La Lune, le Soleil, et l'Etoile au milieu

Chapitre 17 : Lune Montante

6537 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 08/11/2016 21:11

Le bruit de la pluie qui tambourine les feuilles remplit l’air, couvrant tout autre son, y compris celui des battements de son cœur. De l’eau et de la boue éclaboussent ses jambes alors que Rey zigzague entre les arbres et dévale les pentes moussues qui mènent à la base de la Résistance.

“Hé doucement!” Lui crie un soldat en patrouille, quand elle manque de lui foncer dedans. Mais elle est emportée par sa vitesse et continue sa course sans un mot. Des torrents d’eau bouillonnent le long des allées de baraquements.

“Finn!” Crie-t-elle, glissant jusqu’à la porte 87. Elle tambourine sur la porte des deux poings. “Finn! Par pitié!”

Des lumières s’allument, non seulement dans l’appartement 87 mais dans plusieurs autres aussi.

“C’est quoi ce boucan?” Lance quelqu’un en se penchant à sa fenêtre.

L’instant d'après la porte devant elle s’ouvre, et Finn apparaît, en sous-vêtements.

“Qu’est-ce qui te prend, Rey?” Derrière lui, elle aperçoit Fiona qui passe la tête par la porte de leur chambre.

“Tam est parti!” S’exclame Rey, la main crispée sur le dessin trempé qu’il a laissé. “Il va mal - il est terriblement malheureux et tout est de ma faute, et je l’ai fait fuguer et je ne n’ai aucune idée d’où il peut être! Finn j’ai besoin de ton aide!”

“Attend. Calme toi,” dit-il, la prenant par les coudes. “Il a de petites jambes, il n’a pas pu aller bien loin.”

Rey s’étouffe devant tant de candeur. “Il va se faufiler dans un vaisseau - il a probablement déjà quitté la planète! Il est parti depuis des heures!”

“D’accord, ne bouge pas, laisse moi juste,” il se précipite dans sa chambre, où son épouse lui tend une pile de vêtements. “T’es la meilleure,” lui dit-il.

“J’appelle Dameron,” leur dit-elle.

Finn est encore en train de se débattre avec ses boutons quand ils se précipitent sous la pluie. “Comment peux-tu être si sûre qu’il va monter clandestinement dans un vaisseau?” Lui demande-t-il.

“Je le sais c'est tout,” dit-elle, n’ayant pas l’énergie pour lui expliquer que Tam a mis ses émotions et ses intentions dans le dessin qu’elle tient en main, et parce qu’elle-même ne comprend pas toujours très bien comment fonctionne son pouvoir.

“Écoute, les gosses font ça, parfois. Ils font la gueule, puis ils fuguent, mais ils ne vont jamais très loin,” dit-il pour tenter de la rassurer. “Des cadets s’enfuyaient toujours de l’académie du Premier Ordre, mais au final on se faisait toujours prendre.”

“Tam ne fuit pas une dictature tyrannique. Il me fuit moi!”

“C’est pareil, Rey. C'est le milieu de la nuit. Il n’y a pas tant de vaisseaux que ça qui décollent et s’il est à bord de l’un d’entre eux, on le saura bien assez vite. On va le retrouver.”

Même si ses paroles sonnent juste, Rey ne parvient pas à apaiser les battements affolés de son cœur le long du chemin vers la tour de contrôle. L’équipe de nuit est restreinte, mais quand la nouvelle d’un enfant disparu se répand - à fortiori un enfant violemment sensible à la Force - la base s’anime. On envoie quérir le Général Banner. Rey regarde par dessu l’épaule du Lieutenant qui fait défiler la liste des vols de nuit.

“Six vaisseaux ont décollé cette nuit, l’ordre à été donné aux autres de rester au sol.”

“Peut-on les rappeler?” Demande Rey avec angoisse.

“Euh, quatre sont hors de portée, les deux autres se sont amarrés à la station Toska.”

