur ami sans plus verser de larmes. Cela serait revenu à s’apitoyer sur son sort et ça, Seiya ne l’aurait voulu à aucun prix. June, assise dans un fauteuil roulant, pressa doucement la main de Shun afin de lui signifier qu’elle était là et le soutenait, qu’il pouvait puiser de la force en elle.

Cette dernière avait, en effet, tenu à assister à la cérémonie, au grand dam de Diolon qui lui avait pourtant préconisé de se reposer le plus possible. Mais c’était mal connaître la jeune fille qui n’avait rien voulu savoir. Estimant qu’elle avait assez fauté envers Athéna en étant absente lors des batailles, elle pouvait bien au moins faire ça, et tant pis si cela rallongeait sa convalescence. De toute façon, elle ne comptait pas rester indéfiniment alitée.

 

Soudain, le cri déchirant de Seika vint perturber le silence religieux qui régnait. La bonde derrière laquelle s’était accumulée toute sa tristesse venait finalement de se rompre. A genoux, des larmes roulant sur ses joues, la jeune femme laissait libre cours à sa peine, martelant le sol de ses deux mains. Sa souffrance avait enfin trouvé une échappatoire. Jabu et Nachi essayèrent de la soutenir du mieux qu’ils purent durant cette épreuve.

Bien que la détresse de la sœur de Seiya la touchait profondément, Saori ne pouvait que continuer la cérémonie.

- Mes amis ! dit-elle.

A ses mots, le chant funèbre qui continuait de flotter dans les airs, cessa.

 - Voici venu le moment de prendre part au repas solennel. Je vous prie de suivre le capitaine Nereus et ses hommes, ils vous conduiront jusqu’à l’endroit prévu à cet effet.

Les habitants du Sanctuaire se dispersèrent petit à petit, non pas dans le tumulte mais dans un même ensemble, laissant derrière eux leur déesse et ses défenseurs. Bientôt, ce fut le tour de ces derniers de se détourner des bûchers après avoir adressé un ultime au revoir à leurs frères d’armes. Seule demeura la déesse de la Sagesse ou plutôt Saori Kido en cet instant. Et enfin, à la lueur rougeoyante des brasiers, elle s’éloigna elle aussi, abandonnant les morts pour rejoindre les vivants.

 

Quelques heures plus tard, tandis que le grand bâtiment de marbre et de pierre où s’étaient réunis les convives bruissait d’activité et de conversations, quatre ombres sortirent sous le firmament constellé d’étoiles. Celles-ci étaient bien visibles depuis que le ciel s’était dégagé.

- C’est une nuit magnifique, dit Shun, le regard levé vers la voûte céleste.

- Oui, c’est vrai, confirma Shiryû, et c’était une belle cérémonie.

Ces phrases avaient été lancées banalement dans le but de meubler le silence qui pesait entre eux.

- Maintenant que tout est terminé, je pense que je vais retourner en Sibérie, déclara Hyôga, au moins pour un temps.

- Pour ma part, annonça le Chevalier du Dragon, je vais également repartir pour la Chine.

- Tant que June ne se sera pas complètement remise de ses blessures, je vais rester ici, répondit Shun. J’en profiterai aussi pour étudier ce que contient la grande bibliothèque. Et toi, grand frère ?

- Oh, vous me connaissez, dit Ikki, je n’aime pas rester trop longtemps au moment endroit. Je serai donc à droite ou à gauche. Mais ne vous inquiétez pas, je viendrai vous prêter main forte lorsque vous vous y attendrez le moins.

Ses trois compagnons sourirent face à cette attitude typique.

- Et qu’en est-il des autres ? demanda le métis au bout d’une minute.

- Je crois qu’ils vont retourner sur les lieux de leur formation pour continuer à s’entraîner, répondit le jeune homme aux yeux noisette. Et Kiki a déclaré vouloir se rendre rapidement à Jamir, à ce qu’il m’a semblé.

