Les dossiers égarés

Chapitre 1 : VHS

1741 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 18/07/2023 00:38

Lundi 8 juin 1992

J. Edgar Hoover Building, Washington

Dans les sous-sols



Dans les profondeurs du FBI se trouvait un bureau oublié de tous. Un endroit où il s'écoulait parfois des jours sans qu'une personne extérieure au service n'eut à passer par là. Les seules personnes qui empruntaient les sombres corridors menant au bureau des affaires non classées en dehors de ses agents, Scully et Mulder, étaient celles du service du courrier.


Dana était affectée aux X-files depuis quelques semaines à peine, mais elle avait pris l'habitude d'être la plus matinale possible. En dépit de cette bonne volonté, il lui arrivait d'être devancé par son collègue déjà affairé à observer des diapositives à la loupe, à relire des dossiers parfois vieux de plusieurs décennies ou à décortiquer des tabloïds douteux… C'était à se demander si Fox Mulder ne dormait pas de temps en temps sur place.

Posé dans une petite panière, sur un casier métallique à côté de la porte du bureau, le courrier attendait patiemment. L'agent Mulder avait non seulement eu le privilège d'avoir son propre espace de travail, mais il s'offrait le luxe de le fermer à double tour. Un tantinet parano, il avait confié du bout des doigts les clés du temple à sa nouvelle collègue.


Un carré plongeant enveloppé le visage rond de la rouquine dont la douceur contrastée avec le sévère de son regard. Elle avait opté pour un tailleur à carreaux strict avec épaulettes, dans le but inconscient de rendre sa petite stature un peu plus imposante. Sa jupe crayon la contraingnait à une démarche guindée, parachevant l'image qu'elle avait érigée comme un bouclier.

L'agent détailla le contenu de la panière : deux courriers officiels, retour d'analyse et compte rendu, cachés sous une grosse enveloppe kraft dont le contenu, que Scully devina au travers de papier, était, incontestablement, une cassette vidéo.


Un tour de clé plus tard, Scully pénétrait dans le bureau. Elle déposa sa veste au porte-manteau, dévoilant un chemisier nacré dont le col ouvert de quelques boutons laissait apparaître une petite croix dorée.

Près du plafond, la lumière entrait péniblement par les vitres en soupirail donnant au ras du sol, à l'extérieur. Sur le mur du fond, sous les fenêtres, s'étalaient pêle-mêle sur un tableau de photographies de scène de crimes, de suspects ainsi qu'un cliché du big-foot. Au milieu de ces stigmates des horreurs de notre monde était placardée une affiche arborant comme un cri d'espoir la phrase "Je veux Croire" au-dessous d'un photomontage d'ovni. Aux yeux de la jeune femme, ce ne pouvait être qu'un photomontage.


Dès leur rencontre, Scully fut fascinée par l'aplomb avec laquelle Mulder défendait les théories les plus folles ainsi que par sa capacité à étendre le champ des possibles.

Dana s'installa derrière le bureau et regarda sa montre en soupirant : son collègue allait avoir du retard.

Après avoir étudié les comptes-rendus fraîchement livrés, l'intérêt de Dana se porta sur l'enveloppe kraft. Elle n'était pas oblitérée et l'inscription, au marqueur, indiquait sobrement "service des X-files". Scully en déchira le rebord et en fit glisser le contenu sur le sous-main usé. Accompagnant la cassette vidéo, une petite note rédigée à la main indiquait :

Tu vas voir, la rouquine est canon.

Sous l'inscription, se trouvait un F en guise de signature.


La bande n'était pas rembobinée, l'expéditeur avait très certainement commencé à en regarder le contenu.

D'un recoin de la pièce, Dana extirpa un petit meuble métallique à roulettes surmonté d'un petit téléviseur carré. Elle tira la rallonge et brancha la multiprise qui alimentait également un lecteur vidéo, sous le poste, dans lequel elle inséra la VHS.

L'image tressauta. Le son d'un morceau ringard de saxophone également. Puis la vidéo se précisa. Il ne s'agissait pas d'un documentaire, d'une vidéo de surveillance ou d'un interrogatoire comme aurait pu s'y attendre l'agent Scully, mais d'un film. Une production bas de gamme.

Impliquant l'imagination du spectateur, un cadre minimaliste tentait de faire passer un décor en préfabriqué pour une quelconque entreprise à grand renfort de bureau vide et d'une énorme photocopieuse. L'héroïne de ce drame social était une secrétaire, une fausse rousse tout en hauteur. Trop maquillée et à l'étroit dans son chemisier taché d'encre, la pauvre était paniquée parce que la photocopieuse refusait d'obéir.

-As t'elle seulement vérifié que l'appareil était bien branché ? Demanda Scully à haute voix, assise sur le bureau.

Dana avait bien compris qu'elle était face à un "film pour adulte". Elle n'avait jamais réellement eu l'occasion d'en voir, et le long-métrage exerçait une certaine fascination sur la jeune femme. Arrivait-il souvent à Mulder de regarder ce genre de chose sur son temps de travail ? Avait-il demandé à ce mystérieux F de lui trouver spécifiquement un film avec une rousse dans le "rôle principal"? Plus important encore : si tel était le cas, en avait-il fait la demande après avoir rencontré sa rouquine de nouvelle collègue ?

De son côté, la secrétaire avait téléphoné à un dépanneur qui se manifesta avant même que sa cliente n'ait eu le temps de reposer le combiné.