“Toska!” Répète Rey. La station Toska est un des premiers endroits qu’elle a visité comme agent de la Résistance, et elle l'a déteste toujours autant. La station est si étendue qu’elle forme un anneau complet autour de la lune dont elle est sur orbite, et certaines zones sont si vétustes que des incidents de décompression catastrophiques arrivaient régulièrement quand des structures entières se détachaient à cause de la rouille. Malgré quoi, c'était une des stations indépendantes les plus actives de la galaxie. Des millions de vaisseaux s’y amarraient et en décollaient depuis chaque recoin de chaque système ; commerçants, transporteurs, trafiquants d’esclaves, braconniers, et même le Premier Ordre y faisaient des affaires au grand jour. “Si Tam est déjà sur Toska, alors je l’ai perdu à jamais.”

“Rey, la plupart de ses vaisseaux sont bien trop petits pour qu'un passager clandestin puisse s’y cacher,” lui rappelle Finn. “Il n’y a que le cargo dans lequel il aurait pu se glisser sans se faire repérer. Où va celui-là?”

“C'est une opération d’infiltration sur Haven Prime,” répond le lieutenant mal à l’aise. “C’est une place forte du Premier Ordre où ils entraînent des cadets.”

Rey jette un regard affolé à Finn qui acquiesce. “Reste à espérer qu’il ne soit pas à son bord,” dit-il.

“Tout est de ma faute, Finn,” dit Rey, la voix tremblante. “Il aimait son père, il m’en veut, et maintenant ça recommence. C'est l’histoire de Ben qui recommence. Il est parti, je ne le verrai plus jamais, et il va grandir et je ne saurai même pas à quoi il ressemble-”

“Rey!”

Elle se retourne quand Poe Dameron s’engouffre dans la salle de contrôle, la pluie dégoulinant sur ses boucles noires. “Tout va bien, on l’a trouvé,” annonce-t-il, “il était endormi derrière le cargo au dock six. Jess est restée avec lui. Viens vite.”

Rey a le cœur aux bords des lèvres en emboîtant le pas à Poe sous la pluie. Les projecteurs ont été allumés pour aider aux recherches, même si l’agitation retombe progressivement. Elle aperçoit un petit groupe traversant la piste devant le hangar numéro six, un enfant parmi eux. Rey se précipite devant Poe, indifférente aux éclaboussures des flaques d’eau sous ses bottes, puis elle tombe à genoux et serre Tam fort dans ses bras.

Il est trempé jusqu'aux os et grelottant, et porte un baluchon de nourriture et de vêtements propres.

Reculant légèrement, elle lui tient fermement les bras.

“Pourquoi as tu fait ça?” S’ecrie-t-elle dans le vacarme de la pluie.

Les yeux de Tam fuient son regard. Elle veut le secouer, le faire revenir au petit garçon qu’il était autrefois. Mais à la place, elle presse le dessin dans sa petite main. “Qu’as-tu voulu dire? Explique moi!”

Les membres de la Résistance autour d’eux se dispersent, pour respecter leur intimité. Tam jette un œil au papier puis baisse les yeux.

“Tam, s’il te plaît, parle moi! Pourquoi voulais tu t’enfuir-”

“Parce que tu ne veux plus de moi!” Crie-t-il, explosant d’une émotion qu'il avait réfrénée trop longtemps. “Parce que tu as tout le temps peur de moi! Parce que tu vas avoir un nouveau bébé et que tu ne veux plus de moi!”

“Ce n’est pas vrai! Rien de cela n’est vrai!” Lui dit-elle avec aplomb, comprenant qu’il a dû entendre sa conversation avec Leia. “Je t’aimerai toujours-”

“Tu me détestes, je le sais!” Pleure-t-il misérablement. “Parce que je l’ai tué et t’ai rendue malheureuse. Je l’ai tué et je ne sais pas comment réparer.”