Jamir, songeaShiryû en repensant à la grande pagode. Désirerait-il reprendre le flambeau de Mû ? Ou bien, y aurait-il autre chose ?

- Donc le Sanctuaire ne compterait que très peu de personnes dans l’éventualité où il serait attaqué, en déduisit le Chevalier du Cygne.

- Je ne crois pas que nous ayons grand-chose à redouter dans l’immédiat, le contra Shiryû. Si la personne qui s’est introduite ici, et plus probablement celui ou celle qu’elle sert, ne nous ont pas attaqués même juste après notre retour, au moment où nous étions le plus faible, je doute qu’ils remettent ça maintenant que nous avons un semblant de cohésion.

- Quoi qu’il en soit, acheva Ikki, il faudra que nous restions attentifs. D’ailleurs, je profiterai de mes errances pour récolter le plus d’informations possibles.

- Nous essaierons de faire de même, dit Shun avant d’ajouter, et dire que nous venons à peine de sortir d’une terrible bataille pour peut-être replonger dans une autre.

Ils demeurèrent perdus dans leurs pensées quelques minutes après cette dernière tirade. Finalement, ils se souhaitèrent bonne nuit et s’en allèrent chacun de leur côté.

 

19 avril 1987

Grèce, Domaine des Solo

 

Saori descendit de la limousine noire par la portière que Tatsumi lui tenait ouverte.

Je t’ai déjà dit que je pouvais le faire moi-même, dit la jeune femme avec un ton quelque peu exaspéré.

- Mais … enfin … mademoiselle, c’est mon travail, répondit celui-ci, penaud.

Voyant que ses paroles avaient blessé son majordome, son expression se radoucit.

- Je sais que tu ne veux que mon bien, mais j’aimerais faire certaines choses par moi-même désormais. Je souhaiterais ne plus avoir à dépendre de quelqu’un, est-ce que tu peux comprendre ça ?

- Bien sûr, mademoiselle.

Même si elle était peu convaincue par cette réponse, Saori hocha la tête en signe d’approbation. La discussion étant close, du moins l’espérait-elle, elle reporta son attention sur la propriété qui lui faisait face.

 

Juste après avoir franchi le portail qui marquait l’entrée du domaine, on avançait sur un chemin de graviers blancs qui serpentait le long de vastes jardins. A droite et à gauche, plusieurs pins d’une dizaine de mètres de haut délimitaient la propriété. Une fois que l’on avait traversé ce parcours végétal, on découvrait le manoir de la famille Solo, construit par le grand-père de l’actuel héritier. L’immense demeure avait été bâtie en haut d’une falaise qui surplombait la mer Egée. Comme si l’habitant avait voulu se rapprocher le plus possible de la source de la fortune des Solo. Ayant imposé à Tastumi de l’attendre, elle gravit les marches, seule, l’air iodé des flots qui heurtaient la roche en contrebas venant emplir ses narines.

Arrivée devant la porte, elle annonça sa venue grâce à une sonnette. Aussitôt après que le carillon eût retenti, un homme d’âge mûr en livrée de majordome lui déverrouilla l’accès avant de l’inviter à entrer.

Bien qu’elle fut déjà venue une fois auparavant, Saori n’en fut pas moins émerveillée par la beauté des lieux. L’habitation avait été décorée avec goût. Des sculptures et des œuvres d’art étaient disposées un peu partout et de nombreux tableaux représentant des scènes maritimes étaient accrochés aux murs. Enfin, à la périphérie de son champ de vision, une statue en particulier attira son attention. Il s’agissait d’une représentation du dieu des Mers, Poséidon, sur son char, une bride pour diriger son attelage d’hippocampes dans une main et son trident dans l’autre. Cette vision lui rappela ce qu’elle était venue faire ici. De prime abord, sa résolution de revoir l’homme qui servait d’incarnation à son divin oncle paraissait une bonne idée, pourtant alors qu’elle se tenait devant cette statue, des doutes subsistaient dans son esprit. En effet, qu’espérait-elle à l’issue de cette entrevue ? Et surtout, qu’allait-elle bien pouvoir lui dire pour le convaincre ? Ses réflexions furent interrompues par l’appel de son nom.