Afin de montrer l'étendue des dégâts, l'ingénue déboutonna sa chemise, le technicien pouvant ainsi constater que l'encre avait traversé le tissu jusqu'à la peau. Ne faisant aucun effort pour la regarder dans les yeux, le dépanneur posa son diagnostic :

-C'est un problème de cartouches, m'dame.

De moins en moins intéressé par la bureautique, tout en jouant avec les boutons de son chemisier ouvert, la secrétaire demanda, faussement innocente :

-Vous seriez habilité à me mettre "cartouche"?

Tapotant nerveusement sa télécommande, Scully éjecta la VHS, la glissa précipitamment dans son enveloppe kraft, et jeta le tout à l'autre bout du bureau. Les joues roses, elle fit rouler le petit meuble audiovisuel pour le remettre en place, mais, dans la manœuvre, elle arracha du mur la prise qu'elle avait oubliée. Elle roula ensuite le câble en boule et le posa sous le lecteur.


La jeune femme se posa de nouveau sur le plateau du bureau, et ne put retenir un éclat de rire sonore. L'avantage d'être seule au rez-de-chaussée, c'était d'être à l'abri des oreilles indiscrètes. C'est du moins ce qu'elle pensait.

Fox Mulder venait de franchir la porte. Elle n'avait pas entendu l'ascenseur s'ouvrir au bout du couloir.

-Serais-tu frappé d'une crise d'hilarité ? Lui demanda le grand brun amusé.

Fox Mulder n'était pas branché protocole. Il faisait une exception pour le costume strict, mais l'agrémentait toujours d'une cravate fantaisie. L'apparat du jour représentait des clowns et des ballons rouges. Son menton volontaire était couvert d'une fine barbe.

Scully le lui fit remarquer :

-Salut Mulder. C'est un nouveau style ? Lui demanda-t-elle, en se frottant le menton entre le pouce et l'index.

-Ho ça ?

Il fit une grimace un peu gênée avant de commencer son plaidoyer :

-Je n'ai pu repasser à mon appartement que très rapidement ce matin. D'où mon retard. J'ai passé une bonne partie de la nuit dans un parking souterrain à attendre un informateur qui n'est arrivé qu'à l'aube.

Il retira sa veste de costume noire et l'accrocha à côté du vêtement de sa collègue. Il se pencha légèrement vers sa partenaire, signifiant que la partie intéressante de son récit restait à venir :

-Accroches toi bien Scully. Le type en question avait en sa possession les plans d'un moteur à explosion fonctionnant à l'eau.

-Tu as passé la nuit à attendre un hurluberlu dans un parking ?

La triste compassion de Scully passa pour de l'incompréhension aux yeux de Mulder. Vexé, il reprit, un peu hautain :

-Ce type est pourchassé depuis plus de vingt ans pour ce qu'il sait.

L'enthousiasme du grand brun repris le dessus :

-Tu ne te rends pas compte, une telle annonce pourrait changer la face du monde !

L'enthousiasme se mua en ferveur, et Fox Mulder s'emporta dans un monologue sur la liberté et la vérité dont lui seul avait le secret. Mais, Dana ne l'écoutait que d'une oreille.

Passionné, brillant, engagé et plutôt bel homme, comment pouvait-il se condamner à une telle solitude ?

Et puis cette question encore, était-ce lui qui avait demandé cette vidéo ? Pourquoi une rousse ?

Chercherait t'il à exorciser une quelconque attirance pour elle ?

Mulder était-il tenté par une aventure entre collègue ?

Et, elle? Serait-elle tentée ?

Elle fut extirpée de ses rêveries par Mulder, les bras en croix, qui la fixé amusé.

-Pourquoi riais-tu quand je suis arrivé ?

A la limite de l'expérience extra corporelle, les yeux ronds, Scully s'entendit répondre :

-Pour rien... Simplement, un problème de photocopieuse...

Le plus sérieusement du monde, presque inquiet, Mulder demanda :

-Les cartouches ?

Les joues brûlantes, le regard en dessous, la rouquine devint coquine :

-Et tu serais habilité à me mettre "cartouche"?

Subtilité zéro. Scully décida qu'elle prendrait le temps d'avoir honte plus tard.

Interloqué, Mulder bégaya, un peu crétin :

-Tu... Tu me fais du gringue ?

Scully se désola intérieurement : beau garçon, révolté, passionné… Mais, un peu lent...

Le téléphone sonna. Sauvé par le gong. Elle se lança sur le combiné et décrocha pour raccrocher presque immediatement.

-Skinner veut nous voir.

La belle traversa la pièce au pas de course, saisi sa veste sur le porte-manteau et disparue dans le couloir... Mulder se mit lentement en mouvement, empêtré dans ses réflexions. Il referma le bureau derrière lui, laissant sa veste à l'intérieur. Scully tapotait frénétiquement le bouton d'appel de l'ascenseur. Il lui lança :

-Tu m'as fait du gringue ?

Le visage écarlate, elle menti, un peu malgré elle :

-Non, Mulder, même pas en rêve.

Les portes chromées s'ouvrir devant eux. Ils entrèrent dans la cabine et Mulder indiqua l'étage d'un geste rapide.

Le grand brun brisa le silence gêné :

-Il faudra reprendre cette conversation un de ces quatre...

Scully réitéra lentement :

-Même pas en rêve...


Ainsi, les portes se refermèrent.

Laisser un commentaire ?