Elle sent des larmes lui brûler les paupières, mêlées aux gouttes de pluie. Sa gorge est douloureuse quand elle répond. “Ce n’était pas de ta faute…”

“Il est mort à cause de moi!” S’écrie-t-il, se débattant soudain.

Rey l’attire contre elle, le serrant dans une étreinte qui sert autant à le retenir qu’à le protéger. “Écoute moi,” supplie-t-elle, lui tenant le visage. “Tu n’y es pour rien, Tam. Ton père serait mort que tu invoques ou non cette tempête. La flotte du Premier Ordre était trop puissante. Il le savait bien.”

“Menteuse! Tu me l’a reproché! Je l’ai senti!”

“C’est vrai, mais j’avais tort,” lui dit-elle. “Je ne t’en veux pas et je ne suis pas en colère. Je te le jure. Je t’aime - je t’aimerai toujours! Et rien que tu fasses ne m'empêchera jamais de t’aimer!”

Tam sanglote contre son épaule, à présent, et Rey ne parvient plus à garder son sang froid, laissant les larmes rouler sur ses joues, la respiration hoquetante. “Ne m’abandonne jamais, Tam! Je l’ai déjà perdu lui, je ne sais pas si je survivrais si je te perdais aussi”

Elle le garde contre elle jusqu’à ce que s’apaisent ses sanglots. Alors elle le serre encore, et elle sent le poids de la veste de Poe peser sur ses épaules.

“Ça fait bien assez d’aventures pour cette nuit, tous les deux,” dit Poe. “Venez chez moi vous réchauffer avec des serviettes et du chocolat chaud, d’accord?”

Rey est soulagée de ne pas avoir à remonter à pieds. Elle laisse Tam grimper sur le dos de Finn, et la main de Poe sur son épaule la guide jusque chez lui.

“Où comptais-tu aller de toute façon, mon pote?”

Demande Poe à Tam.

“Je n’avais pas réfléchi jusque là,” admet Tam penaud.

Le chocolat chaud est précisément ce dont chacun avait besoin, même si Tam reste boudeur. Poe et Finn font de leur mieux pour tenir une conversation anodine, mais Rey voit bien aux regards que Finn lui jette en douce qu’il a dû entendre ce que Tam a dit à propos du bébé.

Mais ce soir, Rey n’a pas l'énergie pour l'inévitable dispute qui ne manquera pas de suivre, et ce soir heureusement, il garde son avis pour lui-même.

Elle contemple Tam, remarquant que ses yeux rougis et gonflés se ferment. Poe lui indique une chambre d’amis avec un lit double juste assez grand pour Tam et elle.

“Maman, tu serres trop fort,” gémit Tam quand elle s’installe avec lui sur le matelas.

“Pardon,” elle relâche un peu son étreinte, mais pas totalement. Elle a encore peur que si elle le lâche, il disparaîtra de nouveau pendant son sommeil.

Ça n’a pas l’air de déranger Tam, qui appuie confortablement sa tête contre son bras. Il lève la main et joue mollement avec une mèche de cheveux de Rey, tout en luttant contre le poids qui ferme ses paupières.

“Tu peux dormir, tout va bien,” dit-elle, lui caressant les cheveux.

“J’ai pas envie,” dit-il en baillant, mais l’épuisement est plus fort que son manque de sommeil. “Je ne veux plus faire ces rêves.”

“Quels rêves?”

“De Kylo Ren.”

Rey baille, tombant de sommeil. “Je sais que c'est dur,” dit-elle. “Moi aussi je rêve de lui.”

“Tu rêves de quoi avec lui?” Demande Tam.

“Oh…” Rey ne veut pas lui faire de la peine avec la verité, que tout ce qu'elle voit sont des images macabres. “Je rêve qu'il est encore là, me reprochant mes manières et aboyant des ordres aux gens.”