 

- Mademoiselle Kido ?

Elle reconnut le propriétaire de la douce voix, presque musicale avant même d’avoir fini de se retourner.

- Général Sorrento, comment allez-vous ?

Mi-longs et légèrement bouclés, les cheveux blonds tirant sur le brun de son interlocuteur se mariaient à merveille avec ses yeux bleu pâle. Pourtant ce beau visage était troublé par une mimique d’étonnement. En effet, la question avait été posée sur un ton tellement banal, surtout pour une personne incarnant une divinité, qu’il s’en retrouva pantois. Se ressaisissant, ce dernier s’inclina légèrement et répondit :

- Bien, je vous remercie, Athéna. Mais ici, je ne suis que Sorrento, un simple étudiant en musique.

Comme pour confirmer ses dires, il tenait dans sa main droite une flûte traversière. Cependant, la jeune femme savait qu’il ne fallait pas se fier aux apparences. Cet instrument si banal fut-il était une arme redoutable entre les mains du Général.

- Tout comme je ne suis que Saori Kido, finit-elle par dire avec malice.

Sorrento sourit malgré lui face à cette réplique. Bien qu’incarnant une déesse, la jeune femme était toute en simplicité.

- Je suis venu voir Julian ; ou plutôt Poséidon, ajouta-t-elle au bout de quelques de secondes.

- Sa majesté !? demanda-t-il surpris. Et pourrais-je savoir ce que vous voulez de lui ?

Saori remarqua qu’il s’était imperceptiblement raidi, prêt à parer à toute éventualité pour protéger son maître.

- N’aie crainte, Sorrento, je veux simplement le remercier pour l’aide qu’il a fournie à mes Chevaliers.

Rassuré, le jeune homme se détendit.

- Mais si je puis me permettre, vous avez scellé son âme, alors comment comptez-vous le contacter. Quand il s’est libéré pour vous venir en aide, cela n’a duré qu’une ou deux minutes. Je ne sais absolument pas si cette durée peut être prolongée.

- Il est vrai que c’est problématique, avoua-t-elle.

- Avec votre cosmos, avança-t-il, vous pouvez certainement agir sur le sceau. Il suffirait de diminuer son intensité le temps de votre conversation.

- Oui, cela doit pouvoir fonctionner.

Qu’est-ce qui m’a prise de dire ça ! se morigéna-t-elle intérieurement. Je ne sais pas si je peux le faire, et en admettant que je puisse, il se pourrait qu’au lieu de lever temporairement le sceau, je le brise. Puis-je prendre ce risque ? Oui, se dit-elle après une éternité de réflexion, je peux. Je le dois même.

Elle concentra son cosmos, nimbant la pièce d’une succession de vagues d’or et d’argent. Visionnant en esprit le vase à l'intérieur duquel avait été enfermé Poséidon, elle mobilisa sa volonté afin d'influer sur la résistance du sceau comme si celui-ci avait subi les ravages du temps. Ainsi altéré, il ne pourrait plus empêcher le captif de s'échapper. Cependant, elle exerça un contrôle mental suffisamment ferme pour que le scellé même affaibli conservât, en partie, sa capacité à maintenir le dieu des Mers enchaîné, telle une ancre entravant les mouvements d'un navire. En somme, il aurait un pied en dehors de sa prison et l'autre à l'intérieur, partagé entre deux états. Quand son entretien serait terminé, elle n'aurait plus qu'à faire machine arrière pour tout remettre en place. Néanmoins, l’exercice se révéla d’un niveau sans commune mesure avec ce qu’elle avait déjà pu réaliser grâce à ses pouvoirs. Un léger voile de sueur était apparu sur son front lorsqu’elle annonça :

- Voilà, c’est fait.

- Venez, je vais vous conduire auprès de lui.

