La Lune, le Soleil, et l'Etoile au milieu

Chapitre 1 : 1ère partie - Le rocher noir sur la mer

4854 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 28/09/2016 23:18

L’île est, d’une certaine manière, plus désertique encore que Jakku. Un désert bleu, mais tout aussi vide. Au lieu d'un horizon accidenté de sable jaune, la ligne de l'océan parfaitement plane s’étire si loin, qu’elle peut même distinguer la courbe de la planète. Il n’y a pas de source d'eau douce sur l’ile. A la place, c'est un condensateur semblant constitué en partie de pierres, à l'arrière d’une des huttes, qui génère quotidiennement quelques litres d'eau de l’humidité ambiante. Lorsque Rey a demandé à Luke comment un Maitre Jedi a pu construire une chose pareille avec des moyens aussi rudimentaires, il lui a souri avec une pointe de tristesse et a répondu, “j’ai grandi dans une ferme hydroponique”. 

Et Rey était pilleuse d'épaves autrefois, mais ça paraissait si loin désormais, bien qu’il ne se soit écoulé qu'un mois depuis son dernier troc de pièces détachées contre des rations déshydratées. Luke n’a jamais parlé de l'entraîner, et refuse de regarder le sabre, encore moins d’y toucher. Au moins, il a arrêté de la repousser. L’obstination naturelle de Rey a fini par avoir raison de lui, mais elle ne sait pas ce qu’elle fera si Luke persiste à ignorer le sabre laser. Elle est venue sur ce minuscule Rocher au milieu de nulle part pour rejoindre le plus puissant Maitre Jedi de la galaxie - le dernier vivant, mais il reste si peu des Jedis en lui à ce stade, ou en tous cas si peu à sa portée! 

Au fil des longues nuits glacées sur Jakku, elle a entendu des récits de toutes origines, mais toutes les ethnies avaient des récits de Jedis. Ils transcendaient les peuples. Et le socle commun à toutes les légendes parlait des Jedis comme de nobles chevaliers qui affrontaient les forces du mal le sabre laser au poing, et possédaient un pouvoir immense que peu de gens comprenaient. Le dernier, et le meilleur d'entre eux, avait été Luke Skywalker, avant de disparaître et devenir un mythe. 

Et pourtant il est là, avec ses airs d'ermite grognon qui regarde la mer et vit d'algues et de poisson. Il fixe l’horizon et médite plusieurs heures par jour, parle peu, et malgré la persévérance de Rey, ne dit pas grand chose à propos de l’Ordre Jedi ou de son propre passé. Tout ce qu’elle parvient à obtenir de lui sont des commentaires du genre “c'était il y a longtemps, ça n’a plus d’importance à présent.” Bien que parfois, il soupire en l'écoutant raconter les légendes qu'elle a entendues, et commente, “il est malheureux qu’on ne se souvienne des Jedi que comme des guerriers, et rien d’autre.” 

Il n’a peut-être plus rien d’un guerrier, mais il est indubitablement demeuré un Jedi. Et Rey fait de son mieux, pour faire comme lui. Quand il se lève, elle se lève. Quand il médite, elle médite - ou du moins elle essaie. Quand il cuisine, elle participe. Quand il l’envoie chercher de l’eau, elle obéit sans une plainte.

Elle se demande si elle parviendra un jour à progresser avec cette méthode, jusqu’au jour de la vision.

Ça arrive un matin alors qu’elle est assise en pleine méditation, par une sensation dans son estomac qu’elle n’avait plus ressentie depuis l’appel du sabre laser. Quand elle ouvre les yeux et se redresse maladroitement, pour se secouer, c'est déjà trop tard. Elle ne voit plus l'île verte et l'océan bleu, mais un paysage monochrome qui sent le souffre et la fumée. De sinistres constructions noires comme des dents cassées et pourrissantes se dressent dans le paysage sur des monticules de terre rouge aussi sombre que du sang séché.

Des sensations inconnues l’envahissent. Elle se sent fragile, brisée comme du verre qui se lézarde. Elle baisse les yeux sur ses mains - trop grandes, enveloppées de noir, les doigts se crispant telles les serres d’un rapace. Ce n’est pas ses mains. Ce ne sont pas ses yeux. 