Tam regarde ses cheveux, solennel. “Je le vois tout le temps, dans le vaisseau de commande,” dit-il. “Il y a eu une explosion. À chaque fois il est étendu sur le sol et il essaie d’atrapper un masque à oxygène, mais il a perdu trop de sang à cause du coup que lui a porté Scorpus Ren. Il y a des flots de sang sur sa poitrine. Je crois que c'est comme ça qu’il est mort.”

Un frisson parcourt les veines de Rey, parce qu’elle sait avec une certitude effrayante qu’elle et Tam ont vu la même chose. “Ce n’est qu’un rêve,” souffle -t-elle.

“Mais il me fait comme ces rêves qui deviennent réalité,” dit-il, mais cela n’a plus l’air de l’effrayer désormais. “Je ne sais pas pourquoi je le fais tout le temps. Ça ne change presque jamais. Je voudrais que ça s’arrête…”

“Je vais t’enseigner une astuce que j’ai apprise sur Jakku et qui éloigne les cauchemars,” lui dit-elle, et elle le sent venir se blottir contre elle. “D’abord il faut que tu te détendes de la tête aux pieds, même les orteils et les oreilles et le bout des ongles. Ensuite, il faut penser à ton meilleur souvenir. Il faut que tu y penses et que tu le revives minute par minute. Ensuite tu feras de beaux rêves.”

“Quand papa m’a montré comment fabriquer mon sabre laser,” dit Tam la voix pâteuse.

“C'est parfait.”

“J’étais heureux, parce que je savais que tu allais bientôt arriver et je voulais l’avoir terminé à temps…”

“Alors pense y fort.” Elle blottit la tête de Tam contre son cou, sous son menton, et lui caresse les cheveux. Il ne tarde pas à s’endormir, et elle le sent se détendre et sa respiration se réguler. Elle ne sait pas s’il fera de beaux rêves, mais elle sait que Kylo Ren avait raison. Ses visions ont une précision incroyable. Elle avait souvent vu le corps, mais Tam voyait le corps dans le vaisseau. L’épaule de Rey lui lance et pulse, mais elle n’ose pas bouger de peur de déranger Tam. Mais cette douleur, songe-t-elle, doit être proche de celle qu’on ressent quand on est coupé en deux par un sabre.

Même en fermant les yeux et en songeant à ses moments de bonheur, elle ne parvient pas à trouver le sommeil.

“Je crois qu'il est vivant.”

Un voile de chagrin passe sur le visage de Leoa quand elle entend ceci, et Rey s’en veut, surtout quand cette dernière était si heureuse quelques instants plus tôt. Elles sont assises dans la clairière à une des larges souches transformées en tables, surveillant du coin de l’oeil Tam jaillir de derrière les autres souches, jouant à quelque chose entre cache-cache et chat perché avec la petite Hanna. Même si Tam a l’air exaspéré, Hanna qui a trois ans le regarde avec des yeux emplis d’admiration.

Leia se tourne donc vers Rey, la joie ayant déserté ses traits. “Nous avons déjà eu cette conversation,” dit-elle avec lassitude. “Ça fait trois mois, s’il était en vie nous le saurions, depuis le temps.”

“Je ne sais pas comment l’expliquer,” dit Rey, se mordant la lèvre. “Mais la douleur dans mon épaule ne diminue pas. Il n’y a aucune explication physique. Et je me dis… Quand on s’est quittés, Kylo a été frappé par une lame. Ça l’a ouvert en deux de l’épaule à la poitrine, et je crois que la douleur que je ressens, c'est la sienne.”

“Rey,” soupire Leia.

“S’il est mort, alors pourquoi souffre-t-il? Pourquoi est-ce que je ressens sa douleur?”

Leia secoue la tête. “Ça n’a aucun sens. Une telle blessure l’aurait tué à coup sûr, et si par miracle il avait survécu à cette blessure et à la Tempête, il ne serait plus en souffrance comme tu le ressens, depuis le temps.”