 

Ils traversèrent la salle de réception où avait eu lieu, un mois plus tôt, le bal destiné à célébrer le seizième anniversaire de leur hôte et parvinrent finalement sur la terrasse. Une vue imprenable sur l’immensité marine s’offrait à eux. Descendant un escalier, ils avancèrent en direction du kiosque où se trouvait Julian Solo. Ce dernier était debout et leur tournait le dos, sa longue chevelure dorée flottant librement au gré de la brise. Ce ne fut que lorsqu’ils furent tout près que l’énergie de l’Ebranleur du Sol se manifesta. Leurs peaux se mirent à picoter et l’air ambiant sembla s’alourdir.

Celui qui était Julian Solo encore quelques instants auparavant se tourna vers eux. Son regard vert d’eau transfiguré par le pouvoir du dieu des Mers se posa sur le Général. En réponse, ce dernier s’agenouilla avec promptitude.

- Majesté, dit-il simplement, incapable de trouver autre chose à dire.

- C’est la seconde fois que tu mènes Athéna jusqu’à moi, Sorrento, j’espère que ça ne va pas devenir une habitude, déclara Poséidon ironique.

Le sourire qu’il arborait disparut néanmoins dès que Saori se campa devant lui.

- Et bien, que me vaut ta visite, Athéna ? Pourquoi tant de magnanimité ?

- J’avais besoin de discuter avec toi.

- Le fait que je puisse investir à nouveau ce corps ne dépend que de ton bon vouloir alors fais donc comme bon te semble ! lança-t-il, acide. Tu peux te retirer, Général.

- Bien, majesté.

Quand il se fut suffisamment éloigné, le dieu invita sa visiteuse à s’asseoir à la petite table installée sous la structure en bois.

- Alors, ma chère nièce, viens-tu te vanter de ta victoire contre mon frère ? Ou bien, peut-être que tu es venue me voir pour que je te pardonne de m’avoir emprisonné ? demanda-t-il sarcastique.

Sans prêter attention aux remarques de son oncle, la déesse répondit :

- Si je suis venue, c’est pour te remercier d’avoir aidé mes Chevaliers.

- Ah, ça …, j’ai simplement voulu éviter qu’Hadès s’empare de la Terre.

- Te soucierais-tu du sort des humains ?

- Bien que tu ais scellé mon âme, une infime partie est demeurée dans ce corps. (Il désigna sa personne dans un geste théâtral.) J’ai pu voir le monde tel qu’il est aujourd’hui à travers les yeux de Julian, et ce que j’ai vu est très loin de m’avoir plus. Guerre, pauvreté, pollution, …, à ce rythme la race humaine s’autodétruira et à terme la Terre subira le même sort.

- Tant qu’il restera des personnes capables de faire preuve de bonté et d’altruisme, ce monde ne sera pas totalement corrompu. Peut-être même s’améliorera-t-il.

- Tu rêves éveillée, Athéna. Pourtant, je te concède qu’il y a encore des gens qui se soucient de leur prochain, et je peux concevoir que tu veuilles veiller sur ceux-là.

Un petit silence suivit cette déclaration.

- De quoi voulais-tu vraiment me parler, Athéna ?

Etait-il si facile de lire en elle ? En tout cas, lui y était parvenu comme si elle était transparente. En y repensant, c’était étrange de parler de telles choses avec un oncle contre lequel elle s’était toujours battue. Elle lui raconta alors ce qu’il s’était produit au Sanctuaire peu avant qu’elle revienne.

- Petite idiote ! l’abjura-t-il de sa voix aussi profonde que l’océan quand elle eût terminé. Comment as-tu pu laisser cet objet tomber entre les mains du premier venu ! C’est à se demander comment tu as pu hériter du titre de déesse de la Sagesse !

Saori se doutait que le bien qu’on lui avait dérobé était précieux, mais pas au point que sa perte provoquât l’ire de son oncle. Oublieuse de son amour-propre, elle se risqua à le questionner, même si cela revenait à s’attirer intentionnellement les foudres du dieu :

- En quoi est-il si important ?