A l’instant où elle comprend ceci, elle sent qu’il l’a compris aussi. Son tempérament colérique rugit, réagissant à elle avec la même fureur qu’elle avait ressentie la dernière fois qu’elle avait touché son esprit. Elle essaie de reculer, sentant qu’il s’engouffre dans leur connexion, comme s’il pouvait se forcer un passage vers elle - envahir sa tête et éclipser tout ce qui s’y trouve. Rey pousse un cri de panique et se jette en arrière. Son coude s'écorche sur le rocher et son dos s’enfonce dans la mousse. Elle dresse la main pour repousser l’attaque, mais autour d’elle il n’y a plus que le ciel laiteux et le bleu de la mer. 

“Il t’arrive de crier comme ça dans ton sommeil,” observe Luke, quelque part dans son dos. Elle se retourne et le voit, debout à côté d’une obélisque aux gravures usées par le temps. “Qui as tu vu?”

Alors elle le lui dit. Il est au courant pour Kylo et il a ressenti ce qui était arrivé à Han bien avant qu’elle ne le rejoigne pour le lui annoncer. Et comme à chaque fois, quand elle mentionne le nom de son ancien apprenti, son visage semble se refermer sur des ombres et des chagrins trop douloureux pour qu’elle ose lui poser des questions. 

“J’avais déjà des visions de lui avant de le rencontrer,” explique-t-elle ce soir là, en secouant les braises et ranimant le feu. Se concentrer sur les flammes et anticiper leur danse et leur besoin d'air ou de combustible l’aide à clarifier les pensées qui fusent dans son esprit. 

“De temps en temps, je le ressens avec tellement d’intensité. Et si mes visions étaient vraies? Si je peux le voir, peut-il me voir aussi?”

Luke reste songeur si longtemps qu’elle finit par croire qu’il ignore la réponse. Comme elle jette une nouvelle poignée de bois sec dans le feu, il commence à le remuer. 

“Vos destins doivent être liés profondément, pour que tu aies eu des visions de lui avant de le rencontrer,” dit-il, la voix rauque comme s’il n’avait plus l’habitude de parler autant. “Quand j’ai compris que j’allais devoir faire face à mon père, j’ai eu des visions de lui moi aussi. Le lien de Force n’est pas chose courante, et en tous cas une certaine proximité est toujours nécessaire. Ben a toujours été… Inhabituellement sensible à la Force. Ses pouvoirs se sont révélés sur le tard, mais il pouvait réaliser des choses avec la Force que je n’avais jamais  vues avant.” 

“Il est si puissant que ça?” Demande Rey découragée. 

“Puissant? Comment définir ça? Il ressentait les nuances et vibrations dans la Force d’une manière qui me dépassait. Il pouvait ressentir la vérité dans la bouche des gens et lire leurs pensées, ce qui dépasse de loin mes pouvoirs. Mais ce n'était pas le genre de puissance qui l'intéressait. Lorsqu’il est venu à moi, c'était un garçon doux, terriblement seul, luttant contre sa nature profonde. Il ne s’entendait pas bien avec son père. Han l’aimait beaucoup, mais il n’a jamais compris Ben, et le garçon s’est convaincu que c'était de sa faute quand son père est retourné à ses vieilles habitudes. Il se disait que s’il pouvait être le genre de fils qu’aurait voulu Han…” 

Luke baisse les yeux sur ses mains, tachetées et usées, et soupire. “Mais je ne suis pas tout blanc non plus. J’ai senti le poids de milliers d’années d’Histoire peser sur mes épaules pour préserver et continuer l’Ordre Jedi, et je l’ai déplacé sur les frêles épaules d’un jeune garçon qui se débattait déjà pour être à la hauteur des attentes d’un père absent et d’une mère de sang royal qui craignait ses facultés. J’ai trop insisté. J’ai mis trop d’espoirs en lui. Quand je lui disais qu’il devait être plus fort, il comprenait qu’il devait être plus puissant. Quand il m’a demandé qui était le plus puissant Jedi, j’ai répondu que c’était mon père, car malgré la profondeur de l’obscurité dans laquelle il a été entraîné, Anakin Skywalker a trouvé la force de remonter vers la lumière. Mais tout ce que Ben a retenu de Dark Vador, c’est qu’il a balayé notre ordre et construit un Empire dont le pouvoir a dominé la Galaxie presque entière. Quand Snoke l’a trouvé… Il n’a eu qu’à alimenter ce qui sommeillait en lui. Haine, Colère, Insécurité, Peur, Ambition… Toutes ces choses mènent au côté obscur. Je pressens que Snoke a beaucoup renforcé sa domination sur Ben depuis, mais au début, Ben l’a suivi de son plein gré. Il fut un temps, je pensais pouvoir le sauver, mais aujourd’hui j’en doute.” 