“Je t’ai dit que je ne pouvais pas l’expliquer. Mais je sens que j’ai raison.”

Rey baisse les yeux et constate que ses mains se tordent si fort que ses phalanges ont blanchi. Leia lui prend doucement les mains. “S’il est vivant,” commence-t-elle en choisissant soigneusement ses mots, “tu dois bien reflechir et de demander si ce n’est pas mieux qu’il soit mort… Il doit bien y avoir une raison pour laquelle il n’est pas venu sur Ahch-To. Sa mort est la plus grande victoire de la Résistance. As tu le droit de leur retirer ça?”

“Mais s’il a besoin d'aide?” Demande Rey. “Est-ce qu’on se contente de l’abandonner à son sort parce que ça nous arrange?”

“C’est mon fils, alors crois moi je ne dis pas ça à la légère. Mais pourquoi serait-ce à toi de le sauver?”

“A cause du Lien de Force que nous avons partagé, je suppose,” Rey appuie une main contre sa poitrine, “Je crois qu’il est revenu. Je ressens sa souffrance parce que le Lien est revenu. Mais quelque chose ne va pas… Je devrais ressentir davantage, où il est et ce qu’il pense, mais quelque chose l’empêche. C'est la raison pour laquelle il n’a pas pu venir sur Ahch-To. Et si quelqu’un a besoin d’aide, peu importe ses crimes, n’est-il pas de notre devoir de lui porter secours?”

Leia détourne les yeux, du côté des enfants, écoutant les cris de joie d’Hanna qui vient de trouver Tam accroupi derrière un banc. “On croirait entendre Luke,” dit-elle songeuse. “Tu dois avoir un grand sens moral. Ou bien l’aimer vraiment beaucoup…”

Rey secoue la tête. “C'est ce qui est juste.”

“Je pense que tu te trompes, dit Leia. “S’il était en vie, je le ressentirais. Mais je te connais assez pour savoir que maintenant que tu as cette idée en tête, je ne pourrai pas t’en détourner.”

“Tout ce qu’il me faut c’est un vaisseau,” déclare Rey. “un seul voyage. Si je me suis trompée, je l’accepterai. Mais je dois savoir.”

“Un vaisseau ça devrait être jouable, à condition que personne ne connaisse la vraie raison. Des gens comme Banner ou Praxis pourraient particulièrement mal réagir s’ils découvraient que tu pars secourir un ennemi.” Leia fait un geste en direction des enfants. “Et pour Tam?”

“Je ne peux pas l’emmener… Ce serait trop dangereux. Pourras-tu veiller sur lui pour moi?”

“Comme au bon vieux temps.”

“J’espère pas.”

Leia demeure réticente. Rey voit bien qu’elle la fait marcher, tout comme elle l’a taquinée sur ses allers-retours infructueux vers Ahch-To. Personne au monde n’a plus d’expérience dans le deuil que cette femme, et tout ce qu’elle veut, c’est retrouver la paix. Elle veut avancer. Rey culpabilise de se mettre en travers de sa guérison, mais s’il y a une leçon qu’elle a retenue de sa vie, c’est que personne ne doit être laissé en arrière. Personne ne doit être abandonné.

pas même lui.

“Si c’est ce dont tu as besoin,” dit Leia.

Personne ne contredira la requête d’une Générale à la retraite, et c’est donc Leia qui s’occupe de la logistique. Rey n’aime pas l’idée de faire des cachoteries à Finn et Poe, mais elle sait aussi que s’ils connaissaient ses intentions d’aller secourir Kylo Ren, ils seraient capables de la ligoter pour l’empêcher de partir. Le seul à qui elle dit tout, c’est Tam.

“Mais tu ne dois faire confiance à personne d’autre,” dit-elle solennellement, en attachant ses bottes. “Ce que je fais relève de la plus haute trahison, tu sais. Tu ne voudrais pas qu’on me mette en prison, n’est-ce pas?”