Comprenant le besoin de connaissances de sa nièce, l’Ebranleur du Sol consentit à se calmer un peu avant de répondre.

- Ce n’est pas tant l’artefact en lui-même qui est important mais le pouvoir dont il est investi.

- Le pouvoir ?

Les rares fois où ils avaient été en contact, elle ne se rappelait pas avoir ressenti quoi que ce fut de spécial.

- Oui, un pouvoir ancien, plus vieux que les dieux eux-mêmes. Aussi loin que peut remonter ma mémoire plusieurs fois millénaire, ils existaient déjà. Ils ont traversés l’ère des Titans et pourrait même dater d'une époque antérieure. Pour espérer faire couler l'Ichor, il faut être un individu doué d'une incroyable volonté et d'une force certaine, mais avec un tel objet, un simple mortel peut porter atteinte à un dieu. C'est pour cette raison que cet artefact a été dissimulé, lui et ses semblables d'ailleurs.

- Il en existe donc d'autres ?

- Oui. Néanmoins, j'ignore à quoi ils ressemblent et bien entendu, encore moins où ils se trouvent. Nos aïeux ont tout fait pour les cacher. Cette dague était le seul artefact dont j'avais connaissance puisque c'est Zeus, ton père, qui l'a confié à ta garde lorsqu'il t'a délégué la protection de la Terre. Apparemment, il a fait une erreur.

- Peut-être, répliqua froidement la jeune femme. Il n'empêche que je m'en suis assez bien tiré dans cette tâche jusqu'ici. Et ce n'est pas toi, du fond de ton vase, qui pourra me dire le contraire.

- Comment oses-tu !? s'insurgea l'Empereur des Mers.

- Allons, mon oncle, c'est de bonne guerre. Tu te doutais bien que je n'allais pas continuer à me laisser faire. Tant que je n'avais pas obtenu d'informations, tu pouvais y aller tout ton saoul, mais maintenant c'est terminé. Encore une parole médisante et tu retournes de là d'où tu viens sans plus de cérémonie. Je te rappelle que c'est grâce à moi que tu as pu en sortir, prendre une bouffée d'air frais, acheva-t-elle d'un ton incisif.

Poséidon fut quelque peu troublé durant l'espace d'un instant. La personnalité plus implacable de sa divine nièce aurait-elle prit le pas sur celle de l'humaine, Saori Kido ? A moins que ce ne soit cette dernière qui ait tout simplement prit de l'assurance depuis son affrontement contre le dieu du Monde Souterrain.

- Cependant, continua la déesse aux Yeux Pers d'une voix redevenue douce, comme tu l'as dit, il est regrettable que je me sois fait voler un objet possédant un tel potentiel de nuisance. Il faut croire que le destin me réserve encore une dernière bataille à livrer. Et je ferai en sorte d’être prête lorsque le moment sera venu.

Moins assuré qu'au début de leur entretien, Poséidon tenta tout de même une dernière pique.

- De bien belles paroles, Athéna, j’espère seulement que tu sauras t’y tenir.

- Je suis heureuse d’avoir eu cette conversation avec toi, mon oncle, lui avoua-t-elle avec un sourire, en guise de réponse. Si seulement nous pouvions discuter comme ça plus souvent.

Ce furent les dernières paroles qu’elle lui adressa avant de se lever et de partir en direction de l’escalier qui la conduirait à l'intérieur de la demeure des Solo. Peu de temps avant que son âme ne retourne dans sa geôle, l'Empereur des Mers murmura :

- Oui, moi aussi je m’arrangerai pour être prêt.

Il sentit alors un irrésistible courant l’arracher de force à l’enveloppe de chair et de sang qu’il avait momentanément retrouvée.



Notes de fin de chapitre :


Ichor :

Dans la mythologie grecque, l'ichor est le sang des dieux, différent de celui des mortels.

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