Rey frissonne au souvenir de la lumière violente du sabre transperçant le corps de Han. “C’est un monstre.” 

“Il n’en a pas toujours été un. Quand il était à peine plus jeune que toi, il était comme n’importe quel jeune homme. Plein de doutes et de passion, et bien trop de la verve de sa mère, mais son sourire - aussi rare soit-il - réchauffait les cœurs.” 

Il est difficile de se figurer quelqu’un comme Kylo Ren en train de sourire. Rey imagine qu’il a probablement oublié comment sourire, à présent, tout comme il a oublié comment être humain. Lorsqu’il est entré dans sa tête dans la cellule d’interrogatoire, elle avait senti toutes les choses mentionnées par Luke - La haine, la colère, et l’insécurité - mais elle n’avait pas vu grand chose d’autre. Alors que Kylo circulait dans ses souvenirs de Jakku et titillait sa solitude et ses rêves, en retour son propre passé lui était resté fermé, comme une porte scellée qu’il n’ouvrait à personne, pas même à lui-même. 

Mais si elle veut comprendre comment Snoke exerce son pouvoir sur Kylo Ren, elle n’a pas besoin de chercher bien loin. 

C’est la douleur. Une douleur si rampante et continue qu’elle impacte ses rêves et rend ses réveils difficiles. Ce n’est pas elle qui souffre, mais elle la ressent quasiment comme telle. Alors qu’elle se redresse dans l’obscurité de son abri de pierre, elle sonde la nuit à la recherche de la créature désespérée qui a besoin d’aide. Tout ce qu’elle ressent, c’est qu’elle ne doit pas être loin. 

“Qu’est-ce qui ne va pas? Pourquoi soufres-tu?” 

Une présence familière répond à son chuchotement, mais tel un animal blessé il garde ses distances et tire un voile entre eux. Rey cligne des yeux, seule sur sa couverture, réalisant progressivement que c’est la douleur de Kylo, qu’elle a ressentie malgré la distance infinie qui les sépare. 

“On le torture”, dit-elle à Luke. 

“La douleur le rend plus puissant. Ou du moins, c’est que lui fait croire Snoke.” Luke a l’air plus fatigué que jamais, le regard tourné vers les étoiles qui s’estompent dans les premières lueurs du jour. Les nuits sont longues ici, et l’aube aussi dure des heures. 

“Ça ne m’a pas paru lui donner des forces,” murmure Rey contre ses genoux. “C’était misérable.” 

Après ce qui semble une éternité, Luke se lève. “Il faut rompre le lien. Si tu peux ressentir ses émotions et ses errances, alors il ressent les tiennes en retour. Une fois sa formation achevée, il viendra te chercher.” 

Rey bondit sur ses pieds, surprise. “Pourquoi?” 

“Snoke a résolu de réunir autour de lui tous les Jedis restant dans la galaxie et d’exterminer ceux qui refuseront de se plier à ses volontés. Kylo Ren est son instrument, et à croire ce que tu m’as dit, tu es sa prochaine cible. Si tu ne romps pas votre lien, ça va lui faciliter la tâche le moment venu.” 

“Mais comment puis-je-” 

“N’est-ce pas pour ça que tu es ici? Pour apprendre?” L’expression de Luke est irritée, comme s’il était contrarié d’avoir été forcé à sortir de sa paisible indifférence. Ce qui est tout à fait le cas. Partagée entre le sentiment de victoire et l’inquiétude suite à sa mise en garde, elle le suit jusqu’au sommet de l’île où ils ont pour habitude de méditer. If fait trop froid pour ça à cette heure matinale, mais Luke ne veut pas perdre de temps. 

“Quand as-tu ressenti votre lien la première fois?” lui demande-t-il, après avoir apaisé leur respiration et ouvert leurs esprits à la Force, ce que Rey fait avec l’impression d’être un enfant qui plonge un orteil dans un océan dont elle ignore tout. 

“C’est quand il m’a questionnée sur la base Starkiller”, dit-elle, se remémorant la scène. Elle commence à ressentir avec quelle clarté la méditation et la Force reconstituent ses souvenirs. “Il… Il a forcé l’entrée dans ma tête, et il a pris des choses qui m’appartenaient.” Ce souvenir le fait brûler de colère et d’humiliation. 