Le visage de Tam est étrangement indifférent, mais elle le connait assez pour voir son tourment. Il est partagé entre enthousiasme et désespoir, mais c’est le désespoir qui prend le dessus.

“Emmène moi avec toi” dit-il.

“Hors de question,” répond-t-elle, lui pinçant la joue affectueusement. “As tu déjà vu un champ de bataille après une bataille? Ce n’est pas un endroit pour un enfant.”

“Mais comment vas-tu faire pour le retrouver?”

“Je ne sais pas encore,” dit-elle en souriant tristement. “Mais surtout, ne te fais pas d’illusions, mon coeur. Même si je le retrouve, je ne sais pas dans quel état il sera… et nous aurons peut-être fait tout ça pour rien. Tu comprends pourquoi je dois y aller?”

“Oui,” dit-il à contre coeur. “Mais tu ne devrais pas.”

Elle s’interrompt dans son geste, le double sabre à la main. “Je vais revenir. Je ne partirai pas longtemps, je te le promets.”

Il lui tient la main bien trop fort, tout le long du chemin jusqu’à la piste de décollage, et quand ils s’arrêtent pour un câlin d’adieu, il refuse de la lâcher. Elle croit entendre ses sanglots alors qu’elle s’éloigne, et elle se fait violence pour ne pas se retourner et revenir vers lui en courant. Au moins il y a Leia, pense-t-elle. Leia sera là pour lui tenir la main et le prendre dans ses bras, il ne sera pas réellement seul. Il ne sera pas abandonné.

Ou du moins, c’est ce qu’elle se répète.

On ne peut accéder au système Oberon que depuis quelques jours, tant la tempête de Force déclenchée par Tam a été violente. Il reste encore quelques vortex mais ils sont réduits, stables, et en régression. À l’instant où Rey sort de l’hyperespace au cœur du champ de bataille qu’elle a fui trois mois plus tôt, un malaise lui serre le cœur. La plupart des débris ont migré, attirés par l’orbite du trou noir, et à première vue il ne reste pas grand chose de la destruction monstrueuse qui a eu lieu ici. A présent, le plus grand danger n’est plus les tourbillons de Force imprévisibles. Rey surveille son radar, constatant que la région qui a un jour été un des recoins les plus reculés de l’espace fourmille à présent d’activité. Les pilleurs d'épaves ont investi les lieux. Elle les reconnaît à leur façon de s’agglutiner comme des mouches autour des plus grosses épaves, dans des vaisseaux qui ont l’air de bricolages de chewing-gum et papier mâché. Mais le Premier Ordre aussi est là, récupérant ce qui peut l’être de leur flotte. Ils cherchent certainement des informations, des réponses… Ils n’ont que faire des pilleurs d’épaves, mais Rey doute qu'ils ne fassent preuve de beaucoup de patience si un vaisseau se mettait en travers de leur chemin.

Rey programme un itinéraire entre les plus grosses agglomérations de débris et commence à sonder les lieux. Elle connaît l’empreinte du vaisseau de commande de Kylo Ren. S’il y en a des morceaux ici, elle les trouvera.

Malheureusement, il faut pour cela effectuer une recherche organisée et minutieuse, et vu combien les débris peuvent s’étendre en seulement trois mois, Rey réalise qu'une telle fouille pourrait prendre des jours. Des semaines. En fait, ça pourrait prendre des années.

Fermant les yeux, Rey laisse le scanner faire son travail, et se lance elle-même dans un tout autre genre de recherche. Elle a toujours mal à l’épaule, mais ni plus ni moins qu’avant. Si le Lien de Force existe, elle ne parvient pas à le suivre ni à le pénétrer. Un mur de néant se dresse à l’extrémité de ses sens.

Au dessus d'elle, l’alarme d'approche se met à bipper. Rey se redresse, revenant immédiatement à elle, et réalise qu’un vaisseau avec une empreinte du Premier Ordre est en train de la passer au scanner. Elle lâche une volée de jurons silencieux et fait de son mieux pour conserver son sang froid.

“Identifiez-vous”, aboie la radio, avec toute l’agressivité gratuite qu’elle attend du Premier Ordre.

“Je suis un vaisseau de ferrailleur, Monsieur,” répond-t-elle avec un grimace.

“Où êtes-vous immatriculée?”

“Au poste Niima, Monsieur. Sur Jakku. Je travaille pour Unkar Plutt.” Rey réfléchit à toute vitesse. “Euh, seriez-vous intéressé par l’achat de Zed-9? J’en ai une quinzaine en stock, tous presque comme neufs et rechargés à bloc.”

“Je ne serais pas étonné que vous les ayez pillés sur les coques de nos vaisseaux.”

“C’est légal, Monsieur. Selon la Loi Galactique, les épaves et matériaux de récupération appartiennent à ceux qui les trouvent, peu importe le propriétaire d’origine-”

Elle est interrompue par la Radio qui s’éteint. Le vaisseau du Premier Ordre s’éloigne, ne s’intéressant pas plus à elle qu’à un insecte bourdonnant autour d’une charogne. Rey relâche soudain son souffle, qu’elle n’avait pas réalisé avoir retenu. Elle rectifie légèrement sa trajectoire, préférant éviter de croiser plusieurs fois la route d’un même vaisseau.

Devant elle, elle peut voir un des plus gros fragment des Star Destroyers détruits. Ça mesure environ un kilomètre de long, et ses moteurs à ions sont quasiment intacts. Rey devine que c’est là que sont regroupés sous les pilleurs d’épaves avant même de voir apparaître leurs vaisseaux sur son radar.

Spontanément, elle préfère les éviter. Ayant été pilleuse d’épave elle-même, elle sait bien qu’il ne faut pas leur faire confiance.

Les rares fois où elle a dépendu d’un autre ferrailleur de Jakku, elle s’en est mordu les doigts - parfois littéralement.

Mais encore une fois, personne mieux que ces gens ne sera informé de la nature des épaves retrouvées dans le champ de bataille. Son instinct lui souffle de ne laisser de côté aucune piste, alors Rey allume un canal de communication et lance un appel vers les vaisseaux de ferrailleurs.

La plupart se contentent de l’ignorer. Ça prend du temps avant qu’on daigne lui répondre, et Rey est surprise en voyant apparaître sur son écran les lekkus d’un twi’lek. “Qu’est-ce que tu veux?” demande-t-il en twi’leki. “Ce vaisseau est à nous. Trouve-t-en un autre.”

“Je ne cherche pas de pièces,” dit-elle patiemment. “Je ne suis pas là pour les épaves.”

Le visage grossit sur l’écran comme le twi’lek s’approche de son propre moniteur. “T’as pourtant bien une dégaine de pilleuse d’épaves.”

Quel con, pense-t-elle, mais elle reste stoïque. “Je cherche des survivants.”

Le twi’lek se met à rire. Rey attend qu’il termine. “Ça ne fait que quelques jours que cette zone d’espace est accessible,” dit le pillard. “Si quelqu’un avait été assez poissard pour survivre à cette drôle de Tempête, il serait mort depuis le temps.”

Rey sent son coeur s’alourdir, mais elle refuse d’abandonner tout espoir. “Je cherche un vaisseau en particulier,” dit-elle, pianotant sur le clavier de la console pour lui transmettre l’empreinte du vaisseau de commande de Kylo Ren. “Est-ce que vous, ou quelqu’un dans votre équipe, l’a vu?”

Le Twi’lek disparaît hors-champ, mais elle l’entend glousser au loin alors qu’il cherche quelque chose, discutant avec quelqu’un d’autre. Encore un rire. Rey tambourine des doigts, perdant patience.