“Détend toi,” dit Luke. “Il a vu ce que tu es réellement. Tu n’as pas à avoir honte, et te mettre en colère te coûtera plus qu’il ne le mérite.” 

Plus facile à dire qu’à faire. Elle ne pardonne pas la violation de son esprit, mais elle laisse s’apaiser la colère qui bouillonne pour analyser le souvenir avec détachement. “Quand il s’est approché de moi, ce fut comme un arc électrique tendu entre lui et moi. J’ai ressenti la décharge, et ensuite j’ai compris que je pouvais pousser vers lui comme lui avait poussé vers moi.” 

“Et qu’as-tu vu?” Demande Luke. 

Il lui demande de mettre des mots sur ce que ressent un esprit qui n’était pas le sien, et Rey a du mal à trouver les mots justes. Lire dans les pensées, ce n’est pas entendre des pensées intelligibles en mots et en phrases. C’est un tourbillon d’images et de sensations, souvent mélangées, et hors contexte. Kylo Ren était un homme terrifié. Une sensation sombre s’étendait en filigrane de nombreuses connexions dans son esprit, et elles menaient toutes à une personne dont il n’avait aucun souvenir. Rien qu’un nom. Un nom le terrifiant et l'exaltant à la fois. “J’ai vu son obsession pour Dark Vador. Il a peur de ne jamais être à sa hauteur.” 

Luke a l’air sombre, comme s’il s’y attendait. “Quoi d’autre?” 

Rey fouille dans sa mémoire. Elle subissait une telle angoisse et un tel pic d’adrénaline, qu’elle n’a pas creusé très loin. Elle n’en a pas eu besoin. Il portait ses espoirs et ses craintes si près de la surface qu’ils étaient presque visibles sur son visage trop expressif. Mais à présent qu’elle prend le temps d’analyser l’expérience, elle prend conscience que Kylo Ren n’est pas très doué pour la dissimulation. C’est probablement pour ça qu’il porte un masque, pense-t-elle, à la fois pour imiter son grand père, et à la fois pour intimider. Car son visage peut le trahir - à l’instant où elle a posé les yeux sur lui, elle l’a compris. Il ne peut rien cacher. Les émotions traversent son visage aussi facilement qu’un courant d’air perturbera la surface d’une eau paisible, un témoin de son agitation interne, que Rey a pu percevoir un instant. Mais c’était déjà assez pour comprendre beaucoup. Elle a ressenti sa fascination pour Dark Vador, mais aussi le père qu’il adorait et maudissait, et le père qui l’a noyé dans un abîme de culpabilité. Elle ressentit son mépris pour un homme aux cheveux roux, et le respect teinté de crainte pour une créature encapuchonnée qui errait dans les profondeurs de son esprit. 

Et elle eut aussi un aperçu de ce qu’il pensait d’elle. La curiosité, la surprise teintée de plaisir qu’il fit de son mieux pour étouffer, lorsque l’étincelle jaillit entre eux. Le besoin compulsif de l’impressionner. De lui plaire. De la posséder. 

Rey manque de se déconcentrer. Elle sait que Kylo Ren est attiré par elle comme une créature solitaire est attirée par une autre de son espèce, car elle doit reconnaître qu’elle a ressenti la même chose lorsque l’étincelle les a connectés. C’est un magnétisme qu’il est difficile définir ; c’est une attraction engendrée par la Force. “N’aie pas peur,” lui avait-il dit. “Je le ressens aussi.” 

Mais à présent, elle soupçonne quelque chose de plus. Les sensations qu’il a éprouvées devant son visage, ses mains, ses lèvres. Cette attirance n’a aucun lien avec la Force. C'est la plus vieille attirance au monde et la plus élémentaire : celle d’un homme pour une femme. 

Elle fouille dans ses sentiments, en quête de révulsion ou même de satisfaction flattée à cette révélation, mais elle a surtout l’impression que ça n’a rien d’une révélation. Elle n’a pas eu besoin de lire ses pensées pour voir qu’il avait envie d'elle. Elle l’a senti dans sa proximité, dans ses yeux étrangement doux, dans sa façon de retenir ses coups même quand elle le frappait avec ardeur pour l’abattre. Elle s’en fichait, et l’avait donc ignoré jusqu’à maintenant. 