“On a vu ce vaisseau, oui,” dit-il en revenant, la voix joyeuse.

“Dis moi où-”

“L’équipe de Wobo l’a repéré hier. Presque intact. Une belle prise.”

“Il y avait un homme à bord - que lui est-il arrivé? Où est-il?” Demande-t-elle, le coeur serré. Elle ne sait que trop bien que les pillards ont tendance à achever les survivants qui croisent leur chemin pour pouvoir prendre possession des épaves, et elle en a connu qui auraient assassiné de sang froid pour de la récup bien moins précieuse qu’un vaisseau de commande intact.

“Il n’y est plus, à priori.”

L’estomac de Rey fait un bond. “Est-il mort?”

“C’est possible. Ou tout comme.”

Rey en a assez de ces réponses courtes, pas claires. “Où est-il?”

“Toujours sur le vaisseau, j’imagine, mais ça ne va pas t’aider beaucoup. C’est une superbe prise, mais c’est hors de portée. Le vaisseau a pénétré la ceinture violette il y a déjà des mois.”

“La ceinture violette…” Répète Rey, déconcertée.

Le Twi’lek rit à nouveau ; un rire atroce dont le son rappelle à Rey le sifflement d’un serpent à l’agonie. “On te donnera les coordonnées. C’est franchement généreux de notre part - te donner les coordonnées de l’épave la plus précieuse du lot. Ça vaut au bas mot 500 crédit, ok?”

Rey fait un mouvement impatient de la main. “Tu vas me donner les coordonnées gratuitement,” dit-elle.

Mais soit le Twi’lek est immunisé contre les Jedi Mind Tricks, soit la distance entre eux est trop grande. “Cinq cent crédits pour la localisation d’un vaisseau qui en vaut des millions, c’est franchement une bonne affaire.”

Cinq cent crédit ce n’est pas grand chose, mais c’est plus de la moitié des économies de toute sa vie. “Je pourrais trouver le vaisseau moi-même à ce prix-là,” dit-elle.

“Peut-être. Ou peut-être que ton ami sera mort quand tu arriveras.”

“trois cent,” dit-elle.

“Cinq cent.”

“Quatre cent.”

“Cinq cent.”

Rey se mord la lèvre et ressent le besoin urgent de taper dans quelque chose. Ou bien, elle va réserver cette pulsion pour Kylo Ren quand elle lui mettra la main dessus. “D’accord.” dit-elle, énervée. “Je vous transfère les crédits - mais si vous ne donnez pas ce que je veux savoir, je vous désintègrerai tous avant que vous n’ayez le temps de les dépenser.”

C’est beaucoup dire vu que son vaisseau n’a pas d’armes, mais ça le Twi’lek ne le sait pas.

Il semble y réfléchir, attendant visiblement que le transfert soit terminé. Puis il étire ses doigts. “Nous transmettons les coordonnées”. Il y a une pointe de sarcasme dans le son de sa voix, et Rey n’aime pas ça du tout.

Et elle comprend pourquoi à l’instant où le nouveau point apparaît sur sa carte.

C’est comme si ses poumons s’étaient vidés de leur oxygène. Elle se rassoit avec raideur, ne sachant plus que faire. “Alors c’est donc ça, la ceinture violette.”

“C’est balot,” lui accord le Twi’lek. “Le plus gros de la comète s’est détourné de son orbite stable et a basculé dans le trou noir. Tout ce qui est dans la ceinture verte peut-être encore récupéré, mais virtuellement rien ne peut ressortir de la ceinture violette. Encore quelques siècles, et ce vaisseau sera atomisé. Mais vois les choses du bon côté : du point de vue de ton ami, ce sera une mort rapide. De là où il est, il ne s’est écoulé que quelques minutes depuis l’explosion de la comète.”

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