Devant le regard curieux de Luke, Rey hausse les épaules d’un air indifférent. “Rien d’important.” 

“Prend garde à ce qui alimente votre lien,” la prévient-il, et elle se demande si Luke ne lit pas aussi dans ses pensées, malgré tout. “Aussi insignifiant que ça puisse te paraître, il faut te détacher non seulement de son emprise sur toi, mais le libérer de ton emprise sur lui.” 

“Je n’ai aucune emprise sur lui,” s’indigne Rey. 

“Tu en as une. Tu en auras une. Tu dois résister à la tentation d’exploiter ce lien à ton avantage, car malgré ton talent, tu t’aventures dans un domaine que Kylo Ren maîtrise à la perfection et il prendra le dessus.” 

Elle comprend ce qu’il veut dire en repensant à toutes les fois où elle s’est surprise à se demander si elle pouvait tirer sur leur lien et jeter un œil dans le monde de Kylo Ren. Il est terriblement tentant de penser qu’elle pourrait ainsi apprendre des secrets. Découvrirait-elle quelque chose d'utile à la Resistance? Mais la peur la retient. La distance qui les sépare ne la protège pas de ses attaques, et il lui est arrivé plusieurs fois de ressentir des intrusions dans sa tête quand il la surprend si proche, et elle sait qu’en se faisant prendre, tout serait fini. 

Mais elle apprend à le repousser. Luke lui enseigne les barrières mentales qu’il avait forgées pour repousser son propre père. Elle sait comment dresser ces barrières et vider son esprit; comment être un roc contre toute agression. Et c'est un soulagement. Elle sait que ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne comble le vide et utilise leur lien contre elle. 

Ça arrive alors qu’elle s’y attend le moins, alors qu’elle se trouve dans une crique minuscule au pied de l'île, un cristal de savon dans une main et un seau sous le bras. A-t-il attendu cet instant précis? Guettant l’instant où elle relâcherait sa vigilance? Ou bien est-ce une pure coïncidence qu'il frappe précisément au moment où elle est éloignée de Luke, seule et nue dans un bassin d’eau glacée, avec comme préoccupation principale de récurer les marques noires sous ses pieds? 

Elle sent une ombre descendre sur elle, comme si quelqu’un s'était placé entre elle et le soleil. Sa peau picote comme pour l’avertir, le fin duvet de ses bras se hérisse sous un pressentiment de danger imminent qui lui échappe jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Il est sur elle. Ses poumons se vident et se figent, comme la première fois qu’elle l’a vu dans la forêt. 

Un instant immobile, et soudain elle coule, comme si une main immense lui enfonçait la tête sous l’eau, et elle est emportée par la panique et l'incrédulité. 

Tu es indésirable, le ressent-elle dire. Ce ne sont pas les mots qu’elle entend, mais leur signification. Il veut s’amputer d'elle, tout comme elle veut elle aussi se débarrasser de lui. A la différence que lui semble considérer que la meilleure façon d'y parvenir est de la tuer. 

Rey est indignée. Le tuer ne lui est jamais venu à l’esprit. C’est petit, c'est méprisable, et c'est exactement ce à quoi elle aurait dû s’attendre de sa part. 

Elle ressent qu’il entend ces pensées et est déstabilisé un instant. Est-il vexé qu’elle le juge petit et méprisable? Rey n’a pas besoin de plus pour restaurer ses défenses mentales. Je suis un roc, pense-t-elle, se recroquevillant à l'intérieur d’elle-même, où personne ne peut l’atteindre. Il peut marteler tant qu’il veut, son esprit n’appartient qu’à elle. Il ne la prendra plus jamais au dépourvu. C'est seulement lorsqu'elle le sent reculer qu’elle ose se détendre. 

Reste en dehors de ma tête, sont les derniers mots qu’il lui adresse. 

Rey jaillit à la surface et prend sa première inspiration depuis de longues minutes. A-t-il vraiment tenté de la tuer? Ou était-ce seulement un avertissement? Les deux cas mettent Rey mal à l’aise. 

Elle ne parle pas à Luke de cette rencontre. Elle craint qu’il ne la sermonne, ou pire, qu’il lui interdise désormais de se déplacer seule, ce qui rendrait les baignades difficiles. Tout le monde n’a pas le projet de devenir un hippie de l’espace crado comme Maître Luke. Et en plus, elle sait se défendre, désormais. Elle refuse de vivre dans l’angoisse. 

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